Les cliquetis des instruments et autres vibrations du bol métallique m’agrippent l’oreille et le corps d’une façon étrange. J’ai l’impression de n’avoir entendu un tel « brouahaha » contrôlé que dans les films ou les documentaires. Mais là, c’est devant moi. Autour de moi. Une ambiance comme nulle part ailleurs, avec des moines aux visages sévères, concentrés, une décoration d’un autre temps et la perspective d’un rituel dont je ne sais absolument rien.

Mais je ne me débine pas pour autant. A mes côtés, la jeune femme boit le bol qui lui est tendu, comme si ce n’était qu’une formalité. J’ai un léger temps d’arrêt tandis que Kostya s’y met à son tour. Puis Lally gueule à plein poumons pour dire que c’est sans danger et franchement… on a vu mieux comme confirmation. « Hé, faut pas crier comme ça ! » Même sans être dans un temple où le temps paraît suspendu. Les moines, eux, n’ont pas l’air plus étonnés que ça. Ca devrait me mettre la puce à l’oreille mais je percute pas (peut-être parce que j’ai perdu plusieurs décibels entre temps !).

Alors je goûte à mon tour, pas bien convaincu par l’odeur qui monte à mes narines.Très vite, l’espèce de goût qui rappelle le gingembre me fait grimacer. « Errrr... » Sauf que les deux autres y sont allés franco, alors je vais pas passer pour le lâche du groupe. Je fais glisser la fin du liquide dans mon gosier et remue la tête de gauche à droite comme pour mieux faire passer ce mélange dont les saveurs matchent absolument pas avec mon palais. J’ai un peu de retard sur le reste du groupe mais, tout comme Kostya, je vois Lally qui tombe en arrière, sous l’effet de je ne sais quoi. « Ouais, ça doit être ça... »

Mais c’est pas dit que ce ne soit que pour elle, parce que très vite mon compagnon d’infortune se penche un peu trop vers l’avant et je m’entends prononcer un « Hé... » comme pour l’avertir qu’il tombe mais les mots ne sortent pas comme ils le devraient. Ma bouche me paraît pâteuse et c’est comme si les vibrations du bol m’aspirent à mon tour. Sans que je le réalise, me voilà qui tombe sur le côté, sans même me faire mal.

Je comprends rien.

Quand je me réveille (?!) c’est le black-out dans ma tête. Ouvrir les yeux est difficile. Et lorsque je m’appuie de la main, je sens de l’herbe sous moi.

De l’herbe ?!

D’un coup je me redresse en arrière et c’est maintenant une vaste étendue d’herbe qui s’étend devant moi. J’ai comme l’impression d’avoir trop dormi et de me réveiller la gueule dans le pâté.

« J’suis où là ?! »

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(457 mots)

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Les silhouettes sorties de nulle part retiennent assez vite mon attention, tout comme celle de Lally. Je suis sur les genoux, dans l’herbe, tout à regarder autour de moi et essayer de comprendre ce qui se passe. Je sens bien que si je me lève trop vite, mon corps ne va pas apprécier. Et puis, à quoi bon se presser ? C’est pas comme si ça changerait quelque chose, non ?

« J’avoue, on crève de chaud. » A entendre Kostya, on est tous du même avis. Quand je me redresse enfin, je réalise que j’ai toujours mon sac banane avec moi… mais plus le badge que j’avais accroché. C’est bizarre que ce soit ça que je percute le plus, au-delà de tout le reste. Le type aux cheveux châtains, lui, cherche déjà des explications logiques.

« Ils nous auraient endormi et déplacé ? Vous croyez ? … Chelou leur animation. »

D’autant qu’on a vraiment l’air d’être au milieu de nulle part, si on met de côté les montagnes et la forêt visibles au loin, derrière nous. Tandis que je me retourne, je capte à peine que les ombres n’en sont plus et sont désormais arrivées à notre niveau. Deux femmes, un homme. Ils parlent avec Lally puis Kostya, et moi je les écoute sans pouvoir me contenir. Quand le silence revient et que Kostya campe sur ses positions, j’ai un fou rire qui me prend.

« Bon sang, on dirait un escape game super bien ficelé, ou un truc du genre ! Faut qu’on trouve la sortie, c’est ça ? Va y’avoir des énigmes et tout ? »

Mon air goguenard contraste complètement avec les sourcils froncés des trois inconnus. La femme qui semble leader le groupe reprend la parole : « Je ne comprends pas vos mots. Votre venue est signe d’espoir, vous devez nous accompagner. » Elle insiste et moi je les fixe rapidement, alors que le Feuforêve aux drôles de couleurs est à nouveau appelé par Kostya. La deuxième femme, plus en retrait, l’observe l’œil brillant.

« C’est comme dans un jeu vidéo, non ? Ce sont les PNJ et si on les suit pas on n’aura pas le détail de la quête ? » Je saurais même pas expliquer pourquoi mon cerveau réagit ainsi, peut-être parce que c’est la seule façon qu’il a de se « rattraper » à quelque chose. Oui, tout paraît trop réaliste. La chaleur qui crame mes avants-bras, l’herbe sous nos pieds et le sérieux de ces personnes… pour autant, je n’arrive pas à saisir le comment du pourquoi. Je tente quand même :

« Et si on ne vous suit pas, il se passe quoi ?
- Vous nous suivrez, vous n’avez pas le choix.
- Pourquoi ?
- Vous n’êtes pas chez vous ici, les soleils reconnaissent les étrangers, ils ne seront pas cléments avec vous. Vous vous perdrez sans pouvoir résister à leur chaleur… c’est la mort qui vous attend.
- OK… - je me tourne vers les deux autres – il a des arguments quand même. »

Puis je lève la tête et la tourne de gauche à droite. En effet, ce sont deux soleils nous surplombent, l’un à l’Ouest, l’autre à l’Est. Je murmure en les pointant du doigt « Deux soleils… c’est dingo. Vous aviez capté, vous ? »

Dans mon dos, une nouvelle voix s’élève, celui de la deuxième femme qui a les yeux rivés sur le Feuforêve. « Lui, il le sait. Vous devez venir avec nous. »

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(570 mots)

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Deux soleils, c’est deux fois plus de chaleur et de luminosité, mais c’est aussi deux fois plus de rayons dans ma face. Et si y’a bien un truc qui me permet de savoir que tout ça n’est pas du pipeau ou quoi, c’est le picotement bien connu que je ressens au niveau de mes yeux, tandis qu’on papote. J’essaie de maintenir l’attitude du type qui prend ça moyennement au sérieux – parce que c’est franchement le cas – mais je m’applique quand même rapidement à fouiller ma banane à la recherche du Saint-Graal.

Au temple et au festival, le ciel était encore couvert… mais là, ces soleils veulent ma mort ! Ma paire de lunettes de soleil en main, je me précipite pour les mettre sur mon pif. Ça va, j’ai pas pris les plus extravagantes, c’est une paire prévue pour le sport, en général, et qui passe mieux dans la banane. Je m’habitue un instant au changement de luminosité tout en écoutant les conversations. Les trois inconnus se regardent avec un air entendu, tandis que Kostya et Lally se demandent bien pourquoi il était question de la Feuforêve.

La plus jeune femme de l’étrange trio semble être la plus « mystique » du lot, vu sa façon de parler. Kostya pense quand même que son pokémon veut en savoir plus, alors allez savoir, ça se rejoint peut-être.

« En même temps, c’est pas comme si on avait trop le choix. » J’ai Jazz et Jiana avec moi, leurs pokéballs toujours bien attachées à ma ceinture, et cela me rassure. Si je ne les avais plus, je serais sans doute moins serein.

D’un ton des plus laconiques, l’autre homme répond à la championne, concernant la distance qui nous sépare de leur fameux village. Le pragmatique du lot, celui-là. « Y’a sérieusement des gens qui comptent au-delà de 1000 pas où vous avez un podomètre caché quelque part ? » Jouer au con m’amuse, parce que, bien entendu, les autres ne captent pas vraiment ce que je raconte, si ce n’est le sourcil levé de monsieur-trop-sérieux.

« Allez, un pas après l’autre. » Kostya partage un même emballement et toute la troupe se met en route. Deux mille pas, c’est clairement pas la mort, mais c’est la chaleur qui rend le tout difficile. Heureusement, notre objectif n’est pas bien loin et l’on rejoint assez vite un bosquet. Il y a des arbres, de l’ombre, de la fraîcheur et vus nos visages, on préfère ça. Je prends une grande respiration. « Sympa ici. »

Faut dire que le contraste est saisissant, et on n’est pas au bout de nos surprises. Nos guides nous poussent à traverser les arbres et devant nous… une ville. Ou un village, comme ils veulent. « Percu...piopolis. » Le nom est marrant, les syllables roulent bien sur la langue. Ça fourmille de monde… et de pokémons. « Hé, regardez ! » Sur le côté, un imposant Pachyradjah qui aide à pousser de gros blocs de roche.

« Vous faites des travaux ?
- … Les soleils forcent à chercher de l'ombre. Notre population grandit, il est normal que notre village en fasse autant. »

C’est sûr. Je jette un regard circulaire sur tout ce qu’on voit, il y a du monde, beaucoup portent des tuniques colorées et décorées de toutes sortes de symboles. Les bâtisses sont pour la plupart faites de roches et de bois, avec des formes arrondies étranges. Une architecture que je n’ai jamais vue.

« On devrait se faire un selfie ! » J’dis ça avec un large sourire, comme un touriste. En même temps c’est ce qu’on est, non ? L’histoire du rituel, moi, ça me passe loin au-dessus du crâne. Naturellement je vais pour chercher mon téléphone dans ma banane et… « J’ai pas mon tél. » Je percute aussi. « Et j’ai pas ma montre. » Génial, manquerait plus qu’on nous ait fait les poches. « Fait chier. »

Le trio ne semble pas vraiment vouloir nous faire visiter et se moque de mes pertes, car la leader fait remarquer : « Suivez-nous, vous devez la voir. »

La plus jeune femme ne dit rien, elle, les yeux toujours rivés avec fascination sur la Feuforêve.

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(704 mots)

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