S'il y a bien une chose dont j'ai horreur, c'est de ne pas comprendre ce qu'il se passe, surtout quand j'en deviens le dindon de la farce. Cette espèce d'évènement des trois dragons se changeant en faille spatiotemporelle venue de nulle part commence légèrement à m'agacer, et je ne sais pas quoi faire pour remédier à tout cela sans partir dans les tours. Il faut croire que mon côté compétiteur commence à se réveiller, surtout dans les cas où je dois chercher une solution pour obtenir un résultat optimal sur une performance ou un record personnel. Là, il ne s'agissait ni de l'un ni de l'autre, mais de bel et bien trouver un moyen de s'en sortir, sans trop faire souffrir mes partenaires, et sans trop perdre mon peu de sanité mentale.

Il faut dire que ces quelques premières heures dans la faille ne m'ont pas réellement épargné : des illusions plus vraies que natures de pokémons que je possède ou que je projette de capturer dans des futurs, comme si cette réalité alternative me proposait déjà de voir à quoi ressemblerait ma future équipe pour l’Élite, la compétition tant redoutée et pourtant tant convoitée de n'importe quel dresseur-coordinateur qui se respecte ; des tentatives de mènes dans des pièges loufoques plus variés et créatifs les uns que les autres dans un jeu du chat et de la souris oppressant, où mes compagnons et moi-même étions les souris ; ou alors encore cette soudaine mise en opposition avec des membres d'une congrégation de l'ombre, la fameuse Team Rocket, venue elle aussi depuis ma région natale du Kanto pour tenter quelques méfaits et quelques substrats illégaux de pokémons.

Vraiment, j'arrive à un point de saturation qui me font douter de l'avenir imminent qui se dessine devant moi, devant mes compagnons, et potentiellement les autres participants de l'évènement, dont je n'ai toujours aucune nouvelle. Ou alors... je continue ma marche dans cet univers aux couleurs inversées, à la réalité distordue et dissonante... et j'aperçois un silhouette... plutôt mince et tonique... une chevelure blonde... un pokémon à ses côtés qui m'est familier... et plus je m'en rapproche, et plus mon cœur commence à palpiter. C'est comme si mon instinct me dictait de suivre cette intuition, que cette personne serait la clé de mon soulagement ponctuel aux fins fonds de ce plan parallèle à en faire perdre la raison. J'arrive alors enfin vers cette personne, ou du moins, ce jeune homme que je reconnais alors presque immédiatement, mais dont je questionne l'identité aussitôt, histoire de ne pas me faire avoir comme la dernière fois avec le déguisement subtil et piégeux de ce Zoroark en un des membres de ma famille.

- Angelo ?! C'est bien toi ?!

Comment ne pas être en joie devant une telle retrouvaille, aussi peu commune soit-elle ? Honnêtement, je pense que je serai devenu fou si Angelo ne m'était pas apparu. Qui sait encore quelle fourberie ce monde illusoire, limite psychédélique, avait en stock. Même si la curiosité est un vilain défaut, et que la plupart des gens normaux aurait envie de justement creuser cette question, ma sanité psychique me crie ardemment de ne pas faire cas de ce faux dilemme de situation, et de me laisser aller vers le soulagement et le contentement d'enfin retrouver un visage familier.

- Leonis ! Tu ne peux pas savoir comme je suis content de te voir, je commençais à penser qu’on était les seuls à s’être retrouvés dans ce monde de fou !

Angelo piqua littéralement un sprint pour venir jusqu'à ma hauteur, me prenant les mains avec excitation et vigueur pour me saluer. Je comprends par ce geste et cet excès d'excitation que lui aussi doit être passé par bien des péripéties dans cet univers alternatif, dont l'apparition et l'origine restent encore tout à fait inconnues et inexpliquées.


- Tu étais au festival toi aussi ? Tu sais ce qui s’est passé par hasard ? Je n’ai absolument rien vu.

Ah eh bien finalement, il y a peut-être bien un point de départ commun à quiconque se retrouve au beau milieu de cette réalité distordue et complètement loufoque. Le festival des trois dragons serait le point d'origine de la création de cette modification du temps et de l'espace, un peu comme à effigie de deux des représentants divins maitres de ces concepts, Dialga et Palkia. Et alors, possiblement que l'aspect cauchemardesque et chaotique de cette version parallèle de notre lieu de rassemblement serait l’œuvre du message protecteur d'Arceus, anciennement connu pour ses perfidies anti-matérielles ? C'est vraiment trop étrange pour que cela ne puisse s'expliquer en un claquement de doigts. Je dois faire fausse route, ou du moins, manquer d'éléments pour comprendre la situation.

- J'étais bel et bien au festival aussi ! Incroyable que tu aies été présent ! m'étonné-je. Je ne sais vraiment pas ce qu'il s'est passé. J'étais en train de discuter avec l'un des participants du jeu de construction en lien avec la future statue de Dialga. Et au moment de me diriger vers l'un des stands pour récupérer du matériel de sculpture, le blackout. Tout est devenu confus, tant dans les couleurs que dans les dimensions, un peu comme si nous avions été projetés dans un film sous opioïde, un peu comme ce passage dans Alice au Pays des Merveilles... avec la chenille là... tenté-je de me souvenir.


Mes pensées sont encore plus confuses que lorsque j'étais tout seul. Pouvoir m'entretenir avec Angelo me faisait du bien, mais rajoutait encore un peu plus d'inconfort quant à l'issue de cette faille dans le continuum espace-temps.

- Tu te souviens de Chance ? Il a changé depuis la dernière fois !
- Ah oui ? Où est-i... Oh ?!

Je m'aperçois que le pokémon qui aurait dû ressembler à son Grenousse n'était plus celui dont je me souviens. J'ai en face de moi un amphibien qui a bien grandi, dont le regard à l’air de s'être assagi d'expérience et de malice. Son espèce de petit foulard de bulles blanches parait beaucoup plus épais et plus doux à la fois.

- Eh ben ça alors ! Je ne l'avais pas reconnu ! Il a évolué quand ? m'exclamé-je avec surprise. Oh mais attends... *reprenant mes esprits* ...comment as-tu atterrit ici alors que je ne t'ai pas croisé sur l'évènement jusqu'à maintenant ? questionné-je. Je t'en supplie, dis-moi que tu es bien le vrai Angelo ? commencé-je à paniquer.

J'espère très sincèrement que tout ceci n'est pas une énième hallucination bizarre que ce nouveau monde me propose. Sans quoi, je m'en irai courir pour aller crier un bon coup, quelque part, là où rien ni personne ne pourra risquer de me faire exploser une durite émotionnelle. Car après tout, le Grenousse d'Angelo aurait déjà évolué alors que ma petite Kumiho n'en était encore qu'à sa période de croissance ? Pourvu que tout soit réel.

La réponse de celui qui se présente comme étant Angelo et son compagnon Chance est déterminante pour la suite des évènements me concernant. Soit il se révèle être un imposteur, auquel cas je commencerai à définitivement perdre pied dans ce monde alternatif sans dessus dessous et sans aucun repère fixe et viable ; soit l'identité est véritable, et je pourrai enfin me reposer l'esprit grâce à une entente plus que cordiale avec le musicien de talent.

Le souvenir que j'en ai de lui n'est vraiment pas mauvais du tout, je dirais même que grâce à lui, j'ai pu ouvrir les yeux sur une partie de ma propre personnalité, de mes envies, de mes ressentis sur la vie, sur les gens, sur les sentiments qui pouvaient encore dormir en moi. Grâce à son passage sur Parmanie, j'ai pu m'ouvrir à un monde que je ne connais que très peu de prime abord, mais qui a trouvé un écho en moi concernant l'état de certaines de mes relations amicales, et hypothétiquement futurement amoureuses. Donc s'il y a bien quelque chose dont je suis sûr, c'est qu'un faux Angelo ne pourra pas me berner sur des informations glanées au prix de quelques journées de pure détente amicale et de péripéties mondaines tout à fait grandiloquentes, extravagantes et pour sûr, formatrices.



- OK, je vais te dire des trucs que seuls toi et moi savons. Chance était un Grenousse la dernière fois qu’on s’est vus parce que je ne savais pas comment l’entrainer, c’est toi qui m’as appris quand je suis venu à ta pension pour le boulot.

L'introduction est convaincante, en effet, je l'ai rencontré à la pension que je gère sur Parmanie, et il est effectivement venu jusque chez nous accompagné de son Grenousse, du nom de Chance. Il est vrai également qu'il n'avait à l'époque que très peu d'expérience dans l'élevage pokémon, et que quelques conseils étaient le bienvenu dans sa formation personnelle.



- On a été dans une boite de nuit qui appartient à mon patron Andrew Marchais parce que je devais y vérifier s’il s’y passait des trucs homophobes ou transphobes.

Là on touche déjà à quelque chose de délicat. Car oui, en effet, j'ai accepté d'accompagner Angelo jusque dans l'enceinte d'une discothèque réputée pour être l'antre d'acceptation de toutes les communautés possibles et imaginables, celles disparaissant en général du spectre de la normalité sexuelle du commun des mortels. L'identité de son patron est d'ailleurs la bonne, et s'il s'était trompé à me dire qu'il avait été son impresario, comme l'erreur que j'avais commise en croyant cette boutade téléphonique de la part de ce même Andrew, alors le pot aux roses aurait été découvert.



- Je t’ai demandé de faire semblant d’être avec moi pour voir si ça suscitait des réactions haineuses. Je t’ai aussi dit que contrairement à ce qu’affirme Internet je ne suis pas gay, mais pan et fier de l'être.

Je commence déjà à être convaincu. Cette information ultra personnelle à Angelo est cent pour cent authentique. Il est vrai que ce jeune blond peut donner l'air de ne vouloir s'intéresser qu'aux beaux hommes et autres représentants de la gente masculine qui se renseigne de près comme de loin sur ce monde différent et ô combien enrichissant de la société. Ce qui me fait dire que c'est bel et bien lui, c'est cette information sur son statut de pansexuel, secret intime qu'il avait bien voulu me confier à l'époque pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté entre nous.


- Et j’ai emprunté l’une des guitares que tu as mis à disposition dans ma loc’ pour faire un concert sur ta pelouse, même si dans mon groupe je suis bassiste.
- ENFIIIIIIN ! WOAAAAAAAAH ! rugis-je, à la fois soulagé et tendu. Merci Angelo. Si tu savais comme ça fait du bien d'être enfin d'une vraie personne cette fois-ci. admets-je.
- Ça a dû être plus compliqué de ton côté que du mien dans cette faille, hein ? J’ai l’impression que tu as morflé pour devenir parano comme ça. enchaine-t-il avec un sourire compatissant.

Je pris un léger moment pour reprendre mes esprits, toujours sous le coup des nerfs.

- T'as pas idée. commencé-je à raconter. Depuis mon arrivée dans ce monde de malheur, je n'ai fait que des rencontres illusoires, à base d'hologrammes plus vrais que natures, voire même des interventions malicieuses et perfides de Zoroark aux couleurs plus originales et déroutantes les unes que les autres. poursuis-je avec de grands gestes de mains et de bras pour exulter le stress emmagasinée jusque lors.

Me relaxant un peu plus, je continue sur ma lancée, et je lui révèle des détails inquiétants qui peuvent se produire dans cette réalité modifiée.

- Le pire aura été de voir des personnes proches de moi comme ma mère, l'une de mes petites sœurs, et je crois que le plus difficile aura été de confronter Zelliel. Tu te rappelles, mon meilleur ami ? Celui dont je suis très proche, et encore un peu plus depuis qu'on l'a croisé par inadvertance dans cette discothèque ? tenté-je de faire rappeler à Angelo. C'était dur. Il avait les traits graves, l'aura lugubre, et un phraser tellement agressif et abjecte, que j'ai failli m'écrouler de honte et de peine. avoué-je le regard légèrement larmoyant. J... Je... J'ai beau être un homme robuste, j'ai aussi mes failles, et si tu n'avais pas été le vrai Angelo, je pense que j'aurai sombré dans une folie mentale irréversible.

Le simple fait d'évoquer Zelliel et ce que j'ai vécu en le confrontant plus tôt dans la faille suffit à me faire perdre le contrôle de moi-même, pour me faire très rapidement faire sortir comme une sombre espèce de ramassis d'incohérence, de manque de confiance et de crédulité profonde. L'adage n'est pas aussi vrai que dans ce moment-là : il n'y a bien que les personnes les plus proches qui savent taper là où ça fait très mal. Mais heureusement pour moi, Angelo semble l'avoir compris, et en a profité pour se rapprocher de moi et venir poser une main sur mon épaule, en l'étreignant juste assez pour me faire sentir son soutien.

- Tout va bien maintenant. Enfin, non, mais tu vois ce que je veux dire. On va rester ensemble et être un point d’ancrage l’un pour l’autre. Oublie ce que t’as dit cette illusion. Du peu que j’ai vu de ton pote, il tient à toi et ne te démolirait jamais comme ça.

Plus facile à dire qu'à faire. Ce n'est pas lui qui est la victime de cette hallucination distordue de mon meilleur ami, de mon confident de toujours, celui pour qui j'explore les moindres recoins de ma personnalité pour qu'on soit en phase encore un petit peu plus chaque jour. Mais je ne peux pas blâmer Angelo pour cette tentative de remontée de moral, il ne pense qu'à essayer de m'apaiser, et intérieurement, je le remercie déjà.


- Et vu la boite de nuit dans laquelle je l’ai rencontré, je doute qu’il soit le genre à estimer qu’être queer est un truc honteux.

Je ne peux m'empêcher de sourire quand je repense à cet épisode de la boite de nuit dans laquelle je l'ai croisé. Lui. Zelliel. L'homme à femmes. Se déchainant sur la piste de danse de façon très décomplexée et charismatique à la fois. Évoluant parmi la foule de la communauté queer, sans aucun intérêt pour ce qu'on pouvait bien dire de lui. C'était ce soir là que j'avais appris sa bisexualité, et que je commençais à comprendre aussi un petit peu la nature de mes sentiments pour lui. Une attraction émotionnelle plus que physique, même si son apparence, je dois bien l'avouer, ne gâche rien au tableau général.

- Je sais que c’est dur de gérer tout ça, là c’est pas le moment mais on pourra en parler après, quand tout sera rentré dans l’ordre. Je suis passé par là aussi. C’est un truc perso à gérer, de ne plus avoir honte, mais je t’aiderai si je peux. ajouta Angelo légèrement hésitant.

J’acquiesce d'un hochement de tête vertical, pour lui faire comprendre que j'ai compris, même si je ne trouve pas les mots immédiatement, que ce soit pour le remercier ou pour lui faire savoir que j'entends ses mots, et qu'ils me font du bien. Malgré tout, je parviens à glisser un « Merci Angelo. » sur un demi-ton perdu dans un soupir de soulagement et de relâchement nerveux.


- OK, maintenant on fait quoi ? Si on est là tous les deux, il doit y avoir d’autres gens. Tu es venu accompagné au festival ? enchaine-t-il alors comme si l'évidence vient tout juste de l'illuminer.

C'est aussi à ce moment-là que je suis frappé d'un éclair de lucidité, symbole de ma vivacité d'esprit, mais symbole aussi de toute la distraction dont je peux être victime alors qu'il y a forcément d'autres choses importantes à garder en tête. Lana. Ma collègue et amie scientifique. Elle était avec moi elle aussi, mais avant que la distorsion ne soit effective, elle était allée au stand de hotdogs pour nous remplir la panse. Comment ai-je bien pu occulter sa disparition ? Décidément, je ne suis vraiment que l'ombre de moi-même, à la merci e mes démons intérieurs. Mais il faut que je me ressaisisse, et que je prenne l'opportunité d'aide d'Angelo au vol.

- En effet, il y avait bien quelqu'un avec moi. Une amie scientifique, tu l'as peut-être croisée à la pension la dernière fois. C'est ma nutritionniste de génie. Blonde. A peu près ta taille. Un peu taquine je dois bien l'avouer... ponctué-je en rougissant. Description à part. Elle s'est absentée le temps de nous prendre de quoi manger ensemble pendant nos recherches de métaux pour fabriquer la statue en l'honneur de Dialga. Et puis le trou noir. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ensuite, j'espère qu'elle va bien. commencé-je à m'inquiéter.