Pour amadouer le petit garçon et qu’il cesse de trembler de tous ses membres face à nous, nos pokémons et ma moto, je lui donne un des biscuits du paquet que je garde toujours dans mon sac. Je n’en mange jamais, de toute façon. Il y a toujours quelque chose qui m’empêche de me remettre à grignoter lorsque je suis seul. Je le vois encore comme un “trop” qui risque de faire déborder mon estomac et réveille ma peur de vomir. Si on m’avait dit qu’un jour j’aurais une crainte aussi débile… Enfin, il paraît que ce n’est pas plus mal de ne pas grignoter.
Si le gosse est d’abord méfiant, à partir du moment où sa langue touche la partie chocolatée son regard s’illumine et il engloutit la sucrerie sans demander son reste. Quelque chose me dit qu’il ne doit pas en manger souvent et ce n’est pas que son attitude : il est tout maigre et débraillé. Ses cheveux sont mal coiffés, et maintenant que je me suis approché de lui je peux constater qu’il sent plutôt mauvais ainsi que la fumée. Mon odorat n’est pas le meilleur, mais je parviens tout de même à distinguer les deux odeurs. Peut-être était-il proche du lieu de l’incendie. Si c’est le cas, et au vu des restes de huttes en train de brûler, quelque chose me dit que savoir là d’où il vient ne nous avancera pas à grand-chose.

- Qu’est-ce que ta mushana fait là ?
- Va savoir pourquoi, sa pokéball a fonctionné, je lui décris rapidement la sensation ressentie quand j’ai posé la main sur la sphère métallique. Maintenant, que Amy’ est dehors, je ne sens plus rien quand je la touche, par contre. Elle a dû réussir à activer la pokéball avec ses pouvoirs psys ou un truc comme ça.

Cameron hoche la tête d’un air entendu puis porte la main à son menton. Il commence à réfléchir en silence, avec ce regard qui indique que ça carbure à fond et dans tous les sens. Contrairement à Célestin, il a la présence d’esprit de ne pas laisser fuser ses théories tant qu’il n’est pas arrivé à une conclusion qui le satisfait. Le soucis avec Cam’, c’est que quand il réfléchit comme ça, il cesse de fonctionner sur les autres plans. C’est un peu comme le niveau supérieur de ce qui le met en retard presque tous les jours au travail. Je m’empresse donc de lui secouer l’épaule pour le tirer de ses pensées :

- Pas maintenant, je désigne le gosse d’un mouvement de tête. Je le gère pas tout seul, c’est toi qui l’a trouvé en plus.
- Ah oui, désolé !

C’est peut-être un peu salop, ce que je suis en train de faire, car je sais maintenant que réfléchir comme ça est aussi un de ses moyens de défense face au stress intense, mais je peux pas le laisser partir dans son monde maintenant. Moi, cet enfant, à part lui donner des biscuits je sais pas ce que je peux en faire.
Cameron s’accroupit donc pour être à sa hauteur et essaye de communiquer avec en termes très simples, rudimentaires. Il n’y a que de la confusion sur le visage du gamin. Alors il tente des signes, de dessiner la forme d’une maison ou d’un autre être humain avec son doigt dans l’air. Toujours pas de réaction de la part du petit garçon qui n’est que de plus en plus confus. C’est alors que ma mushana décide d’intervenir. Elle flotte doucement jusqu’à sa hauteur et, après l’avoir rassuré d’un sifflement, elle tend une de ses pattes pour la poser contre son front. Un instant plus tard, elle cesse et la confusion de l’enfant a disparu. Il nous fait signe de le suivre, ce que Cameron s’empresse de faire sans se poser plus de questions.

- Et ma bécane ?, point important que tout le monde semble avoir oublié.
- C’est pas très important là…
- Répète un peu pour voir ?

Nous décidons que nous allons nous y mettre à deux pour pousser ma bécane à travers les bois afin de suivre le garçon. Ou plutôt je décide et Cameron se plie à ma décision. Contrairement à Tarja ou Célestin, lui n’a pas tendance à me contredire ou remettre en cause mes décisions. Vu son passif, je me demande si ça vient pas d’un mauvais trait de sa personnalité, mais, au bout d’un moment, je ne suis pas les services sociaux ! Il sait qu’il peut me dire non et à partir de là je ne veux pas à chaque fois le considérer comme s’il était en sucre.
Le souci avec ce plan, c’est qu’à chaque fois que le véhicule bouge, l’enfant sursaute. Il est à mi-chemin entre la curiosité et la peur. Il faut donc prendre le temps de le familiariser avec la moto, lui montrer qu’il ne risque rien et tout le tintouin. Lorsqu’il pose la main dessus, il est fasciné et presque tremblant. Finalement, comme il se montre assez en confiance, je finis par enlever les clés et l’asseoir dessus. Mon manque de délicatesse lui fait d’abord pousser un cri, puis trembler comme une feuille, avant de finalement se calmer car Cameron parvient à être calme et doux avec lui. Moi, je suis occupé à me demander où nous avons atterri pour que ce môme se comporte comme s’il n’avait jamais vu de moto de sa vie. Je suis à peu près sûr que même Aram, qui vivait au fin fond du désert, savait ce qu’était une moto à l’âge de ce petit. Environ huit ans, d’ailleurs, je crois. Les images sont partout maintenant, difficile de passer à côté des véhicules les plus communs.
L’enfant finit par poser tout seul les mains sur le guidon et Cameron décide que c’est le moment de lui parler comme à un débile en faisant le bruit “vroum-vroum”.

- Ouais allez c’est ça, vroum-vroum, on y va !

Soulé, je commence à pousser un côté du guidon pour faire avancer la moto tandis que Cameron prend le relais de l’autre côté. Il m’adresse un regard désapprobateur avant de critiquer :

- Tu pourrais être plus sympa avec lui…
- Pas envie. Il comprend rien de toute façon.
- Il peut comprendre notre ton, et tu es désagréable.
- N’importe quoi, je suis comme ça tout le temps.
- Justement, tu pourrais faire un effort ! Le petit est perdu, blessé… Il a besoin de notre aide. Il faut qu’il nous guide, qu’on retrouve sa famille, son village… Ca nous permettra d’en apprendre plus sur l’endroit où nous sommes, notre situation, sur le trou noir et-
- T’es juste curieux en fait, je le coupe car je sens que sinon on est partis pour une énumération sans fin avec des étoiles dans les yeux. Ma remarque le fait se taire avant de bredouiller.
- ... Je suis chercheur. Ce qu’il nous arrive est exceptionnel, il lève le regard vers le ciel et manque de se prendre un tronc comme nous sommes toujours en train d’avancer. Comme d’hab’. Et je me préoccupe vraiment de cet enfant.
- Je sais… Je suis juste inquiet pour nous, moi, le regard de mon collège s’assombrit. T’sé quoi ? On va se répartir. Toi tu t’inquiète du gosse et de tes recherches, moi je m’inquiète du reste, ok ?

Il approuve cette décision. Je ne vais pas mentir, je préférerais qu’il se consacre à notre vrai problème actuel, mais je sais aussi que, si population locale il y a, se mêler à eux pourra nous être utile pour comprendre. Sauf que moi je n’y arriverai pas, j’ai pas la subtilité ou l’intelligence qui me permet de déduire ou comprendre ce genre de choses. Encore moins face à une population qui ne parle pas notre langue. Le gamin a esquissé quelques mots quand il avait peur, ça ne ressemble à rien que j’ai déjà pu entendre. Les mots sont comme coupés en plein milieu et saccadé, avec des enchaînements de sons qui ne me font pas du tout penser à une langue. Je veux dire, le saharii que parle Aram j’y comprends rien, mais je capte que c’est fluide et que c’est quelque chose qui se parle. Enfin, je dis ça, mais je n’y connais rien en langue de toute façon. C’est pour ça que c’est bien que Cameron soit là. Lui, ce genre de choses, ça peut être son domaine.
C’est rassurant de ne pas être seul ici.

A devoir pousser la moto avec le gosse dessus, le chemin devient vite fatigant. Heureusement nous sommes tous les deux endurants et nos pokémons nous aident à dégager un peu la voie. Le garçon n’est pas rassuré quand ces derniers s’approchent de lui d’ailleurs, peut-être qu’il n’a rencontré que des pokémons sauvages jusqu’ici. Ce serait à peine plus bizarre que le coup de la moto.
Au bout d’un certain temps nous arrivons sur ce qui ressemble à une route en terre rudimentaire. Des branches d’arbre ont été coupées pour dégager le chemin et le terrain montre qu’il y a du passage, humain ou pokémons, ce qui rend la manipulation de la moto plus simple. Nous allons donc un peu plus vite jusqu’à ce que l’odeur de la fumée nous prenne les narines. Des cendres se mettent à tomber petit à petit du ciel au-dessus de nos têtes. On pourrait presque les prendre pour des flocons de neige.

- Il nous emmène vers l’incendie, non ?
- Je crois bien. Ca devait être son village…

Hm. Même si je n’ai pas envie de me préoccuper de ce gosse, réaliser qu’il a peut-être tout perdu me provoque un petit pincement de coeur. Comme je reste silencieux, Cameron suppose à voix haute :

- Il y a peut-être des gens qui le cherchent.

Alors nous continuons d’avancer, guidés par ce que j’espère ne pas être seulement de la naïveté. Ce n’est pas que pour l’enfant que je pense ainsi, mais pour nous aussi. Que va-t-on faire seuls tous les deux, on ne sait où, avec un petit garçon sur les bras ? On a déjà assez de problèmes comme ça. Je m’en veux même d’être en train d’aider ce môme au lieu de remuer ciel et terre pour essayer de retrouver Rubis. J’aimerais être en train de m’agiter dans le vide comme ça. Ca ne servirait à rien, mais me donnerait au moins l’impression de faire quelque chose d’utile.
Nous continuons d’avancer en direction de l’incendie, car c’est ce que le gamin continue de nous indiquer. Pour le moment, nous ne sommes pas en danger. Je remarque que des larmes commencent à se former au coin des yeux du petit et m’efforce de les ignorer, ce n’est pas le moment pour se lancer dans du babysitting. Si quelqu’un s’en préoccupe ce sera Cameron et pour le moment ce dernier n’a rien vu. L’enfant se met à répéter le même son plusieurs fois en serrant les poings sur ses vêtements, au niveau du coeur. Je n’y comprends rien, peut-être que c’est le nom de quelqu’un.

Un cri vient de la forêt. Ca ressemble à celui d’un pokémon sauvage, je me tends même si Améthyste et Keldeo sont présents pour nous protéger. Cameron est lui aussi sur ses gardes quand le petit garçon se jette presque de ma moto pour courir en direction du cri. Il y répond en répétant toujours le même son, mais plus fort pour bien se faire entendre.

- Suivons-le, suggère Cameron. C’est soit quelqu’un, soit un pokémon amical.

J’espère qu’il a raison.
Comme je sens que nous n’iront pas loin, je décide de demander à ma mushana de garder ma bécane jusqu’à ce que je revienne. Normalement je devrais la retrouver facilement et, dans le pire des cas, elle est capable de se connecter avec moi pour qu’on se retrouve. Ceci fait, j’emboîte le pas du gosse et de Cameron.

Nous n’avons fait que quelques pas lorsqu’une personne apparaît d’entre les arbres. Son regard affolé se pose sur nous avant de se fixer sur l’enfant vers lequel elle se jette pour le prendre dans ses bras. Ils pleurent tous les deux à chaudes larmes. Maintenant que je peux bien la voir, il s’agit d’une femme, plutôt maigre elle aussi, aux cheveux comme ceux du petit. J’imagine qu’il s’agit de sa mère et qu’elle était morte d’inquiétude. Ce n’est pas le moment de me mettre à envier ce petit garçon d’une quelconque manière, le reste de sa vie a l’air d’avoir quelque chose de bien plus pourri que la mienne au vu de son état. Au moins, moi, j’avais la famille de Rose pour compenser.
Même lorsque leur étreinte se termine, la mère garde son petit dans ses bras. Elle lève vers nous des yeux plein de méfiance et d’hésitations. Je lui rétorquerais bien que sans nous son gosse serait encore perdu on ne sait où dans la forêt, mais elle non plus ne doit pas comprendre notre langue. Solliciter l’aide de Cameron ne sert à rien, il semble fasciné par ce qu’il voit. En la regardant mieux, je remarque de la cendre dans les plis de ses vêtements, encore des haillons. C’est le petit garçon qui doit éclaircir la situation, ou du moins j’imagine que c’est ce qu’il fait lorsqu’il se met à parler et faire des gestes dans notre direction. Sa mère lui répond par un hochement de tête entendu avant de s’agenouiller devant nous et s’abaisser dans une révérence jusqu’à avoir le front contre le sol. C’est super gênant !

- Arrêtez ça Madame ! On a rien fait de spécial…, elle reste à terre, c’est sûr qu’elle ne me comprend pas. Cameron étant toujours aussi réactif qu’un plot de chantier, je dois prendre les devants. Me voilà m’accroupir devant elle pour essayer de la relever en lui prenant délicatement les épaules. Arrêter, vraiment, s’il vous plaît.

Elle sursaute lorsque je la touche, mais au moins elle se redresse. D’abord assise par terre, puis debout lorsque je fais de même. On sent la forme de ses os à travers ses vêtements. Ca aussi, ça me met mal à l’aise. Son regard se remet à aller dans tous les sens jusqu’à se poser sur ma moto qu’elle fixe avec perplexité. Ses doigts se serrent un peu plus autour de la main de son enfant, craintive. Le petit la rassure à nouveau. Je sais qu’il parle de ma bécane car son discours inclut un semblant de “vroum-vroum” comme lui a dit Cameron plus tôt. La prononciation est cependant distordue, plus qu’étrangère, comme si, à l’image du reste de leur langue, ils n’étaient capables d’aucune fluidité dans leurs prononciation. C’est coupé, haché. Je n’y connais vraiment rien en langues.
La mère esquisse un geste vers nous, d’abord timide puis plus affirmé. Je crois qu’elle nous invite à la suivre. Instinctivement, je regarde Cameron pour voir ce qu’il en pense - et savoir s’il a retrouvé l’usage de la parole, accessoirement.

- Je pense qu’il faut les suivre. On ne comprendra rien en restant seuls ici.
- On comprendra rien non plus s’ils parlent tous comme ça.
- Il n’y a pas que les mots, Illia, il pointe du menton vers la femme. Toi aussi tu as compris que c’est sa mère et qu’elle nous demande de la suivre, non ?

C’est vrai, il a raison. Je persiste à penser que nous n’irons pas bien loin avec seulement des gestes, mais il est vrai que c’est mieux que rien. Ils sauront peut-être aussi comment réparer nos pokéballs. Je rêve les yeux grands ouverts avec cette supposition, mais que puis-je faire d’autre ?

- Ok, ok… Je m’occupe de ma bécane, toi tu t’assures que ça la fasse pas se barrer en courant. Elle a l’air d’en avoir peur.

Quand je m’approche de ma moto, je remarque qu’Améthyste a une attitude étrange. Les yeux grands ouverts, elle fixe un point dans les arbres en résonnant de manière menaçante. C’est inhabituel de la voir comme ça, j’ai le réflexe de la toucher pour essayer de la rassurer. Malgré son calme habituel, peut-être que cet environnement inconnu lui fait peur, ou qu’elle ressent mon stress.
Un craquement dans les branches attire mon attention et, lorsque l’arbok se jette d’entre les branches, je dois faire un bond en arrière pour l’esquiver. Je n’aurais jamais cru qu’un spécimen de cet espèce puisse être aussi gros. De ce que j’ai vu en vidéo, un arbok de cette taille pourrait sûrement m’engloutir pour ensuite aller me digérer tranquillement. Heureusement, ma mushana se place entre lui et moi et émet des ondes psychiques pour le tenir à distance. Derrière nous, la femme et l’enfant se sont mis à crier de terreur. Je m’apprête à appeler Cameron à l’aide, lui qui est plus doué en combat de moi, quand je perçois d’autres mouvements dans les branches et les buissons bas. Quelque chose me dit qu’il ne va pas y avoir qu’un seul arbok…

- Keldeo !, le pokémon de Cameron bondit en avant et élève une barrière entre nous et les arboks en train de lancer leur assaut. Ces derniers se cognent contre le mur de protection qui se brise à force d’attaques. Bulles d’O maintenant !

La corne de Keldeo s’illumine en bleu et de grosses bulles s’en échappent. Plutôt que de les envoyer en plein dans les adversaires, comme une utilisation classique de l’attaque, il s’arrange pour qu’elles restent en suspension dans l’air et forment une barrière entre nous et les serpents. Si je n’avais pas déjà vu Cameron faire ça, je me dirais que cette stratégie est débile : quel mal peuvent faire des bulles de savon ? C’est sans compter sur la puissance de Keldeo qui fait de chacune de ses bulles une véritable bombe aquatique. Si un arbok en touche une, il aura très mal.

- Illia, emmène-les sur ta moto. Je m’occupe des arboks !
- Non.
- Ne commence pas à-
- Et après quoi ? Tu cours après ma bécane à pieds ? Tu sais même pas quelle direction on va prendre. C’est mort. Puis de toute façon je reste pas tout seul avec eux, j’ai aucune chance de comprendre quoi que ce soit à ce qu’y se passe.
- ... T’es pénible !
- Toi plus !

Ce qu’il peut m’agacer avec son sens du sacrifice à la con ! Il a des ambitions à réaliser, oui ou non ? Moi, au moins, quand je me mets bêtement dans des situations dangereuses, j’ai le réflexe d’essayer de m’en sortir sans penser d’abord aux autres. Lui, il se laisserait bouffer par toutes les créatures de la forêt plutôt que d’avoir un minimum d’instinct de survie. Je sais pas comment il a survécu à ses études de terrain pour rédiger sa thèse, à visiter des temples hantés par des pokémons spectres et s’aventurer seul dans la nature sauvage d’Unys.
Enfin, c’est pas le moment de réfléchir à la vie passée de mon collègue. J’appelle ma mushana et lui demande d’utiliser une attaque psyko sur le plus gros des arboks qui nous entourent, peut-être le chef. J’ai beau toujours ne pas être bien doué en combat, je connais à peu près le tableau des types désormais et le poison c’est faible contre le psy. Améthyste a le potentiel de leur faire bien mal pendant qu’ils continuent de galérer avec le mur de bulles d’O que Keldeo ne cesse d’alimenter.
L’air autour de l’arbok se met à vibrer jusqu’à ce que les particules de pression créées par l’attaque psychique de ma mushana s’abattent sur lui, lui pressant le crâne de toute part. Un craquement résonne dans la forêt tandis que la boîte crânienne de l’arbok se déforme. Il tombe au sol, raide mort.

- Lame ointe !

D’un coup de corne dans l’air, Keldeo crée une lame de lumière qui va s’écraser contre les arboks, faisant éclater les bulles d’O au passage. Cette attaque achève de les faire fuir, après la désorganisation qui les a pris lorsque l’un des leurs a été abattu par ma mushana. Je la regarde d’ailleurs abasourdi depuis tout à l’heure, ayant du mal à croire à la puissance qu’elle a libéré contre son adversaire. Je revois le crâne se déformer dans un craquement, le corps qui gît toujours non loin de nous. Je sais que les attaques de pokémons peuvent être mortelles, bien sûr, même entre eux, et c’est pour ça que pour participer à des combats entre dresseurs il faut aussi savoir leur apprendre à contrôler leur puissance, mais qu’un de mes compagnons soit capable d’une chose pareille ? Qu’Améthyste soit si puissante que ça ? Je ne l’aurais jamais envisagé. Je n’éprouve pas de peine pour cet arbok sauvage, après tout lui aussi cherchait à nous faire la peau. Par contre, ma mushana m’impressionne, me fait un peu peur, et me serre le coeur. Je repense à toutes ces fois où je l’ai mise sur ma tête par le passé, où je lui ai fait du mal en lui imposant de prendre mes cauchemars et me donner l’illusion d’une autre réalité. Pendant tout ce temps, elle aurait pu se libérer en me brisant le crâne.
Et elle ne l’a pas fait.

- Ca va Illia ?, mon incompréhension de la pertinence de sa question doit se lire sur son visage car Cameron ajoute : A cause de l’arbok…
- Tu sais que quand j’ai trouvé ma draby, ses parents drattak avaient été percés de part en part par un minotaupe ?, la grimace de mon collègue me fait rire. C’est de la survie, c’est tout. D’ailleurs, ça se mange de l’arbok ?
- On ne peut pas le manger, c’est dégoûtant !
- Amuse-toi bien à mourir de faim alors, je te filerai même pas de biscuits !

Avec cet argument je convaincs Cameron sans que ni lui, ni moi ne nous posions la question de la dangerosité de manger un pokémon de type poison. Célestin et Tarja nous auraient avertis tout de suite, mais ils ne sont pas là. La mère et son enfant ne nous aident d’ailleurs pas, car nous remarquons que cette fois ils se sont tous les deux prosternés devant nous.

- Ah non hein !, je pousse un long soupir. Tu t’en occupes, je charge l’arbok sur ma bécane.

Il faut m’y reprendre à plusieurs fois, avec l’aide d’Améthyste pour le faire léviter, avant que je parvienne à faire tenir cet énorme pokémon sur ma moto. Le problème principal est sa queue, qui n’arrête pas de tomber et que je finis par enrouler autour du guidon. Ca ne ressemble à rien, mais ça tient.
Pendant ce temps, Cameron a fait se relever la mère et son enfant. Il me rejoint lorsqu’il a terminé pour émettre une nouvelle supposition qui permettrait d’abandonner ici le cadavre de l’arbok :

- Peut-être qu’ils ont de la nourriture sinon…, je détourne le regard pour observer la femme et le petit garçon, tous les deux très maigres, fatigués, avec les os saillants. Mon collègue fait de même avant de pousser un soupir désespéré : C’est bon, j’ai rien dit.
- Tu veux pas plutôt trouver pourquoi ils se prosternent à tout bout de champ ?
- Ca, je peux pas le dire avant de mieux les comprendre.

Ca veut dire qu’il a des hypothèses. Au travail, quand Cameron ne sait pas quelque chose, il l’admet tout simplement. Et, quand il a des idées, il attend d’avoir des confirmations, ou des presque certitudes avant de les énoncer à voix haute. Contrairement à Célestin, il est capable de réfléchir dans sa propre tête le plus souvent, ce qui est très agréable. Bref, l’arbok est installé sur ma bécane, il est temps de suivre les deux êtres humains et espérer qu’une bonne situation se trouve au bout du chemin.
Au vu de ma poisse habituelle, j’en doute, mais rien ne coûte de croiser les doigts !

Enfin, nous voilà en train de suivre la femme et le garçon vers une direction inconnue. Si Cameron et moi avons bien supposé et que leur village est bien celui au milieu duquel nous étions au départ, en train de brûler dans les flammes, nous ne pouvons avoir aucune idée de notre destination. Quand nous sortons des bois, nous pouvons constater que le ciel est constellé de cendres. Elles tombent délicatement, comme des flocons de neige. L’air à une odeur de brûlé. La colline sur laquelle noue sommes montés nous permet de nous repérer : nous sommes à peu près du même côté que celui où a lieu l’incendie. De là où nous sommes, nous pouvons voir les flammes au loin. Elles ont diminué et vont sûrement s’éteindre bientôt.

- C’est bizarre…, commente Cameron alors que son regard se perd aussi dans l’incendie. L’environnement est boisé et sec, je pense que ça ne devrait pas s’éteindre comme ça. Tu crois que ça peut être provoqué par des attaques de type feu ?
- Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
- Bah t’as un dracaufeu quand même… Tu t’es jamais renseigné ?, je hausse les épaule avec une désinvolture feinte, histoire de cacher ma honte. Et t’avais pas dit que ton copain est spécialiste du type feu ?
- Oui bon ça va ! Je retiens pas tout ce qu’il dit non plus !, même si j’écoute avec attention quand Aram me parle, c’est pas pour autant que je retiens très bien les informations. Un peu plus que quand j’étais en cours ou quand d’autres personnes m’expliquent, certes, mais c’est grandement me surestimer que d’espérer que je retienne tout… Voir comprend tout, tout simplement.

Pour le coup, je vais tout de même retenir la théorie de Cameron sur les pokémons qui auraient provoqué l’incendie. Car ça veut dire qu’en plus des arboks, il peut y avoir d’autres prédateurs, encore plus dangereux, qui trainent dans le coin. Je me demande s’ils seront aussi gros que ceux que nous avons déjà vus… Je n’espère pas. Celui que je trimballe sur ma moto est vraiment énorme et lourd. On a eu de la chance que Keldeo soit assez puissat et que ma mushana ait l’avantage de type contre eux. Face à d’autres adversaires, je suis pas sûr de ce que ça donnerait…

La femme qui ouvre la marche émet un son. Enfin, dit un truc plutôt. C’est juste moi qui interprète ça comme du bruit plutôt que des paroles. Au loin, nous voyons une forme humaine émerger d’un bosquet. Cette dernière se fige en voyant notre petit groupe. J’imagine qu’il s’agit d’un autre survivant du village en flammes…