L’arrière de la clinique est plutôt rustique mais c’est largement suffisant pour profiter du beau temps quand on le peut. Il n’y a qu’un banc dirigé vers la montagne en face ainsi qu’une poubelle que ma mère a fait installé afin que mon frère arrête de jeter ses mégots de cigarette partout. Le sol de la zone a été changé pour un pavé de ciment, beaucoup plus pratique pour moi d’y rouler et une petite lumière extérieur nous permet de surveiller les environs la nuit quand nous sommes absents grâce à la caméra de surveillance posée non loin de la source de lumière. Nous n’avons encore jamais eu d’infraction, la clinique est loin d’être le commerce le plus rentable dans la ville de toute façon, mais nous ne sommes jamais trop prudent. La clinique est toute la fierté de ma mère, elle a travaillé toute sa vie pour finir ses études et la faire construire à l’endroit voulue et maintenant qu’elle fonctionne bien, ce serait vraiment dommage de tout perdre en si bon chemin.

Je suis seule depuis à peine cinq minutes que je suis rejointe par mon frère. Je ne suis pas vraiment surprise de le voir là, mais j’avoue que j’aurais préféré rester seule. Ce qui me surprend est plutôt l’absence de nos pokémons derrière lui, William n’est pas du tout accompagné et comme d’habitude, il ne tarde pas à s’allumer une cigarette avant de venir s’asseoir sur le banc. De mon côté, j’ai garé mon fauteuil juste à coté de celui-ci, étant donné que je ne peux pas m’y m’installer vraiment à cause de mes jambes paralysées, je peux au moins faire semblant.

- Bon... je vais suivre le conseil de maman et je vais essayer de me réconcilier pour la centième fois au moins cette année.
- Si ça t’énerve tant que ça, tu n’es pas obligé de gaspiller ton énergie.
- Emily, pour une fois dans ta vie, pourrais-tu au moins donner du tien ? Me tendre la main, m’aider à recoller les pots cassés, je sais pas...

Sa remarque me donne l’impression d’avoir été transpercée en plein cœur. Comment ose-t-il me dire ça ? Comme si je n’avais jamais fait un pas en avant de toute ma vie, c’est complètement faux. Vexée, je tourne légèrement la tête vers lui pour lui lancer un regard noir et, mal à l’aise, le jeune homme remue un peu sur son banc.

- C’est juste... que je ne te reconnais plus depuis l’accident. Je sais que ça ne date pas d’hier, mais... j’ai l’impression d’avoir perdu ma sœur.
- Et bien, dommage pour toi mon vieux. Je crois que c’est normal qu’un accident d’une telle ampleur change quelqu’un. Je te rappelle que j’ai perdu l’usage de mes deux jambes.

Non mais à quoi il joue ? Il cherche vraiment à me mettre en colère ou comment ça se passe ? Même si ce n’est pas son intention, c’est ce qui va finir par arriver s’il ne change pas de sujet de conversation très rapidement. J’en ai marre que ma paralysie soit toujours remise sur le tapis ou que mon comportement soit déplaisant aux yeux des autres. J’aimerais bien le voir lui en fauteuil roulant, tiens. Ça serait marrant.

William ne sait plus sur quel pied danser. Il était pourtant motiver à parler à sa jumelle pour tenter d’arranger les choses, mais il ne trouve jamais les bons mots et elle, elle a tendance à s’enflammer pour rien dès qu’il dit un truc déplacé. Il a l’impression que cette querelle restera entre eux pour l’éternité et il ne peut l’accepter. Avant ils étaient fusionnels, ils pensaient toujours la même chose, ils jouaient toujours ensemble, ils s’entendaient très bien et dès que l’un manquait à l’appel, l’autre était triste. Quand Emily avait ses entrainements de patinage artistique, William était le premier à être dans les estrades pour l’encourager. Quand ce dernier a été choisi comme héritier de la clinique, elle était fière de lui et l’encourageait à poursuivre ses études. Maintenant cette relation n’existe plus, Emily s’isole dès qu’elle le peut et elle ne cherche plus la présence de son frère comme avant. Ils ne jouent plus ensemble, pas même aux cartes, ils ne regardent plus de films ensemble, ils ne rigolent plus ensemble... ils ont tout les deux l’impression d’êtres éteints.

- Écoute Emily. Je ne crois pas te l’avoir déjà dit mais je suis sincèrement désolé pour... et bah, pour tout ce qui t’es arrivé. Tu avais une carrière prometteuse dans le sport, tu ne méritais pas de te retrouver comme ça, clouée à vie dans un fauteuil.

Passant de la colère à de la peine, je n’ose pas tourner la tête vers mon frère. Je sens rapidement mes yeux devenir humides, alors je reste là à fixer les montagnes majestueuse qui se dressent au fond du paysage. L’accident ne date pas d’hier, mais la blessure est toujours ouverte et difficile à encaisser pour moi. J’ai encore du mal à croire que j’ai du faire une croix sur mon rêve de devenir championne internationale de patinage. Si cela s’était produit, je crois que je serais devenue la femme la plus heureuse au monde.

- Il vaut mieux ne pas remuer le couteau dans la plaie...
- Je sais que c’est difficile, mais j’insiste. Il y a quelque chose entre nous deux qui ne tourne pas rond et je crois que c’est lié à l’accident comme nous refusons d’en parler tout les deux.

Comme pour tenter de se détendre, le jeune homme prend une bouffée de sa cigarette, attendant une réponse de ma part. Honnêtement, je ne sais pas quoi dire. Je n’ai pas envie d’aborder ce sujet encore une fois, c’est beaucoup de souffrance à endurer, mais en même temps, je pense que c’est nécessaire. Peut-être il vaudrait mieux que je m’ouvre devant un psychologue ou quelque chose comme ça, un professionnel en dehors de mon cercle familial me semble être plus approprier pour apprivoiser ce traumatise. D’ailleurs, il y aurait moyen que nous prenions tous une séance familiale afin d’essayer de réparer les pots cassés tous ensemble. Même si nous y allons toujours de reculons, je suis persuadée que ça pourrait nous aider sur le long terme.

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- Et tu voudrais que l’on parle de quoi ? soufflais-je à peine assez fort pour qu’il puisse l’entendre.
- Hmmm... je ne sais pas. Peut-être me dire comment tu te sens ? Cela m’aiderait surement à comprendre certaines choses.

N’est-il pas capable de se mettre à ma place ? Que ferait-il s’il était incapable de marcher du jour au lendemain ? Que ferait-il s’il n’était plus aussi autonome qu’avant et qu’il avait besoin de l’aide de quelqu’un pour simplement prendre sa douche ? La réhabilitation a été très difficile. Aujourd’hui ça va mieux, je suis capable de faire à peu près toutes les tâches que je faisais déjà avant, mais j’ai eu besoin d’un long moment d’adaptation pour y arriver. Cela peut paraitre anodin mais le fait de ne plus pouvoir sentir l’herbe sous ses pieds me rend nostalgique, surtout en sachant que la paralysie est incurable et me suivra jusque dans ma tombe.

- Bon et bien, si tu veux tout savoir, j’ai l’impression d’être un cadavre ambulant. Avec tous ses gens qui me dévisage quand je passe en fauteuil près d’eux, toutes les choses que je ne peux plus faire comme simplement marcher... j’ai l’impression de ne servir à rien.

Puis, face au silence de mon frère, j’essaie de me contenir pour ne pas exploser.

- Essaie de te mettre à ma place deux secondes. Tu ferais quoi si tu ne pouvais plus marcher ?

Son travail demande peut-être moins de mobilité, mais le fait d’être paralysé a de quoi embêter tout le monde. Je ne vois pas qui pourrait en être heureux. Pendant ce temps, mon frère réfléchit à la question que je viens de lui poser.

- Si je ne pouvais plus marcher, je pense que... je serais très triste mais surtout furieux contre le monde entier. Si je me retrouvais handicapé sans que cela soit ma faute j’aurais sans doute une envie constante de me venger ou de me défouler sur les autres.

Puis, comme frappe par une illumination, William ouvre grands les yeux et reste figé ainsi quelques secondes avant de tourner la tête vers moi. Il vient de décrire ce que je ressens actuellement ou presque. L’accident a beau être arrivé il y a quelques années déjà, je n’arrive plus à retrouver la paix intérieure. D’un côté, cela me rassure de savoir qu’il aurait un sentiment semblable au mien, mais son approbation ne me donne pas non plus le droit de déferler ma rage sur les gens qui ne le mérite pas. Je dois essayer de changer ce comportement, même si cela me fait du bien de me défouler. Cela ne règlera jamais le problème, mais j’ai l’impression que ça m’aide à garder la tête hors de l’eau.

Quand même touchée par la révélation de mon frère, je mets un long moment avant de donner une quelconque réponse. En réalité je ne sais pas quoi dire, j’ai l’impression que les mots ne seraient pas assez forts pour témoigner ce que je ressens. Donc au lieu de parler, je me contente de lui sourire et ce geste semble le surprendre. C’est vrai qu’il ne m’arrive pas souvent de montrer ma joie depuis que je suis paralysée, mais je vais devoir essayer de passer au-dessus cette colère qui me ronge constamment. Ma famille ne mérite pas de subir ça ni de me voir dépérir et ils sont sans doute les seuls à pouvoir me donner la motivation d’y arriver. Je ne dois pas pousser le bouchon trop loin au risque de les voir couper les ponts définitivement avec moi. S’ils ne sont plus là et n’ayant aucun ami, qui sera là pour m’aider dans les moments difficiles ? Certes, Freyja sera toujours là mais je sais pas si je peux m’en sortir en étant entourée que de pokémons.

- Du coup... ça va mieux ? demande-t-il, légèrement inquiet.
- Oui, on peut dire ça. Ça me fait plaisir de t’entendre dire que tu ressentirais la même chose que moi.
- Hé, nous ne sommes pas jumeaux pour rien.

J’imagine qu’il a raison encore une fois. À l’époque nous étions très poches William et moi. Nous faisions tout ensemble. Nous dormions dans la même chambre, nous jouions ensemble, nous faisions nos devoirs ensemble après l’école... et j’avoue que cette proximité me manque. N’ayant aucun ami à cause des choix que j’ai fait précédemment dans ma vie pour ne me concentrer que sur mon parcours professionnel, j’ai surement plus besoin de lui que je n’ose le croire. Lui il a toujours eu des contacts sociaux et d’autres préoccupations dans la vie, mais il aura toujours une place spéciale dans son cœur pour sa sœur.

- Alors... prête à retourner au boulot ? Je n’ai pas vu le temps passer.
- Oui, allons-y. C’est vrai que les pauses déjeuners passent toujours trop vite et là, de retour devant mon ordinateur, le temps va défiler beaucoup trop lentement jusqu’à ce soir... Il faudrait demander à maman d’augmenter le délai pour la pause.
- Mouais... je ne crois pas qu’elle accepterait ce genre de marché.

Sa remarque me laisse échapper un petit rire et nous nous mettons tout les deux en route pour retourner à l’intérieur du bâtiment. Se sentant apaisé d’un lourd poids qui reposait sur ses épaules, William est plus souriant et il va même jusqu’à tenir la porte pour laisser passer sa sœur en premier, chose qu’il n’avait pas l’habitude de faire. Il a l’impression d’avoir fait un grand pas en avant aujourd’hui et bien qu’il était terrorisé à l’idée de le faire, il est désormais soulagé que tout ce soit bien passé. Au fond de lui, il sait que sa sœur est restée la même, bien que traumatisée par un évènement important. Elle s’est simplement construite une carapace pour se protéger et tranquillement, avec beaucoup de patience, il saura faire tomber cette armure qui l’empêche de profiter pleinement de la vie.

Si j’avais su qu’une simple conversation me ferait sentir si bien, comme libérée d’un énorme fardeau inexpliqué sur les épaules, je l’aurais fait depuis bien plus longtemps. Je sais très bien que toutes les tensions qui existent entre mon frère et moi n’ont pas disparue comme ça juste après en avoir discuté, mais c’est déjà un très bon pas dans la bonne direction. Cela nous aidera peut-être à parler tranquillement dans un futur rapproché sans ressentir le besoin de tirer à balle réelle sur l’autre. Cela aidera aussi l’ambiance familiale à la maison, car mes parents en ont surement marre de nos disputes inutiles. Ils ne nous on pas élevé ensemble pour que nous nous détestions et cela leur ferait certainement plaisir de nous voir nous rabibocher et de nous comporter comme avant. Je sais bien que cela ne se produira pas du jour au lendemain, mais c’est en faisant de petits efforts chaque jour que les gros changements apparaitront.

Du coup, je reprends mon travail avec un peu plus d’entrain que d’habitude. Après avoir entendu du bruit du côté de la réception, Freyja fait rapidement son apparition depuis la salle de pause et elle revient prendre place dans son panier afin de pouvoir continuer sa sieste jusqu’à la fin de mon quart de travail. D’ici quelques heures je serais enfin libérée et je pourrais retourner à la maison pour vaquer à mes occupations. Pas que j’ai beaucoup de loisirs en réalité, mais j’essaie de tuer le temps comme je peux. Et malgré tout, l’ennuie est mieux que de rester ici à travailler. Néanmoins, le reste de l’après-midi se passe bien, entre les coups de téléphone et les rendez-vous qui s’enchainent. Suite au départ d’une dame âgée venue récupérer son pokémon resté en observation pendant quelques jours, j’entends des pas se rapprocher de moi par derrière. Quand je réussis à me retourner, je constate que mon frère s’est subtilement glissé dans mon bureau et je le vois lancer un regard inquiet derrière lui.

- Qu’est-ce que tu fais ? lui demandais-je, intriguée. Tu as peur d’être suivi ou comment ça se passe ?
- Disons que mère me cherche, mais je voulais m’éclipser pour venir te parler.
- Ah bon ? Qui a-t-il de si important qui ne puisse pas attendre ?

Puis, après s’être assuré que la voie était libre, William se retourne vers moi et m’adresse un large sourire malicieux. Qu’a-t-il derrière la tête celui-là ? Son expression me fait peur.

- Ça te dirait de venir manger chez moi ce soir ? Je sais que je ne t’ai jamais vraiment invité, mais je crois que ça te ferait du bien de sortir un peu de la maison familiale. Qu’en pense-tu ?

Alors là, j’en reste bouche bée. Depuis quand fait-il preuve d’autant de générosité à mon égard ? Sa proposition est tentante, mais je ne sais pas si je serais capable de me rendre chez lui vu la distance qui nous sépare de la clinique et le fait que je n’ai pas de véhicule adapté sous la main. Il a l’intention de me faire monter dans son vieux pickup ou quoi ? Mon fauteuil ne tiendrait même pas là-dedans.

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Malgré que nous soyons nés le même jour, mon frère et moi ne sommes pas du tout au même niveau dans la vie. Si je reste encore chez mes parents, William lui a déjà sa propre maison de son côté et il y vit depuis quelques années maintenant. Elle n’est peut-être pas bien grande, mais il y a tout dedans pour être heureux, en plus de la tranquillité du voisinage. Il a eu beaucoup plus de succès dans la vie que moi et comme il travaille depuis plus longtemps que moi, il a suffisamment d’argent pour assurer son hypothèque ainsi que toutes les factures qui viennent avec. Il a un diplôme aussi, ce que je n’ai pas car j’ai décidé de tout arrêter au niveau scolaire pour seulement me concentrer sur le sport. Je me rends compte aujourd’hui que je n’ai pas prise une bonne décision à ce moment-là, mais j’étais jeune et j’avais un rêve que je désirais accomplir. Seulement, le destin en a décidé autrement.

Du coup, avec mon handicap, je n’ai pas fait grand chose en ce qui concerne ma vie d’adulte et professionnelle. Mes parents ont toujours conservé ma chambre chez eux et j’avoue que c’est beaucoup plus pratique pour moi d’y rester à cause de toutes les rénovations qu’ils ont fait afin que mon fauteuil puisse passer partout. Je n’ai pas à me soucier de rien quand je suis chez eux, tout est praticable. Cela me permet aussi d’économiser un peu avant de prendre enfin mon envol dans mon premier appartement, mais cela n’arrivera pas de suite puisque les logements en rez-de-chaussé sont assez rares par ici. On verra bien comment cela évoluera, mais pour l’instant, je suis toujours la bienvenue dans la maison familiale. En attendant, j’essaie de les aider avec les tâches ménagères, mais il y a certains trucs qui sont un peu difficiles à effectuer en étant en fauteuil, comme le ménage par exemple. Je n’ai pas accès à tous les meubles, donc impossible pour moi de tout dépoussiérer, mais mes parents sont compréhensibles heureusement.

J’aimerais être au même point que mon frère. Avoir ma propre maison, mon chez moi, entretenir mon terrain, emménager mon extérieur, cuisiner ce dont j’ai envie de manger, avoir mes propres loisirs... Cela me permettrait aussi de donner l’espace à Freyja dont elle a besoin. Elle ne semble pas en souffrir actuellement, mes parents ont quand même pas mal d’espace, mais avoir son propre jardin où elle pourrait courir partout et se dépenser comme elle en a envie, quand elle en a vie, ça serait vraiment génial. J’aimerais beaucoup pouvoir lui offrir cela, à elle ainsi qu’à tous les autres pokémons qui suivront. Nous sommes un duo depuis le début, depuis le jour où mes parents me l’on offert pour mon anniversaire. Je n’ai jamais songer à capturer d’autres créatures jusqu’à maintenant, mais plus le temps passe et plus j’ai envie de m’entourer d’eux pour éviter de me retrouver définitivement seule. Les pokémons sont des amis dignes de confiance et bien que je n’ai aucun ami humain, je pense que cela ne me ferait pas de mal de devenir la folle aux créatures. Si un jour j’ai un problème, je sais qu’ils seront toujours là pour m’aider.

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Je dévisage mon frère pendant un petit encore afin de m’assurer qu’il ne blague pas. J’ai vraiment du mal à croire qu’il puisse être sérieux en me disant ça comme ça, sans préliminaires. J’ai déjà visité sa maison lorsqu’il l’a acheté et lorsque nos parents l’aidaient à emménager, mais je n’y ai jamais remis les pieds depuis. Ça va me faire bizarre de pouvoir entrer dans sa bulle personnelle comme ça, sans aucune raison évidente.

- Tu es vraiment sur de ce que tu avances ? Et comment on va faire ? C’est vrai que je pourrais rouler jusque chez toi depuis la clinique, mais c’est plusieurs kilomètres quand même. Je ne sais pas si je vais pouvoir le faire.

Mes parents n’ont pas eu le choix d’acheter une vanne adaptée à mon handicap et je suis capable de m’y installer avec mon fauteuil grâce à une rampe électrique qui m’aide à monter, mais sans ce véhicule je dois tout faire moi-même. Je ne peux pas vraiment me plaindre non plus puisque la ville d’Auffrac-les-Congères a de vastes espaces publics et ils entretiennent très bien les trottoirs tout au long de l’année, je n’ai donc aucun problème à me déplacer toute seule quand j’ai besoin de faire quelques courses. La vanne de mes parents me sert surtout pour les longs trajets et ce qui m’inquiète c’est que la maison de mon frère se trouve vraiment à la sortie de la ville. Sans la vanne, je ne sais pas si je peux arriver à monter dans un autre véhicule qui ne soit pas adapté à ma condition. Peut-être que j’arriverais à me hisser à l’intérieur en tenant la poignée qui se trouve au-dessus du siège, mais comment on fera pour embarquer mon fauteuil ?

- T’inquiète, on trouvera une solution.

Puis, tout en jetant un dernier regard derrière lui, mon frère disparait de nouveau pour retourner travailler, me laissant seule avec mes pensées. J’aurais aimé qu’on puisse s’accorder sur une solution, mais visiblement c’était trop demandé. Je me demande si mes parents accepteraient de me prendre aller-retour jusqu’à chez lui, surtout que je ne compte pas y dormir malgré que mon frère ait une chambre d’invité, alors je vais forcément devoir retourner à la maison. Je pourrais peut-être y passer la nuit à un autre moment, je trouve que c’est un peu trop tôt suite aux récentes réconciliations que nous venons de faire. Je préfère y aller doucement, étape par étape comme on dit et surtout, la clinique est encore ouverte demain alors je préfère largement retrouver ma zone de confort pour y dormir tranquillement. Si tout se passe bien ce soir, je pourrais envisager d’y retourner un peu plus longtemps et qui sait, d’y dormir un soir. Je ne pense pas que mon frère soit prêt à m’héberger, mais cela pourrait être une solution si mes parents veulent prendre des vacances.

En attendant, je laisse échapper un long soupir tandis que le téléphone de la réception sonne pour la énième fois aujourd’hui. Tout en balayant mes pensées pour tenter de faire le vide dans mon esprit, je décroche en répondant avec la même intonation que d’habitude. Cette journée à intérêt à passer rapidement, j’ai vraiment hâte de pouvoir sortir d’ici.

Le temps passe et je dois avouer que je suis heureuse de me rendre compte qu’il ne reste qu’un client à servir et il s’agit de ce que nous redoutons le plus ici. L’euthanasie d’un pokémon. Nous ne le faisons jamais pour le plaisir, mais bien parce que le pokémon en a besoin. Évidemment, il y a certains critères à respecter et c’est pour cela que nous posons quelques questions au client quand vient l’heure pour lui de prendre un rendez-vous. Dans la plupart des cas, ce sont des créatures âgées dont les propriétaires veulent les voir partir tranquillement, sans aucune souffrance. Parfois ce sont des créatures qui ont été diagnostiquée avec une maladie incurable, alors au lieu de les faire souffrir inutilement, l’euthanasie est là pour les aider. Nous sommes parfois obliger de les endormir suite à un grave accident qui leur a causé des blessures graves et irréparables, comme le fait de ne plus pouvoir voler par exemple. Il serait cruel d’obliger un oiseau à vivre s’il ne peut plus se déplacer dans les airs comme il le devrait.

Dans ce cas-ci, il s’agit d’un vieux pokémon qui aurait appartenu toute sa vie à une famille aimante. Ses maitres voulaient éviter d’étirer trop longtemps son espérance de vie pour ne pas que son état de santé se dégrade davantage et je dois admettre que c’est une sage décision. Beaucoup de pokémon vivent pour nous, soit pour nous aider, soit pour combattre et nous rendre fier, alors c’est normal de leur prodiguer ce soin s’ils en ont besoin. Environ une demi-heure avant la fermeture de la clinique, j’entends la petite clochette qui signifie que la porte d’entrée a été ouverte et lorsque je lève la tête pour accueillir le nouveau client, je vois un homme faire son apparition avec son fils qui doit être âgé de douze ans maximum. Le petit semble très triste et en silence, il s’asseoit dans la salle d’attente tandis que l’homme, que je suppose être son père, s’approche de mon bureau. Celui-ci vient confirmer son rendez-vous et je lui adresse un hochement de tête pour lui signifier que j’ai bien compris.

- D’accord monsieur, l’attente ne devrait pas être longue. Vous pouvez faire sortir votre pokémon dès maintenant si vous le souhaitez, ou sinon vous pouvez le faire quand vous serez dans la salle de repos.

La salle de repos, c’est comme cela que nous avons baptisé la salle tout au fond de la clinique qui sert uniquement aux euthanasies. Elle est assez minimaliste et lumineuse. Bien qu’il y ait du matériel médical pour assurer le meilleur départ possible au pokémon, elle est uniquement meublée d’un lit au centre et de deux fauteuils au cas où la famille voudrait passer un peu plus de temps avec le défunt. Il faut s’assurer que tout le monde soit confortable dans ces moments-là. Visiblement, le garçon semble avoir entendu mes paroles et à peine son père est-il revenu vers lui qu’il ouvre déjà la pokéball qu’il tenait à la main jusque là. Une Sablaireau fait alors son apparition et de par son apparence physique, il est évident qu’elle a déjà un certain âge. La pauvre semble fatiguée et malgré qu’elle ait perdue quelques écailles sur son corps, elle semble heureuse et sereine.