Autant je m'attends à ce que l'atmosphère se détende, autant je ne me doute pas une seule seconde que le grand brun, dont je ne connais toujours pas le nom. Est-ce sa nature de gros dur qui cache sa fragilité qui parle, ou alors, suis-je en face d'un véritable complexe de supériorité ambulant, galvanisé par une troupe masculine à ses petits soins et à ses ordres les plus capricieux possibles ? Même ma proposition de payer une tournée en boissons tombe à l'eau au moment même où il ouvre la bouche pour me mettre en garde sur mes intentions. De quoi refroidir mes ardeurs, pour sûr.



Mais qu'à cela ne tienne, j'ouvre mes oreilles et je l'écoute me dire tout ce qu'il y a à savoir pour devenir une vraie éthologue. Tout d'abord, il me parle de l'entretien en présentiel sur l'île du Puwaï, avec la celulle éthologique de la tour de la recherche et du savoir ; chose que je sais déjà, puisque tout était expliquée dans la lettre recommandée pour me lister ce à quoi je devais m'attendre en cas d'acceptation de dossier. Puis il me conseille de me préparer à prendre l'avion ; sans blague. Puis il me conseille de préparer mon dossier en y agrémentant une lettre de motivation, ainsi qu'une ébauche de notes d'explorations pour appuyer ma candidature ; il est vieux à ce point par rapport à moi pour ne pas se souvenir qu'un service de correspondance exceptionnel était disponible pour tout aspirant dans l'incapacité de se rendre sur l'archipel au moment des dates officielles ? La cellule est stricte, oui, mais ils encouragent les véritables motivé.e.s à leur faire parvenir tout ce dont ils ont besoin par n'importe quel moyen possible.

C'est après quoi que mon ouïe commence à se faire plus sélective lorsqu'il conte encore une fois que son parcours à lui a été beaucoup plus facilité que celui de n'importe qui d'autres, qu'il travaillait déjà pour la tour sur l'île, d'où une requalification sans accroc... bla, bla, bla. Même sa tentative de provocation concernant mon statut de femme, d'aspirante, au regard de la supposée exigence à l'obtention de ce sésame qu'est le diplôme national d'éthologie pokémon. Un brin sexiste si vous voulez mon humble avis. Mais s'il s'attend à ce que je m'offusque, comme une gamine d'à peine dix-huit ans, c'est loupé. Je sélectionne ce qui me servira, et le reste, je fais comme si ça n'a jamais été abordé.


Déterminée à quand même passer un bon moment et échanger quelques bouts de conversations avec l'ensemble de l'équipe, je me risque tout de même à prendre les devants, me présenter officiellement, et montrer à ce grand brun punk de quoi bien voulloir reconsidérer ses paroles diminutives de mon intérêt et de ma motivation pour décrocher le job.

- Le p'tit bouchon se prénomme Ajora. Ajora Caldwell, ravie de faire votre connaissance les gars. annoncé-je un brin taquine. Et que cela plaise ou non, je compte bien vous servir votre prochaine tournée : petit bout de femme qui pourrait se faire manger par le monde, mais pleine de ressources cependant. rajouté-je au moment de commander une tournée de bières artisanales blanches et ambrées, pour varier les goûts. Concernant la cellule éthologique de l'île de Puwaï, je suis au courant, pas d'inquiétude. Le dossier d'évaluation est entre leurs mains en ce moment-même, je n'attends plus que la suite de la sélection pour faire ce qu'il faut pour prouver que je suis capable de remplir ce rôle. poursuis-je tout en recalibrant mon regard noisette sur le grand brun. Mais au fait, vous avez l'air d'avoir de l'ancienneté dans le milieu, mais je n'ai pas eu le plaisir d'être présentée. Vous êtes ?

Un ton un brin joueur. Je ne suis pas là pour compter les billes non plus, ni pour accentuer les courbettes que je concède de réaliser pour marquer les formes, et faire office de politesses sociales. S'il compte jouer aux beaufs avec moi, il est mal tombé. Espérons pour l'assemblée qu'il soit plus réfléchi, et plus ouvert à une conversation entre futurs collègues.

Je le sens. Je le constate. Ces manières et ses mimiques ne trompent pas. Il me prend clairement de haut, et se permet même de me dévisager, comme une de ces coutumes féminines qui consistent à jauger la concurrence en regardant de façon dédaigneuse et presque condescendante, de haut en bas. Peut-être qu'il s'attend à ce que je ploie sous la pression de me confronter à un gros d'homme aguerri à l'exercice de l'exploration éthologique. Je ne sais pas vraiment, tout ce que je sais, c'est que je commence à afficher quelques tics nerveux d'agacement : cette espèce de comportement passif-agressif me rappelle les années d'écoles primaires et secondaires, cet âge bête où les apparences sont les jumelles des égos, et où tout se joue à coup de minauderies ou de méchancetés gratuites.

Il faut que je me reconcentre, comme je l'ai dit plus tôt, je ne suis pas venu pour enchainer les courbettes et compter les mouches voler autour des pintes de bière encore sucrées de leur houblon naturel. Je suis ici pour empocher un maximum d'informations sur le métier d'éthologue, afin d'appréhender ma future carrière de terrain dans les meilleures conditions possibles. Avec ou sans l'aide de celui qui se présente enfin sous une dénomination, celle de Rurha de Vil. Ah. Je comprends mieux. Un nom à particule. Un caractère hautain et limite teigneux. Une confiance en lui démesurée. Je vois le genre d'énergumène, un peu de ceux à qui on ne peut rien refuser sous prétexte d'un exploit quelconque ou d'une situation personnelle favorable à l'écrasement social de l'autre.

Ah bah je n'ai visiblement pas visé très loin de la réalité. Monsieur se permet de me montrer son impressionnante - certes - collection de badges de champions d'arènes, ainsi que deux haut-badges provenant de deux passages avec succès devant la Ligue. Pour autant, je ne sais toujours pas qui il est véritablement : un éminent éthologue reconnue de la communauté ? Un puissant dresseur pokémon faisant des explorations comme un simple passe-temps ? Un explorateur intrépide qui aurait référencé plusieurs écrits ou ouvrages validés du monde Pokémon ? Si tel est le cas, alors je devrai présenter quelques excuses pour ne pas avoir été assez curieuse de découvrir des auteurs indépendants, ou des co-écrivains de talent. Mais s'il n'y a rien de mieux que des succès de dressage pour souligner sa carrière d'éthologue, autant dire qu'il y a peu de chance pour que j'en ai entendu parler.

- A vrai dire, non. Je ne suis pas plus intéressée que ça par les combats de dresseurs. annoncé-je avec aplomb et un brin de désintérêt. C'est un domaine dans lequel je n'excelle pas particulièrement, même si je ne me débrouille pas trop mal à un niveau très novice je dois avouer. La seule expectative que j'ai de cette Ligue, serait éventuellement l'accréditation interrégionale accordée aux vainqueurs ; histoire de pouvoir rendre mon futur travail plus officiel et crédible. avoué-je bien humblement. Cela dit, je serai curieuse d'en savoir plus sur votre parcours de compétiteur, et comment il a nourri votre autre parcours d'éthologue. poursuis-je. Vous avez édité des ouvrages sur lesquels je pourrai prendre appui pour de futures explorations ? Ou des guides stratégiques pour allier efficacité et pratique dans l'utilisation des Pokémons pour s'aventurer en terrain inconnu ?


Et enfin les boissons rafraichissantes et festives arrivent à la table, de la part d'un barman plutôt charmant au demeurant. Tout à fait le type d'homme racé, avec une rigueur dans les politesses et une chaleur dans le regard, qui pourrait m'intéresser au détour d'un verre ou deux. Je lui adresse un sourire sincère, un brin charmeur, et un regard noisette légèrement radoucit pour ne pas trahir le précédent agacement provoqué par ce Rurha de Vil.

Le serveur nous dépose gentiment les bières devant nous, pour que chacun puisse se servir. Si les acolytes de Rurha semble accueillir le geste avec plus ou moins de jovialité, le brun, lui, garde un air plutôt méfiant et dédaigneux. Je pense qu'il a décelé ma soudaine perte de contrôle sur mes émotions, et c'était suffisant pour le contenir dans une espèce de vigilance accrue. Je ne peux pas lui en vouloir, si j'étais lui, je ferais pareil. Peut-être un peu moins franchement, mais c'est une possibilité que je pouvais envisager.

Et alors que j'entame ma première gorgée de ce breuvage houblonnier, le grand brun commence à me sermonner sur le fait de ma qualité de novice en combat. Il me parle d'à peu près tous les dangers possibles et imaginables de la nature, surtout représentée par les Pokémons sauvages qui pourraient y apparaitre, sans crier gare, et menaçant l'intégrité de ma vie et de celle de mes compagnons. Je le trouve un brin moralisateur. Je suis bien au courant qu'il existe une myriade de dangers quand on part en exploration. Je sais bien qu'un explorateur peut risquer sa propre vie pour assurer une découverte majeure sur un fait éthologique concernant la race humaine ou pokémon. Évidemment que j'ai déjà pesé le pour et le contre de vouloir m'insérer dans ce projet professionnel compte tenu des éventuelles déconvenues qui pourraient survenir une fois sur le terrain.

Je commence alors à légèrement me détourner de son monologue, prête à reprendre une gorgée de ma boisson fraiche et alcoolisée, quand Rurha relève une partie de son yukata, laissant apparaitre sa jambe gauche, tuméfiée d'une cicatrice impressionnante. Et là, il prend un air plus grave encore. Il raconte que cette balafre qui laissera une trace à vie de sa mésaventure, et la conséquence d'une attaque Osmerang, très probablement venue d'un Ossatueur revanchard qui devait avoir été dérangé dans sa tranquillité par l'éthologue brun et son équipe. De ce que je comprends, le soutien prodigué par ses collaborateurs n'avait pas suffit pour l'extirper de ce mauvais pas, et avait dû se résoudre à être marqué à vif pour s'en sortir. Et autant dire que là, j'avale de travers ma gorgée de bière. Je manque de m'étouffer, mais c'est de circonstance : la brutalité de cette découverte visuelle me laisse sidérée, puis choquée. Je me rends compte alors que je me trompe sur toute la ligne le concernant.

- Je… je n'imaginais pas cela, j'en suis désolée. m'excusé-je. Je n'imaginais pas que cela pouvait prendre de telles proportions. J'imagine que ça vous compte de me raconter tout ça, mais, pourriez-vous me donner plus de détails sur ce qui vous est arrivé et comment vous avez fait pour malgré tout vous en sortir ? demandé-je un peu innocemment. Je suis preneuse de tous les conseils que vous me donnerez. Non pas que je veux contourner la difficulté, ni même me dire que j'éviterai à coup sûr de me retrouver avec un marqueur à vie d'un aléa malencontreux. Mais davantage j'en saurai, et moindre sera le risque de devenir un boulet menacé de vie ou de mort à chaque exploration en zone sauvage. avoue-je alors bien humblement.

Je pense pouvoir être en la mesure de dire que je ne suis pas étonnée de recevoir cette réaction de la part de ce Rurha. Il ne parait déjà pas très sympathique au premier regard, semble être un râleur et un bougon de premier ordre au demeurant, et même quand il s'apprête à faire part de son expertise et de son expérience à travers des épisodes pas évident à relater et des faits de profession avéré et source d'enseignement, c'est son aigreur et son envie de couper court à la conversation qui prime. Je ne suis pas étonnée, certes, mais je reste tout de même peinée d'une telle ardeur dans la tentative de repousser quiconque ne fait pas partie de sa sphère privée. Les garçons qui l'accompagnent ont certainement gagné sa confiance à la sueur de leurs fronts et de leurs prouesses de terrain, mais très certainement qu'il a fallu un point de départ. Un commencement auquel le grand brun devait être passé pour apprendre à côtoyer ces hommes, et à s'en faire des partenaires de travail, et peut-être plus, de vie.


Mais je ne suis pas du genre à désespérer. Cet homme recèle de bien des secrets et de conseils juteux pour la fonction d'éthologue, et comme je sens que la cellule en charge de mon dossier me donnera son feu vert, il me faut absolument plus de renseignements. Alors oui, je vais devoir abandonner la piste de l'anecdote personnelle, son fameux accident d'Osmerang. Mais je peux encore rebondir sur ces quelques conseils données malgré lui. Sur quoi puis-je prendre appui pour détourner la conversation sur du concept éthologique pur, ou sur de l'astuce d'observations et de recherches brute ? Il m'a parlé de l'expérience à prendre en m'entrainant quotidiennement, sans relâche, avec mes compagnons, afin de se définir une hygiène et une rigueur de vie rendant apte la personne voulant s'aventurer en terrain hostile, au nom de l'exploration et de la découverte.

Il m'a conseillé également de trouver le plus de dresseurs adversaires possibles, afin de faire varier mes tactiques de combat, d'aiguiser mes connaissances des types et des stratégies offensives comme défensives, tout en développant mon intuition pour des manœuvres de replis et de fuite. Le tout, saupoudré d'expression très imagées, très graphiques, du sort qui pouvait m'attendre si je ne faisais pas attention d'être armée pour toute cette aventure, comme cette magnifique peinture mentale d'une ruade de Tauros me piétinant allègrement sur leur passage. Oh ! Je sais !


- En parlant de Tauros, j'ai toujours été intriguée par leur comportement hybride en meute mais aussi parfois en loup solitaire. amorcé-je. Vous qui avez de la bouteille et certainement un panel très large d'observations et de rapports éthologiques à votre actif, l'encensé-je, comment aborderiez-vous l'exploration d'une zone habitée par cette espèce pokémon ? questionné-je en arquant un sourcil vers le haut, comme pour feindre un réel intérêt professionnel. J'imagine que vous ne vous contentez pas que de contourner le problème, et que vous avez quelques informations à leur sujet...


Par cette habile tentative de ne pas revenir sur sa mésaventure lui ayant valu cette énorme balafre jambière, j'aborde une étude de cas improvisé, afin de sonder l'homme dont l'expérience de terrain ne devait pas être à douter. Cela dit, je ne m'attends pas à autre chose qu'une nouvelle prise de position farouche et vigoureuse, pour me faire comprendre qu'il ne livrerait pas ses secrets comme ça. Et si la clé de cette conversation venait de l'un de ses acolytes, potentiellement plus enclins à bien vouloir me faire part de leurs propres expériences aux côtés du grand brun, quitte à ce que ce dernier leur adresse une nouvelle fois ce regard si noir et si glaçant.