Ce matin, un désastre c’est encore produit. Celui-ci s’ajoute à la longue liste des catastrophes que nous avons dressées depuis le début de l’année et elle ne semble pas vouloir s’arrêter. L’état de notre tribu ne pourrait pas être pire et plus le temps passe, plus de gens souffrent sans que nous ne puissions rien y faire. Depuis plusieurs mois déjà nous faisons face à des tremblements de terre, des pluies torrentielles, des inondations et il y a eu beaucoup d’avalanches lors du dernier hiver. Les plus anciens du village croyaient que ce n’était qu’un mauvais présage, une mauvaise période qui n’allait pas tarder à s’éclipser et que les beaux jours reviendraient ensuite, mais les tragédies ne font qu’augmenter. Désormais, ce n’est pas que la nature qui se déchaine... il semblerait bien que même les dieux soient contre nous.

L’aube se lève à peine et déjà, des cris et des pleurs se font entendre à travers les ruelles. Ces bruits réveillent les habitants brutalement et si certains sont exaspérés d’avoir été extrait du sommeil de force, tout le monde comprend ce qu’il vient de se passer. La colère fait rapidement place à la peine, mais personne ne peut rien faire pour tenter de réconforter les autres. De tous les pires désastres qui puissent exister, nous traversons sans doute la pire période de notre vie, car toutes les dernières naissances qu’il y a eu au sein de la tribu se sont avérées tragiques. Pas un seul enfant n’est né en santé au cours des dernières années et les nouveaux-nés meurent tous quelques heures après la naissance, s’ils ne sont pas déjà morts au moment de prendre leurs premières bouffées d’air frais. Ce n’était encore jamais arrivé jusqu’à aujourd’hui et c’est pourquoi les anciens croient dur comme fer que nous avons été maudits par les dieux. Visiblement, notre clan a fait quelque chose qui leur a déplu et du coup, ils cherchent à se venger.

Suite à ce nouveau décès, l’état d’urgence est décrétée par le chef et le crieur ne laisse pas de répit aux habitants en commençant à courir et à crier partout qu’une réunion importante à lieu à la place centrale du village. Étonnés, les habitants écoutent mais n’osent pas sortir puisqu’il est encore très tôt, la plupart d’entre eux ne comprenant pas ce qui se passe. En général, le crieur fait ce genre d’annonce que lorsqu’ils sont en guerre, alors se pourrait-il que ce soit le cas en plus de toutes les catastrophes dont ils doivent faire face ? Dans le doute, les gens sortent petit à petit de leurs maisons et la marée humaine commence à défiler dans les ruelles pour atteindre leur destination commune. Tranquillement, hommes, femmes et enfants se rejoignent au centre du village, là où leur chef les attend. L’heure est grave et même si personne ne l’a dit à voix haute, tout le monde semble être au courant de l’importance de cette réunion.

C’est alors que le chef nous met officiellement en garde de la malédiction qui nous afflige et selon les anciens, le mieux à faire pour s’excuser auprès des dieux serait de créer une grande statue en leur nom. Dialga serait sans doute reconnaissant de nous voir construire un monument en son honneur et il lèverait donc la malédiction qui nous fait tant souffrir depuis si longtemps. Du moins, c’est ce que les plus âgés de la tribu prétendent et personne ne peut les contredire. Étant donné que personne ne sait quoi faire de plus pour retrouver la paix dans le village, tout le monde accepte l’ordre du chef et les préparatifs peuvent dès à présent êtres lancés. Il faut nous mettre au travail, et rapidement.

Comme d’habitude, je me fais réveiller ce matin-là par le bruit produit par mes parents et le reste de la fratrie. Apparemment, tout le monde est déjà réveillé et je suis le dernier à poireauter dans mon lit. D’ailleurs, c’est plutôt inhabituel que tout le monde soit levé, mes sœurs sont loin d’êtres matinales et elles ronchonnent toujours à l’idée de devoir sortir pour aller travailler dans les champs. Peut-être sont-elles encore couchées mais vu le bruit que j’entends... je crois que tout le monde s’affaire à quelque chose.

- Owen ? Owen, lève-toi. Le chef nous demande sur la place du village, il faudrait se dépêcher.

La voix de mon père est portée jusqu’à moi sans trop de difficulté, même si il ne se trouve pas dans la même pièce, tellement elle est grave. Sans plus d’hésitation, je me dépêche de me lever et de me préparer car si le chef nous a tous convoqué, c’est que cela doit être important. J’aurais bien voulu prendre un rapide petit-déjeuner avant de partir, mais je crains de ne pas avoir suffisamment de temps. Si la famille s’apprête déjà à sortir, je me dois de les suivre le plus rapidement possible, autant pour eux que par respect envers le chef qui souhaite nous informer de quelque chose.

Du coup, pour ceux et celles qui n’aurait pas suivi, je m’appelle Owen et je vis ici, au sein d’un petit village constitué de gens croyant dur comme fer au dieu Dialga. Nous nous sommes rangés de son côté suite à une dispute qui a fait éclater l’harmonie qui régnait jusque là entre les trois dragons et depuis ce jour, tous les clans vivent chacun de leur côté. Nous ne nous entendons pas très bien avec les autres, nous ne sommes pas forcément en guerre mais ils représentent tous des ennemis à nos yeux, du coup nous évitons tout contact et commerce avec eux. Bâti au cœur d’une forêt riche et fertile, notre tribu était florissante jusqu’à ce que des catastrophes commencent à nous tomber sur la tête sans prévenir. Tout a commencé par des caprices de la nature, mais maintenant, ce sont nos futures générations qui n’arrivent plus à voir le jour. Il semblerait que nous avons été maudit par Dialga lui-même et je ne peux m’empêcher de me demander ce qui en ait des autres clans.

Tout cela m’échappe et j’ai l’impression de ne rien être capable de faire pour améliorer les choses. En tant que fils de fermier, je vais sans doute hériter de la ferme lorsque mes parents ne seront plus en mesure de s’en occuper, alors comment puis-je avoir assez d’impact dans le monde pour remettre en doute la décision d’un dieu ? Dialga serait sans doute furieux si je remets en doute son autorité, alors je préfère poursuivre ma vie tranquillement en récoltant la nourriture essentielle aux autres villageois. Après la rencontre avec le chef, je vais surement me rendre à la ferme pour m’occuper de mes tâches quotidiennes. Je ne vois pas comment ma routine pourrait être perturbée.

Mon premier réflexe en sortant de mon lit est de chercher le long bâton que j’utilise depuis très longtemps pour m’aider à marcher. Être aveugle dans un monde conçu pour les gens qui ne le sont pas, ce n’est pas toujours évident et je dois donc trouver des solutions pour essayer de m’accommoder. Pour le coup, je commence à bien connaitre le village et ses alentours, alors il m’arrive beaucoup moins de buter sur quelque chose ou de trébucher, mais le bâton est toujours un bon allié sur lequel je peux compter. Alors que j’essaie de me dépêcher pour éviter que mes parents s’impatientent davantage, je réussis enfin à ouvrir la porte de ma chambre pour ensuite me diriger en direction de la cuisine qui est aussi notre seule grande pièce de vie pour toute la famille. Évidemment, tout le monde s’y trouve déjà et tous les regards convergent sur moi dès qu’ils entendent le bruit de mes pas se rapprocher.

- Bon matin, Owen. Nous t’avons surement réveillé ce matin et nous nous en excusons, mais... disons que la situation est assez inquiétante.

Comme toujours, ma mère fait preuve de patience et de gentillesse à mon égard. À peine ai-je le temps de m’arrêter à leur hauteur que déjà je sens ses mains se poser sur mes épaules pour qu’elle puisse me faire un câlin réconfortant sans pour autant me faire sursauter. Elle aura toujours eu un don pour bien se comporter avec moi, comme si elle avait toujours côtoyer des gens aveugles dans sa vie.

- Enfin, pas trop tôt. Nous devons vite y aller, le chef n’attendra pas les retardataires pour faire son annonce.

De son côté, mon père a toujours été très strict et il est aussi très difficile à satisfaire. Ses attentes sont constamment élevées, que ce soit pour la cuisine, le ménage ou encore l’entretien des champs. Pour lui, tout est bien fait seulement si lui met la main à la pâte et tous les autres qui s’y collent font forcément du mauvais boulot. J’ai eu beaucoup de mal au fil des années à lui prouver ma valeur et il se montre encore brusque envers moi par moment, mais je dois apprendre à faire avec. Il ne va pas changer seulement parce que je suis différent et il n’est pas du genre à se montrer compréhensif. Cela serait de montrer une certaine faiblesse pour un homme aussi fort que lui.

Sans perdre davantage de temps, mes sœurs reprennent où elles en étaient dans leurs préparations afin d’êtres prêtes à temps pour quitter la maison. Je ne comprends pas trop ce qu’elles sont en train de faire, mais il semblerait qu’elles nettoient la table sur laquelle ils viennent tous de manger. Et moi, étant donné que je me suis réveillé après tout le monde, je n’ai même pas le droit de prendre un petit-déjeuner avant de partir. Je vais devoir écouter l’annonce du chef en ayant le ventre creux, ce qui risque de très mal commencer ma journée.

Quelques minutes plus tard, toute la petite famille quitte ensemble leur maison en bois pour se rendre à la place du village. Sans surprise, mon père est le premier devant pour indiquer la voie à suivre même si nous la connaissons tous déjà. Nous sommes nés ici et nous y vivons depuis plusieurs années déjà, le village n’a donc plus rien à nous cacher. Derrière lui avance mes deux grandes sœurs, toujours silencieuses, et je suis bon dernier, comme toujours. Heureusement, ma mère m’accompagne et elle m’a offert son bras pour que je sois capable de suivre le groupe à un bon rythme sans craindre de trébucher sur quelque chose. J’ai beau avoir un long bâton qui me permet de quadriller la zone devant moi quand je marche et éviter de tomber inutilement, ce n’est pas totalement efficace.

Cependant, tout en marchant et en appréhendant l’annonce du chef, mes pensées divergent d’un coup vers mon partenaire dont je ne sens pas la présence autour de moi. J’admets ne pas trop avoir songé à lui après m’être fait réveillé par le reste de ma famille et je me demande bien où il peut bien être en ce moment.

- Oh non, mince...
- Qu’est-ce qu’il y a ?

Je me sens tellement mal pour mon meilleur ami que je sens une boule de nervosité me nouer l’estomac. J’espère qui ne m’en veut pas de ne pas m’être occupé de lui ce matin.

- Je crois que j’ai oublié Gruikui à la maison. Tu crois que... ?
- Oh ne t’en fais pas. J’ai aussi laissé Mentali à la maison. Je pense que c’est mieux que les pokémons évitent les foules, d’autant plus que tout le village a été invité sur la place aujourd'hui. Il risque d’y avoir beaucoup de monde.

Elle doit avoir raison. Pourtant, je suis persuadé que mon père est accompagné par son Jungko ce matin vu le bruit des pas que j’entends devant moi, mais il n’a forcé personne à faire de même. L’une de mes sœurs a bien son Hoothoot posé sur son épaule, tandis que l’autre a préféré laisser son Mustébouée à la maison. Au final, c’était à la discrétion de chacun. Il n’empêche que je ne peux cesser de m’inquiéter pour mon partenaire que j’ai lâchement ignoré ce matin, même si on m’a accaparé l’attention dès mon réveil. J’espère de tout cœur qu’il va bien et qu’il ne m’en voudra pas d’être parti comme ça.

Aux dernières nouvelles, il était venu se coucher avec moi hier soir et je n’ai pas fait attention à son petit panier où il a l’habitude de dormir. Normalement, je n’ai qu’à le tâter du bout des doigts pour y trouver le petit cochon et cela le réveille à coup sur, mais comme je ne l’ai pas fait aujourd’hui... Si ça se trouve, il est encore en train de faire la sieste à l’heure qu’il est et il ne s’est pas embêté avec le bruit qui provenait de la cuisine. Je verrais bien où il en est dès mon retour, lorsque le chef aura enfin fait son annonce.

En arrivant sur la place centrale, la petite famille a du mal à en croire leurs yeux. En temps normal, il s’agit d’un grand espace ouvert dont le sol est fait en pierre. Tout autour se trouve une promenade en bois qui fait le tour du village et au centre de la place se trouve une fontaine faites à la main par les maçons du clan. Il y a des bancs ici et là et un puit un peu plus loin au cas où les gens auraient une petite soif. C’est ici que s’arrêtent les artisans locaux afin de vendre leurs produits et beaucoup d’échanges en tout genre ont lieu ici, sur cette grande place qui peut accueillir énormément de gens. Du coup, personne ne s’attendait à ce que l’endroit soit noir de monde, on peut à peine apercevoir les pierres qui tapissent le sol. Étant incapable de voir quoique ce soit, je laisse ma mère me guider là où il y a le moins de gens et étonnement, nous finissons par nous arrêter près de la fontaine.

Avec les voix qui résonnent tout autour de moi, j’ai vraiment du mal à me situer dans l’espace, mais du haut de son estrade, le chef ne tarde pas à élever la voix pour se faire entendre. Je croyais qu’il parlerait d’un quelconque système d’espionnage et du lancement d’une guerre contre un clan adverse, mais il commence plutôt par reparler de toutes les catastrophes auxquelles nous avons faites face. Il semblerait qu’il y ait eu une nouvelle mort infantile au cours de la dernière nuit et c’est ce qui aurait motivé le conseil à prendre la parole ce matin. Qu’ont-ils l’intention de faire ? J’avais déjà songé à la possibilité que les dieux pouvaient êtres en colère contre nous juste à voir tous les malheurs qui s’abattent sur nous, mais je n’ai jamais eu l’audace d’oser me mettre en travers de leurs autorités. Si les dieux croient que nous méritons tout ça, alors il faut l’accepter. Je ne sais pas ce que l’on a fait pour les décevoir à ce point, mais ça doit être assez important.

Du coup, quand le chef propose une idée pour tenter de regagner notre horreur auprès des divinités, je dois me retenir de ne pas ouvrir grand la bouche de stupeur. Je n’arrive pas à y croire. Construire une statue pourrait nous faire pardonner ? Je ne pense pas que l’idée soit mauvaise en soit, à la limite ça nous permettrait de faire un peu de déco autour du village pour soutenir notre affiliation à Dialga, mais je ne pense pas qu’une statue pourra régler tous les problèmes que nous avons. Les dieux en demandent peu et sont très généreux, mais quand même... Après, c’est lui le chef, il a été élu pour son charisme et sa sagesse, alors peut-être qu’il a raison sur les effets que pourrait apporter la statue. Et puis, au fond, nous n’avons plus rien à perdre. Si nous ne faisons rien, nous allons continuer de nous morfondre et les prochains décès ne feront qu’accroitre notre peine. Il faut tenter notre chance.

Bon, en tant qu’aveugle, je ne sais pas trop comment je pourrais apporter ma pierre à l’édifice, mais il est hors de question que je reste dans mon coin à attendre que les autres terminent le travail sans moi. Je me dois de participer. Hors de question pour moi d’aller dans les mines, mais je pourrais peut-être continuer de récolter de la nourriture comme j’ai l’habitude de le faire dans notre ferme. Les champs seront bientôt prêts pour la récolte et tous les gens du village auront besoin de manger pour regagner des forces afin de poursuivre leur travail. Je pense que je peux être à la hauteur de cette tâche.

Une fois l’annonce terminée, la grande majorité des villageois se mettent déjà au travail en organisant différents groupes afin de mieux récolter les matériaux dont ils auront besoin pour la construction. Sans surprise, mon père décide de les accompagner et j’entends tranquillement sa voix se perdre au sein des autres. Inutile de l’en empêcher, il nous gueulerait surement dessus si on essaie de l’en dissuader. Du coup, toujours un peu sous le choc, le reste de la petite famille décide de rentrer et une fois la porte d’entrée refermée derrière moi, je m’empresse de me diriger vers ma chambre pour voir si mon petit compagnon est toujours là. En entendant du bruit, la petite créature s’est finalement réveillée et elle ne tarde pas à venir se jeter dans mes bras comme si rien ne s’était passé. Je suis vraiment soulager de voir qu’il va bien et qu’il ne semble pas m’en vouloir.

Pendant ce temps, mes sœurs et ma mère se sont rejointes dans la cuisine pour discuter de ce qu’elles vont faire pour aider à la construction de la statue. Leurs sorts semblent inévitables et elles devront rester ici pour effectuer la récolte des champs qui commencera d’ici peu de temps. Il y a toujours moyen d’aller cueillir de la nourriture en forêt au besoin, mais en général les quantités sont moins copieuses qu’avec la ferme. Dans tous les cas, cela pourrait nous permettre de varier les plats proposés, car comme il a été annoncé, les gens qui bucheront ou qui iront dans les mines auront besoin de nourriture. La moitié du village, si ce n’est plus, ne sera plus chez eux alors ils seront incapables de se préparer à manger en étant ailleurs. N’empêche, cela doit être spécial de voir un aussi grand village que le notre a moitié désert. J’espère que ça n’attira pas les convoitises des autres clans si jamais un espion passait par là.

- Les filles, à moins que vous ayez envie d’aller en forêt, j’aurais besoin de vous pour récolter les champs. Je crois que nous pourrons commencer à ramasser les haricots dès demain. Ils seront peut-être un peu petits, mais la situation étant ce qu’elle est... nous n’avons pas le choix de fournir. Quant au maïs, il sera prêt d’ici quelques jours, donc il ne nous restera plus que les carottes et les patates à recueillir.

Désormais toutes assises à la table, la discussion va bon train et chacune accepte de faire sa part de travail. La plus âgée de mes sœurs ira en forêt dès cet après-midi pour tenter de trouver des herbes aromatiques ou encore des champignons et la plus jeune restera ici pour aider ma mère à arroser les plantes. Il nous faudra pas les laisser dépérir alors que la récolte approche. Puis, elles essaient de trouver une solution pour la suite, car c’est bien beau de ramasser des légumes, ce n’est pas ça qui va soutenir ces hommes forts et costauds qui travaillent dur toute la journée. Ils auront besoin de protéine, de viande fraiche que seule une famille voisine pourra leur fournir avec leur bétail. Il y aurait peut-être moyen de combiner les deux types de nourriture quelque part afin de préparer de bons repas bien copieux.

La conversation va bon train et personne ne semble avoir remarqué que je suis là, je reste donc le plus silencieux possible afin de pouvoir glaner des informations en les écoutant. Dans mes bras, Gruikui se montre lui aussi intéressé par la discussion, mais le fait qu’il s’agite un peu trop dans mes bras aura surement comme conséquence de nous faire repérer, sauf si notre présence est déjà remarquée. C’est peut-être déjà le cas, mais ma famille ne va pas non plus me repousser juste parce que j’écoute, alors je n’ai aucun moyen de savoir si c’est vrai. Cela serait me priver de ma seconde nature.

Du coup, ce qui devait arriver, arriva. Du coin de l‘œil, ma mère repère rapidement du mouvement et la conversation s’interrompe brusquement. Perplexe, les deux filles tournent la tête tout autour d’elles pour se rendre compte que leur frère est lui aussi présent dans un coin de la pièce et elles semblent un peu dégoutées, autant par lui que par leur mère qui préfère se taire soudainement en présence de son fils.

- Tiens Owen, ça tombe bien que tu sois là. Nous parlions de ce que nous allions faire au cours des prochains jours et des prochaines semaines. Il va falloir donner son maximum pour fournir de la nourriture à tout le village.

Me sachant démasquer, je fais alors un pas en direction de la voix de ma mère, mais je reste quand même à bonne distance pour éviter de gêner qui que ce soit. C’est une habitude que j’ai développée à force de toujours me trouver dans les pattes des autres et je trouve ça insupportable de se faire bousculer sans arrêt. Ma famille ne semble pas s’en soucier et je hoche ensuite la tête pour signifier à ma mère que j’ai bien compris ce qu’elle vient de me dire. Cependant, je ne trouve rien à lui répondre.

- Il va falloir qu’on te trouve quelque chose à faire, mon garçon. J’ai bien peur que tu ne pourras pas rester ici pendant que tous les autres travaillent.
- Je veux bien, mais je... heum... ça risque d’être compliqué.
- Allons, tu arrives à entretenir les champs et à récolter des légumes pour nous. Que ce soit pour nous ou pour les autres villageois, c’est la même chose, tu ne penses pas ?

Puis, il est décrété que je devrais partir en forêt avec ma sœur dès que nous serons prêts pour l’aider dans sa récolte, car en étant deux aux champs avec leurs pokémons respectifs, ils vont êtres largement assez nombreux pour pouvoir s’acquitter de cette tâche. Je ne déteste pas aller en forêt, mais j’avoue que je ne m’y attendais pas. Partir avec ma sœur ainée pourrait me permettre de discuter avec elle et d’en apprendre plus sur l’enjeu de la statue, mais j’ai aussi l’impression que je serais rapidement une épine dans son pied. Je ne le sais pas encore, mais ma sœur, elle, n’est pas très enchantée d’apprendre qu’elle va devoir supporter son cadet pour le reste de la journée.

J’hésite à faire part de mes craintes étant donné que ma mère semble être si confiante. Elle et Sarah auront pour tâche d’arroser les plantes et de noter quelle partie du jardin est plus apte pour la récolte prochaine et nous, il nous faudra ramener des herbes ou des champignons. Je pense être capable d’en trouver, avec Gruikui ce n’est qu’une petite balade de santé et son odorat est idéal pour débusquer des trucs sous terre. Nous l’avons déjà fait par le passé et cela avait impressionner tout le monde à la maison, même mon père. Je sens qu’il sera encore capable de m’épater.

- Mère, je... je ne pense pas que...

Étant donné que la conversation était en train de dévier sur un autre sujet, Theresa prend alors son courage à deux mains pour faire part de son mécontentement vis-à-vis la décision de sa mère. Celle-ci, un peu piquée au vif, coule un regard en coin à sa fille ainée.

- Tu n’es pas d’accord ? demande-t-elle, un peu sèchement. Tout le monde doit mettre la main à la pâte et vous ne serez pas assez de deux pour fouiller la forêt de fond en comble. N’as-tu pas envie de passer un peu de temps avec ton frère ?
- Et bien... pour être honnête, je crois que je serais bien mieux seule avec Mustébouée pour trouver des plantes. De plus, il saura me protéger en cas de besoin.

J’aurais pu prévoir ce moment mille fois. Malgré que mes sœurs ne m’aient jamais fait le moindre mal, j’ai toujours senti une certaine distance entre elles et moi, comme si elles faisaient exprès de m’isoler en permanence. Elles passent beaucoup de temps ensemble, mais dès que j’essaie de m’approcher, elles préfèrent se barrer sans rien dire. Je peux comprendre qu’elles ne se sentent pas proche de moi, voir même à l’aise avec moi, puisqu’elles se retrouvent toujours obliger de me surveiller, mais ce n’est pas de ma faute si je suis dans cette condition.

- Dois-je te rappeler que le partenaire de Owen a le meilleur odorat de toute la famille ? Si tu as l’intention de ramasser des champignons, tu n’y arriveras jamais sans lui.

Dégoutée du comportement de sa fille, elle doit se faire violence pour garder son calme. Cela fait des années qu’elle voit ses enfants se diviser, qu’elle voit ses filles passer beaucoup de temps ensemble alors que son seul et unique garçon passe ses journées en solitaire avec son pokémon pour seule compagnie. Elle ne peut pas les forcer à rester ensemble et à s’apprécier, mais elle espérait un peu plus de compassion et de tolérance de la part de ses enfants. Du coup, sa décision reste la même et elle espère en silence que cette journée en forêt donnera une bonne leçon à Theresa qui partait déjà avec un certain recul à l’idée de devoir trainer son frère partout. Avec un peu de chance, elle aura l’occasion d’être ridiculisée bien comme il faut par Gruikui et ses talents de pokémon fouineur.