Une période de temps que je ne saurais définir s'écoule, et le monde continue de gronder et trembler. Je me suis résolu à fixer le trou noir, car il n'y a rien d'autre à faire. Cameron et Keldeo sont eux aussi, tous les deux, toujours fixés en direction de l'anomalie qui transforme le ciel et doit être la source de ce qu'il arrive à cette partie du monde. J'ai l'impression qu'une éternité s'écoule avant qu'il ne se passe quelque chose. Quelque chose d'autre, je veux dire.
Deux paires d'yeux apparaissent dans le trou noir. Impossible d'estimer à quelle distance ils sont dans ce tourbillon de ténèbres. Chaque œil est rouge et possède la même forme que les autres. Ils doivent être immenses, pour que je puisse les voir d'aussi loin. Je me demande même comment je comprends qu'il s'agit d'yeux, puisqu'ils ont la forme de demi-cercles rouges. Sûrement car, avec leur apparition, est aussi arrivée la sensation forte et oppressante d'être observé. Leur regard est fixe, mais c'est comme si je pouvais ressentir qu'ils balayent toute la plaine. Toute cette bande de terre perdue dans le fond du précipice.

D'autres choses apparaissent dans le trou noir. Le premier est d'abord seulement bleuté, puis se dessine mieux pour que nous puissions le voir. Cette chose a la forme d'une pierre précieuse brillante, éclatante, et pleine d'angles. Comme un diamant brut. Elle est bientôt rejoint par une autre pierre, cette fois plutôt rougeâtre, et parfaitement lisse et sphérique. Les deux pierres sont en-dessous de chaque paire d'yeux, ce qui semble confirmer qu'il y a bien deux choses qui sont en train de nous regarder. J'ai envie de hurler pour leur demander ce qu'il veulent, mais m'abstiens. Je repense aux claquements incontrôlables de ma mâchoire et d'à quel point ça a fait mal.

Deux cris tombent du ciel. Des grognements inconnus, indéfini, dont le son me fait penser à certaines de ces créatures dont nous avons rencontré la présence. Celles dont l'existence ne paraît pas possible, qui vont au-delà de l'entendement, que ce soit par leur existence seule ou la puissance dont elles peuvent faire preuve. Je revois le nuage d'orage de la grotte Electrolithe et suis subitement pris par la peur de me faire foudroyer, là, tout de suite, par les créatures qui se trouvent dans le trou noir. Elles sont bien plus grandes que celui que j'ai rencontré, sûrement bien plus puissantes aussi. Elles ne doivent pas tirer des éclairs, puisqu'elles viennent d'un trou noir, mais je ne doute pas qu'elles pourraient nous faire disparaître en un instant si elles le voulaient. Comme dans certains récits de science-fiction : d'un instant à l'autre, je ne serais plus que de la poussière. De la poussière d'étoiles, il paraît. La formulation a quelque chose de classe, je l'admets, mais je préférerais ne pas finir comme ça.
Seulement, que puis-je faire ? Je suis même incapable de bouger pour tenter de m'enfuir. Où, d'ailleurs ? Ces choses dominent toute la plaine...

Je finis par fermer les yeux. Car ce qu'il y a là, à l'intérieur, qui me mettait si mal à l'aise quelques instants plus tôt, vaut en fait peut-être mieux que les choses dans le trou noir. Je reste les yeux clos un long moment, du moins je crois que c'est long, jusqu'à ce que le monde cesse progressivement de gronder et de trembler. Alors je me risque à regarder à nouveau le ciel et le découvre bleu, parsemé de quelques nuages, comme il était avant que la lame aquatique de Keldeon ne touche je ne sais quoi.
Nos pokémons sont toujours là, Cameron aussi. Je fixe mon collègue qui fait de même, sauf que je peux déjà dire qu'il n'y a pas la même chose dans nos yeux. Les miens sont remplis d'incompréhension, et de peur il faut bien l'admettre, quand les siens témoignent de son trouble, mais aussi d'une profonde excitation. Je n'ose rien dire, de peur de le déclencher alors que je ne suis pas prêt à recevoir les informations dont il va me bombarder. A la place je me tourne vers nos pokémons et vais prendre soin des miens.

Bouger à nouveau après ce qu'il vient de se passer quelque chose d'étrange, mais au moins ça ne fait pas trop mal. Riley est le premier à se redresser à mon approche. Mon guériaigle d'Hisui me toise comme pour me dire qu'il m'avait prévenu avec ses réticences. De mon côté, je pousse un léger grognement désapprobateur : comment j'étais sensé le comprendre ? D'accord, ce n'est pas forcément de la faute de mon pokémon, car il n'est pas encore très au point pour communiquer avec les humains, mais tout de même, il aurait pu être plus clair et nous retenir quand on a sollicité Keldeo... D'ailleurs, pourquoi ce-dernier n'a pas refusé ? C'est un pokémon lui aussi, il doit être doté d'un aussi bon instinct que les autres, voir même en avoir un meilleur au vu de sa puissance et de ses capacités de communication poussées avec Cameron. Enfin, ça ne sert à rien de se poser la question maintenant.
Je fais ce que je peux pour rassurer chacun des compagnons qui m'accompagnent et bientôt mes pokémons parviennent à se ragaillardir. Ne reste que Malach' qui a du mal à retrouver la stabilité de sa membrane : je la vois être prise de tremblements et des irrégularités se sont formées dans le liquide qui maintient sa tête. Ca me fait légèrement grimacer : il n'y a pas de centre pokémon ici pour régler le problème. J'espère que ce n'est pas grave et que ça partira tout seul.

- Illia, je peux te parler ?, la voix de Cameron trahit une nouvelle fois son excitation. Le pauvre a l'air sur le point d'exploser. Je crois que je sais où on est et ce qu'il se passe !
- Deux minutes, je lui montre aussi le chiffre avec mes doigts, sans croiser son regard. Deux minutes et je suis à toi.

Je dois être prêt à ce qui va suivre, surtout, être prêt à le comprendre. C'est important.

Après m'être encore occupé de mes pokémons pendant un temps – et plus de deux minutes, je dois bien l'admettre – je fais savoir à Cameron que je suis disponible pour l'écouter. Il me fait signe de bien m'accrocher, et je ne sais pas si ça me blase, me fatigue, ou me met encore plus de pression. Pourtant je veux savoir : pour qu'on puisse partir d'ici, et aussi pour Rubis. Les conclusions de mon collègues vont peut-être nous donner une piste pour le retrouver.

- Alors, pour commencer, est-ce que les noms de Dialga, Palkia et Giratina te disent quelque chose ?
- Non.
- Ce sont les dragons légendaires de la région de Sinnoh et, plus que ça, ils sont sensés représenter le temps, l'espace et le banni, je hausse un sourcil car je trouve que ce dernier qualificatif n'a rien à voir avec les autres. Ces trois pokémons auraient été créé par Arceus pour assurer l'équilibre du monde, mais Giratina se serait rebellé, d'où son banissement et son nouveau statut, je comprends un peu mieux, même si ça continue de ressembler à une histoire pour enfant. Chacune de ces créatures étaient considérées comme un dieu et avait donc ses adeptes. Giratina inclus. L'histoire dit qu'il y a très longtemps, ses adeptes, alors considérés comme son peuple, ont été bannis avec lui. Ils sont dans une dimension est un temps parallèle, surveillés par Dialga et Palkia qui règnent en maître absolus sur cette dimension. Je suis sûr que c'est eux qui étaient là ! A travers une faille spatio-temporelle ! L'un d'eux est représenté par un diamant bleu, l'autre par une perle rouge. Considérant ça, les notions auxquels ils sont associés... C'est forcément eux !

Il faut que je cligne plusieurs fois des yeux avant que les informations données par Cameron ne me montent au cerveau. Je dois avoir l'air incroyablement bête, et pourtant je pense avoir compris le cœur de ce qu'il me raconte. Je suis toujours aussi réticent à croire à toutes les histoires de créatures légendaires, même si nous avons déjà rencontré des bestioles pouvant y être associées. Alors, ce que je retiens principalement de son discours c'est :

- Mais ça veut dire qu'on est grave dans la merde !, c'est au tour de Cameron de me regarder comme un abruti. Si t'as raison, on est passés à travers une faille temporelle machin-mes-couilles et on se fait observer par deux espèces de dieux qu'ont pas l'air de vouloir bouger le petit doigt pour nous aider, qu'en plus on a énervé en tapant le ciel et... Et... Et on est juste grave dans la merde ?!

C'est comme si Cameron le réalisait en même temps que je le dis. D'un côté, j'ai un peu de peine de voir son visage s'affaisser et perdre tout son enthousiasme, d'un autre côté... Bah merde quoi ! Y a pas à être si content de m'annoncer de telles catastrophes. D'accords ça va avec ses centres d'intérêts, mais enfin on est peut-être un peu dans un contexte où il faudrait mettre ça de côté et se concentrer sur le problème principal :à savoir notre survie, le fait de rentrer chez nous, et celui de retrouver Rubis. Au choix. Il y a toute une flopée de problèmes principaux, en fait !

- ... Peut-être que ce n'est pas si négatif que ça, tente de se rattraper Cameron. Il a intérêt d'avoir une super justification, sinon je sens que je vais m'énerver. Car je ne pense pas que ce soit Dialga ou Palkia qui nous ait traîné ici.
- Bah non connard on est tombés dans un trou !

Je ne peux pas m'empêcher de m'énerver, même si je sais très bien que je le regretterai plus tard. Heureusement, Cameron est dans un de ces moments où il a le talent de m'ignorer et voir à travers les raisons de mes insultes pour ne pas trop les prendre en compte. Au contraire, il me répond même sur le même ton :

- C'était pas un trou, abruti ! C'était une faille spatio-temporelle, comme ce qu'on a vu dans le ciel à l'instant !, il n'empêche qu'au niveau du ressenti c'était un trou, mais je ne réplique pas. Et, si t'as bien vu, Rubis a été pris par des sortes de bras spectraux. Il y avait aussi des yeux rouges, comme ceux qu'on a vu, mais pas de diamant ou de perle. Donc je pense que c'est Giratina qui nous a emmenés ici.
- Mais pour quoi faire ?

Le silence s'installe tout à coup, jusqu'à ce que Cameron hausse les épaules pour me faire comprendre que, ça, par contre, il n'en a aucune idée. Je désespère et me met à faire les cents pas pour ne pas enfoncer mon poing dans le premier truc qui ne me brisera pas les os. Au hasard, mon collègue. Je n'ai pas envie de le frapper, de toute façon, il serait juste au mauvais endroit au mauvais moment.

- Puis on est encore plus dans la merde là, non ? Parce que si c'est le banni qui nous emmené ici, c'est que ça s'est fait dans le dos des deux autres machins qui surveillent. Sauf que maintenant ils nous ont vus !
- Oui, mais ils auraient pu nous atomiser et ils ne l'ont pas fait !
- Wah, super ! Je suis trop réjouis !, nul besoin de préciser l'ironie. Puis si t'as raison, pourquoi il a kidnappé Rubis ton banni de merde ?!