Il faut un moment avant que soit Anita soit Lisandro ne décide de bien vouloir lâcher des bribes d’informations concernant ce précédent employeur. A la description, ce type doit être un maniaque du contrôle de l'image de marque, mais aussi un panier percé invétéré qui a provoqué la descente aux enfer du restaurant par ses propres décisions. Un flambeur auprès des femmes, un joueur d'argent connu pour ses dettes et ses petites entourloupes financières pour garder la tête hors de l'eau croupissante dans laquelle il tentait de nager tant bien que mal. Un pseudo-visionnaire surfant sur la vague de la restauration nouvelle génération, baignant dans le luxe et le raffinement gastronomique. Le couple de cuisiniers est encore visiblement affecté par cette faute de parcours, eux qui sont sortis respectivement majors de leurs promotions, eux qui bénéficiaient d'une publicité de qualité auprès des hautes instances de la cuisine de Kalos et Galar... eux qui ont vu des portes se refermées devant eux du fait d'avoir été issus d'un des restaurants devenu le plus controversé du milieu, désormais réputé pour tremper dans de sombres histoires de corruptions, de blanchiment d'argent et de trafics illicites de substances douteuses.

- Voilà patron, tu sais tout. achève Lisandro.
- Ce n'est pas un passé très reluisant, mais ça explique en partie pourquoi nous avons à cœur de placer notre égo à niveau égal de notre savoir-faire en cuisine. ajoute Anita.
- Je vois. dis-je. Je ne comprends que trop bien votre situation, moi-même n'ayant pas connu que des années heureuses, je vous prie de me croire. Mais le fait est que vous êtes un duo extraordinaire. leur avoue-je.
- C'est vraiment trop d'honneur. annonce Lisandro. Mais nous ne faisons que notre humble travail. On aimerait faire tellement plus...
- ...tellement plus, et faire de cette pension une institution rivalisant même avec les plus grandes chaines de restauration et d'hôtellerie ! appuie Anita.
- Mais vous en faites déjà bien assez tous les deux ! Et je ne veux absolument pas qu'une histoire de composition de menus soit la source de discorde entre vous. Vous êtes bien trop importants pour moi, pour nous, pour cette pension. Alors je vous en supplie, restez ceux que vous êtes, dans la vie comme derrière les fourneaux. Promettez-le moi ! les supplie-je.
- Tu nous mets la pression patron ! Ha ha ha ! blague le cuisinier en chef.
- Pas qu'un peu ! Hi hi hi ! suit l'épouse.
- Voilà qu'ils se moquent de moi maintenant, pfff ! soupiré-je. Vous ne payez rien pour attendre. Mais revenons au sujet si ça ne vous dérange pas. Dites-m'en plus sur les menus prévus pour Bombydou et Sovkipou.
- Oh bah c'est simple, ce sont deux insectes. Ce qui placent les végétaux, les légumes et autres dérivés, les fleurs et les produits arboricoles en tête de liste. commence Lisandro.
- Oui, et aussi, nous avions dans l'idée de mettre au point une recette de pokéblocs riches en farines de types divers et variés, pour apporter les sucres et les amidons nécessaires au bonnes graisses à solliciter pour des efforts physiques. enchaine Anita.
- Ça me parait très bien déjà ! annoncé-je.
- Oui mais nous avons l'impression que cela manque aussi de quelque chose de plus. On a beau regardé ton rapport d'expertise sur ces deux Pokémons, il y a quelque chose qui nous échappe. Ils doivent évoluer ici, ou le dresseur doit s'en occuper à la récupération ? questionne Lisandro.
- Il me semble avoir une note sur le dossier déposé par Lana que monsieur Dyze s'occuperait lui-même du processus d'évolution, et qu'il ne cherche qu'un renforcement versatile mais global de leurs capacités physiques et stratégiques. leur dis-je.
- Oh ! Bah voilà chéri ! se rend compte Anita. Il nous faut un substitut à la viande que les insectes ne consomment pas, et leur trouver une source de protéines naturelles ! Que penses-tu du tofu ?
- Ah bah oui c'est carrément plus clair pour nous là ! acquiesce le cuisinier en chef. Le tofu parait être en légère hausse au niveau des prix. Que penses-tu de vérifier les bases de données du grand marché de Céladopole et celui de Carmin-sur-mer avant de prendre une décision ? suppute-t-il. Parce que j'ai ouïe dire que le soja avait le vent en poupe, et n'était encore que très peu gourmand en finance, pour autant d'efficacité dans sa composition et son potentiel en cuisine...

Je suis plutôt content de les voir s'activer aussi positivement et avec autant d'entrain que maintenant. Je les reconnais dans toute leur fougue et leur folie créative. Des idées de plats, ils en ont à la pelle, et c'est toujours impressionnant de voir à quel point il est facile pour eux d'imaginer des recettes à partir de trois fois rien, et d'en faire des chefs-d’œuvre culinaires absolus. Je ne sais pas ce que ressentent les Pokémons ainsi que les rares dresseurs restants à la pension pour profiter des commodités, mais le délice et les saveurs qui doivent se dégager de leurs créations doivent être exquises, et ravir les âmes les plus fatiguées ou les plus désabusées du monde. Quelque part, je les envie de pouvoir être aussi complémentaires et aussi synchronisés dans leur dynamisme. C'est peut-être de ça que Lyonell voulait dire par me trouver une personne avec qui partager mon quotidien, mes envies, mon rythme et mes expectatives quotidiennes. Pour pouvoir trouver encore plus de recul, et développer encore plus de sens professionnel et créatif dans mes approches d'entrainement, ou de démarches clientèles. Sur ces quelques pensées, je prends congé de leur présence, et pars me diriger vers la salle de préparation des ateliers avec Abel.

Il ne me faut que quelques poignées de secondes pour rallier le point de rendez-vous, et déjà je vois Abel s'affairer dans la salle. Il est en train de faire l'entretien de quelques machines prévues pour la partie endurance des entrainements, principalement des tapis de courses, des marches rotatives répliquant un effet de montée d'escaliers. C'est un entretien que lui seul sait faire, et qui nous sauvera de bien des contrôles de qualité et de normes contractuelles dans le futur, si tant est que nous soyons dans le collimateur des instances d'inspections. Autant je ne me fais pas de soucis pour la partie sanitaire, que ce soit dans les différents locaux ou les cuisines, autant je ne sais pas réellement de quoi il en retourne pour les équipements et autres normes de sécurité des appareils que l'on utilise. Il va falloir que je me renseigne pendant que je le peux, sans quoi je ne saurai pas quoi dire pour me sortir d'affaire en cas de contrôle inopiné ; ou ne serait-ce que pour soulager mon cas de conscience.

- Tiens, Abel, je te vois faire. Tu peux m'expliquer en quoi consiste ta maintenance des équipements ? Et pourquoi cette procédure-ci ? lui demandé-je.
- Qu'entends-tu par là ? s'inquiète le préparateur sportif.
- Eh bien, je veux dire. Imaginons qu'on se fasse inspecter sur la mise aux normes de nos machines, et que tu sois absent. Comment je fais pour m'assurer que tout soit comme il faut ?
- Tu me cacherais pas une convocation pour une vraie inspection toi ?
- Oh non non ! J-je t'assure. J-jusque j'ai horreur de ne pas tout savoir, et quand j-je ne sais pas, j-je m'inquiète. bégayé-je.
- Et ?
- Baaaa~ah quand je m'inquiète, je stresse, et quand je stresse, je suis capable de dire n'importe quoi pour un peu que ça puisse combler le vide.
- Ah... je vois. Un vrai professeur, ha ha ! plaisante-t-il.
- Hein ? Comment ça ?
- Il n'y a qu'un professeur pour se soucier de ce qu'il ne sait pas, au lieu de capitaliser sur ce qu'il sait. avoue Abel. Bon, qu veux-tu savoir ? concède-t-il.
- Eh bien, cette machine... le vélo elliptique c'est ça ? Quelle partie de son système est à réviser ? A quelle fréquence ? Pourquoi ?
- Ouuuuh, je sens qu'on va en avoir pour un petit bout de temps. soupire Abel. Viens on va s'assoir, tu me stresses à te dandiner sur place là.

- Bon, tu veux vraiment tout savoir des machines et de l'entretien que je leur affecte ? insiste Abel d'un air plutôt circonspect.
- Oui, je suis très sérieux Abel ! Je veux tout savoir ! réponds-je détérminé.
- Bien. Le vélo elliptique. Ce n'est pas tellement un vélo, mais sa fabrication fait penser à un vélo dans le mouvement de ses pédales en asynchronie, et circulaire. C'est en fait une sorte de tapis de course, sur lequel on reste dans une position debout en permanence, et demandant de faire travaille les muscles des jambes, tout en calant sa respiration et son rythme cardiaque pour maintenir l'effort et enchainer les phases montantes et descendantes des pédales. A l'intérieur du caisson, on y trouve une roue d'inertie, qui va fournir une résistance naturelle à l'arrêt, mais aussi lors de la mise en marche physique du sportif qui se positionne dessus. Des poignées sont reliées aux pédales pour pouvoir également faire un travail de bras, en asynchronie également, afin de maintenir l'équilibre du mouvement de course, et de donner un semblant de rythme dans l'effort. Tu suis ?
- Affirmatif mon commandant ! rétorqué-je tel un soldat au garde à vous.
- De mieux en mieux... soupire-t-il. Bref, ce vélo-ci est un modèle plutôt récent, équipé de freins électriques, répondant aux ordres d'un ordinateur de contrôle situé autour de la roue d'inertie, relié jusqu'à l'écran en tête de guidon. L'écran indique alors la vitesse de course, le rythme cardiaque grâce à des capteurs au niveau du haut des poignées, ainsi qu'une représentation du relief parcouru en fonction du programme de course choisi au préalable avant de démarrer la course. On est toujours bon ?
- Parfait ! Je suis au taquet ! Vas-y balance la sauce ! répliqué-je comme si ma vie en dépendait.
- Il va se faire un ulcère au cerveau j'le sens... continue de soupirer Abel. Eh bien l'entretien pour cette machine est très facile : je contrôle les mises à jour du logiciel électronique qui se trouve sur l'ordinateur intégré au vélo ; je m'assure la roue d'inertie n'est pas usée ni rouillée, auquel cas je la traite régulièrement avec un liquide diffusif via bombe aérosol ; et il y a tout le nettoyage et la désinfection des parties du vélo, afin de garantir un niveau sanitaire satisfaisant et répondant aux normes d'hygiènes basiques prévues par les constructeurs. Grosso modo... je ne fais pas grand chose sur cette machine.
- C'est déjà ça de pris. Okay, j'suis lancé, passons à la prochaine machine. enchainé-je. Mhhhh... celle-là ? pointé-je alors du doigt un banc incliné.
- Le banc incliné ? Tu te fous de moi là Léo ? rouspète Abel, et à juste titre.
- Oh... oui, désolé, je me suis emballé. avoue-je de honte.
- Toi, va falloir que tu te prennes un peu de vacances, tu te surmènes à vouloir tout contrôler là. concède-t-il. Tu sais quoi ? Va au Bar des Sports dans la ville, et fais-toi servir une tournée gratuite de la part du patron, en lui disant que tu viens de la part d'Abel, le diable. poursuit-il.
- Le diable ? questionné-je alors.
- C'était mon surnom du temps où je pratiquais encore l'haltérophilie. C'était un de mes rivaux de l'époque, et il me surnommait ainsi parce que comme un diable, l'objet favori des déménageurs, j'étais capable de quasiment tout soulever sans afficher un seul signe d'effort ou de douleur. explique-t-il.
- Oh wow ! J'ignorais cette anecdote ! me surprends-je à réaliser.
- Bref, va prendre l'air, souffle un bon coup, et laisse-nous nous occuper de tous les détails techniques et réglementaires de nos propres zones de travail. LEONIS AMICITIA. accentue-t-il.
- Bien, bien... j'y vais... réponds-je presque déçu. Merci, Abel.
- Mais de rien collègue. Allez, zou ! J'm'y remets !

Qui est cet homme qui erre dans le centre-ville de Parmanie, l'air légèrement défait, comme s'il avait perdu toute son énergie au fur et à mesure que ces pas s'allongeaient ? Qui est donc cette silhouette allongé et musculeuse, légèrement avachie sur elle-même, donnant une impression de tour penchée vers sa chute imminente ? Qui est donc cette âme en peine, qui venait de se faire respectueusement congédiée de son propre lieu de travail car elle en avait trop fait d'un coup, et pour pas grand chose qui plus était ? Non, vous ne vous trompez pas, c'est bien moi, Leonis Amicitia. Trainant le pas dans ma ville natale, à la recherche du bar conseillé par Abel, là où j'étais censé trouvé du réconfort et de quoi me changer les idées. Je ne sais pas trop ce qui motive mes enjambées dans l'aire citadine, mais une chose est sûre, c'est que je ne suis pas tout à fait à l'aise avec l'idée d'être devenu un poids, une source de stress pour mon équipe. Je suis censé être celui qui gère les choses, qui résout les situations de crise, qui tempère les esprits embrumés ou échauffés d'une longue journée de labeur. Mais pour cette fois, c'est moi le maillon faible. C'est moi l'élément affolé du troupeau. C'est moi qui doit être pris en charge par le groupe entier de collègues pour ne plus être un problème dans l'immédiat. Je me sens bête. Je me sens dépassé. J'en ai trop fait. Et j'en paie les pots cassés.

J'arrive alors devant le fameux édifice faisant office de brasserie en réalité. Je n'ose pas tout de suite pousser les portes de l'entrée, doutant encore du bienfondé de cette solution trouvée par Abel. Ai-je vraiment besoin d'un remontant pour oublier ce sentiment oppressant d'être sous le coup d'une descente surprise des autorités de régulations des pensions pokémons ? Suis-je vraiment dans le faux en pensant qu'il n'est pas trop tard pour me mettre au fait de tout ce que je ne maitrise pas à cent pour cent pour pouvoir réagir à tous les pièges posés par les professionnels qui pouvaient éventuellement quémander des réponses sur certains aspects techniques de l'entreprise ? Comment pouvais-je être le problème de ma propre équipe, alors que je ne fais que m'inquiéter d'être clair et transparent sur tous les niveaux, et concernant toutes les composantes de mon établissement ? Mais malgré tout, je tente de me convaincre qu'Abel a décelé quelque chose qui me manque clairement à l'esprit, et j'ai peut-être besoin de respirer un bon coup, de me détendre autour d'un bon verre et de réfléchir plus calmement et plus posément sur ce qui ne va pas aujourd'hui.

Je m'avance vers le comptoir après avoir ouvert les portes, et je demande si quelqu'un pouvait s'occuper d'une demande toute particulière. Je glisse au barman venu prendre ma commande que je viens de la part d'Abel, le Diable. Le tenancier hausse l'un de ses sourcils, puis me confie qu'il en aura pour quelques instants, ce que j'accepte volontiers en lui disant que j'ai tout mon temps. Quelques poignées de secondes plus tard, je le vois ressortir de l'arrière-boutique, accompagné d'un golgothe tout à fait impressionnant dans son gabarit. L'aura qui exulte de son personnage intimide, et je me sens tout petit. Les deux hommes s'approchent de ma localisation au comptoir, et le colosse humain me regarde avec le même sourcil arqué que son employé.

- Vous venez de la part du Diable vous dites ? Dans quel pétrin vous êtes-vous mis jeune homme ? m'interroge-t-il.
- Je ne comprends pas. réponds-je, le regard légèrement dans le vide.
- Mmh, je vois. Mes excuses monsieur, je vais vous servir un petit quelque chose dont vous me direz des nouvelles. confie-t-il. Pourriez-vous m'attendre vers la table numéro quinze s'il vous plait ? Je n'en ai que pour quelques instants. Marco, je te laisse accompagner ce jeune homme jusqu'à sa table ?
- Bien sûr patron ! acquiesce l'employé.

Alors là, si je m'attendais à ce que le patron du bar soit un ours géant, enfin, un humain d'une taille et d'une corpulence imposante. Autant je sais qu'Abel possède une forme physique et une qualité musculaire vraiment exceptionnelle, autant là, je me dis que les deux hommes ne devaient pas jouer dans la même catégorie, ou alors, soit je sous-estime ce tenancier, soit Abel est un monstre comme son surnom l'indique. Je ne sais pas trop à quoi m'attendre du fait que le patron m'ait demandé d'aller m'asseoir à cette table, tout seul dans un premier temps, ni même ce qu'il aurait bien à me dire en ne me connaissant ni d'Arceus ni de Mew. Quelle peut être la finalité de cette venue dans ce bar, en parlant à cet homme, compte tenu du fait que je sois un peu déboussolé de cette journée en demi-teinte, où je pense avoir été un frein à l'équipe plutôt qu'un leader. Mais ça, aucune chance que ce type soit au courant, donc, je garde cette part de doute au fond de moi.

Au bout de quelques minutes, je vois le colosse revenir, dans une tenue beaucoup plus relâchée : pantalon de lin crème, petite chemise à motifs floraux légèrement déboutonnée qui fait apparaitre une toison brune plutôt garni, ce qui correspond aussi à sa particularité d'être pourvu d'une barbe très dense, très brune, mais contourée à la perfection, sans donné cet aspect négligé que certaines touffes faciales arborent. Il a le regard plutôt foncé et des sourcils tous aussi fournis, lui conférant un regard plutôt dur et impénétrable. Il a le pas plutôt lourd, si je me fie à mon ouïe, et une démarche plutôt pataude. Un vrai nounours en définitive, ce genre de personne qu'on a envie de prendre en sympathie, mais dont on sait que si la mauvaise humeur est de mise, alors, la discussion peut être difficile à négocier. Il tient dans ses mains deux pintes, remplies chacun presque à ras-bord, accompagnées de deux petites rondelles de citron situées sur le bord de chacun des verres. Il s'assoit ensuite en face de moi, pose les boissons fraiches et clinquantes des glaçons qui se trouvent en leur sein. Il me dévisage quelques secondes, soupire, et manque de me faire sursauter lorsqu'un éternuement lui parvient.

- Ouh ! A vos souhaits ! lui adressé-je.
- Ha ha, merci ! Je ne voulais pas te brusquer gamin. avoue-t-il. Jeeee~e peux tu tutoyer n'est-ce pas ? ajoute-t-il en fronçant les sourcils.
- Oh ! Oui, bien sûr que vous pouvez ! rétorqué-je en affichant un sourire intimidé.
- Pas de manière garçon, tu peux me tutoyer aussi ! Les amis d'Abel sont mes amis, comme si on était à la maison ! assure-t-il.
- Parfait alors. aquiescé-je. Merci à toi pour le verre alors, santé ? dis-je en levant ma pinte.
- Santé l'ami ! répond le gérant du bar en faisant résonner son récipient contre le mien.

- Bon alors, que t'arrive-t-il p'tit. enchaine le patron du bar.
- Eh bien je me le demande moi-même. avoué-je. C'est Abel qui m'a conseillé de venir ici, pour vous- ...te consulter. me corrigé-je.
- Ça fait un bout de temps que ce salopard a pris sa dernière bonne décision. ironise-t-il. S'il pense que tu as besoin de moi, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison. Je t'écoute gamin. dit-il en prenant une gorgée de sa pinte.
- Eh bien, il se pourrait que-
- 'ttends 'ttends 'ttends. m'interrompt le gérant. On est sûr ou on n'est pas sûr là ? questionne-t-il en fronçant les sourcils.
- Ch'uis sûr ! Bon, je suis le gérant de la nouvelle pension qui a ouvert il y a peu à la sortie de Parmanie, côté Est. Eeeee~et...
- Ah c'est donc toi le jeune freluquet qui faisait la une du quotidien ?! se rend-il compte. Remarque, maintenant que tu le dis, tu ressembles beaucoup à ton père. Que devient ce bon vieux Cor ? demande-t-il piqué dans sa curiosité.
- Tu connais mon père ? m'étonné-je les yeux ronds.
- HA ! SI JE LE CONNAIS ?! s'exclame-t-il avant de me glisser tout bas. Qui ne connait pas « Patte de velours » ...
- Patte de quoi ?! me surprends-je à hausser de la voix.
- Chhhhhhhhhhhhhh ! Pas un mot à propos de ça ! me supplie-t-il.
- Oké oké... chuchoté-je. Mais pourquoi ce surnom ?
- Eh bien, c'est le surnom que nous lui avons donné dans le milieu des rencontres régionales et interrégionales qui se déroulent dans le Kantô. commence-t-il à raconter avec précaution des oreilles indiscrètes des alentours. Il se trouve que ton père était parfois présent pour représenter le sponsor de la Cycling Road Company. Et lors des compétitions, il faisait parfois parti des jurys. Et lorsqu'une catégorie se terminait, il fallait absolument passer par la fameuse poignée de main après décernement de médaille et de récompense. poursuit-il.
- Je ne vois toujours pas le pourquoi du comment de ce surnom... mais soit. ponctué-je.
- Rrhô j'y arrive ! Tout doux gamin ! rouspète-t-il à voix basse. Ton père possède une poigne particulièrement ferme, mais nous avons tous remarqué au moins une fois que sa peau est tellement douce, tellement bien entretenue, qu'elle donnait l'impression d'un gant de velours. C'était comme serrer la main d'un être proche du divin, une poignée musclée mais douce, apaisante. D'où « Patte de velours ». finit-il d'expliquer.
- Mon père ? Du velours ? Hin hin hin... commencé-je à rigoler ...on n'a définitivement pas eu affaire au même homme. Il n'y a pas une fois où je ne l'ai pas surpris avoir des callosités plein les pognes du fait de trop écrire à son travail. Comme quoi, on ne connait jamais vraiment les gens, même pas son propre père. réalisé-je alors.

- Ah tu m'charies petit, pas vrai ? Ton père a toujours été un homme très brave et très humble de sa position. avoue-t-il. On attendait qu'une seule chose, de pouvoir lui serrer la main et de le laisser nous demander des nouvelles de nos familles. Un chic type !
- Oh mais ça je n'en doute pas ! soutiens-je. Simplement que c'est plus facile de montrer une facette de soi qui inspire la confiance et la simplicité en public qu'en privé. Mais la n'est pas la question. reprends-je. Le sujet était de savoir ce que vous pouviez me conseiller par rapport à ma façon de gérer mon équipe à la pension.
- Oui oui oui, en effet, mes excuses p'tit. rétorque le gérant gêné de la digression. Bon, si Abel t'envoie jusqu'à moi, c'est que tu dois être dans une phase de stress ou alors de léger trop plein d'inquiétude, pas vrai ? suppute-t-il.
- Je crois que c'est pour ça oui. affirmé-je. Je me pose beaucoup de questions quant au respect des normes sanitaires, de sécurité du matériel et des infrastructures. Il y a beaucoup de choses que je ne connais pas et que j'aimerais être sûr de pouvoir maitriser à coup sûr, et...
- WOH WOH WOH ! Doucement l'ami ! tente-t-il de temporiser. On n'est pas pressé. Tu n'as pas besoin de tout me déballer. Le temps ne s'arrêtera pas de tourner, ni ne ralentira parce que tu iras plus vite. philosophe-t-il. Commence par le commencement veux-tu ? se reconcentre-t-il.
- Arf... soupiré-je. Eh bien ce matin, je me suis rendu compte que même si je connais la plupart des machines de la salle de préparation d'Abel, je ne saurai pas en faire le descriptif exact auprès d'un chargé d'inspection pour les normes de sécurité.
- Quelles machines ? demanda-t-il.
- Ce n'est pas un monde inconnu pour vous, je le sais, mais par exemple, le vélo elliptique. me rappelé-je. Je sais comment on l'utilise, je sais à quoi il sert, je sais pourquoi je le recommanderai à un client de la pension ou à un Pokémon de ce client dans le cadre de l’élevage. Mais... commencé-je en me grattant la tempe ...je ne saurais pas du tout dire comment on l'entretient, cette machine.
- Eeeee~et c'est grave docteur ? répond le patron du bar avec un sourcil arqué vers le haut.
- Bah... err... m'interromps-je pour trouver mes mots. C'est quand même la base pour un gérant de connaitre son matériel, son équipe et toute son activité sur le bout des doigts non ?
- Pas forcément non. réfute l'homme en face de moi.
- Comment ça ?
- Bah, moi par exemple. Je sais quel cocktail il faudrait faire selon le type de clientèle. Je sais exactement quel shaker ou quel bac à glaçon se trouve à quel endroit de mon bar. exemplifie-t-il. Mais est-ce que pour autant je saurais te dire si la composition de mes sirops est la bonne, ni même si la température de l'eau pour laver mes verres est la plus optimale possible ? Je ne pense pas. Je dirais même qu'heureusement que j'ai du personnel qualifié pour ça, sinon, je serais devenu chauve à l'heure où on se parle toi et moi. me confie-t-il tout en se passant la main dans les cheveux pour se rassurer.

Je crois qu'inconsciemment je commence à comprendre ce que le gérant du bar essaie de me dire. Tout comme moi, il porte le poids de la responsabilité de son enseigne, il représente la figure de proue de son commerce, et il est le garant de la prospérité de son business et de la bonne marche du travail de ses quelques employés. Certes, le type d'établissement n'est pas le même, là où lui profite de l'envie de liesse et d'échapper au quotidien stressant de la vie citadine, par un verre ou une conversation de fond de comptoir, moi je suscite la curiosité et l'envie de s'améliorer chez les dresseurs de la région et du monde entier. Le travail n'est pas le même non plus, un barman aura non seulement sa tache de à réaliser avec ses cocktails, son choix de liqueur, son dosage de sirop, son degré de secouage de shakers et parfois même un peu de social auprès des clients ; quant à moi, à nous, à la pension, nous conseillons les dresseurs sur des programmes d'entrainements physiques, sur des exercices mentaux pour renforcer la psyché, nous préparons des régimes nutritionnels pensés et adaptés à tout type de pokémon et permettant de leur faire puiser dans leur énergie la plus primaire qui soit, ou encore, nous nous assurons de la tranquillité et de la qualité des services de demi-pension auprès des clients restés sur place, ou simplement de leurs protégés. Le côté social de la pension n'est pas aussi développé et parlant que dans un bar, mais il existe cependant. Et même là, à bien y penser, je n'ai pas eu l'impression qu'un seul client ait eu une mauvaise critique à notre égard, ni même une insatisfaction notoire quant à des prestations manquant d'efficacité ou de cohérence avec leurs demandes.

- D'instinct, j'aurais pensé que oui. réponds-je machinalement. Mais à vous entendre, vous vous laissez une marge d'erreur raisonnable. C'est ça ?
- Tu as tout compris gamin ! affirme-t-il. Il y a toujours une part d'aléa dans chaque décision qu'on prend, sur chaque action qu'on réalise. Il y a le droit à l'erreur, comme dans tout apprentissage. N'est-ce pas toi qui est prof de formation ? me fait-il remarquer.
- Oui exact c'est bien moi. affirmé-je.
- Et donc tu vas m'dire que tu attendais de tes élèves qu'ils sachent tout, tout le temps, par cœur, et avant même que tu ne l'abordes en cours ou que tu ne leur demandes de faire à la maison ? doute le gérant, un sourcil encore une fois arqué vers le haut.
- Non ! Non... bien sûr que non. réalisé-je. Il y a toujours de la place pour un enseignement de rappel ou pour revenir sur un point de cours qui aurait posé problème.
- Eh ben voilà ! C'est là que j'veux en v'nir p'tit ! s'exclame-t-il.
- Je crois que je vois, en effet. Merci pour cette piqûre de rappel !


La conversation ne paie pas de mine, mais mine de rien, elle me rappelle beaucoup de choses et de pensées que j'avais en tant que professeur à l'académie de Parmanie. Le goût du savoir, l'envie d'en savoir toujours plus, et l'acceptation de ne pas être détenteur de la connaissance absolue, et que tout est une question d'abnégation devant l'apprentissage. Les cours sont là pour se former de soi-même, pour combler les lacunes, pour consolider des bases déjà présentes, pour tester ses acquis. Par cette conversation, il faut simplement que j'apprenne à réappliquer ces méthodes, à moi-même et pour moi-même, et me dire qu'il y a forcément de la place pour le manque, pour l'imprécision, pour l'erreur. La seule chose qu'il faut que je garde en tête, c'est que je dois travailler fort pour ne rien laisser au hasard, que seules mes vraies compétences et mon potentiel me hisseront sur l'avant de la scène de l'élevage, puis de la reproduction, et dans le domaine du dressage-coordination de manière générale. Avec la force de conviction, on peut partir de pas grand chose, et arriver à faire du grand, du beau, du bon.