C'est fou ce que l'avenir nous réserve quand on y pense. Il y a quelques jours de cela, je n'avais à peine imaginer ce qui se passerait dans ma vie : que je deviendrai le nouveau propriétaire d'une créature tout à fait étrange mais aimante, un Pokémon. Je pensais l'avoir assez répété tout au long de ma jeune vie, mais cette partie-là du monde m'était complètement inconnue. Zéro expérience. Zéro connaissance. Zéro instinct. Si un jour j'avais dû me résoudre ou me décider à emprunter cette voie, bien sûr qu'il me faudrait alors démarrer au niveau de novice, voire d'ultra-novice.

Mais voilà, le destin en avait voulu autrement. Ma rencontre avec Masa. La découverte de l'univers de la coordination Pokémon. L'effroyable prestation impliquant Draco. Comment j'avais pris part à cette prestation malgré moi, sous l'impulsion d'une envie irrépressible de rendre la justice et sauver une âme en peine. Ce tournant de ma vie de professeur qui allait se mettre en pause, le temps d'explorer cette opportunité inédite de devenir coordinateur Pokémon. C'était tout bonnement incroyable. Je n'avais pas encore véritablement réalisé tout ce qu'il s'était passé. Mais un petit couinement tendre et timide de Draco, mon nouveau petit compagnon, me faisait prendre pleine conscience que tout cela n'était pas qu'une sombre brume hallucinatoire. Mais bel et bien la réalité.

Je dis "petit compagnon". Ironie. Certains coordinateurs Pokémon, voire même des dresseurs, démarrent avec des créatures de petits gabarits. J'avais cru comprendre qu'il était coutume de commencer avec un compagnon considéré comme "starter" - un terme technique du jargon du monde des Pokémons - à savoir, d'un niveau plutôt abordable, qui ne soit pas trop envahissant et qui permettait une marge de progression plutôt exquise en termes de combats, de prestations, de performances ou tout simplement de facilité de voyage. QUE NENNI ! Non seulement mon compagnon était un dragon ... rien que ça ... mais en plus, il faisait un mètre soixante-dix au garrot ! Bon, je suis grand, ça harmonise d'office avec mon physique ; mais pourquoi avait-il fallu que je me fasse remarquer en faisant équipe avec une créature aussi imposante malgré ses airs doux à croquer ? « Hmpf », soupirai-je. Mais je l'appréciais déjà ce petit dragoneau. Il n'avait plus du tout cet air renfrogné et déçu de quand il était avec son précédent dresseur. Son regard pétillait comme s'il avait bénéficié d'une seconde vie.

Il fallait dire que Draco n'avait certainement pas eu le quotidien aisé. Certes il avait dû trouver la passion de la coordination comme une aubaine pour devenir un pokémon redoutable, inspirant le respect et la beauté ; mais à la place qu'avait-il remporté : la douleur, la répression, le chantage affectif, le rabaissement quotidien s'apparentant à du harcèlement moral, en plus de la maltraitance physique passager mais insistant. Rien n'est plus douloureux pour être doué de conscience et de sentiment que de se sentir trahi par les siens. La confiance s'amenuise, jusqu'à disparaitre dans le néant. L'estime de soi devient accessoire, et volontiers rangée dans un placard fermé à triple tour. L'ambition devient superficielle et obsolète dans la manière de la remporter. Le goût de vivre sous les feux des projecteurs devient une corvée plus qu'une opportunité.

Le dragonet n'avait paru que comme l'ombre de lui-même pendant la prestation de Parmanie. Il n'avait écouter qu'à moitié les instructions de son dresseur-coordinateur ; quand il parvenait à exécuter les compétences demandées, il n'y avait que de la nonchalance, une certaine froideur dans la réaction et dans l'application de Draco ; il ne respectait pas forcément les temps et les marques de pause provenant de son partenaire ; il empiétait voire même sur le temps de prestation de ses acolytes pokémons. Non vraiment, rien chez Draco ce jour-là ne respirait la joie de vivre, l'entrain de performer une scène, ni l'envie de délivrer une prestation qui en mettrait plein les yeux. Un peu comme si ce jour-là, il cherchait à s'auto-saborder, afin de saboter les plans de son geôlier de coordinateur.

Je pouvais aisément le comprendre. C'est difficile de se sentir comme un bout de viande servant à gagner des titres et amasser des fortunes. Il n'y a plus désagréable sentiment que quoi que l'on fasse, cela n'aura d'impact sur rien ni personne. Enfin, sur personne, si, mais pas sur la ou les bonnes personnes. La preuve en avait été de ce dresseur-coordinateur, qui avait certainement dû obtenir son Minidraco dès son plus jeune âge, qui avait peut-être toutes les meilleurs raisons du monde de l'élever pour faire de lui un champion de coordination, de par sa grâce naturelle, et de par sa docilité impressionnante. Peut-être même trop impressionnante, car sans nul doute que ce dernier s'était octroyé le droit de devenir un tyran auprès de son sujet, le trainant dans la boue médiatique des concours, tout en feignant l'apogée de son art grâce à cette bête de foire que Draco était devenu. Il fallait le voir lors de cette fameuse démonstration : le public n'avait d'yeux que pour le Minidraco - pas si mini, le dragon soit dit en passant - et son allure serpentine. Il impressionnait les tout petits de par son charisme de dragon, il fascinait les plus adolescents de par sa peau écailleuse d'une couleur intense et presque royale. Il séduisait les jeunes filles qui voyaient en lui le pokémon de la beauté, de la délicatesse, de l'infiniment racé. Pour les plus mâture du public, hommes comme femmes s'accordaient à dire que ce pokémon avait fier allure, qu'il pouvait aller loin ne serait-ce qu'avec sa physionomie allongée et gracieuse, mais aussi grâce à ses capacités de type dragon qui ne pouvaient faire autrement que d'émerveiller le public qui n'était pas habitué à ce genre d'élément.

Toute cette pression. Tout cet engouement à son sujet. N'importe quel humain aurait potentiellement pu craquer face à tout ça. Mais pas Draco. Le dragon avait toujours fière allure. Il avait comme point d'orgue à être irréprochable dans son comportement. Je pouvais le voir, à mes côtés, son naturel diligent et incroyablement respectueux. Alors oui, ce jour-là de la prestation de démonstration, il avait enfin laissé parler sa fragilité. Il l'avait exprimée comme il avait pu, avec les armes qui étaient les siennes. Des armes qui avaient servi alors à se retourner contre le dresseur, et non contre ses comparses pokémons. Il n'avait que son pedigree et son aptitude à délivrer des performances grandiloquentes pour rendre coup pour coup tous les moments manqués et les abus de son maitre. De ce qui m'avait paru évident, c'est qu'au moment de la prestation, Draco ne considérait véritablement plus son dresseur comme un ami, ni même comme un allié ; mais simplement comme un supérieur hiérarchique qui était allé beaucoup trop loin depuis trop longtemps. Il était devenu son meilleur ennemi, et il n'avait eu de volonté que de montrer de quelle écaille il se chauffait. Foi de Dracolosse, il s'était employé à cent pour cent dans cette entreprise de sabotage. Qui avait bel et bien fonctionné, la preuve en était qu'il était actuellement "mon" allié, "mon" partenaire, et qu'ensemble, on se complétait enfin.

Si je compare la vie de Draco et la mienne, je me rends pleinement compte de la chance que j'ai eu de vivre dans une famille aimante, qui avait le coeur sur la main et ardente partie prenante de l'apprentissage du respect, de l'humilité et de la coopération. Il fallait dire qu'être sept à la maison, ce n'est pas évident. Eh oui, vous avez bien lu, nous sommes cinq frères et sœurs chez les Amicitia. Je suis l'ainé de la fratrie, celui qui avait eu cette lourde tâche d'être comme un second papa et une seconde maman à la fois lorsque les deux géniteurs s'en allaient au travail. Combien d'heures avais-je passé à la cuisine pour m'assurer que les bambins mangent à leur faim et correctement ? Combien de litres d'eau avais-je participé à dépenser pour faire prendre les bains et autres douches pour garder un environnement sain et propre au sein de la maison ? Combien de lits n'avaient pas été faits tout de suite, et combien de remontrances nous nous étions pris si ne serait-ce que l'un d'entre nous ne faisait pas les corvées dans la minute qui suivait l'instruction ? Combien de prise de tête avec mes frères et sœurs pour s'habiller, se presser pour aller à l'école, pour mener une vie scolaire pleine et remplie ? Je dépeins là un tableau bien fastidieux et presque ressemblant à un martyr, mais je vous assure qu'au moment de vivre tout cela, j'avais l'impression que la vie ne me faisait pas de cadeau et m'en demandait bien trop.

Mais au final, je me rends en l'évidence que si je n'avais pas eu cette éducation responsabilisante, stricte et riche en aléas, je ne serais probablement pas l'homme que je suis devenu au moment où je vous parle. Mon naturel sérieux et appliqué m'avait valu une scolarité exemplaire. Ma curiosité et ma soif d'apprendre avaient été récompensées par des maitrises de diverses langues et de diverses spécialités universitaires. Mon côté responsable et loyal avaient également joué en ma faveur car tous mes camarades n'hésitaient pas à s'en remettre à mes méthodes fines et expertes pour eux aussi s'en sortir. J'étais un peu comme le grand frère par défaut, l'homme de la situation, le gars sûr comme le diraient les jeunes de maintenant. Quoi ? Je n'ai que la trentaine et alors ? N'empêche que je me sens vieillir chaque jour qui passe. Mais cela est un autre sujet.

Toutes les qualités que mes parents avaient eu à cœur de nous inculquer, toutes les valeurs que le système éducatif avait eu comme devoir de nous transmettre, et toutes ces péripéties de la vie quotidienne qui m'avaient forcé à devenir mature plus rapidement que la normal, pour en tirer le meilleur des partis ... tout cela avait contribué à devenir Leonis Amicitia, le professeur de lettres et de langues du monde, l'athlète régulier en forme, le gendre idéal auprès des mères aux foyers chez qui je venais des cours particuliers pour leurs propres progénitures. J'étais cet archétype de l'homme qui faisait front aux machos, qui ne jurait pas que par ses muscles, mais aussi grâce à son cerveau. Je pense que toutes ces qualités avaient aussi permis à Draco de m'adopter presque aussi rapidement que je l'avais accueilli à mes côtés. Nous avions beaucoup à apprendre l'un de l'autre, et nous avions beaucoup d'amour à nous donner l'un l'autre. Des manques deviendraient des trésors, des lacunes deviendraient des complémentarités, des faiblesses deviendraient des forces. Et c'était bien là tout l'intérêt de cette nouvelle aventure que nous nous apprêtions à vivre.

Mais qui dit "partir à l'aventure" dit aussi "devoir quitter son quotidien pour un autre". Et je n'allais pas pouvoir déroger à cette règle, il me faudrait mettre ma carrière de professeur entre parenthèses afin de pouvoir m'adonner à cette nouvelle discipline qui deviendra la mienne : la coordination Pokémon. C'était presque avec un pincement à l'âme que j'allais devoir prendre cette décision, moi qui avait travaillé d'arrache-pied pour obtenir ce statut et cette position au sein de l'académie où j'officiais. Eh oui, comme je l'ai raconté un peu plus tôt, j'avais suivi un parcours scolaire exemplaire, ce qui m'avait valu l'accès à de hautes études supérieures. J'étais le petit rat de bibliothèque. A vrai dire, c'était le seul endroit dans lequel je pouvais échapper à ce quotidien de fou que je vivais à la maison. Mine de rien, avoir quatre frères et sœurs, ce n'est pas une mince affaire vous savez ? Toujours était-il que j'étais très studieux, je travaillais très fort pour obtenir des bonnes notes. Mais surtout, je faisais tout mon possible pour me faire le moins remarquer dans mes classes. Je ne suis pas quelqu'un d’exubérant, de démonstratif ou de fanfaron. Moi je suis le type d'élève qui ne veut pas faire de vagues, prêt à tous les subterfuges pour être le plus discret possible : baisser la tête, ne pas lever la main pour prendre la parole ... mais mon physique jouait contre moi la plupart du temps. Un grand gaillard comme moi, déjà plus grand que les autres camarades de mes promotions.

Il se trouvait que j'avais une vraiment passion du sport également. Et pour passer inaperçu, ce n'était pas non plus la bonne tactique. Mais c'était là aussi un moment de ma semaine où je pouvais me défouler, évacuer le trop plein de tensions et d'énergie que je pouvais accumuler dans un court laps de temps. La vie à plusieurs à la maison, la pression des résultats scolaires et aussi tout le trac de la vie en jeune société. Les cercles d'amis, les amourettes, la découverte de son anatomie changeante, les centres d'intérêts et les conversations. Tout autant de thèmes qui ne me mettaient que rarement dans une position de force, voire même l'inverse, dans des situations d'extrêmes timidité. Un grand dadais tout penaud devant les filles ? C'était moi. Un géant au cœur artichaut sur des sujets légers ? Encore moi. Le Goliath de sa promotion dont on attendait le maximum à chaque instant ? Toujours moi.
J'étais un peu la mascotte de chacun de mes promotions. La valeur sure du groupe. L'épaule sur laquelle on se hissait pour pleurer. L'oreille attentive et bienveillante pour écouter. Le cœur béant et excessivement tolérant pour se confier. J'étais le bon copain, l'ami fidèle, le compétiteur discret. La force tranquille.

Tous ces souvenirs de bancs d'école et de cours de récréation revenaient à la surface alors que je m'apprêtais à me préparer ce fameux matin de prise de décision. Armé de mon costume de travail, ma cravate toujours bien faite et de mes chaussures toujours bien cirées, je faisais signe à Draco de m'accompagner. Je voulais à tout prix le présenter aux membres de l'équipe enseignante ainsi qu'à mes supérieurs, afin de pouvoir donner matière à expliquer ce revirement de situation. Petit sourire que j'adressais d'ailleurs à mon Minidraco qui se moquait de moi en serpentant aux sols en poussant des petits cris comme des rires, tout en me faisant savoir que mon costume était la raison de son hilarité passagère. Sacré partenaire que j'avais là ! Mais cela me faisait plaisir de le voir ainsi, il y a quelques jours de cela, je pouvais difficilement imaginer qu'il pouvait se donner le luxe de se comporter ainsi avec son précédent dresseur.

Le chemin vers l'académie se faisait avec un léger goût d'inachevé. Ce revirement de situation n'était pas prévu, à aucun moment je n'aurais pu imaginé que le destin me jouerait des tours. Un bien joli tour cela dit, puisque sur ma route, se trouvait un Minidraco entier, loyal et foncièrement gentil. Contre toute attente d'ailleurs, car de par ses nombreuses prestations, le public qui avait pu le regardé pendant la démonstration de coordination s'était accordé à dire que Draco était un pokémon hautain, imbu de sa popularité et extrêmement capricieux aux vues de ses nombreuses tentatives de sabotage de la prestation. On ne pouvait pas leur jeter la pierre, il était vrai que le comportement soudainement odieux de Draco pouvait laisser penser qu'il avait été mal élevé ; mais encore une fois, ne jamais se fier aux apparences, et toujours donner au temps et aux occasions le temps de faire son œuvre.

Une fois le portail de la grande bâtisse principale passé, une foule vint s'amasser en très peu de temps, voire même en moins de temps qu'il n'en eut fallu pour Leonis pour prendre sa respiration. Il s'agissait d'un mélange d'élèves, de personnels de l'éducation, des personnels d'entretien, des passants de la rue jouxtant les grilles de l'académie et qui m'avait vu emprunté le chemin de l'établissement. Que dire de plus, c'était une cacophonie soudaine et inattendue.


- Monsieur Amicitia ! Monsieur Amicitia ! Vous être trop fort !
- M'sieur Amicitia ! Vous avez grave le style !
- M'sieur m'sieur, comment il s'appelle votre Pokémon ?
- Woaaaaah ! Il est intimidant ce Minidraco ! Il est gentil hein m'sieur Amicitia ?
- Mais c'est qu'il est énorme vu de près !
- Rho la la, qu'est-ce qu'il est beau ! Mais pas autant que Monsieur Amicitia.
- Alors là, collègue, tu t'es vraiment surpasser sur ce coup !
- Leonis, tu aurais pu nous dire que tu savais y faire avec ces créatures ! Franchement, tu nous surprendras toujours !
- Eh bah alors copain ! On nous cache ses talents de dresseur ? Tu pouvais au moins le dire à ton meilleur ami non ?


Tout un flot de questions, d'acclamations, de compliments et de discussions autour desquels j'étais l'élément central. Cela ne m'arrivait guère souvent. Comme je le racontais assez souvent, j'étais de ce genre de personnalité qui n'aime pas en faire de trop, qui ne se montre pas à toutes les occasions possibles et surtout, qui ne cherche pas à gagner en visibilité ou en popularité. Je ne faisais que suivre le cours de la vie quotidienne, je faisais mon travail comme les autres et au meilleur de mes capacités, je faisais en sorte de ne dépendre de personne tout en restant disponible pour les autres. Bref, j'étais le bonhomme lambda, le monsieur-tout-le-monde du corps professoral de cette académie. Alors imaginez ma surprise quand toutes ces personnes se sont accumulées tout autour de Draco et moi.

Le pire c'est que parmi toutes ces personnes se trouvait mon meilleur ami, Zelliel. Un ami de très longue date, un ami avec qui j'ai partagé toute ma scolarité. Nous avions suivi les mêmes études, nous étions des partenaires soudés et extrêmement joueurs. On se lançait des défis, que ce soit sur nos résultats, nos prévisions sur les examens, sur les cibles des ragots de couloir. Bref, j'en gardais un très bon souvenir de ces années passées à ses côtés, jusque dans la sphère professionnelle. Je ne l'avais pas vu tout de suite dans le cortège inopinée qui venait de se créer autour de nous. C'était très déstabilisant, mais le simple fait de le voir suffit à me donner la porte de sortie nécessaire pour poursuivre mon but de la journée.

- Ah Zelliel ! Ça tombe bien que tu sois là, j'ai besoin de te parler en privé. Désolé tout le monde, je sais que vous voudriez en connaitre plus au sujet de Draco et de ce que je compte faire par la suite, mais ne vous inquiétez pas, vous en saurez bien plus dans très peu de temps. Soyez rassurés, tout va bien, et j'espère vous rendre toutes et tous fier de votre professeur ... - disais-je en regardant les quelques élèves que j'avais reconnus dans la foule - ... de votre collègue ... - en fixant certains de mes confrères et consœurs qui avaient accouru pour aussi voir l'animation que je représentais - ... et en tant qu'ami.

Annonçai-je alors en virant mon regard subitement en direction de Zelliel avant de lui faire signe de la tête pour s'éloigner en direction de la porte de service annexe, situé un peu plus sur la gauche de l'entrée principale.

La conversation avec Zelliel était beaucoup plus légère qu'attendue. Il était vrai que je venais de lui annoncer mon départ soudain, ou plutôt, ma mise en pause de ma carrière de professeur à l'académie de Parmanie.

- Bah alors mon vieux, on se découvre de nouvelle passion ? pouffa Zelliel.
- Mais c'est que tu es drôle aujourd'hui, aurais-tu manger un clown pendant la prestation de l'autre jour ? rétorquai-je d'un air malicieux.
- Ha ha ha ! Touché !
- Mais très sérieusement, j'espère que tu ne m'en voudras pas de m'en aller comme ça sans trop avoir crier gare.
- Pff ! C'est quoi cette phrase mielleuse que tu me sors là ... depuis quand tu te soucies de ce que je pense de ce que tu fais ?
- Bah, je ne te le dis pas souvent, mais tu es mon meilleur ami. Je m'en voudrais de ne pas te mettre dans la confidence, et potentiellement te refiler un travail supplémentaire après mon départ. annonçai-je d'une voix très basse.
- Hein ? répondit Zelliel le regard moqueur.
- Quoi « hein » ?
- Tu as dis que j'étais quoi ?
- Tu as très bien compris ...
- Nan nan nan, j'ai eu une perte soudaine de l'audition - ricana-t-il - j'ai besoin que tu me le répètes encore une fois !
- TU ES MON MEILLEUR AMI ! vociférai-je en faisant sursauter les quelques élèves et collègues au passage. C'est bon t'es content, maintenant tout le monde me regarde comme si j'avais perdu la tête.
- Hé hé ! Il me plait bien ce nouveau Leonis je dois bien l'avouer.
- Arrête de me charrier !

Il était vrai que ce n'était pas dans mes habitudes de me livrer ainsi sur ce que je pensais réellement des gens que j'aime. Zelliel était mon partenaire de crime, mon repère dans cet établissement, et mon pilier dans la vie quotidienne. On passait beaucoup de temps ensemble, on se confiait à peu près tout, même nos déboires sentimentaux. Même si c'était plus souvent les siens que les miens à bien y repenser. Nous étions comme deux frères, et je tenais à ce que ce lien ne se détériore pas après mon départ pour mon voyage initiatique du monde la Coordination Pokémon.

Le reste de la journée fut beaucoup plus paisible et facile que prévu. J'avais pu obtenir un entretien exceptionnelle avec mon responsable du département des lettres et des langues, ainsi que le directeur de l'académie. Je n'avais d'ailleurs pas eu besoin de leur raconter tout l'historique derrière cette motivation, puisqu'ils avaient eux-mêmes assister à la naissance du binôme que je formais désormais avec Draco. Cela leur avait paru comme une évidence, et qu'ils n'étaient pas surpris de me savoir aussi doué avec ces créatures. Mes qualités en tant qu'individu et en tant que fervent défenseur de la culture étaient ce qui les avaient séduits lors de ma prise de fonction il y a de ça une décennie. Et à les entendre, ils ne trouveraient aucun mal à employer un remplaçant pour officier à ma place sur un contrat à durée déterminée de longue durée. Une mise en disposition, pour ma part, était de rigueur. Un papier me permettant juridiquement parlant de prendre une pause au sein de ma fonction, pour une durée indéterminée, m'assurant une rente de 50% de mon salaire actuel. Je pouvais donc partir l'esprit tranquille, ma place était gardée, mon professionnalisme avait payé.

Il ne restait plus qu'un seul endroit à écumer pour pouvoir entamer ce nouvel épisode de ma vie. Et ce n'était pas le plus mince des épisodes qui se profilait, puisqu'il s'agissait de réussir à réunir la famille et les quelques amis hors-travail afin de leur annoncer ce projet.

Parmanie était ma ville de naissance, ma ville de cœur, mais ville refuge. Je n'avais pas eu souvent l'occasion de voyager à travers le Kantô, mais je n'avais pas ressenti de choses aussi fortes que lorsque j'étais à Parmanie. La ville du Parc Safari. La ville du Champion Koga. La ville des ninjas passés maitres dans l'art des Pokémons de type Combat, Psy et Poison. Bien évidemment, c'est avec une certaine subjectivité que je vous livre tous ces détails. Cela tombait sous le sens que n'importe qui ne possède pas la même vision de la ville idéale : certains préféreront Azuria pour son côté pittoresque, calme ; d'autres se réfugieront à Safrania pour l'esprit purement citadin et mondain de la région ; certains même iront dire que Cramois'île est une ville sanctuaire et prospère pour son côté volcanique, balnéaire et réputé pour ses découvertes de fossiles et d'autres bouts de légende du folklore du Kantôt.

Mais ici, c'était chez moi. J'y avais mes racines. J'y avais mes habitudes. J'y avais tout simplement ma vie. Elle je m'apprêtais dans quelques heures à lui dire au revoir pendant un certain temps. Je ne savais pas trop combien de temps je partais, mais ce qui était sûr, c'est qu'il me faudrait des mois avant de songer à revenir sur mes pas et repasser par Parmanie. Certes je me destinais à la Coordination, mais il n'était pas impossible que je me mesure à des champions d'arènes et autres figures montantes du monde Pokémon. Une partie de ma famille était fan de ce registre de vie quotidienne, mes petits frères surtout. Ils étaient des fervents supporters de Koga, et avaient eux mêmes des futurs aspirations à prendre la relève au sein de l'arène. Un objectif tout à fait louable, mais incroyablement difficile et semé d'embuches. Non, je ne pensais pas avoir choisi la voie sereine en optant pour la Coordination Pokémon, mais ce qui était sûr, c'est que ce parcours se ferait au plus progressif de mon niveau de compétences actuel, et prendrait le temps qu'il prendrait pour se réaliser.

A l'instant de ces dresseurs collectant les badges d'arènes, qui ont ce sentiment d'urgence dans la performance pour impérativement parvenir à se hisser en haut des classements, afin de pouvoir assister aux championnats régionaux du Plateau Indigo. Un travail de longue haleine les attendait, mais idem de mon côté. Un effort constant et acharné serait la clé de mon évolution, et me connaissant, je ne lâcherais rien. J'ai pour moi cet esprit combattif du sport à haut niveau que j'exerçais depuis mon enfance. J'avais le goût de l'effort récompensé par des résultats et des succès, aussi minimes étaient-ils. Etait ancré en moi ce besoin de prouver ma valeur, de donner le meilleur de moi-même et surtout, de ne jamais avoir à regretter quoi que ce soit à la fin d'une performance. Avec ce mental d'athlète, je ne voyais pas comment je ne pouvais me donner à cent pour cent, pour mon avenir et celui de Draco, qui comptait énormément sur moi.

L'objectif pour l'heure était de me diriger vers le domaine familial, afin d'y annoncer la lourde décision que je venais de prendre dans le bureau du directeur d'académie. Comment est-ce que mes parents réagiraient à ce revirement de situation inattendu ? J'avais cet espèce de trac que je n'avais pas ressenti depuis très longtemps, depuis l'époque de l'examen de concours pour obtenir le grade de professeur d'étude supérieure. C'est fou, comme la vie est faite de défis.

Le rituel pour entrer dans la demeure des Amicitia était à la fois très strict mais néanmoins très simple. Il fallait d'abord sonner la petite clochette en forme de pivoine, symbole de protection et de loyauté. Puis une fois le carillon florale sonné, il fallait frapper par cinq sur la porte, cinq étant le chiffre porte-bonheur de mes parents. Lorsque cette première étape était réalisée, on savait qu'il s'agissait soit d'un membre de la famille, soit d'un proche de la famille qui connaissait évidemment nos us et coutumes. Une fois la porte ouverte, il fallait d'abord annoncer que l'on entrait, comme pour honorer l'hospitalité de l'hôte, qui pouvait cela dit encore avoir le luxe de refuser l'entrée. Une fois cette annonce faite, une déclinaison de son identité suffisait à être reconnu, ou du moins, à être reconnaissable même de loin. Il fallait dire que la famille Amicitia vivait plutôt aisément, et avait pu bénéficier de l'héritage des grands-parents et arrières-grands-parents pour maintenir la bâtisse dans le cercle familial. Il est vrai que nous n'avions manqué de rien, même s'il nous avait fallu de tout en plusieurs grandes quantités, car nous étions la première génération d'Amicitia à naitre aussi nombreux. Je ne comptais pas simplement mes frères et sœurs, mais je comptais également les cousins germains ; c'était simple, à nous seuls, nous représentions dix-huit individus. C'est dire si le besoin de faire perdurer le nom des Amicitia dans le temps était ardent.

Mais l'heure n'était pas à l'explication du folklore de la famille. L'heure était aux retrouvailles. Cela faisait un moment que je n'étais pas repassé par la maison des parents, et il y avait fort à parier qu'au moins une de mes sœurs se jetterait dans mes bras. Surprise, ce fut ma mère la première à se ruer à même mon torse pour se blottir et m'embrasser comme si c'était son dernier jour de vie. La chaleur de son étreinte, la délicatesse de sa peau et la bonne odeur de ses vêtements me replongèrent en enfance presque instantanément. Je revoyais ces moments câlins avec ma génitrice que j'affectionnais tout particulièrement. Ces moments passés à la cajoler et à lui raconter tous mes rêves les plus fous, tout en jurant que je me marierais avec elle quand je serais plus vieux parce qu'il n'y avait qu'elle qui comptait dans ce bas monde. HA ! Un enfant lambda vous me direz. En tous les cas, son étreinte fut si chaleureuse que j'en avais oublié le temps qui s'était écoulé depuis notre dernier contact.

Le paternel n'était pas très loin, et derrière lui s'étaient faufilées deux de mes sœurs. Aucun des trois ne savaient réellement ce qu'il fallait faire après que la maman eut fini son étreinte. Devaient-ils se réjouir de ma visite en me montrant à leur tour leur signe d'affection ? Devaient-ils simplement m'accueillir avec une parole gentille pour me faire me sentir comme chez moi ... même si après tout j'y étais déjà quand même. Ou s'attendaient-ils à ce que je les invite moi-même à réitérer le geste tendre et maternel de la mère Amicitia ? A vrai dire. Aucune de ses possibilités n'avaient été envisagées, à en juger leur yeux ébahis et leur bouche entrouverte. Le plus étrange était qu'ils n'avaient pas l'air de me fixer droit dans les yeux. Pourq- ... oh. Oui, était-je sot à ce moment précis. J'oubliais cette fois-ci que je n'étais pas tout seul, et qu'il y avait désormais une ombre bien particulière qui me suivait. Une ombre serpentine et difficile à ne pas manquer. Draco.