À ma grande déception, je n’ai pas très bien dormi cette nuit. Déjà la chaleur de la journée m’a grandement amorti, je n’arrivais pas à être assez confortable pour fermer les yeux plus de quelques minutes et j’étais agité. Je cherchais constamment à être rafraichi, mais la faible brise de la nuit n’était pas suffisante même en ayant laisser les fenêtres de ma chambre grande ouverte. Tant pis, je dormirai mieux demain j’imagine. Il y a aussi eu cette dispute entre ma mère et ma sœur qui m’a mis dans tous mes états hier soir juste avant d’aller au lit... ce n’était clairement pas le bon moment. Même en m’éloignant le plus possible, je continuais d’entendre leurs échanges et j’aurais mieux fait de sortir de la maison carrément pour retrouver un peu de calme et de paix, mais dans la précipitation, je suis simplement retourner dans ma chambre. J’ai fait de mon mieux pour me boucher les oreilles et essayer de penser à autre chose, mais rien n’y faisait.

C’était inévitable que notre mère engueule Theresa dès la première occasion. J’aurais même cru qu’elle l’aurait fait pendant le repas, mais elle s’est retenue et à préférer se retrouver en privé avec elle plus tard en soirée pour le faire. Je ne pensais pas que le ton monterait autant entre elles. Je déteste les disputes et j’ai beaucoup de mal à endurer le bruit, alors j’ai préféré prendre la fuite quand j’ai senti que la tension montait. Malgré moi, j’ai entendu presque toute la conversation et j’en suis venu à la conclusion que ma sœur ne me portait pas dans son cœur. Je le sentais déjà, son langage non-verbal et son comportement en général m’a toujours laissé croire qu’elle restait à distance volontairement et j’ai eu la confirmation de ce sentiment hier soir.

Selon elle, je suis un cas désespéré et il faudrait arrêter de m’aider, que d’échouer à effectuer des tâches simples me permettrait d’apprendre de mes erreurs et que si vraiment je n’arrive à rien, et bien que c’est une simple évidence de sélection naturelle. Dans la nature, les pokémons faibles et handicapés meurent rapidement. Ils sont délaissés, ignorés et personne ne vient les aider, pas même leurs propres parents. C’est cruel mais c’est comme ça, une créature en santé ne va pas gaspiller son énergie à aider un plus faible. Si cela se produit chez eux, alors ça devrait aussi se produire chez nous. C’est réellement ce que ma sœur pense de moi actuellement. Elle souhaiterait me voir mourir et je trouve ça aberrant d’entendre ça de sa bouche après tous les décès prématurés que nous avons subi dans le village.

Évidemment, ma mère et mon autre grande sœur, Sarah, étaient toutes les deux choquées par ses propos. Un long silence pesant avait suivi et aucune d’entre elles n’osaient reprendre la parole, jusqu’à ce que ma mère se lève pour frapper sa propre fille. Puis, elle lui ordonna de quitter la maison, qu’elle n’était plus la bienvenue chez nous et que les dieux devaient avoir pitié d’elle. Sans un mot, les yeux empli de larmes, Theresa était alors sortie dans la nuit, accompagnée de son fidèle Mustébouée. Personne ne sait où elle peut bien se trouver en ce moment, mais ça m’est un peu égal honnêtement. Si elle souhaite me voir mourir, alors j’imagine que je devrais penser la même chose d’elle.

Du coup, je dois admettre que je ne sais pas trop quoi faire aujourd’hui. J’ai une flemme monumentale de me lever de mon lit et la dispute de hier soir ne m’aide clairement pas à avoir un regain d’énergie. J’essaie de me convaincre que je ne suis pas une merde et que j’arrive à accomplir des trucs dans ma vie, mais les paroles de ma sœur me reviennent sans cesse en tête. Je me doute bien qu’elle est la seule à penser de telles choses à mon égard dans la famille, mais je crois que n’importe qui se sentirait comme moi en ayant vécu la même chose. Je vais devoir trouver un moyen de me motiver pour reprendre le travail, car tout le monde s’attend à ce que je participe à ma façon à la construction de la statue. Ma mère m’a même laissé le choix du travail à effectuer aujourd’hui, je ne suis pas obliger de retourner en forêt ou d’arroser les champs, alors je ne peux vraiment pas fuir mes responsabilités. Ce sera sans doute difficile, mais je n’ai pas le choix.

Malgré tout, je réussis à trouver le courage suffisant pour me redresser sur mes coudes et ainsi être en mesure de m’asseoir sur mon lit. Face à moi se trouve l’une des fenêtres de ma chambre par laquelle passe enfin un léger courant d’air rafraichissant. Cela fait du bien de pouvoir évacuer un peu de chaleur finalement et je suis persuadé que j’arriverais à me rendormir grâce à cette fraicheur après cette nuit difficile, mais je ne peux pas me le permettre. J’ai une grosse journée de travail qui m’attend et bien que je ne sache pas si la matinée est déjà bien avancée ou pas, je vais rapidement devoir me mettre à la tâche. Étant donné que je n’entends aucun bruit dans la maison, j’ose croire que tout le monde est déjà sorti, ou peut-être sont-ils parti à la recherche de Theresa. Je ne sais toujours pas si elle a réussi à trouver un refuge où passer la nuit, mais quelque chose me dit qu’elle a simplement opter pour être hébergé ailleurs dans le village, chez une copine à elle ou chez un membre de la famille.

Sentant du mouvement près de lui, Gruikui se retrouve lentement extirper de son sommeil. Après s’être ébouré et d’avoir pousser un long baillement, il remarque que son dresseur est déjà réveillé et d’un coup, ses longues oreilles se dressent sur sa tête. Poussant un couinement heureux, il se lève et bondit hors de son petit lit pour venir me saluer. Je sursaute malgré moi devant ce comportement amical car je ne m’attendais pas à entendre du bruit d’un coup, dans un environnement si calme depuis un bon moment déjà. Reconnaissant mon compagnon, je le caresse un peu maladroitement tout en lui demandant s’il a bien dormi et s’il se sent d’attaquer à entamer cette nouvelle journée, à quoi il répond par un second couinement enthousiaste. Je crois avoir ma réponse et nous allons donc pouvoir partir ensemble.

Toujours un peu amorti par le sommeil, je me glisse hors de ma chambre afin de descendre au rez-de-chaussé pour atteindre la cuisine. Je ne pourrais pas travailler avec un estomac vide, même si l’appétit n’est pas trop là ce matin, je vais quand même devoir me forcer à avaler quelque chose pour espérer être productif. Et puis, Gruikui semble être affamé, alors il vaut mieux partir cette journée du bon pied.

Le silence qui règne dans la maison est assez surprenant et je me demande bien où se trouve tout le monde. J’imagine que Sarah n’est pas dans son assiette suite au départ de sa sœur, ce qui est totalement compréhensible, elle doit donc être sortie pour pouvoir remettre de l’ordre dans ses pensées. Du moins, moi c’est ce que je ferais si je n’allais pas bien, je ressens toujours un certain soulagement quand je prends mes distances face à mes responsabilités pendant quelques temps. Toutefois, mes parents, eux, doivent forcément êtres dans le coin. Avec l’état d’urgence décrétée par le chef du village, cela m’étonnerait fortement qu’ils se soient barrés. Mon père est peut-être retourner avec les autres bucherons afin de se mettre et au travail et du coup, ma mère doit être seule aux champs. Ou pas, mais je dois d’abord descendre au rez-de-chaussée pour pouvoir en juger.

D’ailleurs, je me demande de quoi ils ont bien pu parler hier soir après le départ de Theresa. Mon père était-il d’accord avec la décision de ma mère ? Je n’en suis pas convaincu, c’est assez extrême comme conclusion, mais la seule chose dont je suis sur, c’est que je n’ai rien entendu d’une éventuelle conversation entre eux après le départ de cette dernière qui s’est fait dans les cris et la violence. Soit ils n’ont rien dit, soit ils ont été discrets, soit je me suis endormi tellement vite hier soir que je n’ai été témoin de rien. À voir, je devrais avoir la réponse à toutes ses questions d’ici peu de temps. Une fois au niveau de l’escalier, je commence tout doucement à descendre tandis que Gruikui dévale la pente presque en glissant. Seul le grincement du bois sous mes pieds se fait entendre et bientôt, les couinements impatients de mon partenaire s’y ajoute car il n’en peut déjà plus de m’attendre. Est-ce qu’il y a un moment dans la journée où il n’est pas toujours affamé celui-là ?

Dans la cuisine, je débute une véritable expédition. Un rapide passage sur la table en étirant bien les bras me prouve qu’il n’y a rien qui a été laissé sur place, je jette donc mon dévolu sur les comptoirs près de lévier. À part un couteau sale qui semble avoir déjà été utilisé et quelques miettes de pain qui trainent ici et là, je ne trouve rien d’autre. Il semblerait que ma famille soit déjà passer par là aujourd’hui car les traces que je trouve semblent fraiches, mais personne n’a laissé un truc à manger facile d’accès. Ma mère ne devait pas avoir la tête à ça ce matin et je ne peux pas lui en vouloir, à moins que tout ceci soit l’œuvre de quelqu’un d’autre. Grâce à Gruikui, je réussi à mettre la main sur quelques fruits et sur un morceau de pain que nous partageons ensemble, toujours dans le silence. Ce n’est pas le meilleur petit-déjeuner possible, mais cela conviendra largement, surtout que je n’ai vraiment pas faim.

Avant de quitter la maison, j’en profite pour boire un maximum et ainsi éviter une possible insolation. Je ne sais pas quelles seront les températures de la journée, mais hier il a fait très chaud et j’ai très peu bu au cours de ma petite balade en forêt, alors j’aimerais ne pas reproduire cette erreur deux fois. Cela pourrait être dangereux et Gruikui ne pourra pas faire grand chose si je perds connaissance. Étant donné que j’ai le champ libre aujourd’hui pour travailler, j’ai bien l’intention de rester près de la maison s’il fait vraiment chaud, comme ça, ça m’évitera bien des soucis, autant pour lui que pour moi.

Une fois nos estomacs bien remplis, il est maintenant l’heure de partir. Je ne sais pas trop où nous irons de si on matin, mais j’aimerais au moins savoir s’il y a quelqu’un dans les champs avant de prendre une décision. Mon sac sur l’épaule et mon fidèle long bâton à la main, je suis désormais prêt. Toujours en compagnie de Gruikui, j’ouvre la porte d’entrée dans un long grincement sinistre pour ensuite sentir les premiers rayons du soleil tomber sur mon visage. La chaleur est moins pire que la veille, mais nous sommes encore en matinée, alors ça risque de changer. J’espère juste que je ne souffrirais pas autant cette fois-ci.

À peine ai-je mis le pied à l’extérieur que j’ai déjà l’impression de sentir la présence de quelqu’un. J’entends un bruit pas très loin qui me parait familier, on dirait presque qu’on frotte deux objets ensemble et que cela produit une légère éclaboussure d’eau à chaque fois. Comme s’il s’agissait d’un bain. C’est assez étrange dit comme ça, mais il m’est difficile d’être plus clair et précis sur les bruits que je peux entendre. Cependant, je ne me suis pas trompé par rapport à la présence humaine et une voix ne tarde pas à m’interpeler en m’apercevant hors de la maison.

- Bon matin, Owen. Comment tu vas ? J’espère que tu as bien dormi malgré la chaleur.

Je n’ai aucun mal à reconnaitre la voix de ma mère et cela confirme qu’elle est là en train de faire la lessive. Avec tout le monde qui travaille un peu partout pour subvenir aux besoins du reste du village, la femme doit trouver le temps de laver les vêtements. Elle ne peut compter que sur elle-même pour le faire. De ce fait, elle s’est installée dans un coin à l’ombre de la maison pour y être plus confortable. Penchée vers l’avant, ses cheveux légèrement trempés sous l’effort, la respiration un peu rapide, elle lève un regard tendre vers son fils qui vient visiblement d’émerger.

- Oui, ça peut aller. Où sont tous les autres ?
- Et bien... ton père est parti aider les autres bucherons très tôt ce matin. Il n’a presque rien dit après s'être levé et il s’est enfuit comme un voleur. On dirait qu’il a peur de moi en ce moment, ajoute-t-elle en riant. Et puis, ta sœur est censée être aux champs en ce moment. Je ne sais pas si elle y est toujours.

Je suis étonné d’apprendre que Sarah est en plein travail en ce moment, j’aurais cru qu’elle prendrait une pause après le départ soudain de sa sœur. Ces deux-là ont toujours été très proches et si l’une d’elle réussi à accomplir quelque chose, la deuxième veut toujours lui emboiter le pas. C’est comme ça depuis leur enfance. On pourrait presque dire qu’elles sont jumelles, alors que ce n‘est pas du tout le cas. J’avais même craint qu’elle parte et qu’elle tente de retrouver Theresa pour la ramener à la maison, mais il semblerait que je me sois inquiété pour rien. Je pourrais peut-être passer aux champs pour essayer de l’aider dans la journée, si la météo veut bien coopérer.

Bien que la femme ne dit rien à ce sujet, elle est contente de voir son fils, comme à chaque matin. Elle aura beau dire qu’elle aime tous les membres de sa famille, elle a toujours eu une petite préférence pour son fils. Serait-ce parce qu’il est le seul garçon de la fratrie ? Ou bien parce qu’il est plus vulnérable que ses sœurs ? Aller savoir. Son père n’a jamais été très proche de lui car il ne sait pas comment ce comporter envers un aveugle et ses sœurs ont surement du sentir une légère distance à l’égard de leur mère. Ça explique peut-être le côté provocateur et mauvaise langue de Theresa, si elle sent que sa mère l’aime moins que son frère, cela serait compréhensible qu’elle essaie de le mettre en retrait des autres. Dans tous les cas, cela n’est pas le problème aujourd’hui et la femme reprend rapidement son travail en prenant un autre bout de vêtement complètement trempé.

- Je t’avoue que je ne sais pas trop quoi faire aujourd’hui. Avez-vous pu récolter quelque chose hier ? Avons-nous besoin de laver des légumes ?
- Sarah devrait pouvoir récolter des haricots aujourd’hui. Ils sont encore un peu petits, mais ça suffira pour l’instant. Comme je t’ai dit hier, tu as le champ libre pour faire ce dont tu as envie, mais peut-être que ta sœur aura besoin d’aide au courant de la journée. Ensuite, il faudra préparer les haricots et les apporter chez les voisins pour qu’ils puissent les cuisiner.

Évidemment, la fermière serait du genre à garder une petite partie de ses récoltes juste pour ses besoins personnelles, mais elle sait que cela attirait la colère des autres villageois. Cette crise est vraiment pénible à gérer et elle ne comprend toujours pas pourquoi certaines personnes ont été dicté d’effectuer une tâche bien précise. En tant que fermière, elle se doit de récolter ses champs et d’apporter de la nourriture aux autres, mais elle n’a aucun cas le droit de les cuisiner. Les éleveurs de bétails ont les mêmes restrictions et ce n’est franchement pas pratique si on considère que le village entier doit travailler ensemble pour construire une statue. Le chef aurait du laisser les familles travailler à leur façon plutôt que de les obliger à faire ceci ou cela.

- D’accord, je vais aller voir aux champs ce qu’il se passe. Avec Gruikui, peut-être que nous pourrons êtres utiles.

Je suis incapable de voir ma mère hocher la tête, approuvant ainsi mes paroles. Le bruit des vêtements frottant sur la planche de bois reprend alors et je me doute bien qu’elle a encore beaucoup de choses à faire à la maison suite à l’absence de mon père. Je suis toujours aussi surpris d’apprendre qu’il part tôt le matin pour bucher toute la journée, à croire qu’il nous évite. Ça ne lui ressemble pas de nous laisser comme ça, mais il doit bien y avoir une raison. En soit, il rapporte du bois précieux et personne ne pourra le blâmer de bosser dur en ce temps de guerre. Tout le monde doit mettre la main à la pâte. Sans rien ajouter, je m’éloigne alors en direction de la ferme, Gruikui sur mes talons et toujours aussi enjoué.

Je n’ai pas besoin de marcher très longtemps pour arriver à destination puisque les premiers champs que nous avons bécher se trouvent à une dizaine de mètre de la maison. Cela fait déjà plus d’une trentaine d’années qu’ils ont été crée et ils fournissent toujours autant de nourriture à notre famille, c’est quand même incroyable. Au départ, la terre n’était pas très bonne et mes grands-parents, qui vivaient encore ici à l’époque, avaient l’intention de tout détruire pour aller rebâtir leur maison ailleurs, mais il s’est avéré qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour le faire. Leur seul espoir était de vendre leurs précieux légumes, mais c’était inutile d’y penser à ce moment-là. À chaque année, ils priaient donc pour que les récoltes soient encore meilleures que l’année précédente et au bout d’un certain temps, après que la terre ait profité de l’engrais des plantes, elle a commencé à produire de plus en plus de légumes de bonne qualité. Au final, la nature s’est fortifiée toute seule et mes grands-parents ont laissé tomber l’idée de déménager.

Malgré que les champs s’étendent loin sur une surface plate, il n’y a aucune trace de ma sœur à l’horizon. Je ne suis peut-être pas en état de le constater par moi-même, mais Gruikui m’entraine vers la grange qui se trouve un peu plus loin, grange qui a elle aussi été bâtie par les premiers résidents de cette demeure familiale. Bien que ce soit un vieux bâtiment presque abandonné aujourd’hui, nous nous en servons toujours pour entreposer certains matériaux, comme des sacs d’engrais, de la farine ou bien des semences. Je crois que mes aïeuls s’en servaient aussi pour l’élevage de pokémon car il semblerait qu’il y ait des vestiges de parc intérieur en bois qui devait leur être utile en cas de pluie, mais nous n’élevons plus de pokémon depuis quelques générations. Notre famille a préféré se tourner vers l’agriculture plutôt que l’élevage, mais avant, je crois que les gens touchaient un peu à tout, autant par besoin que par envie. Cela devait aussi leur rapporter plus d’argent, même si ces pièces n’avaient pas la même valeur qu’aujourd’hui.

Suivant aveuglément mon compagnon à quatre pattes, j’ignore qu’il me guide en direction de la grange jusqu’à ce que j’entende des coups de râteau qui résonne un peu entre les murs en bois. C’est à ce moment-là que je comprends ce que ma sœur est en train de faire et sa voix ne tarde pas à nous accueillir dès qu’elle entend les couinements joyeux du petit cochon.

- Salut Gruikui ! Je me doutais bien que vous viendriez me voir tout les deux.

Sans aucune hésitation, le porcelet bondit en direction de la jeune femme qui est alors obligé de lâcher son outil pour le cueillir au vol et ainsi éviter qu’il se blesse en retombant au sol. Son comportement est étonnant et elle ne peut s’empêcher de rire en le voyant de si bonne humeur. Qu’est-ce que son frère a-t-il bien pu lui donner à manger ce matin pour qu’il ait autant d’énergie à dépenser ?

Sarah était visiblement en train de nettoyer la grange en raclant le sol et je me demande pendant une fraction de seconde si notre présence ne la dérange pas plus qu’elle ne le montre réellement. En soit, elle se doutait bien que son frère allait retentir dans la journée, mais elle ne pensait pas qu’il serait là aussi rapidement. Étant donné sa cécité, il ne pourra certainement pas l’aider au nettoyage, mais il y a bien d’autres tâches dont il sera apte à effectuer.

- Que faisiez-vous ? Ne me dit pas que tu viens juste de te lever, Owen.
- Hmm... c’est un peu le cas. J’ai demandé à mère ce qu’elle attendait de moi et elle m’a dit de faire ce que j’avais envie, tant que je peux aider quelque part.
- Oui, je vois. Les temps sont difficiles pour tout le monde. J’étais justement en train de nettoyer, alors... Je vais voir ce que tu pourrais faire en attendant.

Je n’ai vraiment pas eu de chance en voyant le jour au sein d’une famille de fermier, toutes les tâches quotidiennes ici sont un calvaire pour moi ou presque. J’arrive encore à nettoyer les légumes et à cuisiner, je sais entretenir les champs en arrachant les mauvaises herbes et Gruikui m’aide à trouver des champignons en forêt, mais c’est tout. Et encore, je ne suis pas autant efficace qu’un villageois lambda qui ferait les mêmes tâches que moi. Je ne sais pas si je pouvais avoir autant de difficulté dans une famille de mineur ou d’éleveur, mais je me considère vraiment comme malheureux.

- Tu as eu le temps de voir père ce matin ? Il était déjà parti quand je suis sorti de ma chambre.
- Non. Pareil pour moi. Mère a dit qu’il était parti tôt pour retourner bucher. J’espère qu’il pourra ramener beaucoup de bois, les menuisiers en ont besoin.

À peine a-t-elle fini sa phrase qu’elle ne peut s’empêcher de rire à nouveau, Gruikui étant vraiment en amour avec elle et ne cesse de s’agiter dans ses bras. La jeune femme en profite alors pour le gratouiller derrière les oreilles, son endroit préféré, sous le regard attentif de son propre Hoothoot qui n’a rate pas une de cet échange. Perché en hauteur dans la grange, dans un coin imbibé d’ombre, il observe sa maitresse avec tendresse et curiosité, intrigué malgré lui par le comportement du cochon.

- Du coup... tu as des nouvelles de Theresa ?

Je me doute bien que cette simple question aura l’effet d’une douche froide pour ma sœur, mais je m’inquiète vraiment pour elle et comme je n’ai eu aucune nouvelle depuis son départ, je me dis que Sarah en sait peut-être plus à ce sujet. Elle a eu davantage de temps que moi pour discuter avec nos parents, étant donné que je me suis enfermé dans ma chambre la veille pour pouvoir me coucher tôt. Comme de fait, cette dernière se fige soudainement et toute expression joyeuse disparait de son visage d’un coup. On pourrait presque croire qu’elle s’est éteinte juste en entendant le prénom de sa sœur ainée.

Je ne sais pas combien de temps j’attends une réponse de sa part, mais cela me semble durée une éternité. Je me doutais bien que ma question ne serait pas vraiment appréciée, mais j’ai le droit de savoir aussi. Après tout, c’est envers moi que ma sœur a mal agis, alors je suis un peu concerné par tout ce qui se déroule en ce moment. Je dois admettre que je ne sais plus sur quel pied danser et je suis sur le point de m’excuser pour ensuite quitter la grange quand Sarah se décide enfin à parler.

- Je ne sais pas où elle se trouve, souffle-t-elle. Je suis inquiète pour elle. Certes, elle a mal a agit avec moi, mais de là à la jeter hors de la maison... je trouve cette conséquence beaucoup trop extrême.
- Je suis d’accord. Je ne pensais pas que mère péterait un câble comme ça.
- Ce n’est pas que ça. On dirait... je ne sais pas. J’ai presque l’impression qu’elle planifiait ça depuis longtemps et qu’elle avait seulement besoin d’une étincelle pour s’en servir comme une excuse. Mais à quoi bon jeter sa fille à la rue ? Ça n’a pas de sens.

Mère aurait vraiment préparer ça ? J’ai du mal à l’avaler. Ça ne lui ressemble pas et pourquoi voudrait-elle se débarrasser de sa fille ainée ? Elles n’ont jamais été très proches l’une de l’autre à cause de leur comportement, mais elles se toléraient jusque là. D’ailleurs, il arrivait souvent à la plus jeune d’aider sa génitrice sans faire attention à leurs différents, alors pourquoi l’envoyer promener dès la première occasion ? Je me doute bien qu’elle s’est sentie trahie ou vexée par son comportement en apprenant qu’elle m’avait abandonné et je suis persuadée qu’elle a simplement voulu lui faire expérimenté la même chose.

- Non... mère ne peut pas avoir fait ça sur un coup de tête.
- Et pourtant, Theresa a disparue. Je veux bien admettre que mère t’ait protégé sur ce coup-là, Owen, mais il faut que tu arrêtes de prendre son parti tout le temps.
- Et pourquoi prendrais-je le parti de Theresa ? Elle l’a dit haut et fort hier soir qu’elle souhaitait me voir disparaitre. Elle veut me voir mourir !

Mon haussement de ton soudain et la colère qui s’entend dans ma voix a pour effet de figer ma sœur une deuxième fois. Même Gruikui cesse subitement de s’agiter et il demande même à ce qu’on le repose au sol, ce que Sarah fait en silence. Avait-elle non seulement penser à ça ? Que ferait-elle si quelqu’un voudrait sa mort à voix haute ? Je ne pense pas qu’elle ferait confiance à la personne après ça, à moins d’être complètement débile. Je crois qu’elle avait oublié cette partie de la dispute de hier soir, malgré que sa réaction laissait supposer sa surprise. Elle doit vouloir prendre le parti de sa sœur pour ainsi rejeter le blâme sur notre mère, mais l’une comme l’autre ont fait des choses répréhensible. Dans tous les cas, peu importe ce qu’elle en pense, je ne peux me résoudre à me mettre du côté de celle qui veut me voir mourir. Je ne suis pas du genre à jouer avec le feu.