Les secondes paraissent des minutes, et les minutes s'étendent et s'allongent comme des heures. L'attente est insoutenable. La tension est invivable. Je n'ai jamais été autant stressé de toute ma vie. Même les concours d'entrée à l'académie, ceux pour l'accès au rang de professeur de lettre et de langue du monde, le premier concours de coordination, le premier jour à la pension, la première éclosion d'un œuf issu d'une reproduction tout à fait standard... rien de tout cela n'était comparable à côté de cette énorme boule nerveuse qui me tient maintenant au ventre depuis quelques petits instants. Il ne lui suffira que de quelques mots, que de quelques phrases. Pas un grand discours. Ni une tirade. Encore moins un soliloque théâtral.
Juste, ses propres mots. Ses sentiments et ses intentions. Juste ça, serait une libération, pour lui comme pour moi. Mais est-il réellement prêt à se risquer à la manœuvre ? Je le vois détourner le regard de-ci de-là. Je le vois se triturer les doigts, qui craquent par moment, qui s'entrelacent par d'autres. Je le vois trembler par épisode très succincts, comme si des frissons le hantait depuis le début de notre conversation. Je le sens fébrile, anxieux et incroyablement pudique pour une fois. Lui qui est d'ordinaire très expansif, peu soucieux du qu'en dira-t-on ni du qu'en penseront-ils.
- Eh baaaaaa~ah...hésite-t-il. - Oui ? - Jeeeeeee~e... - Oui ?! - Je crois bien que jeeeee~e... - Dis-le bon sang !m'impatienté-je. - T'es marrant toi !maugrée-t-il.C'est pas aussi simple que ça ! - Je me doute bien, mais si on veut pouvoir passer à autre chose, il vaudrait mieux que-
*toc toc toc*
Soudain, j'entends un bruit sourd provenant de derrière moi, et je vois Zelliel écarquiller les yeux et rougir de plus belle. Je me retourne, et m'aperçois que c'est ma mère, qui toque sur la baie vitrée pour nous signifier que le dessert était prêt. Mince, moi qui pensais qu'on pouvait s'en sortir ici et maintenant, ça allait devoir attendre. Le niveau de frustration qui vient de s’installer dans mes narines, mes yeux et mes oreilles est tel que je maudis presque ma génitrice de s'être trop empressée de nous délivrer ce foutu dessert. Bon, ce n'est qu'une réaction à chaud, bien évidemment, jamais je n'oserais m'en prendre à celle qui m'a mise au monde, même si ma vie devait en dépendre. Mais pour une fois, j'aurais bien aimé qu'elle ne soit pas la femme parfaite qu'elle adore être en toutes circonstances.
Nous nous résignons alors à rentrer dans la maison. Nous reprenons le chemin de la salle à manger, et nous nous rasseyons sur nos chaises confortables. Il n'y a bien qu'elles qui ne le soient à ce moment du repas, si vous voyez ce que je veux dire. Faible sur mes appuis, je m'écrase de tout mon fessier sur l'assise, faisant légèrement craquer le bois de la chaise. Ma mère se permet alors une petite plaisanterie sur une potentielle prise de poids depuis la dernière fois où un tel craquement s'est fait entendre dans cette pièce de vie. Visiblement, mon père avait lui aussi connu la désagréable sensation de se sentir trop pesant sur son séant, et sa compagne n'avait sûrement pas manqué de le lui faire remarquer également.
Le reste du repas se déroule sans trop d'accrocs, et est même plus vivant et plus dans l'échange qu'avant notre petite entrée timide et timorée. Il faut dire que ma mère a à cœur de ne pas remettre les pieds dans le plat, alors elle change souvent de sujet de conversation. Que deviennent les cours de l'académie ? Y a-t-il eu un remplaçant pour occuper mon poste ? Est-ce l'on a suivi les derniers matches de la Ligue entre un certain Côme Potte - quel drôle de nom celui-là aussi, presque autant que Lime Aunade - et la championne Cataleya Ceferino ? Est-on au courant de la prestation de la finale de l'Élite entre un certain challenger éthologue de formation, Illia Aethelhelm, et la maitresse coordinatrice Suika Kobayashi ? Est-ce que Zelliel suit de près ou de loin l'effort de ma pension pour s'ancrer au sein du programme « Pokémon for Life » ? A-t-il lui aussi penser à peut-être lui aussi se lancer dans l'adoption d'un compagnon pokémon et potentiellement se construire une nouvelle routine ? Autant de questions d'ordre personnel comme professionnel, tout azimuts, l'air de rien, passant comme une lettre à la poste.
Mais bientôt, le repas toucherait à sa fin. Bientôt, la tension remonterait d'un cran lorsqu'il nous faudrait nous retirer dans nos quartiers pour y passer la nuit. Ma mère avait eu la fausse bonne idée de nous convier pour le couchage également, sous prétexte que cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu d'aussi chaleureuse compagnie que la notre. Le comble, connaissant la froideur avec laquelle Zelliel était entré dans la maison, très probablement sous le coup des nerfs, à vouloir m'annoncer quelque chose d'important concernant notre lien d'amitié. Le comble également pour l'hôtesse du foyer, qui a probablement senti un petit décalage dans l'ambiance, mais qui a décidé de faire fi des convenances, pour son bien-être et le nôtre. On ne peut pas lui en vouloir, Stella est comme ça, toujours ouverte à la compagnie, généreuse dans ses prestations d'intérieures, et toujours de bon aloi en termes de sujets de conversations. C'est simple, mais au trente-sixième dessous, elle saura toujours trouver la parade pour redonner un semblant de sourire, ou ne serait-ce qu'un simulacre d'éclat dans les yeux.
C'est une maman après tout. Elle possède cet instinct de protectrice, de nourricière, de conseillère et se porte souvent comme la voix de la sagesse. La sagesse d'une femme qui a déjà vécu pleinement sa vie, tant sur le point de vue professionnel que personnel, qui œuvre de main de maître tant sur le point de vue de sa qualité de scientifique, tant sur sa condition de gardienne du fort casanier. Elle possède ce sourire apaisant, doux et rassurant. Elle parvient à faire ce genre de regard, tendre, jovial et inspirant la confiance. Et enfin, il y a ses étreintes, fermes mais passionnée de vouloir donner de la chaleur, du cœur et de la présence maternelle. Encore une fois, je la dépeins comme une déesse dont le seul affront que je lui fais est que je la considère comme une humaine. Mais elle est tout pour moi, et rien que pour la gratifier de tant d'efforts, tant de présence et tant de considération, qu'elle a eu avec chacun de ses enfants, ses perles précieuses, ses trésors de vie ; je peux endurer le stress et l'anxiété du moment, et lui rendre cette bonhommie qu'elle apprécie par-dessus tout.
Le plus dur reste donc à venir. Mon interlocuteur de la soirée semble faire un tour de mutisme tout à fait convaincant, laissant ma mère faire toute la conversation, ne lui arrachant que quelques réponses succinctes et très rapides dans le rythme. Il noie le poisson du début à la fin, et semble être cette fois-ci impassible à toute sensibilité affectueuse me concernant, et à toute timidité soudaine à l'énoncé de certaines des questions de ma génitrice. Certes, il avait déballé une partie de ce qui lui pesait sur le cœur, mais il n'avait pas totalement dévoilé cette part d'ombre qui s'était voilé sur notre relation il y a peu. encore hier, je pensais que nous n'étions pas en situation de crise ou de doute, et là, je sens que tout est sur le point de basculer vers un nouvel horizon. Pour le mieux ou pour le fastidieux, nul ne le sait à part lui, et le destin.
Le dessert est englouti avec allégresse de mon côté, je suis un friand de sucrerie. Une bonne pâte à choux, un fourrage à la crème pralinée, du croquant sur le dessus par un saupoudrage d'amandes et de noix grillées. Un léger glaçage au sucre pour donné et de la brillance à l’aspect visuel et une dose de gourmandise coupable à l'édifice gastronomique. Je l'avoue, je suis une proie facile pour tout ce qui touche à la nourriture, que ce soit dans le salé comme dans le sucré. Ces deux dimensions me parlent à hauteur égal, et suscitent en moins des gargouillements d'estomac aussi retentissants pour l'un comme pour l'autre. Ce que Zelliel ne manque pas de découvrir à chaque fois que nous mangeons ensemble, lui arrachant alors ce petit sourire taquin et malicieux que je lui connais, surtout quand on sait qu'il est capable de retenir ce genre de détail pour le ressortir quelque jour plus tard, de façon très cynique et ironique à la fois, pour justifier d'un écart de ma part quand je l'incite à pratiquer une activité physique régulière.
Mea culpa. Toujours est-il que cet ultime met dans une suite de plats tous plus alléchants et succulents les uns que les autres met le point de conclusion d'une histoire gustative de haute voltige. Ma mère prend congé de la tablée, avec les quelques couverts restants sur la table, pour aller s'occuper d'un brin de vaisselle de mise. Nous deux, en revanche, c'est un retour au silence qui nous attend. On se jauge du coin de l’œil. On s'apprivoise de nouveau dans l'ambiance et dans la tension de nos membres faciaux endoloris par la sensation d'être repu d'un tel repas. Il n'y a plus qu'une chose qui compte, c'est l'intensité des regards que nous nous échangeons. De mon côté, il y a également le battement de mon cœur qui se fait de plus en plus bruyant, de plus en plus assourdissant, bourdonnant jusque dans mes tympans, m'empêchant de me concentrer et de garder mon intégrité émotionnelle.
J'ai chaud. Je me sens fébrile. Quelque chose me dit que tout va se jouer dans les quelques secondes, voire les quelques minutes, qui vont arriver. Je ne sais pas encore ce que je m'apprête à entendre de la part de cet homme qui me fait face, avec sa chevelure courte, légèrement hirsute, mais bien coiffée, de couleur bleu foncé. Ses yeux, légèrement en amende, affiche une sorte de férocité dans l'intensité, comme s'il tentait de me désarmer avant même d'avoir eu à ouvrir sa bouche. Le froncement de ses sourcils lui donne un air grave, et aussi presque félin. Qu'a-t-il donc dans sa tête pour avoir à me faire transpirer intérieurement comme ça ?
Il y a dans l'air comme un parfum de série dramatique. Comme une tension épique qui se jouerait dans les détails de chaque scène qui se déroulent dans la maison familial des Amicitia, sur Parmanie, mon havre de paix, mon sanctuaire de repli, mon univers de toute une vie. Un frisson inexplicable qui parcourt une échine, en prévision d'une nouvelle glaçante et implacable de fébrilité. Un rictus forcé, comme un spasme musculaire des zygomatiques qui se crée devant l'appréhension d'une phrase ou d'une idée qui flotterait dans l'esprit. Un tremblement subtile et succinct des lèvres, qui trahiraient une sorte d'excitation du moment, comme une certaine électricité émotionnelle qui irait jusqu'à hypersensibiliser les nerfs de cet organe labial. Un picotement bref mais gênant de la peau, peu importe la localisation de la surface en question, comme un inconfort passager d'un concept mental ou d'un sentiment viscéral venu jouer les trouble-fêtes.
C'est un moment difficile à passer. L'attente d'une phrase. L'expectative d'une expression d'un sentiment plus ou moins partagé mais pas forcément pleinement assumé. L'imagination devient alors débordante. On entend des mots flotter dans l'air alors que rien ni personne ne permet la vocalisation de ces derniers. On sent des odeurs qui nous paraissent familières, qui viennent calmer les hésitations et les palpitations du cœur. On voit des ombres dans les recoins des pièces de la maison, qui nous paraissent à la fois surnaturelles et pourtant si singulières, si captivantes, presque hypnotisantes. On ressent des choses que l'on ne s'explique alors pas : un pressentiment d'une situation à venir ou déjà vécue qui resurgirait du subconscient ; une impression de déjà-vu ou de déjà-vécu qui nous procurent à la fois une adrénaline apaisante et une quiétude électrisante.
Tout ce qui suivrait ce dîner serait un bout de ma mémoire qui ne s'effacerait probablement pas de si tôt. Tous les mots qui se prononceraient à l'occasion de cette ultime conversation à cœur ouvert deviendraient des armes qui, soit viendraient défendre l'armature du blindage entourant ce muscle cardiaque faisant battre tout un tas de sentiments contraires et pourtant similaires, soit pourfendraient chaque rempart de mon être, dans le but de laisser cet organe si vital et pourtant si fragile à nu, perméable à toutes les sensations et les émotions provenant de l'extérieur. Quitte à me transformer en un écorché vif de ce que l'on appelle « la destinée », un martyr des relations humaines, un kamikaze des interactions humaines.
Tout d'abord, il faut prendre congé de la présence de Stella, qui se fait toujours aussi charismatique et intimidante. La matrone des lieux a les pleins pouvoirs sur quiconque et quoi que ce soit dans cette humble demeure. Rien ne passe inaperçu sous son radar naturel, et bien évidemment qu'elle se permet quelques clins d’œil dans ma direction pour forcer le passage sur la voie de l'omniscience concernant ce qui peut se passer dans la tête de Zelliel. Elle est perspicace, intuitive, et tout ce qu'il y a de plus frustrant lorsqu'il s'agit de garder un semblant de jardin secret sous son propre toit. Pourquoi ? Tout simplement car ses talents d'enquêtrice sont redoutables, et elle finit toujours par tomber sur LE détail ou L'élément crucial confondant ses congénères familiaux ou les réelles motivations derrière ces cachoteries momentanées. Elle a le nez pour détecter les mensonges, les omissions ainsi que les tentatives de la berner par quelque subterfuge qui soit.
Il faut dire que sa condition de scientifique la force presque à garder son cerveau en éveil, ébullition permanente, sans quoi, elle se sentirait voué à une vie décadente et dans l'assistanat imminent. S'il y a bien une chose que ma mère déteste, c'est de devoir dépendre de quelqu'un d'autre que d'elle-même. Comment a-t-elle fait pour s'octroyer une vie de mère au foyer en compagnie de mon influent de père ? eh bien, en réalité, elle n'a jamais réellement concédé sa place de femme active, et ce, même lorsqu'elle était enceinte de l'un d'entre nous. Il n'y a pas eu un seul moment de sa carrière où elle n'a été absente des projets se déroulant sur son lieu de travail. Impossibilité de se déplacer ? Les visioconférences et les appels téléphoniques en cas de tâches simultanées nécessitant sa pleine attention physique autre part que devant un écran. Une maladie temporaire, curable et gérable en une quarantaine casanière ? L'ordinateur est alors son meilleur ami, lui permettant de tout contrôler et de tout gérer à distance, si bien que tout le travail en retard de ne serait-ce que de quelques heures est achevé et transmis dans la demi-journée suivante. Un déplacement imprévu, pour raison familiale, médicale ou personnelle ? Des mémos à ne plus savoir quoi en faire, lui permettant de se rappeler TOUTES les tâches qu'elle doit pouvoir mener à bien pendant ces déplacements, dès qu'elle le pouvait.
Et cette soirée ne fait pas exception à toute cette acuité psychique que ma mère possède. Elle sait que quelque chose se trame chez Zelliel, que cela me concerne, que cela nous plonge dans une sorte de tourmente émotionnelle et affective certaine. Elle peut sentir le poids du stress sur les épaules de mon meilleur ami, tout comme elle parvient à ressentir les trépignements de ma voix et de mon corps quant à connaitre le dénouement de tout ce mystère instaurer par mon alter ego amical. Heureusement pour nous, elle ne sait pas encore lire dans les pensées, ni ne projette de se pencher sur cette prouesse de l'évolution de l'espèce humaine, pour s'en pourvoir les pleins pouvoirs.
- Mon chéri, je vais vous laisser pour l'instant. Je vais me repoudrer très rapidement, et à mon retour, on va discuter un peu ensemble si cela ne vous dérange pas.propose-t-elle. - Faisons ça maman. Avec plaisir !réponds-je machinalement, sentant ensuite le regard inquiet de Zelliel se poser sur moi. - Parfait mon grand. A tout de suite.conclut-elle en s'éloignant de la salle de vie principale, montant les escaliers donnant accès à l'étage, afin de rejoindre temporairement ses quartiers pour se refaire une toilette digne d'une première dame. - Leo... tu es sûr que c'est le moment ?demande mon meilleur ami en chuchotant tout bas. - A toi de me le dire Zell'. La pièce est à nous. C'est maintenant où jamais.l'invité-je.
- Bien. Jouons cartes sur table alors.annonce mon meilleur ami, le regard désormais déterminé et prêt à jouer des coudes.Je veux que tu sois honnête avec moi. - Je t'écoute Zell'. Vas-y.lui rétorqué-je. - Bien, tout d'abord, je veux que tu me dises si oui ou non cet Angelo compte refaire surface un jour, et si ça aura un impact sur ta façon de te comporter avec lui. - Ah... oui... le petit brin de jalousie, je l'avais presque oublié.dis-je avec un air taquin.Eh bien, mon cher ami, comme je te l'ai dit plus tôt dans la soirée, Angelo n'est qu'un ami. Alors oui, il refera très certainement surface dans le cadre de ma pension, et dans le cadre d'une amitié on ne peut plus platonique,enchainé-je en reprenant cette fois ma respiration au bon moment, et je peux te certifier que mon comportement ne sera pas différent de celui que tu connais depuis toujours. - Alors pourquoi à la boite tu... - Je t'ai déjà dit que j'étais sous l'effet de l'alcool bon sang !l'interromps-je.Tu me connais là-dessus aussi, je tiens peu la boisson, et je finis très souvent très rapidement saoul. - C'est vrai que je n'ai jamais connu un si piètre buveur que toi, hahaha !ricane-t-il. - Très drôooo~ole monsieur le pseudo-mystérieux.répliqué-je à moitié courroucé.On en vient au fait oui ou non ? - Maintenant que j'ai une réponse ferme et définitive de ta part, oui, j'y reviens. - Ah bah enfin un peu d'initiative...poursuis-je en roulant des yeux vers le plafond. - Ooooo~oh tais-toi un peu !m'ordonne Zelliel en se ruant sur moi, les mains m'agrippant le visage.
Sans crier gare, mon meilleur s'est alors élancé de tout son poids vers ma position, me prend la tête entre ses deux mains douces et longues, et vient alors déposer un tendre baiser sur mes lèvres tout juste sèche d'un trop plein d'appréhension d'avant la discussion. Sur le moment, je me laisse faire, ne comprenant pas réellement ce qu'il se passe, mais très vite, je me retrouve à fermer les yeux, à sourire sous l'étreinte labiale de sa ruée, et l'accompagne dans ce moment d'embrassade faciale. Si je devais décrire mon état mental à ce moment précis, je dois pouvoir vous assurer que l'expression avoir des papillons dans le ventre et des étoiles plein les yeux n'est pas juste pour faire jolie dans la bouche d'un individu : la digestion n'aidant, je sens une sorte de torsion des viscères, mais qui ne procure aucune douleur ; je sens que mes entrailles se courbent et se délient dans une sorte de frénésie soudaine et inconfortable, provoquant la prolifération d'endorphine pour tenter de calmer la douleur subite et me faire apprécier le moment.
Une fois que je rouvre les yeux et que je m'aperçois que le visage de Zelliel est de nouveau face à moi, j'ai du mal à recouvrer une vision nette des environs du couloir de la maison. J'ai comme cette impression de faire une hypoglycémie, et ma vue se trouble au fur et à mesure que je tente de reprendre le contrôle de mon sens de la vue. Je suis complètement paumé, mais je ressens un bien-être fou : l'homme qui est devant moi vient de m'offrir une surprise à laquelle je pensais pouvoir m'attendre, mais qui m'a quand même complètement cueilli. Désormais, il était de mon ressort de reprendre le fil de la discussion, et de tirer tout ça au clair. Enfin... si tant est que mes jambes me laissent pouvoir effectuer cette répartie, car il n'est pas improbable que mes forces soient en train de me quitter, me menaçant de me faire m'affaler sur le sol.
Ce que je n'ai pas prévu de ressentir à ce moment précis, c'était la peur. L'appréhension désormais de devoir faire face à mes proches et à tout mon entourage, pour parvenir à expliquer l'inexplicable qui venait de se dérouler entre Zelliel et moi. Le stress de devoir faire montrer d'une personnalité finalement dévoilée à cent pour cent, aux yeux de celles et ceux qui pensaient nous connaitre jusqu'à lors, et qui pourraient alors être décontenancé.e.s d'une telle information.
La peur, de devoir potentiellement décevoir certains proches qui nourrissaient des ambitions autres pour moi, ou pour Zelliel, et qui auraient peut-être préféré qu'une telle situation ne vienne pas parasiter un avenir brillant et plein de promesses. C'est aussi ce sentiment soudain de potentielle honte à devoir digérer et intégrer à même son code génétique et psychique : la honte de ne pas pouvoir être accepter aux yeux des autres pour ce chapitre soudain d'une vie ; le dégoût de ne pas avoir été plus transparent ni honnête tout du long quant aux sentiments et aux véritables valeurs que je possède ; le sentiment e mensonge auprès de mes proches, de leur avoir caché ce pan si significatif de ma personnalité, qui m'aura empêché pendant quelques années de pleinement profiter de certaines de mes relations, amicales ou physiques, avec d'autres personnes.
C'est contradictoire de ressentir autant de sentiments négatifs alors qu'une action tout à fait positive et complètement improvisée en bien vient de faire son apparition. C'est complètement lunatique de ma part de me sentir à la fois heureux d'un tel dénouement de conversation, et pourtant si triste et si honteux d'avoir dû attendre tout ce temps pour faire étalage de cette vérité qu'était la mienne. C'est complètement idiot et enfantin d'avoir choisi la voix de l'omission volontaire et des subterfuges de dissimulation de la vérité pour parvenir à mes fins, celle d'être un homme complètement lambda, passant à travers toutes les mailles de tous les filets sociaux et psychologiques de la société. En tous les cas, la force qui me tenait encore sur mes eux jambes vient de me quitter, et je m'écroule à même le par-terre de velours du couloir du rez-de-chaussée. Je suis vide. Je suis impuissant. Je suis vulnérable.
La seule chose que je parviens à garder en tête, c'est la chaleur qui s'était dégagé lors de notre baiser. Cette espèce de voile apaisant et chaud d'une émotion intense et exquise de frissons. Je n'avais que cette image du sourire satisfait de ce voleur de meilleur ami, lui qui s'est octroyé la possibilité de m'arracher un acte mielleux et complètement hors de propos de notre amitié fusionnelle. Mais ce que je garde aussi en tête, c'est cette vérité qui s'affiche alors dans mon esprit, comme un panneau d'affichage clignotant et difficilement discret, me criant alors que finalement, je ne suis pas programmé pour n'aimer que l'une ou l'autre des facettes de ce monde, mais que je peux également être attiré de tout côté, pour un peu que la connexion émotionnelle et physique soit suffisante.
Bisexualité, serait le terme générique pour décrire alors cet homme que je suis au moment où je vous parle. Demisexualité, serait le terme technique pour parler de cette irrépressible sensation d'attirance envers une personne avec laquelle nous partageons un lien sentimental fort, rendant l'attraction corporelle plus aisée, et permettant une ouverture à l'amour plus prégnante.
Cette nouvelle configuration relationnelle entre Zelliel et moi vient comme un cheveu sur la soupe. Certes, je l'ai provoqué dans ce besoin de connaitre la vérité derrière son comportement étrange d'aujourd'hui, et surtout, savoir pourquoi il a tant tenu à savoir si oui ou non j'entretiens quelque chose de sérieux avec Angelo. D'une part, le musicien n'était physiquement pas spécialement le type sur lequel j'aurais pu m'arrêter, mais d'une autre part, nous ne nous connaissons que depuis trop peu de temps pour ne serait-ce avoir envisagé un quelconque lien étroit et fusionnel avec ce dernier. Il n'y avait donc aucune chance qu'il se passe quoi que ce soit entre lui et moi, et donc, Zelliel n'avait aucune raison d'être plus ou moins jaloux de la situation. Pour sa défense cela dit, n'étant pas en la possession de toutes les informations à la pension, ni de ce qu'il pouvait bien s'être passé dans cette boite de nuit, je ne peux pas lui en vouloir d'avoir été piqué dans son orgueil et dans sa qualité d'être l'une des rares personnes dont je suis très proche.
Mais le problème de cette révélation, ce n'est pas tant la peur qu'elle m'inflige, c'est que je ne sais tout simplement pas comment je vais réussir à commencer à intégrer cette information. Comment est-ce que je vais devoir me comporter en sa présence désormais ? Allons-nous devoir rester discrets et montrer un semblant de patte blanche quant à la qualité de nos échanges en public ? Allons-nous devoir nous restreindre dans nos démonstrations de sentiments ou de gestes affectueux en public et en privé ? Que vont penser nos familles respectives de ce soudain rapprochement ? Vont-ils devoir eux aussi d'adapter de façon soudaine et forcée à notre nouvelle configuration sentimentale ? Mon meilleur ami - décrit en tant que tel parce que c'est ce qu'il est avant tout - est là, devant moi, surpris de cette perte subite de mobilité et de stabilité de mes jambes, et ne sait pas trop s'il doit me relever ou me laisser reprendre mes esprits et le contrôle de mon corps. Cependant, comme rien n'arrive jamais par hasard, c'est la présence affolée de ma mère qui se fait sentir, descendant des escaliers de l'étage.
- Mon chéri ! Tout va bien ! Que s'est-il passé ?!accourt-elle vers nous, inquiète du bruit de ma chute soudaine sur le sol. - Ne vous inquiétez pas Stella, tout est sous contrôle.assure Zelliel. - Comment ça, tout est sous contrôle ?! Il vient de s'écrouler et je devrais considérer ça comme normal ?!s'insurge-t-elle. - Maman, je vais bien. Vraiment. J'ai juste perdu l'équilibre et... - ...et puis quoi encore ?! Tu crois que je vais avaler ces sornettes ?!ronchonne-t-elle.Mon fils, tu vas devoir me donner quelques explications ! Je t'attends dans le salon !ordonne-t-elle.
Comme si la bombe lâchée par Zelliel via ce baiser volé ne suffisait pas, c'est l'intervention de ma mère qui précipite les choses en aussi peu de temps qu'il lui en avait fallu pour disparaitre du corridor principal. Elle a réellement ce don pour apparaitre et disparaitre à des moments critiques, et je soupçonne son sixième sens de maman d'être à l'origine de son ouïe surdéveloppée. En même temps, ma descente brutale sur le sol dur et froid du vestibule de l'entrée n'avait pas été très discret. Je suis même étonnée que personne d'autre dans la maison n'ait été réveillé par le bruit causé. Je parle surtout de ms petites sœurs, mon père étant encore absent pour cause de rendez-vous professionnel sur Hoenn. Il va donc falloir que j'affronte ma génitrice, en face, yeux dans les yeux. Douce ironie.