Tu termines ta bière dans un silence qui n'est pas si inconfortable. Silence est un mot tout relatif au vu de la cacophonie qui règne dans le bar mais aucun de vous deux ne parle. Une complicité curieuse s'installe, simplement motivée par la perte commune. Ce n'est pas une sensation à laquelle tu es habituée mais tu la laisses vivre, faute de mieux. Une dernière gorgée avalée et tu es néanmoins sur le départ. Tu as déjà assez traîné parmi les flics et tout a été dit. L'inspecteur t'observe du coin de l'œil, la bouche obscurcie par sa pinte. Tu ne saurais dire ce qu'il pense vraiment, tu t'en fiches à vrai dire.

« Pense-y. »

En guise de réponse, tu lui offres un haussement des épaules. Tu n'es certaine de rien. Pourtant, tu acceptes la carte de visite qu'il glisse vers toi. Avoir son numéro personnel pourrait s'avérer utile à l'avenir. Tu l'abandonnes avec un petit hochement de tête, le faciès blasé si familier chez toi.

Tu n'es que deux rues plus loin, en direction de ton appartement, lorsque tu récupères la ball de Shamir pour la laisser sortir. Tu aimes la compagnie et tu sais qu'elle n'apprécie que peu l'enfermement. Il faut dire que tu n'as pas pris la peine de l'habituer depuis qu'elle est avec toi. Dès sa sortie de l'œuf, elle s'est mise à marcher dans tes pas.

Le voyage est rapide et le silence ininterrompu. Il est vingt heures lorsque l'immeuble se découpe au loin, illuminés par des dizaines et des dizaines de fenêtres derrière lesquelles la vie bat son plein. Tu dépasses ta boîte aux lettres sans un regard et escalades les cinq étages. Si tu t'arrêtes devant le 603, cette fois, ce n'est pas pour la raison habituelle. C'est une forme d'habitude en soi aussi mais pas le bon jour. Tu sors la clé de ton sac et déverrouille la porte pour t'engouffrer dans l'appartement. Il fait sombre, sauf pour la lumière émanant de tous les écrans dans un coin de la pièce. Six est posé devant son ordinateur, un casque visé sur la tête. Il ne t'entends pas venir et sursautes lorsque tu enjambes le dossier du canapé pour aller t'y asseoir, tes affaires abandonnées à même le sol. Lui non plus n'est pas très friand de meubles.

« « Sam ? Qu'est-ce que tu fais là ? » »

Il s'exclame avec les yeux plissés, comme pour s'assurer qu'il ne s'imagine pas une présence familière. Sans doute aussi car il s'est encore explosé la rétine en restant debout trop longtemps. Il pousse d'ailleurs ses lunettes pour se frotter les yeux du plat de la main.

« On est déjà mardi ? »

Ce ne serait pas si étonnant pour lui. Il perd régulièrement des jours, à vrai dire, il le fait dès qu'il travaille sur un nouveau projet.

« Samedi. »

Tu bougonnes un peu, plus morne qu'à l'accoutumé. Tu t'es déjà emparé d'une manette pour allumer la console de jeux. Six est un voisin pratique. Il te permet de satisfaire tes pulsions de gamers sans avoir à piller dans tes précieuses économies. En échange, tu tâches de lui éviter de mourir seul dans son appartement et d'être découvert trois semaines plus tard à cause de l'odeur.

« T'occupes pas de moi. Juste envie de farmer un peu. »

Tu le vois qui hésite. Il n'est pas toujours très adroit avec les émotions, mais tu envois des signes plutôt évidents sans le vouloir. De plus, tu brises rarement vos rituels. Le mardi soir, tu joues. Pas un autre jour. C'est souvent pour lui une occasion de faire un break et la nuit se termine toujours avec une commande quelconque dans un fast-food ou chez le kantonien du coin. Tu sens son regard qui reste sur toi un moment, aussi longtemps qu'il faut au jeu pour charger, avant que sa chaise ne pivote et que son casque grince un peu lorsqu'il le remet en place. Tu es soulagée qu'il soit lui et qu'il n'ait pas pris la peine de te poser de questions. Tu ne sais pas encore si tu as envie de parler de Rosco. Il faudra, Six le connait après tout. Mais pas tout de suite. Tu veux juste te perdre pour quelques heures parmi de grandes étendues neigeuses et faire voler des têtes à coup de hache.

Tu termines la conquête d'une forteresse, sans doute bien deux heures plus tard, lorsque le canapé s'enfonce un peu. Tu as entendu Six bouger dans l'appartement, aller prendre une douche, et commander une pizza, tu n'es donc pas étonnée qu'il finisse par t'approcher. Il doit sans doute avoir fini de bosser. Un bras calé contre l'accoudoir, il bâille bruyamment. Dans la lumière bleutée de la télévision, ses cernes sont encore plus creusés.

« Je crois que je dois te demander si tu veux en parler. »

Il y a un peu d'incertitude dans sa voix mais surtout un fond d'humour. Il est le premier à se moquer de ses difficultés avec le monde de la sociabilisation. Malgré toi, tu lâches un sourire qui se fait presque grimace.

« T'en fais pas, j'ai pas envie de m'épancher.
T'es sûre ? Tu fais pas cette tête d'habitude. Tu maltraites pas non plus ma manette à ce point non plus. »

Tu te fiches pas mal de l'enfer que tu fais vivre aux boutons. Peut-être que tu es un peu plus agressive que d'habitude, c'est vrai. Et alors ? Tu n'as jamais prétendue être une pro non plus pour gérer tes émotions.

« Six. »

Ta voix se fait un peu plus tranchante, un avertissement qu'il devrait comprendre sans peine. Tu ne veux pas en parler.

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apparition d'un Pokémon, s'il vous plaît :3

Six te regarde un moment. Il pèse sans doute le pour et le contre, sa conscience et la peur que tu lui inspires un peu parfois devant batailler férocement. Il finit par soupirer, son corps se relâchant dans le canapé. Tu apprécies de ne sentir son regard peser si lourdement sur toi. Tu crains un peu l'image que tu renvois aujourd'hui. Tu détestes l'idée de paraître fragile. Ce gringalet n'est pas une menace mais cela reste une question de principe. Ce n'est pas toi, le monde extérieur ne t'affecte pas de la sorte en temps normal. Justement, la situation n'a rien de coutumière et tu as toujours su que Rosco avait une place spéciale parmi tes relations mais cela t'est difficile d'avoir à l'admettre. D'avoir à accepter que sa disparition a un réel impact sur ce que tu es en tant que personne, pas juste sur tes petites magouilles.

Ta concentration n'est plus aussi bonne et il y a un peu de surprise lorsque l'écran de mort apparaît. Tu as sauté dans le vide sans y faire attention et ton personnage n'a pas survécu à la chute. Erreur de débutante. Tu grognes un peu et la manette est balancée sur les jambes de ton voisin. Inutile de continuer à jouer dans ces conditions.

« J'ai commandé une pizza. »

Il glisse ça, mine de rien, tout en pressant quelques boutons pour fermer le jeu et éteindre la console. La luminosité descend d'un cran maintenant que le télévision est sur un écran de veille. Tu te contentes d'un haussement des épaules avant d'être trahie par le gémissement plaintif de ton estomac. Tu n'as pas encore mangé après tout. L'alcool a aussi l'art de créer un appétit.

Le timing s'avère parfait lorsque la sonnerie de l'interphone retentit.

Six déplie sa longue carcasse pour aller répondre et attend patiemment dans l'encadrure de la porte que le livreur parcoure les six étages pour arriver jusqu'à vous. Par réflexe, tu te penches sur le dossier du canapé pour observer la scène. L'homme ne fait pas partie de vos habitués, tu passes donc vite à autre chose. Tu décides d'en profiter pour faire un tour à la salle de bain. Juste le temps de te soulager la vessie et de te débarrasser de cette impression un peu collante sur les mains. Le voisin a déjà entamé une part à ton retour. Elle a lâché deux petites taches d'huile sur son sweatshirt et un bout de poivron est tombé sur sa cuisse. Tu te moques par réflexe avant de reprendre ta place sur le sofa, les genoux ramassés contre la poitrine et une part de pizza pliée entre tes doigts pour éviter de faire subir le même sort à tes vêtements. Après tout, tu n'as toujours pas fait de lessive. Un jour. Demain sans doute...

Vous mangez en silence pendant quelques minutes. Instants durant lesquels Six te lance régulièrement un regard sans oser remettre le sujet sur le tapis. Tu tues ses minauderies d'un regard acéré et il s'étouffe à moitié autour d'un bout d'olive.

« Faut que je te montre un truc. »

Cela avait été dit autour d'une bouchée, les mots un peu bouffés dans la manœuvre. En l'absence de serviette, tu t'essuies rapidement les doigts sur ton pantalon avant de t'étirer sur le dossier du fauteuil pour pouvoir atteindre ton sac. Tu y farfouilles une seconde jusqu'à trouver la lettre de menace parmi le reste de la paperasse dont tu n'as pas eu le courage de t'occuper.

« J'ai reçu ça hier. »

L'avantage avec Six est qu'il ne fait une montagne de quasiment rien. Il est un peu surpris mais ne part pas dans un monologue anxieux. Il se contente d'observer le courrier que tu lui as tendu tout en mâchonnant une croûte.

« Un peu old school. »

Tu hausses les épaules. Cela ne t'a pas tant étonnée que ça.

« Il est si important, ton cas Cromwell ?
Même pas. Ou, en tout cas, je n'ai rien trouvé de particulier. Il y a une piste que je pourrais exploiter dans pas longtemps, mais je ne pense pas que la débouchée sera si transcendante que ça. Plus ça avance, plus je me dis que le vieux se fait des idées.
Mais elle change la donne, cette lettre, non ?
Ouais. Elle fait tout le contraire que le résultat escompté. »

Parce que, désormais, c'est devenu personnel. En plus, tu n'as jamais été insensible à un peu de mystère. Tu veux le fin mot de l'histoire.

« Tu pourras vérifier la présence d'éventuelles brèches ? J'ai reçu ça à l'appart', pas au boulot. »

Six fronce les sourcils. Tu le devines mécontent par cette idée. Il s'est chargé de sécuriser ton existence sur la toile en guise de remerciement la première fois que tu lui as sauvé la peau et tu remet en cause ses compétences avec cette question. Tu aurais pu lui envoyer un bon coup de batte dans la fierté, le résultat aurait été similaire.

« Impossible.
Je préfère être prudente. »

Il soupire.

« Très bien. Je m'en charge à la première heure. »

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tentative de fuite:

27 décembre

Un peu bêtement, tu te frottes les mains avant d'aller les cacher sous tes aisselles. Tu es bien consciente que la friction ne sert à rien mais c'est un réflexe trop bien ancré, quelque chose que les Hommes continuent de se transmettre et de tous exécuter.
La fin du mois de décembre a apporté une vague de froid particulièrement brutale. Il neige aussi beaucoup depuis quelques jours, ce qui a offert à tout ceux qui en rêvaient un Noël blanc. Aujourd'hui, il n'y a bien que les enfants qui s'adonnent à des batailles de boule de neige épiques dans les parcs pour apprécier cet état de fait. Les services publiques ne parviennent pas à suivre la cadence, cela signifie qu'une grande partie de Winscor est bloquée. Malgré les vacances et la fermeture de certaines instituions, il y a toujours des gens pour sortir et nourrir encore un peu plus les embouteillages. Tu ne doutes pas que les poches des taxis aériens doivent être bien remplies à l'heure actuelle.

Le mélange d'ambiances dans la ville est donc curieux. D'un côté, il y a le concert de klaxons, les injures et les gens qui râlent, de l'autre, les guirlandes illuminent encore toutes les rues de milles couleurs, les chants de Noël résonnent toujours dans les zones commerciales, et on se prépare pour le Nouvel An. Sans même parler des réjouissances générales.

Tu ne participes pas vraiment aux réjouissances. Il y avait eu quelques moments passés avec ta mère, ainsi qu'un retour à la maison le temps d'un repas, mais ils ne s'agissaient là que d'excuses pour se voir. Ou plutôt d'excuses pour eux de t'attirer un peu vers le nid. Tout comme la soirée du vingt-quatre décembre passée chez les Drake avec Six. Dans une rare démonstration d'affection, tu avais offert aux gens que tu appréciais du temps dont tu n'avais pas grand chose à faire pendant que les affaires tournaient au ralenti. A ta façon, tu t'étais pliée à l'esprit des fêtes de fin d'année.

Aujourd'hui, c'est la première fois que tu reprends vraiment. La première fois aussi que tu es en mesure de commencer à exploiter cette piste dans l'affaire Landgaard. Si ta théorie est juste, Erika Cromwell se présentera au centre médical pour son rendez-vous bimensuel. Tu ne peux qu'espérer que la neige n'ait pas fait dérailler son programme. Tu attends donc à proximité du dit lieu, à l'abri des regards dans une ruelle. Tu as adossée à ce mur depuis environ une heure, tes seuls mouvements se limitant à quelques pas entre les deux façades pour éviter à tes pieds de se transformer en glaçons. C'est la réalité des planques. Vu le trafic, tu n'avais pas jugé intelligent non plus d'emprunter un véhicule.

Tu n'as jamais vu cette femme en chair et en os mais tu n'as aucun mal à la reconnaître lorsqu'elle émerge d'un taxi qui vient de se poser sur l'esplanade. Tu étudies des photos et de petits bouts de vidéos depuis trop longtemps. Ta première réflexion est : elle est plus menue en vrai. Sur les clichés où tu l'avais vue en compagnie de son père, elle avait paru petite mais, malgré la distance, sa taille est plus prononcée. Tu l'imagines sans mal déclencher chez les hommes un furieux instinct protecteur. Elle se tourne un instant pour s'adresser au chauffeur et tu aperçois un visage candide, bien loin des vingt-cinq ans qu'elle est censée avoir. Tu lui en donnes dix-huit à tout casser. Elle est presque dévorée par une doudoune qui lui tombe jusqu'en bas des mollets, une grande écharpe est enroulée autour du cou et un bonnet trône au sommet de sa tête. Frileuse donc. Un détail qui ne compte pas mais qui ne t'échappe pas. Elle replace un peu les pans de son manteau, couvrant méthodiquement son ventre, avant de commencer une progression prudente vers les portes automatiques du centre médical.

Après qu'elle eut disparu à l'intérieur du bâtiment, tu décides de faire une rapide pause dans ta surveillance pour aller te chercher un café. Elle en a au moins pour quarante-cinq minutes et il y a un coffee shop au coin de la rue. Avant de t'y diriger, tu fais sortir Shamir de sa ball.

« Prends ma place, j'en ai pour cinq minutes. Dix, max. »

Elle se contente de hocher la tête et prends ta place lorsque tu te glisses hors de la ruelle avec nonchalance pour te mêler aux autres passants.

Lorsque tu pénètres dans le café, la différence de température entre dedans et dehors est si frappante qu'elle te donne des bouffées de chaleur. Tu t'empresses de baisser la fermeture éclair de ta veste et de glisser ton bonnet dans ta poche. Ton écharpe est aussi un peu desserrée pour te donner de l'air.

Il y a beaucoup de monde mais, heureusement, ils se détendent tranquillement sur les banquettes et discutent avec animation plutôt que de faire la file devant le comptoir. Encore une façon de profiter de cette période où la convivialité est prétendument plus présente et où tout sent la cannelle. Il n'y a que deux personnes avant toi. Tu profites d'être dans la file pour vérifier tes mails sur le wifi du café jusqu'à pouvoir commander un grand macchiato, ainsi qu'un brownie. Le prix est aberrant, une véritable escroquerie, mais tu es trop satisfaite de pouvoir te réchauffer les mains autour d'un gobelet brûlant que pour avoir la force de râler à ce sujet. La pâtisserie est un extra, le froid donne faim, c'est comme ça. Aussi radine puisse-tu être la majeure partie du temps, il y a des plaisirs coupables auxquels tu cèdes. En plus, tu as sauté le petit déjeuner. Le frigo était vide parce que tu avais oublié de faire les courses, encore. Les restes que ta mère et la matriarche Drake t'avaient donné la fausse illusion d'être parée mais tu n'avais pas su les faire durer, trop tentées par les explosions de goût qu'offraient les petits plats mijotés.

Pour quelqu'un qui avait passé beaucoup de temps à vivre sur des crackers et des nouilles instantanées, tu virais mal.

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apparition d'un Pokémon, s'il vous plaît :3

Le retour à la réalité de la planque est brutal. Le froid s'abat sur toi comme lorsque l'on passe sous une branche de sapin et qu'elle cède soudain sous le poids de la neige, laissant toute la poudreuse se glisser dans chaque interstice entre textile et peau. Tu frissonnes, plus affectée encore car tu viens d'un endroit bien chauffé. Tu déposes ton gobelet dans un équilibre précaire sur un poteau, juste le temps de t'équiper à nouveau, des s'il te plait, tombe pas répétés à la façon d'un mantra dans ton esprit. Heureusement, il reste bien en place et tu peux récupérer ta boisson d'une main plus sûre. Tu ne prends pas encore le risque d'aller te brûler la langue à son contact mais le simple fait de tenir la tasse en carton t'apporte un confort plaisant. Le brownie est par contre attaqué, une grande bouchée t'occupant la bouche durant le court trajet te séparant de la ruelle.

« Rien ? »

Tu questionnes la Lucario juste par principe. Si quelque chose avait menacé votre plan, elle ne t'aurait pas simplement attendu là et sa posture serait plus alerte. Tu restes satisfaite par le mouvement de tête qu'elle t'offre. Puisqu'elle est déjà occupée, tu décides de faire durer ta pause. Tu vas t'accroupir contre le mur en face d'elle pour terminer le gâteau en quelques coups de dents. Tu restes comme ça un petit moment, les doigts serrés autour du café, à profiter de ce calme que vous avez trouvé ici. Les villes sont étranges. Malgré la foule, il est si facile de trouver une forme de solitude en tournant un coin de rue. Tu as appris ça il y a longtemps déjà.

« Ruuu.
Hm ? »

Il y a une urgence dans l'appel qui te pousse à te remettre debout. Tu te glisses discrètement au côté de la louve, l'œil cherchant déjà ce qui a attiré son attention. Ce n'est pas difficile. Cela a beau ne pas coller aux horaires habituels, la chevelure blonde au sommet d'un frêle corps se repère vite.

« Elle nous fait quoi ? »

Tu marmonnes entre tes dents en voyant Erika Cromwell ignorer le parking des taxis volants pour se fondre dans la foule à la place. Non seulement son rendez-vous n'a même pas duré la moitié du temps et, en plus, elle ne rentre pas immédiatement. Cela cache quelque chose. Le changement a du bon, il ne faut pas croire. Peut-être vas-tu enfin découvrir une piste valant vraiment la peine d'être suivie.

Shamir est rappelée dans sa ball avant que tu ne rejoignes l'avenue principale, prenant soin dans un premier temps de rester sur le trottoir opposé. Tes foulées sont plus grandes que les siennes, tu parviens donc à récupérer ton retard assez vite. Elle progresse clairement avec une idée en tête, ses prises de décision rapides et dénuées d'hésitation. Cela te pousse à traverser dès qu'un passage pour piétons se présente. A tes débuts, tu aurais sans doute foncé dans le tas en espérant passer sans dégât, mais tu avais appris de tes erreurs, à force. Un coup de klaxon était un coup à se faire repérer stupidement. Tu attends donc patiemment, le regard porté au loin, jusqu'à ce que le décompte sonore se mette en route. C'est à ce moment là que tu te presses, le passage piétons étant traversé en trottinant. La Cromwell n'a heureusement pas eu l'occasion d'aller bien loin. Elle continue d'avancer pendant que tu progresses tranquillement dans ses pas. Le gobelet est toujours dans ta main, un peu de café absorbé dans la laine de tes gants à cause de gestes trop brusques. Tu en prends une gorgée lorsqu'elle s'arrête devant une boutique, feignant de t'intéresser à une vitrine une dizaine de mètres plus loin.

Ce petit jeu se répète quelques fois. Elle avance, s'arrête à l'occasion devant une boutique, puis reprends son chemin. Tu cherches bien un point commun entre chacun de ses arrêts mais il n'y en a pas. Elle se contente de faire du lèche-vitrine. Peut-être est-elle à la recherche de cadeaux tardifs pour ses proches. A moins qu'elle ne fasse du repérage avant les soldes. Dans tous les cas, cela n'avance pas ton enquête. Tu apprécies tout de même le changement de rythme. Après une vingtaine de minutes à errer dans les rues commerciales sans but apparent, elle pénètre enfin dans un établissement. A l'enseigne criarde, tu reconnais sans mal un fast-food. Même les richardes dans son genre doivent avoir envie d'un burger bien gras à l'occasion. Il est tout de même un peu tôt pour ça. Tu attends un moment dehors, juste de quoi lui laisser le temps de commander, avant de suivre le mouvement et d'aller te placer dans la fil attendant devant la seule caisse ouverte. Au vu des plateaux, certains profitent encore du service petit déjeuner. Tout en faisant mine d'étudier le menu et les différentes offres promotionnelles, tu balayes rapidement la salle et tu retrouves Erika Cromwell attablée tout au fond, à proximité de la zone de jeux pour enfants. Vu le peu de clients dans les environs, ce n'est pas un endroit où tu pourras aller t'installer discrètement.

Il te faut cinq minutes pour obtenir ta commande. Un muffin le plus basique possible et un autre café, l'odeur de friture planant vers les caisses t'ayant presque coupé l'appétit. Tu choisis une table à proximité de la porte. Le courant d'air y est inconfortable mais au moins tu ne pourras pas louper le départ de la blonde, à défaut de pouvoir l'espionner efficacement dans ces conditions. Ce n'est de toute façon pas pire que dehors. Le café, par contre, est une autre paire de manche. Tu grimaces un peu lorsque son amertume te dérange la langue et le petit pain garni d'œuf et de fromage arrange peu les choses. Tu ne fais pas la fine bouche d'habitude, tu as avalé bien pire, mais avoir du payer pour ces machins te reste en travers de la gorge. Pour sûr, tu factureras ça au vieux Landgaard.

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tentative de capture:

« Je pensais avoir été claire. »

L'aveu t'est difficile à faire. Malgré des années à vivoter dans les bas-fonds et un paquet de formations, tu te fais surprendre par un petit bout de femme d'un mètre cinquante à tout casser. Tu t'en brûles la langue sur le café dont tu t'apprêtais à prendre une gorgée prudente parce qu'elle a abattu les mains sur la table où tu es installée. Sans sa doudoune pour la dévorer, Erika Cromwell fait plus frêle encore mais il y a un feu intense qui brûle dans son regard. Tu n'as eu d'autre choix que de le croiser vu comment elle est entrée dans ton espace, menaçante contre toute attente avec cette aura qu'elle dégage. C'est la première fois que tu fais face à une personne aussi charismatique et il te faut du temps pour que l'enchaînement des événements devienne clair dans ton esprit. Ton cerveau est comme un ordinateur de basse qualité peinant à réaliser la tâche qui lui est demandé.

Pendant ce temps, la blonde a tout le temps de s'approprier la chaise libre en face de toi. Elle s'y assied avec une lourdeur agacée, sac et manteau abandonnés sur la table voisine.

C'est beaucoup d'un coup mais aussi frustrant. Il n'y a qu'une conclusion possible : tu es proie dans cette enquête et cela ne date pas d'hier.

Un détail parmi les autres te frappe.

« Alors tous ces arrêts-
Je voulais voir comment tu te débrouillais. C'est la première fois que tu me files après tout. »

Tu as trop de questions. C'est effectivement la première fois que tu la suis toi-même. Tu as bien essayé de le faire plus tôt mais tu n'avais fait que camper durant des heures devant son immeuble, sans succès. Alors comment sait-elle ? Tu la trouves aussi drôlement calme de se savoir sous la surveillance d'une détective privée.

Comme si elle lisait dans tes pensées, elle réponds aussitôt à cette interrogation.

« T'es pas la première que mon père engage. Je dois reconnaître que tu es plus discrète que les autres. Dans d'autres circonstances, tu aurais eu tes chances. »

Si elle traite le sujet comme quelque chose de banal, il y a un énervement sous-jacent dans sa voix. Elle est agacée. Un sentiment que tu devrais toi aussi ressentir mais tu restes trop surprise. Trop curieuse aussi maintenant que l'affaire Landgaard vient de prendre un nouveau tournant.

Tu te laisses dérober tes pancakes gardés au chaud par un carton sans broncher. Elle n'a pas pris la peine de demander, elle s'est contenté de faire glisser la boîte vers elle pour aller y planter férocement sa fourchette. Ou ta fourchette. Ce détail là ne compte pas.

« Un autre privé surveille ton père ? »

Tu n'envisages pas l'idée de la vouvoyer. Après une telle entrée en matière et sa familiarité, tu n'as pas envie de jouer à cela.

« Non. »

Elle le marmonne autour d'une bouchée de crêpe couverte de sirop et tes sourcils se froncent automatiquement. Ne peut-elle pas répondre sans générer une autre question au passage ?

« Te vexe pas mais je ne fais pas confiance aux gens comme toi. Il suffit de payer plus pour que vous changiez de maître. »

C'est quelque chose que tu ne peux pas réfuter. Tu l'as récemment prouvé et c'était loin d'être la première fois. Mais là n'est pas la question.
Elle pointe sa fourchette dans ta direction, l'agite un peu sous ton nez.

« A cette allure, de la fumée va te sortir des oreilles. T'es pas habituée à ça, n'est-ce pas ?
A quoi ?
A croiser des gens plus malins que toi. »

Elle touche un point sensible et, à son air, elle le fait volontairement. Il y a un rictus qui étire ses lèvres, une lueur moqueuse dans son regard qui semble venir toucher une deuxième fois la plaie mise en lumière. Tu t'en doutais déjà mais il devient évident que Erika Cromwell n'a rien de cette femme fragile et démunie décrite par son père. Elle est telle une lame cachée par une manche qu'on ne remarque que lorsqu'il est déjà trop tard et que personne d'autre n'imaginera l'existence. Son minois innocent fait un étui parfait pour un esprit si aiguisé.

Ton éclat de rire te surprends. Il est quelque peu nerveux et résonne étrangement à tes oreilles.

« D'accord. Je reconnais que je me suis bien fait avoir. »

Il faut une première fois à tout : tu n'as jamais été si bonne perdante.

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apparition d'un Pokémon, s'il vous plaît :3

Elle paraît aussi étonnée que toi. Tu le remarques derrière l'arrogance, lorsque sa fourchette stationne un peu trop longtemps devant ses lèvres avant qu'elle ne la déleste de son chargement. Elle mastique aussi plus lentement, ses yeux ne te quittant pas. Lorsqu'elle avale enfin, l'ustensile est abandonné dans la barquette. Le silence dure, peu tendu si on prends les circonstances en compte. Il ne fait qu'accueillir une observation mutuelle et calculée. Au bout d'un moment, tu te détends dans ta chaise, le dos touchant pour la première fois son dossier. Le gobelet est à nouveau dans ta main et tu en avales une gorgée, pensive.

« Je fais ça pour l'argent, j'ai pas honte de l'avouer. Mais une bonne histoire vaut parfois la peine d'être entendue et je doute sincèrement que ton père ait les moyens de me payer plus qu'il ne le fait déjà. »

Une nouvelle gorgée et tu reposes la tasse en carton, les doigts l'agitant encore distraitement. Tu as toujours eu besoin de ça pour réfléchir. En donnant une occupation passive à ton corps, tu libères un peu ton esprit.

« Et puis... Tu n'aurais pas pris la peine de te dévoiler si tu n'avais pas autre chose à dire, n'est-ce pas ? »

Il s'agit là de la théorie la plus logique. Elle est intelligente et, malgré un caractère qui doit être bien trempée, tu ne l'imagines pas succomber complètement à ses émotions. Elle aurait pu te laisser jouer le rôle du Sapereau indéfiniment sans que cela ne l'inquiète mais elle a choisi de ne pas le faire. Que tu l'apprennes doit donc signifier quelque chose dans son plan. Concrètement, elle ne t'avait pas donné assez d'élément pour révéler quoi que ce soit mais elle t'encourageait par son attitude à creuser plus loin encore.

Le soupir exagéré qu'elle exhale en réponse est surprenant. Avec lui, c'est aussi ce qu'elle dégage qui change. Sa moue est un mélange d'agacement et d'ennui. Elle cale un coude sur la table, sa main venant épouser sa mâchoire en guise d'appui. En cet instant, elle a tout d'une enfant pétulante.

« Ces hommes sont agaçants. »

Cela n'appartient pas à la liste de tes attentes. Une réponse pousse au bord de tes lèvres mais tu n'as pas l'occasion de dire un mot. Juste d'ouvrir la bouche pour articuler quelque chose avant qu'elle ne te coupe.

« Je pensais que Lance serait une bonne porte de sortie au vu de toutes les heures qu'il passe à travailler mais il ne vaut pas mieux que mon père. Fais attention, Erika. Ne fais pas ça, Erika. Ce n'est pas nécessaire que tu tracasses avec ça, Erika. »

Et cela continue, sa main libre s'agitant autour d'elle avec toute l'énergie négative qui se dégage d'elle comme si les mots n'étaient pas suffisant pour faire sortir le surplus de pression.

« Et maintenant... »

Elle marque une pause, abandonnée par son agitation, et son bras disparait sous la table. Sa main semblant se stabiliser quelque part à proximité de son ventre.

Oh. Oh. Ce développement t'est passé complètement au-dessus de la tête.

« Tu es enceinte. »

Malgré l'absence de question dans ta voix, tu attends une confirmation qui vient sous la forme d'un petit hochement de tête. Tu n'as jamais été très intéressée par la maternité et les enfants en général mais tu sais au moins qu'une femme en accord avec sa grossesse avait tendance à sourire un peu plus lorsque le sujet était abordé. Tu n'iras pas dire que la situation la contrarie non plus, tu ne la connais pas assez pour ça, mais il y a quelque chose de compliqué autour de ce bébé à venir.

« Je vois toujours pas en quoi ça me concerne. »

Est-ce qu'elle espère que cette révélation va soudainement lui offrir ta sympathie ? Qu'il lui suffit de sortir le joker bébé pour que tu lâches toutes tes cartes ? Avec quelqu'un d'autre, cela aurait peut-être fonctionné mais tu n'as pas assez d'empathie pour ça. A moins que le prétendre ne soit plus facile. Il y a des choses auxquelles tu préfères ne pas penser. Tu préfères vivre en accord avec tes mauvais côtés plutôt qu'avec les bons.

Ton détachement n'a pas l'air de la surprendre.

« Peut-être que je voulais juste en parler à quelqu'un. »

Mouais...

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fuite avec flûte noire:

Tu n'es pas l'exemple idéale lorsqu'on envisage une bonne confidente. Le fait que tu monnaies volontiers les secrets des autres a naturellement un rôle là-dedans mais il n'y a pas que ça. Si tu as un petit faible mal assumé pour les ragots, tu n'as rien d'une épaule compatissante sur laquelle pleurer. Si on omet peut-être un mouvement de sourcils, tes émotions se transmettent rarement autrement qu'avec une franchise brutale. Dans ce cas-ci, c'est ton regard qui en dit long. Tu la scrutes, absolument pas convaincue par son baratin. Peut-être y a-t-il une touche de vérité dans ce qu'elle raconte mais tu doutes vraiment qu'elle soit à la recherche d'une copine auprès de qui se plaindre de sa triste existence.

Tes doigts pianotent un instant sur la table.

Jouons le jeu.

« Qu'est-ce que ton père cherche ? Vu le nombre de personnes qui sont passées avant moi, le moins qu'on puisse dire est bien qu'il est tenace. »

Trop, selon ton point de vue. Il a beau agir comme un parent désespéré, son attitude t'a toujours un peu dérangée. Il n'avait pas vraiment le profil d'un homme violent mais il y avait indéniablement quelque chose. Sans ça, elle n'aurait pas pris la peine de demander une mesure de restriction. A moins qu'il ne s'agisse que de l'œuvre de son cher mari, comme Monsieur Landgaard l'avait prétendu haut et fort lors de leur premier rendez-vous ? A entendre cette fille, ils avaient tout l'air d'être tous les deux un problème en soi. Sans doute différents mais bien présents.

Elle lève les yeux au ciel et un nouveau soupir s'arrache difficilement à ses lèvres, un peu pincées à cause de cette moue qu'elle affiche.

« Il ne supporte pas de ne plus m'avoir pour lui tout seul. »

Les scénarios les plus glauques fusent immédiatement dans ta tête mais elle les arrête d'un mouvement de tête, comme si elle les avait senti venir.

« Mon père n'est pas un mauvais gars. Il m'a jamais touché. D'une quelconque façon que ce soit. Il était juste...contrôlant. C'est comme ça depuis la mort de maman. Il a fait de moi tout son monde et c'est vite devenu étouffant. »

Son attitude de princesse s'explique au moins un peu. Un tel traitement aurait de quoi encourager une graine de narcissisme chez une enfant. La mère Landgaard serait morte alors qu'Erika n'avait que huit ans, si tes souvenirs sont exacts. Un tragique, si ce n'est banal, accident de la route.

« Il s'est mis à avoir peur de tout. Des hommes, de mes choix. Il trouvait toutes les excuses possibles pour me garder à la maison. Il a vrillé lorsque j'ai manifesté l'envie d'aller à la fac dans une autre région. Sur le coup, j'ai plié. Je suis restée bien gentiment à Galar. C'est là que j'ai rencontré Lance. J'ai cédé à la facilité de la relation qu'il m'offrait. Aussi chiant que mon père soit, il rendait ma vie facile. Lance pouvait faire pareil. Je l'ai laissé me draguer, on a bien respecté toutes les étapes. J'aurais dû me méfier un peu plus de son côté vieux jeu. J'ai fui un emmerdeur pour vivre avec un autre. Mon père l'appréciait au début. Mais le mariage a changé le fragile équilibre. Je suppose que c'est devenu trop réel. Il n'a pas supporté qu'on vienne vivre à Winscor pour le boulot de Lance. Pour moi, c'était l'occasion parfaite de mettre de la distance. Je me voyais pas supporter les deux non plus. »

Nouveau soupir.

« C'est d'un cliché. »

Tu n'aurais pas dit mieux. Cela te semble toujours un peu trop simple et ça ne réponds pas à toutes tes questions mais cela reste un bon début. C'est décevant tout de même. Seulement, l'histoire ne joue qu'un rôle minime dans tout ça. Il y a l'autre inconnue. L'énigme Erika en elle-même.

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apparition d'un Pokémon, s'il vous plaît :3