- Je savais que j'aurais dû lui proposer de venir. T'es bête Léo, t'es vraiment trop bête ma parole ! Mais va te pendre autour d'une corde le long d'une falaise la prochaine fois ! Ouais ! Va donc !

Qui est ce grand gaillard au corps sculpté par des années d'entrainements, habillé d'un débardeur bleu royal, d'un short plutôt long, d'une couleur similaire, avec des baskets montantes de la même couleur avec des liserés jaunes pour donner dans un style plus urbain que sportif, laissant voir des chaussettes hautes de couleur jaune ? Qui est donc cet homme dans la force de l'âge qui s'arrache le peu de cheveux courts et bien entretenus qui se trouve sur sa tête, tout en s'injuriant de mots plus familiers les uns que les autres ? Bah c'est moi. Leonis Amicitia. En bêtises et en frustration. Pourquoi me direz-vous ? Tout simplement parce que j'avais eu cette riche idée de ne pas écouter mon instinct, et d'avoir opté pour une attitude mystérieuse et bourrée de sous-entendus qui n'avait bien évidemment été ni interprétée de la bonne manière, ni n'avait été source de résultats concluants.

Autant j'avais l'air penaud à ne pas savoir quoi dire ni quoi faire de plus devant mon téléphone portable tout juste récepteur d'un réseau quasi inexistant dans ce coin de la région de Sinnoh, Célestia ; autant j'avais également le don de me mettre dans des états pas possibles dès lors que je pensais à son visage, son nom, son sourire. Cela fait déjà quelques mois maintenant que nous opérons ce jeu du chat et de la souris, et j'ai l'impression d'être le chat qui perd quoi qu'il arrive, et que le rongeur peu malgré lui se gausser de mon ridicule. De qui je parle ? Bah, de Zelliel bien sûr. Suivez un petit peu.



- Enfin bref, ce n'est pas en me parlant tout seul que ça règlera cette histoire. Il y a une belle récompense à la clé, il va falloir que je m'active et que je parte à la recherche de ces pierres de constructions.

Oui, ce n'est ni le moment ni le lieu pour commencer à penser à cette personne qui chamboule tout dans le cœur et dans l'esprit depuis peu. J'ai une mission à accomplir dans le cadre de cet évènement spécial de la ville de Célestia. En effet, pour une petite semaine de vacances loin de la pension, j'ai décidé de prendre part à une sorte de compétition de construction, visant à intégrer une équipe répondant au nom de l'un des trois dragons de la légende de Sinnoh - à savoir Dialga, Palkia et Giratina - de partir à la recherche de ressources en tout genre pour pouvoir ériger une statue à leffigiede l'un de ces trois dragons, et honorer les organisateurs de cette folle mini-aventure en rendant un hommage vibrant à la ville et à ses traditions. Pour ma part, j'ai intégré l'équipe du dragon Dialga.

Ainsi donc je m'enfonce dans ce qui s'apparente être une forêt de feuillus. Des chênes, des ormes, des séquoias, même des érables et autres représentants sylvestres de cette partie de Sinnoh. Si j'avais été assigné au métier de forestier, j'aurais pu me faire un festin sylvicole avec tous ces spécimens aux branches fermes et robustes d'écorces. Au contraire, j'ai la lourde tâche de m'imposer en tant que mineur, de trouver une grotte, une petite carrière ou ne serait-ce qu'un gisement de pierres ou autres métaux rocailleux et précieux, afin de participer à la fabrication d'un revêtement spécifique à la future statut.



Seulement voilà, ma quête de pierres en tout genre allait très rapidement connaitre un moment d'interruption, alors que je parvenais à venir à hauteur d'une sorte de paroi rocheuse située en bas d'une pente très raide, très herbue et possédant quelques représentants des épineux. Un craquement de branche d'arbres. Puis un impact au sol. Deux premiers sons qui semblaient venir d'au-dessus de ma tête, mais ne sachant pas trop où regarder, j'attendais d'en entendre plus pour être sûr de ne pas sur la trajectoire d'un potentiel désastre. Des bruissements de gazon sauvage, plutôt lent mais rythmés, puis de plus en plus rapide, puis... un cri ? C'est à ce moment-là qu'une sorte de boulet de canon non identifiable vint percuté l'un des arbres situés juste à côté de moi, évitant de justesse la collision directe avec mes jambes qui n'auraient certainement pas pu résister au choc.

- Atouch...

Ah. Ce n'était pas juste un rocher ou un élément du décor sylvestre du coin. Mais bel et bien un individu. Ou plutôt UNE, individu. Une femme d'un jeune âge qui ne prit pas le temps de se plaindre qu'elle était déjà en train de fustiger sur place, pestant contre quelque chose qui semblait lui avoir échappé.

- Non... Non ! Non non non non ! C'est pas vrai !

On aurait juré que c'était moi il y a quelques dizaines de minutes de cela. La femme à la chevelure soyeuse et châtain semblait chercher quelque chose avec ferveur et hâte. Une fleur ? Un rondin de bois qu'elle aurait récolté auparavant ? Je ne la reconnais pas donc elle ne fait pas partie de mon équipe. Une concurrente ? Dois-je l'aider ou l'abandonner à sa détresse ? Je ne peux décemment pas lui faire ça, d'autant plus que l'impact contre cet arbre a forcément laissé des traces, il faudra que je lui demande si elle veut bien que je l'ausculte rapidement, et m'assurer qu'il n'y a pas de trauma trop lourd.

Puis je remarque qu'un objet semble clignoter au sol, de couleur rose fluo, à quelques mètres plus loin de l'arbre contre lequel la collision avait eu lieu, tout proche d'un buisson assez touffu pour le dissimuler. Elle, ne s'en aperçoit pas, plongée dans son stress de l'instant. Je fais quelques pas sur le côté, m'empare de l'objet de la convoitise supposée de la demoiselle, puis reviens vers elle afin de potentiellement lui annoncer une bonne nouvelle.

- Hé oh ? *pensant ne pas avoir été assez audible* HÉÉÉÉ OH ! C'est ça que vous cherchez ? brandissant l'objet rose fluo, un téléphone portable.

C'est un regard vert d'eau qui soudainement furète dans ma direction, ou plutôt devrais-je dire, en direction de l'objet portatif rose qui se trouve dans ma main au moment où elle répond à mon appel. Ah, douce ironie linguistique. L'appel, le téléphone ? *soupire intérieur* Oui je sais, ce n'est pas du meilleur goût en termes de jeux de mots, mais au moins, ça a le mérite de faire passer la pilule. Pourquoi ? Parce que tout simplement, je viens à me retrouver face à une de ces pré-adultes en mal de réseau social et de connexion internet, pardi !

Comment en suis-je sûr ? La réaction de la jeune femme au teint hâlé et à la chevelure brune parsemée de quelques reflets clairs comme le sable fin d'une île. Tel un petit Ponyta devant un jouet, et vient trottiner en direction du combiné portable, prenant tout juste le temps de se dépoussiérer de toute la terre qu'elle avait accumulée dans sa chute. Avait-elle mal quelque part ? Était-elle blessée ne serait-ce qu'un petit peu ? Pas d'ecchymose ni éraflures à contrôler ? Difficile à dire tellement la joie sur son visage semble dissimuler la potentielle peine physique de l'instant.

- Trop bien merci ! souffla-t-elle. Vous imaginez MÊME PAS à quel point ça me soulage !
- Pas de quoi.

A vrai dire, si. Je sais très bien à quel point cela peut soulager un jeune de nos jours de pouvoir remettre la main sur cet objet du quotidien dont la fonction première a été complètement détournée. Avant, on téléphonait simplement, avec ces objets dissimulables dans n'importe quelle poche de nos habits. Maintenant ? On fait des photos. On réalise des vidéos, des courts métrages même. On joue sur des applications récréatives, parfois ludiques, mais la plupart du temps abrutissantes. On se connecte sur des sites de rencontres. On socialise virtuellement avec des personnes que l'on n'a soit jamais vu, soit presque jamais connu auparavant. Alors si, vu la réaction de la fille à la peau doré, j'imagine bien toute la détresse juvénile hyperconnectée qui devait se tramer dans son esprit.



- Rah non purée ! Je me suis cassée un ongle ! J'avais fait la manucure juste avant de partir, j'suis archi-dégoutée. En plus c'est un trou paumé, pas moyen de trouver une esthéticienne pour réparer ça... Et il n'y a même pas de réseau ! La méga-loose.

Le pompon sur la rivière de Jade. Non seulement j'ai affaire avec une personne accro aux smartphones et à certainement toute la nouvelle technologie qui s'y rapporte, mais en plus de ça, il fallait que je tombe sur LA femme la plus coquette du festival, pour qui l'état des ongles peut importer plus que l'actuelle tournure des évènements, à savoir, une chute qui aurait pu faire plus de dégâts encore, que ce soit pour elle, ou pour des pokémons qui se seraient trouvés sur son chemin de débaroulade.

- Vous aussi vous faîtes le truc des dragons là ? demanda-t-elle après une profonde inspiration.

Alors, soit mes oreilles sont devenus dysfonctionnelle en l'espace de quelques microsecondes, soit j'ai bel et bien entendu ce qu'elle vient de me poser comme question, et n'hésite même pas à trahir un désintérêt total pour l'évènement ? *Jeune fille, il va falloir que je refasse votre culture de la découverte et le goût de l'effort, ça ne va pas du tout.* Oulah... voilà que je pense comme un vieillard de cent-cinquante ans. L'horreur.

- Le Festival des Trois Dragons ? L'épreuve de récolte de ressources pour construire une statue à l'effigie de l'un des dragons de la légende que nous représentons ? De quoi s'entretenir sur une activité physique au service de la culture et du goût de l'entraide ? la questionné-je rhétoriquement, comme pour souligner toute l'importance de l'évènement. Oui en effet. Je fais partie du groupe des mineurs pour le compte du stand consacré à Dialga. Et vous ?

Je ne sais pas réellement comment est-ce que cette question va être reçue, ni même si ma légère pointe de sarcasme dans mes questions à la volée vont trouver écho chez la jeune femme. Mais au moins, ça permet de remettre l'église au centre du village, et de parvenir à un semblant de début de conversation, réelle qui plus est.

- Oh, je ne me suis pas présenté. Leonis. Coordinateur de la région du Kantô.

- Poehere Teiki, je suis influenceuse et dresseuse à Alola.
- Enchanté Poehere.

Ceci explique cela. Une influenceuse. C'était le nouveau métier à la mode ces temps-ci, les plus jeunes adolescents ne font qu'en parler, comme si c'était devenu le Saint Graal du monde de demain. En fait, ce n'est pas tellement la fonction ni le type de métier qui m'est aberrante, à m'en faire froncer les sourcils de perplexité à l'annonce de Poehere, mais surtout la dénomination que l'on fait de ce métier. Influenceur. Ça veut dire quelqu'un est en train d'influencer ? Qui donc ? Qui peut-être assez naïf pour se faire influencer sur ses propres choix de vie ou ses propres envies du moment ? Ah bah les jeunes, tout compte fait. Ces petites têtes encore malléables de réflexions et de conceptualisation de la vie, encore incapable de prendre la moindre part de responsabilité dans les choix qu'ils font, quitte à mettre à mal un cocon familial propice à une transmission de valeurs et de savoirs beaucoup plus intéressants que de passer sa vie sur un écran de téléphone, à regarder un étranger ou une complète inconnue donner des leçons sur différents thèmes réels, dont même eux parfois ne savent pas quoi en dire de plus que des détails superficiels.

Et puis, ce n'est pas que je suis vieux jeu ou méprisant de la possible personne qui est devant moi, mais quand j'entends des dénominations comme « le dragon rose là » ou « e trucs des dragons » en sachant très bien à quel sujet ces concepts appartiennent... j'ai du mal à croire qu'elle puisse être dans la capacité d'influencer qui que ce soit de quoi que ce soit. Et puis, c'est quoi cette insistance sur l'état de sa manucure ? Cette fille ne parait pas aussi stupide qu'elle fait mine de laisser croire, serait-ce une façade à faire voir à quiconque la rencontre pour entretenir son aura virtuelle ? Difficile de faire plus antithétique que cette pensée. Ma foi.

- De Kanto à Sinnoh, y'a une sacrée trotte. Vous êtes venus ici que pour le festival ?
- Je dois bien avouer que c'était ma motivation première. commencé-je à répondre. Mais je suis également là pour élargir mon réseau de connaissances. Je suis tout nouveau dans le métier de l'élevage pokémon, d'où mon parcours de coordinateur. Alors je me disais que je pouvais éventuellement faire connaitre ma structure par-delà le Kantô, histoire de me faire un petit peu de publicité. affirmé-je.


Au final, mon but n'est pas si différent que ce métier d'influenceur, sauf que les moyens d'actions sont plus archaïques, plus conventionnelles, basés sur un engagement physique et moral réel, et pas par écran interposé. Alors oui, l'attrait de pouvoir faire tout ce que je fais via les réseaux, sans que cela ne prenne ni trop de temps, ni trop de ressources, m'était venu à l'esprit dernièrement, lorsque je mettais à jour la page internet de la pension. Mais je me dis qu'au final, la faire à l'ancienne, au contact même d'un public averti qui saurait écouter mon argumentaire, ça ne peut qu'être positif en termes d'ouverture au monde. Ma curiosité prend alors le pas sur mon envie de progresser plus loin dans la forêt pour continuer la besogne qui m'avait été attribuée.

- Et du coup, vous êtes influenceuse dans quelle domaine ? Le dressage pokémon j'imagine ? Je suis curieux de connaitre les rouages du métier. questionné-je.

Cette fille me donne c'est mauvaise impression de ne pas s'intéresser à quoi que ce soit d'autre que sa petite personne, quitte à dénigrer un petit peu le discours de celui d'en face. Non pas que je décèle en elle un désintérêt profond pour l'Humain, mais on sent qu'une flamme égocentrique et nombriliste se cache derrière ces yeux verts. C'est à la fois extrêmement irritant, et je dois faire mon maximum pour ne pas paraitre offensé ou ne serait-ce qu'ennuyé, mais c'est aussi assez déroutant car on se demande comment une influence de son calibre, si tant est qu'elle en soit un, peut avoir aussi peu de considération pour de potentiels nouvelles personnes intéressées par ce qu'elle fait réellement.

Néanmoins, je sens que la partie de ma réponse consacrée à élevage et à mon but temporaire de pouvoir promouvoir mon travail et mon établissement l'interpelle et l'intéresse un tantinet plus que de savoir pourquoi je suis venu à Célestia en n'étant pas du coin ; argument que j'aurais très bien pu lui retourner, mais n'étant pas friand des conversation à sens unique, je préfère ne pas faire cas de cette pseudo-répartie de midinette.

- Bah en fait, le contenu que je propose est assez varié vous voyez. Je fais des vlogs sur les trucs à faire à Alola, des tuto makeup et coiffure, des get ready with me, des FAQ, des haul, ma routine body summer avec du pilates et de la cuisine healthy...
- Tout ça ? réponds-je un peu penaud.

En soi, tout un jargon divers et variés pour dire qu'elle se produit elle-même, pour elle-même, par elle-même, avec l'excuse des auditeurs virtuels qui sont censés la regarder, l'admirer, suivre ses conseils et être ébahi par une vie qui n'est pas la leur et qu'ils pourraient vivre par procuration. Ma foi. Je ne mange pas de ce pain-là, et mes rares virées sur l'internet sont pour y glaner des informations pratiques sur des pokémons, leur régime alimentaire, leur mode de fonctionnement face à certains éléments, et aussi, leur potentiel énergétique en cliquant de-ci de-là les éventuels témoignages et autres retours professionnels et fondés par de véritables recherches, de la part d'autres éleveurs.



- ... mais je parle aussi du défi du tour des îles. C'est un truc d'Alola, comme la collection de badge d'arène dans les autres régions, sauf que chez nous c'est plus... traditionnel. En gros, l'idée c'est de montrer qu'on peut être belle et redoutable dans une arène.
- Là ça me parle un peu plus en effet. répliqué-je. J'ai également une petite revanche à prendre sur le monde de la coordination, et ses standards de beauté alambiqués et peu représentatifs du potentiel des pokémons. Être beau sans pour autant être cliché, voilà mon leitmotiv. avoué-je.

Et là, on ne pourra pas me dire que je ne fais pas d'efforts pour m'intéresser à la personne qui me propose de tenir cette conversation. Aussi simpliste que soient ses motivations, j'ai aussi les miennes, et c'est toujours plus intéressant de les confronter, et de voir les personnalités véritables qui s'en dégagent. Là, pour le coup, la fille superficielle et uniquement attirée par le standard de beauté d'une femme de son âge, je découvre une dresseuse au tempérament de feu, prête à relever les défis les plus rustiques et les plus conflictuels pour se hisser en haut du tableau.

En revanche, pas sûr que de mentionner le fait que ce ne soit qu'une coutume d'Alola ne joue en sa faveur. Si seulement une partie du monde propose ce mode de défi, en marge de ce qui se fait dans toutes les autres régions, validé par les différents organismes liés à la Ligue et à l'Elite... on peut venir à douter de la légitimité de ces défis et de la popularité de ce mode de fonctionnement. Mais soit, chacun voit midi à sa porte, et la conquête des badges et autres objets symboliques d'une victoire officielle pour se rapprocher du QG de la Ligue sur Johto valent tout autant que n'importe quel autre format de challenge.



- Qu'est-ce que vous élevez comme pokémon au fait ? m'interroge-t-elle avec un sourire franc mais néanmoins légèrement déformé par la douleur.
- Disons que j'élève des pokémons de tout horizon, toute région, sans discrimination de type ou de niveau. commencé-je à répondre, avant de me gratter le menton dans une moue chagriné. Je pense cela dit que la priorité pour le moment est de soigner votre blessure à la cheville. admets-je. Si vous me le permettez, je vais vous aider à marcher en faisant soutien jusqu'au sac à dos que j'ai laissé un peu plus loin sur le chemin. proposé-je en me rapprochant de Poehere.

Ne sachant pas si la femme accepterait, je ne me rapproche pas jusqu'au bout, la laissant me faire signe si oui ou non l'aide proposée était bienvenue ou non. Dans ma tête, je pensais déjà à ce que j'allais lui dire de plus sur ma pension, sur les pokémons que j'aimerais élever par-dessus de tout, et surtout, la récente addition d'un Zorua d'Hisui et d'un Trousselin parmi les rangs de mes compagnons, tous deux reliés à l'élevage.