Il était vrai que le petit ... que dis-je, le dragon d'un mètre soixante-dix qui se trouvait derrière faisait déjà office d'une attraction malgré elle. Un léger « Squee ! » de mon fidèle compagnon se fit entendre, comme si lui aussi avait eu l'envie de se présenter, et de suivre la coutume de la demeure des Amicitia. C'était presque trop mignon pour être vrai. Tellement mignon en fait que mes deux jeunes sœurs se ruèrent non pas sur moi, mais sur Draco ! De vraies furies ces deux-là ! Le pauvre dragonnet ne comprit pas tout de suite ce qui lui arrivait, mais le simple contact avec ces deux malandrins au féminin suffit à le faire sentir comme chez lui, un air ravi, soulagé et complet. Il venait de découvrir le fruit de sa loyauté, le sentiment d'appartenir à un groupe, à une famille.

Mon père était légèrement plus timide. Cor Amicitia. L'éminent homme d'affaires de la famille. Celui qui avait hissé tous les échelons de la Cycling Road Company, pour s'élever au rang de bras droit du dirigeant de la société, cette fameuse entité qui finançait tout ce qu'il y avait trait à la Piste Cyclable en dehors de la ville, connectant Parmanie à Céladopole. Ma prochaine destination. C'était en partie grâce à lui que l'héritage laissé avait pu être fructifié et bonifié, pour mener ce train de vie plus que confortable avec ma mère. J'étais la seconde fierté de la maison, bien évidemment, mais j'avais toujours cette impression de ne pas arriver au dixième du niveau de la cheville de mon paternel. Alors forcément, je n'étais pas plus enclin que ça à aller le saluer de la même façon que je l'avais fait avec ma mère, Stella Amicitia. Une fervente collaboratrice du Parc Safari, officiant comme aide-soignante auprès du personnel de l'infrastructure touristique, mais également en assistance auprès des soigneurs attitrés au bien-être des pokémons qui résidaient en ces lieux. Elle ne payait pas de mine, mais sa bonté n'avait d'égal que sa précision. Il n'y avait pas une seule intervention qu'elle n'avait pas su maitriser, et pour ça, elle était considérée comme un élément de choix au sein du parc.

Mon père se décida alors enfin à venir à ma hauteur, me tapotant l'épaule et arborant un large sourire.

- Je suis tellement fier de toi mon fils. Ce que tu as fait lors de cette démonstration, moi-même je n'aurais pas eu le cran de le faire.

Si je m'attendais à ça. Mon père ? Exprimant sa fierté pour un fait d'arme aussi trivial que mon intervention pendant la démonstration de coordination Pokémon ? Pour sûr, ce jour était à graver dans les mémoires. Jamais je n'avais vu les yeux azur de mon père briller comme ils brillaient à l'instant où il m'avait adressé ces mots. J'hésitais entre lui rendre le compliment, ou à simplement me laisser tomber dans ses bras, ce que j'avais fait inconsciemment et instinctivement. Pour la première fois, je sentais toute la fragilité de mon père qui exprimait ses sentiments envers l'un des siens. Je pensais que seule maman avait le droit à ce luxe, mais pour une fois, je me sentais privilégié.

Mais cela fut court et intense. Très rapidement, je m'étais dirigé vers le canapé du salon et avait invité ma famille à se rassembler pour leur faire part d'une grande décision que j'avais prise tout récemment. Je leur avais expliqué que cette rencontre du destin avec Draco, mon nouveau compagnon, m'avait ouvert les yeux sur un monde nouveau que j'avais hâte d'expérimenter. Je leur avouais qu'il y avait encore beaucoup d'horizons qui s'étendaient devant moi et que je ne voulais pas laisser passer. Je leur intimais également que mon nouveau projet de vie, aussi éphémère eut-il été, était celui de la Coordination Pokémon, et que j'essaierai de me faire un nom dans le milieu, et d'étendre l'infini sagesse et force des Amicitia dans toute la région. Une bouche bée de ma maman me rappela que je ne l'avais pas encore rassurée au sujet de mon poste à l'académie, qui était toujours une solution de repli pour moi si je venais à échouer dans ma quête, ou si je perdais cette nouvelle flamme intérieure au sujet de la Coordination et du monde Pokémon.

La conversation prenait en longueur, si bien que j'étais convié à passer la soirée à la maison, le temps de rattraper un peu de temps perdu. L'occasion pour mes sœurs et ma mère de faire plus en ample connaissance avec Draco, qui se plaisait de plus en plus dans la demeure. J'allais passer la nuit avec mon précieux et fidèle compagnon, revigorer de tant d'émotions et de résolutions. Et le lendemain, je partirais pour une nouvelle aventure, qui débuterait d'abord par la traversée de la Piste Cyclable, tout droit en direction de Céladopole, la ville aux mille fleurs, la ville du très célèbre Centre Commercial où toutes les nouvelles tendances se trouvaient. Qui sait, peut-être qu'un nouveau chapitre de coordination s'écrirait ?

La nuit se déroulait mais le sommeil ne venait pas. J'étais bien trop extatique pour ne serait-ce que fermer un œil. Je n'avais jamais ressenti ce feu intérieur, même quand j'entrepris de réellement passer ce concours pour obtenir mon poste de professeur. Tellement d'images et de flashs se bousculaient dans mon esprit. C'était comme si le royaume du crépuscule tenait à me faire un cadeau personnalisé avant de partir suivre ma nouvelle aventure. Un cadeau onirique, qui me faisait revivre chaque moment fort de ma jeune vie. Trente-trois ans de challenge, de rires, de pleurs, de cœur brisé, de cœur rafistolé. Une carrière trentenaire jonchées de manques, de réussites, d'échecs, de vœux et de souhaits. J'étais comme tous ces petits garçons qui, à leur âge, rêvait de faire de grandes choses, d'être connu et reconnu dans le monde entier. J'étais ce genre de rêveur qui n'aspirait qu'à faire de grandes choses, et surtout, de laisser son empreinte. Une trace indélébile. Un fragment de mon être qui transcenderait le temps et l'espace. Un présent de la destinée pour l'humanité, un bout de Ciel pour la Terre.

Il me semblait revivre aussi une partie de mon adolescence. Cette tranche de vie où je pensais devenir un très grand athlète. Le critère de la taille n'était pas le doute, mais celui du talent l'était devenu. Je voulais absolument courir toujours plus vite, sauter toujours plus haut et plus loin, produire toujours plus d'efforts quitte à ce que ma sueur se changeât en sang. Mais grandir plus vite que la norme avait son double tranchant. Certes, j'étais athlétique, entretenu et performant dans ce que je faisais, mais le corps ne parvint pas à suivre cette croissance étonnante et presque trop belle pour être vraie et durable. Le ménisque, fut la pièce maitresse de ma chute dans l'oubli du monde du sport. Ce bout d'os avait été le grain de sable dans l'engrenage, l'étincelle d'une série d'explosions en chaine, comme un boomerang frappant deux fois mais pas au même endroit. La blessure était physique, mais aussi psychologique. Je dus abandonner mes rêves d'une carrière sportive glorieuse, ou au moins, épanouissante et satisfaisante.
L'homme que je nourrissais à devenir s'était écroulé. Et avec lui s'étaient évanouis mes espoirs, mes croyances et mes certitudes. J'avais passé quelques années dans l'obscurité psychique totale. Je ne sortais plus. Mes études avançaient au ralenti car je n'y mettais plus du mien, je ne faisais que le strict minimum pour passer sans trop de peine. Je n'inspirais plus que de la normalité, de l'attendu, du prévisible. J'étais ce jeune homme qui avait tout pour lui, et qui gâchait de nombreuses occasions de s'en sortir, de rebondir de son échec et d'enfin faire quelque chose de son existence, aussi minime dût-elle être.

Mais dans ma tristesse, j'étais chanceux d'être aussi bien entouré : ma famille était d'un soutien sans faille, ma mère un vrai roc, mon père un phare dans la nuit, mes frères et sœurs des points cardinaux pour repérer quand tout semblait sans dessus dessous ; mes amis étaient un autre cocon familial sans lequel je n'aurais pu me reconstruire graduellement, petits pas par petits pas, jusqu'à ce que le grand gaillard se relevât tout seul ; et mon Zelliel, mon ami de tous les jours, mon ami de toujours, sans qui je ne serai pas devenu cette personne loyale et inconditionnellement humaine d'aujourd'hui. Lui et moi remontions aux tout débuts de nos vies respectives, les mêmes écoles, le même quartier, les mêmes fréquentations, les mêmes passions. Certains nous considéraient comme un couple tellement notre amitié fusionnelle paraissait insensée. Nous nous comprenions, l'amitié comme l'amour n'étaient que deux sentiments forts qui pouvaient se conjuguer sans pour autant appartenir à une seule désignation. Nous nous apprécions, oui. Nous nous portions mutuellement et profondément dans chacun de nos cœurs, oui. Nous nous aimions, si vous le voulez. Mais pas d'un amour comme celui des longs métrages, non. Un amour sincère, un amour d'amis. Même s'il était sacrément bel homme le bougre ! Ha ha ...

Cette nuit avait définitivement laissé des marques dans mon subconscient, car le prochain rêve que je fis fut à propos de la période qui suivait ma réussite au concours d'entrée à la profession enseignante de l'académie. Une sacrée tranche de vie là aussi. Un moment d'allégresse, un moment d'accomplissement personnel. Un sentiment d'être le maitre du monde pendant le temps d'une poignée de secondes, car on pense que rien ne peut nous arriver maintenant que l'objectif est acquis. Une impression de flotter sur un nuage, d'être comme happé par l'ivresse du moment qui soule de bonheur. C'était l'époque du début de ma libération psychologique : je commençais à devenir le Leonis Amicitia que vous connaissez aujourd'hui.

Avant cet exploit professionnel, j'étais bourré d'incertitudes. Je m'accablais de complexes, tant sur le plan physique que sur le plan intellectuel. Je doutais de chacune de mes pensées, chacun de mes mouvements, et je doutais même de faire ce qu'il fallait pour mon propre bien. Un épisode de perdition qui n'était pas sans rappeler celui de ma déchéance sportive. Je peinais à réviser correctement mes cours. Je me rendais la tâche incroyablement compliquée à toujours vouloir trouver d'autres façons d'arriver aux même résultats. Je complexifiais tous les détails qui me sautaient aux yeux alors que les évidences venaient d'être posées. J'avais ce besoin maladif de toujours vouloir comprendre l'aspect sous-jacent de certains dires, de certaines théories, jusqu'à même penser que ce que pouvait me dire mon entourage était cafi de sous-entendus. Alors qu'il n'en était rien.

Mais tout se dissipa une fois le précieux sésame en poche. Je me libérais de ce poids qu'était ma sombre conscience. Je brisais les chaines du doute et de l'inconstance pour laisser place à l'air exultant de la confiance et de l'acceptation pleine de soi. Je trouvais enfin en moi une personne beaucoup plus valeureuse et beaucoup plus méritante. La sphère familiale et mon meilleur furent les premiers à remarquer ce changement qui ne trompait pas. Ils avaient eu raison de ne jamais perdre la foi qu'il nourrissait à mon égard. Ils se félicitaient même de ne jamais avoir perdu de vue l'homme que je devais devenir et qui allait se présenter devant eux comme nouvellement entrant dans la fonction enseignante. Ils étaient si fiers, si orgueilleux de mon succès. Toute cette bonté naturelle et ce sentiment de rendre fier les miens m'avait suffi à l'époque pour me dire que j'avais eu bien raison de ne pas baisser les bras, d'avoir braver la tempête du désespoir pour enfin avancer sous un jour nouveau, libéré de tout nuage sombre, laissant passer les rayons de félicité du destin.

Cette partie onirique de ma nuit était mouvementée pour sûr, mais un nouveau jour se lèverait, et une nouvelle aventure m'attendrait derrière la porte de mon ancienne chambre d'adolescent dans laquelle je dormais, accompagné de Draco, qui avait trouvé refuge sur une vieille couverture posée au sol, dans laquelle il semblait comme ronronner. Pas banal pour un dragon me direz-vous. Bien évidemment, je ne le voyais pas, car encore profondément ancrée dans mes songes, mais fort à parier que de le voir aussi paisible et serein m'aurait servi à le devenir encore plus. Il avait déjà cet effet positif et relaxant que seul un vrai membre d'une famille pouvait procurer. Il avait tout pour lui ce petit être dragonoïde, décidément, qu'est-ce que j'étais chanceux de l'avoir rencontré.

Le jour se levait sur Parmanie et j'avais passé une nuit agitée. Contrairement à Draco qui devait avoir passé une agréable et douce nuit car le petit dragon avait déjà toute son énergie et venait de sauter sur moi pour me rejoindre dans le lit. Il se lova directement contre ma figure, me faisant bien sentir que je tardais à m'extirper des draps, et qu'il allait être l'heure de petit-déjeuner. Oui, je ne vous ai pas dit, mais Draco est un ventre sur patte. Il pourrait manger n'importe quoi qui possède un visuel alléchant à ses yeux de dragon pourri gâté. L'autre fois, je l'avais même surpris à mâchouiller mes chaussures en laine synthétique, pensant que c'était une sorte de nouvelle confiserie sucrée, comme on en trouverait sur le campus académique chez le marchand de barbe à papa. Celui-là je vous jure. Un ventre sur pattes. En même temps, il fallait la nourrir cette bête qui était quasiment aussi grande et grosse que moi ! J'implorais intérieurement le seigneur de bien vouloir me donner un train de vie suffisant pour pouvoir combler toutes les facéties gustatives du Minidraco.

Le petit-déjeuner c'était passé dans la légèreté, les sourires lumineux, les éclats de rire des soeurs qui passaient le plus clair de leur temps à se faire des blagues ou à se chiffonner pour un oui ou pour un non. Chez les Amicitia, on vit toujours tout à fond, quitte à en faire trop parfois. Mais le principe de vie familial était de ne jamais regretter ce que l'on faisait, qu'on apprenait de nos erreurs, mais qu'au moins, nous restions entiers et fidèles à nous-mêmes. Comme une sorte de bénédicité propre à notre sang. Le festin également avait été léger bien que très copieux. Draco s'en était mis tellement plein la panse, qu'il en avait fini par se poser au sol, afin de digérer en avance ce qu'il avait ingurgiter sous peine d'imploser de gras et de sucre. Un glouton, pas un gourmand. Pour ma part, j'avais opté pour un enchainement plutôt complet, alternant salé et sucré, avec du liquide basique, laiteux et fruité pour emmagasiner le maximum d'énergie pour la folle aventure qui nous attendait.

- Et vous allez commencer par où Leo ? demanda ma mère avec curiosité.
- Le kchonaichant chérie, interrompit mon père en finissant d'avaler son pétit-déjeuner de l'instant, il va churement che djiricher vers Cramoijile !
- Chéri ... avale au moins ce que tu as dans la bouche avant de vouloir t'exprimer en mettre partout ! rouspeta-t-elle.
- Oui *glurps* Pardon. Je disais. Que le connaissant, son envie d'en savoir plus sur les Pokémons et pour pouvoir devenir un bon Coordinateur, il se dirigerait probablement vers Cramois'île pour faire un tour du côté des éminents scientifiques qui s'y trouve.
- Oh, tu crois ? questionna-t-elle. Je pensais plus à Azuria, "the place to be" pour les néo-coordinateurs si j'en crois le magazine Ruban Plus de la semaine dernière.
- Tu marques un point mamour.

J'assistais à leur discussion comme si je n'avais absolument aucun rôle à jouer là-dedans. C'était incroyablement d'être à la fois le sujet de questionnements, mais être aussi l'absent pour qui on répondait. Sacré tourtereaux qu'étaient mes parents. Toujours à se faire leur conversation comme deux petits oiseaux fous l'un de l'autre. D'un côté c'était plaisant à voir, mais d'un autre ... c'était usant.

- Sinon je peux répondre si vous voulez ? boudai-je.
- Oh mais oui mon chéri ! rétorqua-t-elle avec un semblant d'esprit confus dans le ton.
- Eh bien, je vais peut-être vous décevoir, mais je pense faire un tour à Céladopole en passant par la Piste Cyclable.
- Choix étonnant fiston, poursuivit le paternel, mais tu n'as toujours pas de vélo, si ?
- Zelliel m'a assuré que la voie piétonne était sécurisée, et qu'on pouvait le trajet à pied maintenant. Tu es déjà au courant de ça, n'est-ce pas papa ? *regard inquisiteur*
- Oui c'est vrai, mais j'essayais de te trouver une solu-
- Mais tu vas mettre plus de temps que prévu non ? interrompit ma mère.
- Possiblement une bonne journée, mais avec Draco, on a décidé qu'on se prendrait une pause au milieu, il y a parait-il une auberge qui offre le couvert et le couchage. On fera donc notre périple en deux fois.
- Bien pensé, fils ! acheva Cor.

- Leo ! Leo ! J'ai ce que tu m'as demandé ! Regarde !

Il s'agissait de Narcissa, l'une de mes deux petites sœurs encore à la maison. Elle venait de descendre en trombe de depuis sa chambre, pour amener ce qui ressemblait à un petit sac de voyage de couleur brune, une relique du passé que maman nous mettait à disposition lorsque l'on partait en vacances. Là-dedans, on pouvait y mettre un petit nombre de choses, mais cela pouvait au moins servir en cas d'urgence. Je ne partais pas avec beaucoup d'affaires, et c'est Draco qui s'était proposé de porter mon sac à dos déjà. La voyant toute pétillante d'admiration et de fierté, je m'engageai à prendre le sac, pour y mettre le matériel que j'avais pu avoir à ma disposition à la succursale du Parc Safari. Un collègue de ma mère y avait mis de côté un lot de pokéballs, une trousse à pharmarcie d'urgence avec des produits mixtes fonctionnant à la fois sur les humains ET les pokémons, et quelques collations faites pour les pokémons, au cas où mon compagnon eut une fringale ... remarque, connaissant le loupiot dragonoïde, ce n'était pas plus mal.

Je la remerciai du plus profond de mon cœur, la pris dans mes bras, et lui glissa à l'oreille de ne jamais perdre de vue ses rêves, et qu'elle aussi un jour, elle deviendrait une coordinatrice de renommée internationale, et que je ne faisais que lui ouvrir la voie en inscrivant notre nom de famille dans les annales. Je vis que mon autre sœur avait elle aussi quelque chose pour moi, en avait profité pour se faufiler derrière Narcissa pendant que cette dernière se dandinait d'excitation pour son frangin. Elle s’appelait - et s'appelle toujours, n'allez pas croire que le temps du passé y est pour quelque chose - Athéna. Elle était légèrement plus vieille que Narcissa de quelques années, mais elle était définitivement la plus douce et la plus tranquille des deux petites dernières. Son présent pour mon départ était un porte-bonheur, sous la forme d'une montre à gousset dans laquelle était conservés quelques pétales d'orchidée, sa fleur préférée, qui symbolisait la chance. J'étais très touché de cette attention de sa part, la pris également dans mes bras, l'embrassa sur le front, sans dire mot.

Entre Athéna et moi, tout se disait par le regard. Certes que pour l'un comme pour l'autre, il était embué de quelques larmes qui s'invitèrent dans les coins. Mais ce moment signifiait beaucoup pour nous deux, car Athéna avait été l'une de mes rares sœurs à n'avoir jamais été très loin pendant mes années de doutes et de noirceur. Je lui en avais toujours été reconnaissant, et jamais n'oublierais ce qu'elle avait fait pour moi. Je participerai un jour à faire de son rêve de devenir une brillante politicienne, quitte à devenir son seul et unique supporter. Elle le savait, je le savais. Nous le savions.

Mais il était déjà l'heure pour moi de commencer à me mettre sur le départ. Nous ne voulions pas trop trainer avec Draco, histoire de ne pas nous faire avoir par la nuit qui se profilerait à un moment donné sur la Piste Cyclable. Une nouvelle salve d'embrassades vint à se manifester juste avant que je ne passe la porte de l'entrée. Une dernière fois, je remerciai ma famille pour ce qu'ils avaient fait jusqu'à présent, pour le soutien qu'ils continueraient à me donner. Je ne partais pas pour longtemps, mais je leur souhaitais de faire attention à eux, de prendre bien soin de leur santé et de leur bien-être. Ah, et je glissai aussi d'un ton un peu joueur de saluer mon frère et la troisième de mes sœurs qui avaient décidé de s'enfuir du domaine plutôt que de venir célébrer mon départ. Quelle bande d'ingrats ! Je plaisante. Mon petit frère, Noctis, et ma première petite soeur, Lunafreya, étaient probablement les deux plus grands trouillards sentimentaux de la famille, et prétextaient tant bien que mal n'importe quelle histoire pour ne jamais avoir à assister à des moments familiaux importants, de peur de devenir vulnérables et ridicules. Deux fortes têtes elles aussi destinées à de grandes choses : l'un tentait de devenir un agent de police réputé et aspirant à officier à l'international ; tandis que l'autre tentait de devenir une grande styliste pour les humains autant que pour les Pokémons.

L'heure du départ arriva, je passai le pas de la porte. Puis je disparus au détour de la rue qui menait tout droit vers le poste de passage précédant le début de la Piste Cyclable.

Ce début d'aventure paraissait comme un énorme coup de poker. Je partais à la conquête de l'inconnu. Je m'engageais sur la voie d'une fonction que je ne connaissais absolument pas, ou du moins, rien qui ne pouvait faire appel à du vécu personnel. Mon unique expérience à propos de la Coordination, c'était ce fameux jour où j'avais repris en main Draco des griffes de son tyran de dresseur, afin d'effectuer quelques séries de mouvements dont j'ignorais les nomenclatures, et marquer le début de leur séparation. Il était vrai que j'avais été particulièrement effronté ce jour-là, j'avais largement dépassé les limites du cadre qui avait été imposé pour cette démonstration ... mais je n'étais pas peu fier du résultat qui en avait été tiré par la suite. La standing ovation des locaux de Parmanie ; le regard brumeux et soulagé de Draco en se rendant compte que le règle de terreur était terminé ; cette adrénaline de voir que j'avais moi-même réussi à vaincre ma peur de la performance, et que j'en voulais plus désormais.

Je ne sais pas pourquoi, mais la fine brise qui s'invita sur mon visage en sortant du poste de contrôle ouest de la ville - ce bâtiment par lequel il faut passer afin de s'enregistrer sur le compendium des habitants en partance et en provenance, sans quoi le passage n'était pas autorisé - me soufflait déjà à l'oreille que ce périple serait jonché d'obstacles tous aussi incroyables les uns que les autres. Et alors que je flânais en marchant, regardant au loin l'horizon, un bruit strident et soudain vint m'extirper de ce moment d'inattention volontaire.

- Fais gaffe mon grand ! Tout le monde ne déviera pas de trajectoire comme moi !

Première boulette. Le son brutal qui résonnait dans mes oreilles était un klaxon de vélo de ville. Le cycliste qui le chevauchait, tel un destrier sur son humble monture quadrupède, avait bien failli faire un face-à-face avec mon compagnon et moi-même. Heureusement, ses réflexes l'avaient poussé à nous esquiver en faisant un léger écart de côté, mais sa mise en garde n'était pas sans être dénuée de sens. La Piste Cyclable n'était pas destinée aux piétons aux premiers abords. Au contraire, historiquement parlant, cette route avait été imaginée pour que les amateurs de deux roues en mode nucléaire puisse se rendre jusqu'à Céladopole autrement qu'en arpentant pédestrement les rues de Safrania. Il fallait donc que je fasse exceptionnellement attention sur ce début de route, car les vélos et les piétons n'étaient pas sans se croiser, et parfois, les accidents étaient vite arrivés.

Heureusement pour nous, le cycliste ne nous tint pas rigueur de cette novicerie, continua son chemin et nous adressa un signe de main en guise de salutations. Encore une preuve pour Draco que tous les humains n'étaient pas foncièrement mauvais, qu'il pouvait y avoir de la méfiance vis-à-vis de certaines fortes personnalités, mais que chacun possédait cette bonté au plus profond de lui, et que c'était cette lueur d'espoir qui nous mènerait vers un quotidien plus apprécié et appréciable. Nous pûmes alors continuer notre petit bonhomme de chemin, tout en faisant bien attention à tenir nos distances avec les cyclistes, en raccrochant les extérieurs, à fleur de barrière d'un côté, ou à fleur de plan d'eau de l'autre. C'était la particularité de cette infrastructure routière : les premières centaines de mètres étaient mixtes, pouvaient mêler les cyclistes casuels aux motards, les motards de fratrie et autres gangs aux coureurs cyclistes de renom, et au milieu de tout ça, les piétons qui avaient depuis peu la possibilité d'emprunter une voie pédestre, la "Voie Verte".

Une fois arrivés sur le début de la voie verte, nous rencontrâmes plusieurs autres dresseurs qui s'apprêtaient à parcourir le même chemin. Nous échangeâmes quelques mots à propos de nos pokémons respectifs, et c'était là toute la folie de se dire qu'il y avait au moins autant de façon d'aborder un pokémon qu'il pouvait y avoir de personnalités existantes. Certains des dresseurs voyaient en leur pokémon des futures bêtes de compétition, élevées, choyées et entrainées pour atteindre les sommets ; d'autres s'accordaient que le choix avait été presque forcé par un contexte familial certain mais qu'au final, l'amour et le naturel des pokémons leur rendaient bien ; d'autres dresseurs avouaient que c'était le côté purement esthétique ou mystique de certains pokémons qui les avait charmé et que c'était pour cela que la voie des concours de Coordination Pokémon les intéressait. Parmi les dresseurs avec lesquels nous conversions, certains étaient naturellement orientés sur des types de pokémons : le plus souvent, c'était le Feu, l'Electrik, le Vol, le Poison ou encore le Combat qui revenaient. D'autres encore semblaient avoir réfléchi au type de compétences et de capacités que certaines familles de pokémons pouvaient apprendre : on pouvait surtout y voir des utilités face aux Capsules Secrètes, comme celle du Vol ou celle du Surf, ou encore la Coupe ; certaines Capsules Techniques étaient prisées comme celle permettant de créer des Tunnels, ou encore les différents Spores qui pouvaient infliger des altérations d'états spécifiques.

Toutes ces informations me donnaient comme un début de réalisation de mes propres capacités à devenir un dresseur de pokémon correct. Je n'avais absolument pas réfléchi à tous ces paramètres, et il allait falloir que je le fasse et promptement. Je ne pouvais décemment pas laisser Draco à son niveau actuel, et je ne pouvais pas non plus uniquement compter sur un seul compagnon pour me frayer un chemin vers le succès du monde de la Coordination Pokémon. Chance pour moi, tout le long de cette voie verte, d'autres types de dresseur coexistaient avec les simples marcheurs occasionnels : les dresseurs de combats. Ceux-là ne vivent que pour l'adrénaline des performances de combat, ils ne vivent que pour le feu du moment au cours duquel deux créatures font étalage de leurs forces pour arracher une victoire méritée. Ne parlons pas de ceux qui mangent, qui respirent, qui dorment "combat" ; des ultra-fans de la première heure, à la limite d'une sorte de société sectaire secrète abritant les plus frappadingues des dresseurs.

On en rencontra quelques uns avec Draco. Ils nous proposèrent des combats d'exhibitions pour me permettre de m'entrainer à leur contact, et de leur donner des opportunités de devenir des tuteurs le temps d'un match. Un peu comme pour se projeter sur des plans de carrière futurs. Ce n'était pas si mal en soi, je devais bien admettre qu'il aurait été sot de ma part de ne pas profiter de cette sollicitude pour réellement éprouver la dynamique que je devais avoir avec mon Minidraco. Les combats se passèrent non sans quelques frayeurs : Draco ne connaissait pas beaucoup de capacités, et je ne savais pas réellement comment donner les bons ordres au bon moment. Je manquais de me mordre la langue ou de balbutier la mise en voix de certaines compétences d'attaque ou de défense. Parfois c'était Draco qui manquait de se prendre lui-même dans la torsion de son corps au moment de lancer une offensive, ou au moment de reprendre une formation plus défensive. Le summum du ridicule fut ce moment où j'avais ordonné à Draco d'utiliser Ouragan sur, je cite, "l'ennemi situé sur a droite" ... la droite de Draco étant littéralement l'endroit où moi je me trouvais ... et le dragonet n'hésita pas à lancer l'attaque en faisant une confiance aveugle, littéralement.

J'eus le droit à une allure débraillée pendant quelques bons kilomètres de marche avant que des passages de vent ne viennent défroisser les plis persistants. On avait bien ri cela dit, et dès que Draco croisait mon regard, ses yeux affichaient cette lueur de malice et de moquerie qui ne manquait pas de nous faire partir en fou rire synchronisé. Il n'y avait pas à dire, nous avions beaucoup de travail à effectuer, et cette journée avait été le théâtre d'un début timide, gauche, mais incroyablement fun. Le soir poignant cependant vers son crépuscule, nous décidâmes de nous arrêter à une auberge se situant à mi-chemin de la voie verte. Une aubaine pour les voyageurs. Une véritable mine d'or pour leur propriétaire.