Le père et le fils restèrent alors mutique et immobile pendant de longues minutes, sanglotant chacun de leur côté, sans s'échanger un seul nouveau regard vitreux. Clémentine semblait affectée elle aussi, mais paraissait plus inquiète pour la santé mentale de l'homme de sa vie et de son beau-père qu'elle estimait tout de même. Elle me confia alors en aparté qu'il y a de ça quelques moins, la mère d'Albert était partie lui rendre visite de depuis Carmin-sur-Mer, pour se rendre sur Safrania, là où ils habitaient tous les deux après leur mariage. Comme à son habitude, Patricia, sa belle-maman, avait l'habitude de passer par les quartiers mal famés de la grande ville de l'arène de Sabrina. Comme à son habitude, elle parvenait à passer sans aucun problème, devenant une sorte de petite figure symbolique d'une époque révolue et mais inspirant la sympathie et la bonhommie des quelques malfrats qui peuplaient les environs, et qui la surnommait « Super Patty », en l'honneur de sa gentillesse, de sa bonté et de sa miséricorde exceptionnelle envers les personnes dans le besoin. Mais son dernier voyage fut le dernier. Alors qu'elle passait dans cette rue sombre et peu encline à devenir stable et épurée de son hostilité nauséabonde, un voyou décida qu'il s'agirait de son dernier jour de vie. Au prix d'un larcin lamentable que de celui de voler son sac à main, dans lequel on ne pouvait y trouver que son portefeuille, une photo de nous prise au mariage, son vieux téléphone mobile et quelques petites crèmes antirides, elle qui pensait pouvoir lutter contre cette anomalie épidermique, preuve du temps qui passait sur son visage.

Les quelques habitués ont décrit la scène avec une sidération surnaturelle. Patricia avait tenté de raisonner le trouble-fête en lui proposant de passer son chemin, et d'attendre qu'elle eut pu parler avec le gérant d'une petite boutique de farces et attrapes, afin de lui dégoter un petit boulot temporaire pour se faire deux trois sous en attendant de trouver mieux. Sauf que l'homme désormais incarcéré à la prison de la Route Victoire ne l'avait pas entendu de cette oreille, avait sorti un couteau, et s'était empressé de la poignardé à l'abdomen avant de fuir les lieux avec son sac, mais laissant tomber son téléphone et la photo de notre mariage dans sa débandade. Un habitant du voisinage prit le courage d'aller tenter de faire pression sur la plaie béante de la pauvre dame, sommant quelqu'un d'autre témoin de la scène d'appeler les secours ainsi que la police, pour reporter tout ce qui avait été vu et entendu. Le code d'honneur de ce quartier chaud fut sans appel, et tous se mobilisèrent pour sauver Super Patty, mais en vain.

Elle succomba à ses blessures à l'hôpital public de Safrania, alors que son fils passait la porte de sa chambre, appelé en urgence de depuis son travail sur Céladopole. C'est lui-même qui eut la lourde tâche d'appeler son père pour lui annoncer la triste nouvelle.

- Et depuis, il se sent coupable de ne pas avoir pris son jour de congé auprès de son patron. Il se dit que s'il avait été présent, il serait aller à sa rencontre, comme à son habitude, à l'autre bout de ce quartier connu pour sa population animée et parfois hors-la-loi. Mais il savait qu'ils n'avaient pas un mauvais fond, et que grâce à eux, sa mère était toujours de bonne humeur, toujours prête à voir un nouveau jour se lever pour continuer de faire ses bonnes actions de la journée. me confia Astride.
- Mon garçon... *snif* ...ce n'est pas ta faute tu sais... *snif* ...c'est cet homme qui nous l'a volée... *snif* ...et je me suis laissé aveugler par la cupidité et la volonté de prendre ma revanche sur tous ces malheurs qui se sont abattus sur notre vie depuis... *snif* ...si j'avais su l'état dans lequel tu étais depuis tout ce temps... *snif* ...je suis désolé fiston ! Pardon d'avoir été un mauvais père ces derniers temps. s'excusa Norbert, en tombant dans les bras de son fils.
- Papa... *snif* ...s'il te plait, ne part pas comme maman d'accord ? *snif* Juste un coup de téléphone, ou un message, à intervalles réguliers, juste pour être sûr que rien ne te sois arrivé... *snif* ...je ne supporterai pas de te laisser partir comme elle, seul et sans défense ! Je ne le pourrai pas ! *snif*


Astride expliqua par la suite que le comportement de Norbert avait changé le jour de la mort de sa femme. Que s'il s'était découvert une nouvelle passion du larcin, c'était avant tout pour exorciser sa peine d'une façon ou d'une autre, mais avec cette volonté malsaine et masochiste d'endosser le même rôle que celui qui a volé la vie de sa moitié. Qu'il se laissait aller aux plus farfelus des plans loufoques pour tenter d'attirer l'attention sur lui, tout en volant aux autres ces choses qu'ils considéraient comme inutiles, puisqu'après tout, c'est ce qui s'était passé par la tête de ce malfrat aujourd'hui écoulant une peine de prison à perpétuité, sur accusation de vol aggravé et avec homicide volontaire. La nouvelle lubie criminelle du vieillard avait été alors observée par sa belle-fille, qui remarquait que certains objets de valeurs disparaissaient de leur appartement lorsque ce dernier venait leur rendre visite. Son fils remarqua aussi une fois, au détour de la gare de Safrania, que Norbert s'amusait parfois à faire quelques tours de prestidigitations tout en chargeant l'un de ses pokémons de faire discrètement les poches de ses victimes crédules et attentives à ses tours.

Astride ajouta qu'à cette époque déjà, Norbert se contentait de sortir tout seul, dans la rue, sans vraiment prendre plus de précautions quant à faire savoir où il allait, qu'est-ce qu'il faisait, qui il pouvait voir ou fréquenter, lui qui n'avait pas pour habitude de débarquer chez ses amis à l'improviste. Son fils passait parfois des heures à faire sonner le téléphone fixe de la maison de sa père, la maison familiale dans laquelle il avait grandi, sans qu'aucune réponse ne se fît entendre. Graduellement, jour après jour, semaine après semaine, Albert commençait à ressentir des montées d'angoisse inexpliquées, des frissons lui parcourant l'échine à longueur de temps, et parfois même quelques cauchemars agrémentant ses nuits de quelques scénarios d'horreur dans lesquelles il voyait un sort peu glorieux réservé à son paternel. Il arrivait tout simplement à bout de l'humainement possible à encaisser, et il fallait que lui et Astride eussent agi pour le bien de Norbert.

C'est comme cela que la belle-fille me raconta que pendant quelques jours, posés en tant que congés sans solde de chacun de leur côté, le couple se mit en tête de vouloir suivre les faits et gestes de Norbert. Dans le quartier où il résidait comme à son habitude, les voisins leur confiaient qu'ils ne reconnaissaient plus l'homme qu'ils avaient en face d'eux, qu'il était beaucoup plus acide, beaucoup plus cynique de son propre sort, et qu'il passait le lus clair de son temps à se voiler la face quant à la disparition de Patricia, qu'il refusait de reconnaitre qu'elle était partie, et qu'il avait un devoir de vengeance à assouvir envers elle. C'est d'ailleurs de là que commença son surnom de Norbert la galère, puisque toutes ses sorties de sa demeure se soldaient pas soit des ennuis avec les forces de l'ordre, soit des embrouilles avec le voisinage ou même des habitants du centre-ville, qu'ils fussent tout à fait ordinaires ou peu recommandables.

Mais la filature ne s'arrêta pas en si bon chemin, outre le voisinage direct, Albert et Astride avaient également suivi les mouvements et les agissements du vieux pêcheur dans le centre-ville même de Carmin-sur-mer. De ses altercations avec des passants au hasard, aux larcins de rue avec des entourloupes plus grosses qu'une maisons mais qui faisait que tout le monde n'y voyait que du feu à chaque fois, en passant également par la case trafic et recel d'objets subtilisés par ses compagnons pokémons de l'époque, un Krabby et un Psykokwak. A ce moment-là, tout fit tilt dans ma tête, il avait utiliser son stratagème sur moi, et je n'y avais vu que l'illusion d'un vieillard sympathique et désireux de partager sa passion de la pêche avec un jeune homme qui pouvait être son fils. Mais il en était tout autre. Astride continua alors son récit, jusqu'à arriver au moment où tout s'était accéléré.

Effectivement, l'une de ses dernières facéties de vengeance de la sordide histoire impliquant cet homme aujourd'hui incarcéré, était de potentiellement kidnappé certains pokémons abandonnés, de voler des pokéballs pleines provenant de sacs de dresseurs sans surveillance, ou encore, de piéger des Pokémons sauvages à l'aide de la participation de personnes lambdas assez crédules - tout comme je l'avais été à ce moment-là - pour prendre pitié du pauvre monsieur, de sa piètre condition physique à l'égard des monstres de puissances rencontrés. Au départ, seule Astride avait été assez impliquée dans les filatures, pouvant s'octroyer du temps de pause de son travail assez facilement - une conductrice de voiture-taxi - et s'était rendue compte de toute la malice et la vénalité de son beau-père par alliance. Et parvenir à faire entendre à son mari que son père continue sa descente aux enfers sur une pente horriblement glissante, se dirigeant tout droit vers la gueule du loup carcéral ne fut pas chose facile. Il fut un long laps de temps pour qu'Albert eusse pu ouvrir les yeux sur les dires de sa chère et tendre, pour commencer lui aussi à prendre de son temps personnel pour parvenir à traquer les faits et gestes de son père, et de toutes les immondicités dont il était l'instigateur, quitte à même utiliser l'aide de personnes innocentes, même des enfants.

Techniquement, leur présence à tous les deux sur le site de pêche était secrète. Jamais ils n'auraient dû intervenir ni même révéler toute cette histoire, mais le fait est que cette situation qui m'avait été imposée sans que je ne le susse ni ne le voulusse, était définitivement la tourmente de trop, l'entourloupe qui faisait déborder le quota de bienveillance et de self-control de la part du fils et de la bru. Le plus choquant pour eux avait été de se rendre compte que pour une fois, le plan du vieux n'avait pas fonctionné, mais qu'il était quand même parvenu à instiller le doute dans la tête d'un dresseur plutôt doué et de son partenaire plus que dévoué. De quoi confirmert l'esprit malsain et désormais mentalement malade du pêcheur, qui se devait, pour une fois, répondre de ses actes et faire amende honorable, d'abord auprès de moi, et auprès de toustes ceuelles qu'il avait abusé dans la confiance et la sollicitude. Autant je trouvais le comportement du vieillard plutôt sympathique, à vouloir absolument se résoudre à pêcher un monstre des mers et des océans, au péril de son dos oscillant entre le cristal fragile et une vieille chaine rouillée ; mais c'était surtout le fait qu'il avait lui-même participé à l'effort de pêche et de possible capture que je retenais dans mon esprit.

Dans ma tête, les choses se bousculaient et les perceptions se floutaient. Pour moi, ce Bernard n'était pas foncièrement mauvais, je l'aurais eu ressenti, et Draco m'aurait alerté beaucoup plus rapidement qu'il n'en aurait fallu. Il n'était pas non plus aussi vil et diabolique qu'il ne voulait bien le prétendre, ne serait-ce que pour se plier aux ordres d'un jeune, dans un domaine qu'il connaissait, tout en admettant volontiers ses limites physiques dans l'action. Rien dans on attitude ni dans son naturel ne laissait présager d'une telle noirceur dans l'âme, ou du moins, d'un tel voile d'obscurité rendant difficile toute sourc de luminosité pour apaiser ses démons intérieurs et calmer sa douleur mentale.

Et il fallait croire que ma bonté était devenue telle que même les pires des situations pouvaient se muer en une sorte de tentative de rédemption notoire pour quiconque croisait mon chemin. Sans vraiment que je ne le prévisse, j'avais déjà développé une certaine empathie pour ce vieillard, à qui on avait injustement arracher l'une de ses raisons de vivre comme un honnête homme, et comme un père exemplaire pour son fils. Connaissant moi-même les déboires que pouvaient engendrer une descente aux enfers psychiques, je pouvais aisément compatir et concéder les débordements de comportement de ce Bernard, et justifier une partie de ses mauvais choix et de ses mauvaises actions. Certes, rien ne pouvait excuser le fait que cet homme eut été en proie à ses démons intérieures et en ait choisi la solution de facilité, à savoir d'y avoir céder et de leurs avoir permis de se matérialiser comme un marionnettiste le contrôlant de depuis l'obscurité. Tout comme je n'avais pas réussi à excuser tous mes excès et mes tentatives de me mettre minable quand j'étais dans cette période infâme de mon début d'âge adulte. Toutefois, j'avais eu cette chance d'être bien accompagné, d'être entouré par une famille aimante et qui avait décidé de ne pas m'enfoncer ni de me jeter la pierre, mais au contraire de me soutenir et de m'aider à avancer vers un chemin plus lumineux, plus digne de moi-même et de mes ambitions.

J'allais devoir faire de même avec Bernard. J'allais devoir participer à un effort de réalisation de situation, en la compagnie d'Astride sa belle-fille, et d'Albert son fils. Il fallait que cet homme en fin de vie ait compris qu'il n'y avait pas d'âge pour opérer un tournant de son existence, et que si on s'entourait des bonnes personnes, tout en se reposant sur sa famille encore présente et encore dévouée, alors rien n'était impossible. Le deuil n'en serait pas pour autant moins dur, mais la peine et le poids de la sollicitude serait d'autant plus léger à supporter, car il ne serait plus seul désormais. Avant de me décider à aller lui parler, je m'assurai que le tout nouveau compagnon de ma fine équipe, le Psykokwak que je renommerais Bunbulama plus tard, eut été en bonne condition, et prêt à rejoindre sa toute nouvelle maison portative, l'hyperball sur laquelle il avait buté plus tôt. Une fois cela réglé, je pouvais entreprendre un nouveau début de conversation visant à proposer une porte de sortie pour le vieux pêcheur roublard.

- Bernard. Vous voyez que votre fils et que votre belle-fille ont encore de grands projets pour vous... initiai-je.
- *snif* Apparemment oui... *snif* ...mais qu'est-ce qu'un vieux croulant comme moi peut bien faire maintenant ? pleurnicha-t-il.
- Je ne sais pas ce qu'ils ont en tête pour vous, repris-je, mais si j'étais à leur place, je tâcherai de me dévouer à une noble cause, pour laquelle votre action signifierait l'aide et le secours des âmes en peine comme l'était la votre jusqu'à présent. conseillai-je.
- Que voulez-vous dire par là ? s'interrogea Albert, curieux de savoir où je voulais en venir.
- Je veux dire par là que votre père devrait se tourner vers un travail associatif.[/color][/b]
- Ça ne serait pas trop contraignant vous pensez ? questionna Astride.
- Au contraire, insistai-je, cela lui permettrait de se rendre utile. De voir du nouveau monde. De partager ses centres d'intérêts et ses expériences avec d'autres personnes partageant les mêmes valeurs que votre père...
- Vous croyez que ça peut fonctionner ?
- ...ça lui permettrait surtout de pouvoir rester actif, de trouver des objectifs quotidiens à accomplir, et de faire une réelle différence dans la vie de personnes en détresse comme il a pu l'être. achevai-je. Croyez-moi, si vous restez à ses côtés, non seulement votre père pourra finir d'opérer ce deuil de la disparition de votre mère, son épouse, sa moitié, sa confidente ; mais en plus, il pourra aller de l'avant, en hommage à elle et à tout ce temps qu'ils ont partagé, et toutes ces beaux cadeaux qu'ils se sont faits par le passé. Dont vous, Albert. terminai-je.
- Merci. *snif* Merci pour lui, et pour nous. *snif* tenta d'annoncer le fils du vieillard alors que sa crise larmoyante reprit de plus belle.
- Merci pour lui. me glissa Astride, plus composée, plus sereine maintenant.
- Comment te remercier fiston ? me demanda Bernard.