En venant ici, je ne pensais pas que la conversation irait en ce sens. J’en ai déjà assez de me prendre le chignon avec ma première sœur et j’espérais pouvoir garder une bonne entente avec la deuxième malgré les circonstances, mais il semblerait que je me trompais. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça. Je n’ai jamais eu une bonne relation avec Theresa depuis notre enfance respective, alors ça ne m’étonne pas plus que ça de me faire charier par elle aujourd’hui, mais venant de Sarah ? Elle apprécie beaucoup trop sa sœur pour pouvoir admettre ses erreurs, à moins peut-être d’avoir une bonne conversation avec elle, ce qui est impossible à l’état actuel. Si elles veulent vraiment déclarer la guerre contre moi, elles sauront me trouver, ainsi que le reste de la famille.

- Bon, je crois que je vais y aller. Mère m’avait proposé de venir ici pour voir si tu avais du travail à me donner mais à en juger par ce que tu fais, je ne pense pas que tu ais besoin d’aide.

Je ne cherche pas vraiment à lui faire regretter ses paroles, mais j’avoue que son comportement m’a pas mal refroidi. J’étais motivé pour l’aider dans la grange ou aux champs, mais au final, j’ai bien envie de la laisser se démerder seule. Il y a plein d’autres tâches que je peux faire, au risque d’aller au cœur du village pour demain aux gens s’ils ont besoin d’aide. Ensuite, je rappelle Gruikui qui était encore dans les bras de la jeune femme et ce dernier s’agite un peu afin de se libérer de son emprise. La jeune femme, qui n’a toujours rien dit, se penche un peu pour le laisser descendre et elle est sur le point de laisser partir son frère dans le silence le plus total lorsqu’elle est soudainement frappée par une idée.

- Oh attend ! Il y a bien un truc que tu pourrais faire !

L’instant suivant, elle disparait derrière un mur et je peux l’entendre s’affairer sur quelque chose. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle peut être en train de faire, mais elle ne tarde pas à revenir en portant un gros sac blanc sur les épaules.

- Il faudrait apporter ce sac de farine aux voisins, ceux qui doivent cuisiner pour l’ensemble du village. Il semblerait qu’ils en aient besoin. Ce sont nos dernières réserves, mais comme nous pourrons bientôt récolter le blé, on devrait rapidement pouvoir en produire de nouveau.

Presque à bout de souffle sous le poids de l’objet, elle parvient à le déposer à mes pieds et le bruit sourd qui s’en produit m’indique clairement que la cargaison fait son poids. Intrigué, Gruikui s’approche un peu pour le renifler et je me demande vraiment si je vais pouvoir y arriver seul. Mon compagnon peut toujours me guider à travers le village jusqu’à destination, mais si je dois porter ce truc sur mes épaules, je ne serais plus en mesure d’avoir mon bâton, celui qui me permet de balayer l’environnement devant moi quand je marche. Je ne sors jamais sans lui, même quand je suis accompagné par mon pokémon et le seul fait de pouvoir le tâter me donne un certain confort. Bien que j’ai déjà transporté des ressources de notre ferme à d’autres villageois, je n’ai jamais eu besoin de déplacer une aussi grosse charge. J’espère en être capable.

Je refuse catégoriquement de porter cette charge si je ne peux pas avoir les mains libres. Ça ne serait vraiment pas prudent. Qu’arriverait-il si je perdais l’équilibre et que j’avais les mains prises alors que je tenterais de me rattraper pour éviter de tomber ? Je me ferais mal plus qu’autre chose et à partir de là, je ne serais plus en mesure d’aider qui que ce soit. J’aimerais au maximum éviter ça et je pense que ma requête n’est pas exagérée. D’ailleurs, je me demande bien à quoi pense Sarah pour me confier une telle tâche. Si le sac de farine était moins lourd cela m’aurait fait plaisir de l’aider, mais la charge est juste abusée pour un si petit gabarit que moi et handicapé par-dessus le marché. Elle pense vraiment que je vais être capable de le transporter ?

Heureusement, Gruikui a une idée vers un charriot vide qui se trouve au fond de la grange. J’avais complètement oublié que ma famille en possédait un et il est vrai qu’on l’utilise quand nous avons une grande cargaison de légumes à vendre sur la place du village. C’est beaucoup plus pratique que d’avoir à faire une dizaine d’aller-retour et je pense que c’est l’outil idéal pour me permettre de transporter une lourde charge. Avec l’aide de Sarah, nous réussissons à poser le sac de farine sur le charriot et il ne me reste plus qu’à tirer mon chargement jusqu’à destination. Le poids du transport reste quand même assez conséquent, mais je n’ai pas trop de mal à le tirer et c’est largement mieux que d’avoir à le porter. Je pense que ça pourrait le faire, surtout que la maison où je dois l’apporter n’est pas vraiment loin d’ici. Je n’ai pas besoin de traverser tout le village.

Puis, je salue ma sœur qui reste dans la grange pour continuer son nettoyage, seule avec ses pensées. En compagnie de mon petit cochon qui me sert de guide, je n’ai pas à m’inquiéter. Mon bâton toujours en main au cas où il y aurait un obstacle imprévu sur ma route, je tire le charriot de mon autre main et je parviens à trouver une vitesse de croisière acceptable. Cela aurait sans doute été plus rapide en confiant cette tâche à un non-malvoyant, mais il va falloir s’en contenter. Sans m’en rendre compte, je repasse devant la maison où ma mère est toujours en train de laver les vêtements de la famille et celle-ci ne peut s’empêcher de froncer les sourcils en me voyant passer au long avec ma livraison. Elle se demande bien ce que son fils est en train de faire, mais pour éviter qu’il ne prenne du retard dans son travail, elle se fait violence pour rester silencieuse. Intriguée, elle n’arrive pas à détacher les yeux de lui jusqu’à ce qu’il soit hors de vu et ce n’est qu’à cet instant qu’elle reprend pleinement sa tâche ménagère.

En circulant à travers les rues du village, je me rends compte à quel point les lieux sont déserts. Ce n’est pas habituel. Il y a très peu de bruit ambiant, pas de voix aux alentours ni de conversations que je pourrais capter d’une oreille distraite et je n’entends pas non plus les marteaux des forgerons qui sont normalement bien occupés à cette heure-ci. À croire que cette statue à bouleverser la routine de pas mal de gens.

Le trajet s’avère un peu plus long qu’à la normale étant donné que je suis ralenti à cause du chariot. La charge est tellement lourde que je suis obligé de faire quelques pauses en cours de route, sous le regard attentionné de Gruikui qui se montre toujours aussi patient et je regrette presque d’avoir accepté la demande de ma sœur. Elle a intérêt à en valoir le coup, cette farine. Néanmoins, je fais preuve de courage et de persévérance et grâce à mon compagnon, nous arrivons sains et sauf à destination. En approchant de la dite maison, je constate qu’il y a de l’agitation aux alentours et à l’intérieur, comme si un groupe de gens étaient en train d’y travailler. La plupart des bruits sont étouffés et je n’arrive pas à bien comprendre ce qui se passe, voilà pourquoi je pense que tout se passe en intérieur et mon petit doigt me dit que la famille est occupée à préparer la nourriture pour ce soir, lorsque les travailleurs seront de retour au village.

Étonnement, je suis accueilli sur place comme si j’avais accompli quelque chose d’incroyable. Je connais ces gens puisqu’ils sont tous des voisins à nous, mais je craignais quand même que ceux-ci ne me reconnaissent pas. Tout le monde est ravi de ma livraison, surtout la mère de famille qui me remercie plus d’une fois et me demande si je n’ai besoin de rien avant de repartir, me prenant les mains à chaque fois qu’elle m’adresse la parole. Elle est prête à m’offrir un breuvage ou un morceau de nourriture, mais je décline poliment son offre. Je n’ai vraiment pas d’appétit depuis ce matin et il me tarde de rentrer à la maison pour voir si je peux faire autre chose afin d’aider ma mère. La dame comprend et n’insiste pas, alors dès que mon chariot se retrouve libéré de sa charge, nous nous remettons en route avec Gruikui qui a bien profité de ce moment pour recevoir tous pleins de caresses.

Toutefois, j’étais loin de me douter que cette famille avait une faveur à me demander. À peine ai-je eu le temps de m’éloigner de quelques fois que je me fais interpeler par un homme cette fois-ci et la vu de mon équipement lui donne un idée. En réalité, il s’agit du mari de la femme qui m’a accueilli ici et il aurait une course à déposer chez le forgeron, mais il manque cruellement de temps pour s’y rendre aujourd’hui. Avec mon chariot, je pourrais lui apporter sa livraison en un rien de temps. Comment puis-je refuser de les aider ? Ce ne sont pas des gens que je connais personnellement, mais mes parents m’ont toujours enseigner l’entraide et le fait que ce sont des voisins chaleureux et généreux pèse énormément dans la balance de ma conscience. Du coup, je me retrouve de nouveau enchainer à une charge très pesante qui se trouve à être des buches de bois cette fois-ci. Je ne suis pas certain que j’arriverais à tirer tout ce poids jusqu’à destination.

Au bout d’un longue route qui m’aura paru extrêmement longue, j’arrive enfin chez le forgeron pour y déposer le bois et ce dernier semble très enthousiaste. Apparemment, il lui fallait du ravitaillement au plus vite pour pouvoir poursuivre son travail et le résonnement de ses coups de marteau ne tardent pas à se faire entendre. C’est donc en poussant un soupir de soulagement que je peux enfin retourner à la maison et j’espère que le fait d’avoir joué le facteur sera suffisant aux yeux de ma mère quant à ma part de travail pour la journée. Je n’ai vraiment plus envie de bosser.

Cette nuit aura été beaucoup plus rapide et paisible que la précédente. Il faisait plutôt frais en début de soirée, alors nous avons laissé la fenêtre de la chambre ouverte cette fois-ci, pour essayer de faire sortir la chaleur accumulée de la veille et cela a eu l’effet escompté. Fidèle à ses habitudes, mon maitre s’est couché tôt encore après avoir bien mangé, sous le regard bienveillant de sa mère. Malgré que la construction de cette statue rend tout le monde un peu à cran, Owen est rester le même dans sa façon d’agir en général. Il sait à quel point il est important de travailler pour coopérer avec le reste du village, mais il est aussi réaliste et il sait qu’il ne peut pas tout faire comme une personne normale. Malgré cela, il continue de faire des efforts sans baisser les bras et je dois dire que je suis pas mal fier de lui. Je ne sais pas encore pourquoi cette statue compte autant pour lui, mais je serais toujours là pour le supporter et le guider en cas de besoin.

Cependant, tout le monde était loin de se douter de ce qu’il allait arriver. Alors que les premiers rayons du soleil commencent à apparaitre à l’extérieur, les premiers chants d’oiseaux se font peu à peu entendre. Extirpé d’un sommeil profond et agréable, je redresse vivement les oreilles pour me rendre compte que la nature a commencé à s’éveiller grâce à la fenêtre restée ouverte. Poussant ensuite un long bâillement, j’ouvre enfin les yeux tout en me frottant le museau à l’aide d’une pate pour tenter de chasser le sommeil qui s’agrippe encore à moi. Je pense que je vais devoir réveiller mon maitre encore ce matin puisqu’il ne semble pas bouger d’un poil. Il est peut-être encore tôt pour le faire, mais j’ai l’habitude de le rejoindre dans son lit quand le réveil est imminent. Ce matin ne devrait pas faire exception.

Tout content, je saute avec enthousiaste sur le lit du jeune homme, mais je me rends compte rapidement que quelque chose ne va pas. Owen réagit à peine à ma présence et même en remontant le long de sa taille, il ne semble même pas me détecter. C’est inhabituel, mais peut-être est-il tout simplement bien endormi pour se rendre compte de ce qui se passe ? Un peu inquiet quand même, je me rapproche doucement de son visage pour essayer de le secouer un peu avec mon museau et ce n’est qu’à partir de cet instant que je m’apercevoir à quel point il est brulant. C’est vrai qu’il lui arrive d’avoir chaud, mais jamais à ce point. Cette fois-ci, il sent bien le contact physique et le jeune homme se met à grommeler avant de simplement se retourner dans son lit pour se placer dos à moi. Dois-je en comprendre que je l’importune ? En général il est content de sentir ma présence près de lui et il me fait des câlins, mais ce matin, il y a quelque chose qui cloche.

Sans renoncer pour autant, je continue de m’agiter sur le lit tout en couinant, mais mes efforts restent vains. Owen n’a pas envie de bouger et le fait que son visage soit très chaud ne m’aide pas à me rassurer. Je vais devoir faire quelque chose pour l’aider et vite.

Après avoir tout tenté pour extirper mon maitre du sommeil, je dois me rendre à l’évidence qu’il ne se lèvera pas avec moi. Ça ne lui ressemble pas et je dois essayer autre chose car son état m’inquiète. Un peu affolé, je descends du lit pour me précipiter à l’extérieur de la chambre et je me dirige sans plus tarder vers celle de ses parents qui se trouve juste à côté. En arrivant devant la porte, je suis soulagé de constater qu’elle n’est pas complètement fermer et il me suffit juste de donner un coup de museau dedans pour l’ouvrir. Évidemment, la porte grince sur elle-même en bougeant et ma présence est tout de suite captée par la Mentali qui ouvre alors un œil intrigué. En me voyant débouler dans la pièce, elle se redresse vivement, ses longues oreilles légèrement retournées vers l’arrière.

- Qu’est-ce que tu fais là ? Tu sais bien que tu n’as pas le droit d’entrer comme ça quand les gens sont en train de dormir.

Son ton est froid, sa voix est sifflante, mais ça ne m’étonne pas. Mentali n’a jamais eu beaucoup de patience avec les autres pokémons en général et elle a toujours pris un malin plaisir à décider de tout ce qui lui était possible. Elle aime donner des ordres et que les autres l’écoutent sans rechigner. Il n’y a que les humains qui peuvent agir sans se soucier de son avis, mais pour nous qui comprenons ce qu’elle dit, c’est différent.

- Peut-être, mais aujourd’hui c’est une urgence. Il me faut de l’aide !

Sans faire plus attention à elle, je saute alors sur le lit pour essayer de trouver où est endormie la mère de mon maitre. Mon geste fait grogner la rose qui continue de m’observer avec dédain depuis son cousin, les sourcils froncés, mais je n’ai que faire d’elle en l’état actuel. Owen ne va pas bien et il est clairement ma priorité. À peine me suis-je approché de la tête de la femme que celle-ci ouvre déjà les yeux en grommelant à cause du sommeil qui ne veut pas se résigner à la lâcher, mais dès que son regard se pose sur moi, elle se redresse d’un coup, comme si elle avait compris. Inquiète, elle me demande ce qui se passe et pourquoi je suis là car il est vrai que je n’ai pas l’habitude d’aller dans leur lit comme ça. Je lui réponds par un couinement tout en bondissant hors du lit pour qu’elle me suive et je suis soulagé de voir que la femme se lève aussi, comme si elle avait compris.

Nous déboulons ensemble dans la chambre d’Owen où sa mère s’empresse de s’asseoir à ses côtés. Elle essaie d’abord de lui parler mais son manque de réaction l’inquiète encore plus. Elle pose alors une main sur son front pour se rendre compte à quel point il est brulant et tandis que je me suis écarté pour lui laisser de la place, je suis content de ne plus être le seul à être conscient de l’état du jeune homme. Maintenant que sa mère est aussi au courant, elle devrait pouvoir faire quelque chose et j’aurais donc accomplis mon devoir en tant que partenaire.

Le reste de la matinée a été plutôt agitée. La maman de mon maitre est inquiète et malgré toutes ses tentatives, elle n’a pas réussi à extirper son fils du sommeil. Ce dernier gigote et grommèle de temps en temps, ce qui prouve qu’il est conscient, mais il n’a pas dit le moindre mot même en étant éveillé. Il est clair que la fièvre l’affecte beaucoup. Il va falloir trouver d’où cela vient pour pouvoir le soigner, et vite. Du coup, le sommeil de toute la famille a été écourté puisque la mère a réveillé tout le monde pour essayer de trouver de l’aide. Elle ne peut pas sortir de la maison pour aller chercher le médecin et laisser son fils en souffrance derrière elle. Qu’arriverait-il en cas d’urgence s’il n’y a personne aux côtés du jeune homme ?

Dès qu’elle apprend la nouvelle, Sarah s’empresse de rejoindre Owen pour constater par elle-même les dires de sa mère. Pendant ce temps, cette dernière retourne dans sa chambre afin de réveiller son mari sur qui elle peut compter en général. Toutefois, ce dernier se montre un peu détaché, comme si toute cette histoire ne le concernait pas.

- S’il te plait. Il faudrait vraiment que tu ailles chercher le médecin tout de suite. Plus tôt il sera ici et plus tôt il pourra administrer un traitement pour Owen. Il n’est vraiment pas bien ce matin.
- Bah... je comptais aller bucher encore aujourd’hui et je...
- Hey, ton fils est malade ! Que tu le veuilles ou non, il a besoin de toi. Tu es son père après tout !

Comme d’habitude, l’homme n’aime pas être secoué de cette façon par sa femme. Elle a raison sur le fait qu’il devrait être plus présent, mais il avait des plans et le fait que son enfant soit malade vient tout bousculer ce qu’il avait prévu. Que pensera-t-on de la famille s’il ne se montre pas au rendez-vous qu’il avait organisé avec les autres bucherons ?

- Depuis quand une stupide statue est plus importante que ton fils ? Au diable les dieux et les croyances du chef, si on ne fait rien, la fièvre pourrait nous faire perdre Owen. Est-ce vraiment ce que tu veux ?

Le père de famille a toujours eu une relation difficile avec son fils à cause de sa cécité, il n’a jamais réussi à le comprendre, mais il s’en voudrait de perdre un enfant même s’ils ne sont pas si proches que ça. Ils ont déjà perdu beaucoup trop d’enfants dans le village, hors de question de continuer sur cette voie. Déterminé, l’homme hoche finalement la tête pour signifier à sa femme qu’il a compris et il termine rapidement ses préparatifs avant de sortir de la maison avec son Jungko. Ensemble, ils se dirigent au pas de course vers la maison du médecin qui se trouve presque à l’autre bout du village. Avec un peu de chance, ils seront revenus avant que l’état du jeune homme ne se dégrade davantage.