Devant l’interrogation d’Alice, Abigail ne put s’empêcher de soupirer, tout en lançant une oeillade sévère à Sebastian. “Ainsi donc vous n’êtes pas au courant des frasques de mon beau-frère ? J’ai cru comprendre que… Nicki, c’est bien ça ?... Que cette femme était recherchée par la police internationale. Grâce à Arceus, notre vilain canard est derrière les barreaux mais ses actions ont fait extrêmement mal à la famille…”

Abigail eut un petit moment d’horreur en repensant à tout ce qui s’était passé, tous ces passages au commissariat. Au départ, même si l’entreprise familiale (qui extrayait le charbon dans les mines de Galar donc) n’avait pas toujours bonne presse en raison des mauvaises conditions de travail, on ne pouvait pas dire qu’il y avait de réel scandale. Etait-ce la conjoncture avec le changement d’ère industrielle et le fait qu’on se serve plus d’électricité ? Si Mike Van Der Blook n’était pas un très bon patron, il avait toujours mis en place beaucoup de choses pour pérenniser la fortune familiale et que sa descendance ne manque de rien. Il avait toujours le sens de la famille et même Nora, sa fille issue de son premier mariage, qui aurait pu être laissée de côté, ne peut pas dire le contraire. Néanmoins, et cela se savait sans forcément qu’on puisse le justifier, Mike avait très certainement des contacts avec la pègre puisqu’une partie de l’argent de l’entreprise s’était pour ainsi dire volatilisée. “Un étonnant tour de magie” comme se plaîra à souligner l’avocat de la défense lors du procès de Mickael.

Mickael est donc né de la deuxième union de Mike Van der Blook avec Rose Wickwood. A l’origine, les Wickwood n’étaient qu’une famille de campagnards mais une rumeur (infondée) persiste à dire que les détenteurs de la famille auraient un trésor caché, de générations en générations. Etait-ce là l’une des raisons pour laquelle Mike s’était intéressé à Rose ? A la barre, elle expliquera que leur relation était aussi passionnée que corrosive : chacun avait son intérêt dans les affaires de l’autre, pour autant, elle lui sembla qu’ils s’aimaient, en témoigne le nombre d’enfants qu’ils ont eu : Mike, Georges et Henri. Trois héritiers de la compagnie d’extractions de charbons. Comme ça se faisait beaucoup à l’époque, c’était l’ainé qui était pressenti pour prendre le relais, Mike s’immisca donc de plus en plus dans les affaires de la mine… Et c’est là que d’étranges histoires ont eu lieu.

Ca a commencé par des révoles violentes au sein de la mine : on voulait de meilleurs conditions de travail, de meilleurs salaires… Un syndicat s’était montré, mais Mike, qui était alors numéro 2 (et souvent envoyé au charbon à côté d’un père cherchant à prendre une retraite) fut leur seul interlocuteur. Et, disons le clairement : il ne leur faisait aucun cadeau. De nombreux témoins font le portrait d’un homme qui n’a aucune considération pour le genre humain, les traitant à peine comme des chiens. Mais ce bras de fer se termina assez vite puisqu’on leur annoncera du jour au lendemain que le chef du syndicat a pris congé de la mine et ne veut plus revenir, après négociations. Et, de la même façon, alors que d’autres chefs syndicalistes se mettaient en tête de proue face à l’intouchable Mike, les gens partaient, sans qu’on n’entende plus jamais parler d’eux. Une rumeur affreuse commençait à circuler que les Van Der Blook faisaient disparaître les opposants. Le procès avait pu mettre en évidence que les méthodes étaient encore plus brutales que le jury ne pouvaient se l’imaginer : en échange de rétributions monétaires, la mafia, qui entretenait des liens étroits avec Mike, mettait au silence les gens qui menaçaient la pérennité de l’entreprise. Bien évidemment, comme tout chantage, l’aide allouée devenait de plus en plus coûteuse, la mafia ayant en ligne de mire toute la fortune familiale.


Comment ces liens s’étaient créés ? Tous les parties s’étaient tus, mais tout le monde pense que le lien venait de son propre père, Mickael. Aussi, acculé par la pression financière, il a tenté de s’en prendre à son propre père pour lui faire céder la totalité des parts de l’entreprise. Et, donc, un soir, ils se sont retrouvés seuls tous les deux et seulement le fils survivra à leur “discussion importante”. Mickael niera toujours d’avoir assassiné son père même si plusieurs experts ont pu montrer par A + B qu’il ne pouvait s’agir que de lui et de personne d’autre. Ce fut Georges, au petit matin, qui tomba sur le corps sans vie de leur père, touché par 14 coups de poignards à la tête, au niveau du coeur et de la gorge. “Un véritable déchainement de haine comme on en voit rarement dans toute une carrière”

C’est à partir de ce décès que l’enquête s’est enclenchée et que,petit à petit, les deux autres fils Van der Blook (donc Georges et Henri, avant leur changement de nom) comprirent à quel point ce n’était que le début. Car suite à cela, Mickael disparut complètement de la circulation et commença une effroyable chasse à l’homme et un stress collectif qui faisait encore trembler Abigail au fond de sa carcasse osseuse.

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Devant le feu de fortune, les ombres des flammes donnèrent un caractère encore plus sinistre au poids des souvenirs. “Mickael a été en cavale pendant deux ans. Nous avons vécu deux ans de terreur et grâce à dieu Arceus, mes filles ne se rappellent pas trop de cette difficile période, elles étaient jeunes. Arthur n’était qu’un poupon.” Il y avait tout un protocole qui les avait forcés à vivre d’une manière assez différente, avec des gens pour les protéger tandis qu’on donnait au compte goutte le peu d’informations qu’ils avaient.

Ca n’avait pas toujours été le cas mais, force est de constater qu’au dernier moment, alors qu’ils devaient rapidement mettre la main sur lui, il arrivait toujours à s’enfuir. Quelqu’un l’aidait, quelqu’un qui était au sein de la famille. Sauf que ça ne pouvait être personne, tout le monde était bien trop terrorisé, en particulier George et Henri, qui étaient la cible des tentatives d’assassinat. Malgré la protection rapprochée, Henri avait failli y passer et préféra complètement disparaître que de dépendre de l’incompétence des forces de l’ordre. C’était facile pour lui de toute façon : il n’avait pas de compagne, pas de descendance… George et Abigail avaient déjà leurs trois enfants, faire un tel tour de passe-passe semblait impossible. Ils devaient faire avec, et avec Layna qui montait en âge et Jade qui faisait tout ce que sa grande sœur lui ordonnait de faire - quitte à la mettre inutilement en danger !

Rose était venue vivre avec eux, et même si ce ne fut pas une partie de plaisir de partager le quotidien avec sa belle-mère, c’était quand même plus rassurant. Ils ne sortaient plus individuellement, mais tous ensemble. Mais malgré la sécurité, malgré tout le dispositif de surveillance, tout le monde ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait peut-être un traître parmi eux. Abigail n’avait jamais douté de la sincérité de son homme - après tout elle ne l’aurait pas épousé si elle en doutait un instant - mais quand était-il de Rose ? Il fallait avouer qu’elle ne la connaissait pas bien, sinon en lien avec le portrait de ce que George a pu dire d’elle : un peu trop lisse et parfait à son goût. Ou bien d’Henri ? La perspective qu’il ait lui-même mis en place une fausse tentative d’assassinat lui faisait perdre pied : car c’est quand on imagine le pire, quand on se met à psychoter sur les hypothèses les plus tordues qu’on finit par avoir cet esprit tordu. Et telle une feuille de papier, froissée, on aurait beau la repasser ensuite, les marques restent toujours visibles. Elle avait cru, à tord visiblement, que c’était un coup de son beau-frère.

Puis un jour, on leur indiqua que le fugitif a été attrapé, in-extremis. Dans sa volonté de mettre la main sur la fortune familiale, il s’est rapproché d’une personne dont tout le monde ignorait l'existence : la première fille de Mike, Nora Van der Blook. Une femme forte, fière, qui avait fait forte impression quand Abigail l’avait vu à la barre. Ils étaient morts de peur en étant tous les trois réunis avec la famille alors qu’elle était toute seule, sans compagnon, qu’elle a fait face au meurtrier de son père, dans une prestance scénique et une dignité qui l’avait presque pétrifiée. Son enfance, modeste, les problèmes de santé de sa maman et son père qui a commencé à devenir distant. C’était la première version de Mike, un homme encore plus chaotique qu’il ne semblait l’être quand il a rencontré Rose. Elle n’avait plus eu de nouvelles de son père jusqu’à son décès et donc découvrit le lien qu’elle partage avec la famille Wickwood, l’argent qu’elle lui a légué et qu’elle a donné à des associations caritatives.

“Coupable pour meurtre et tentatives de meurtres avec préméditation” La sentence fut formelle : il est inculpé à vie sans possibilité de remise de peine et déférré à la Mirabella, une prison insolaire au large des côtes de la région de Sinnoh, là où pourrissent les pires criminels. C’était certainement l’endroit le plus sécurisé au monde et à cet instant, quand le coup de marteau final fut donné, elle eut l’impression d’avoir vieilli de 20 ans.

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Le feu crépitait alors qu’Abigail venait de finir sa tirade concernant le passé sulfureux de la famille. Finalement, à cause des actions de certains, c’était tout le monde qui avait été touché dans cette histoire et malgré la bonne intention de chacun et chacune, on n’avait retenu que cette chose : la fortune des Van der Blook s’était faite sur le sang de ses ouvriers. Et malgré la tentative de Rose de faire changer l’intégralité des noms de famille de tout le monde par le biais de son propre nom, Wickwood, et la volonté également de changer d’activités (être dans le monde de la joaillerie), les gens n’avaient pas oublié ce scandale. Même certaines de ses amies la “taquinaient” sur le sujet, comme un douloureux rappel à l’ordre que quoi qu’elle fasse ou qu’elle veuille, le passé reste le passé. Et les haines de certaines familles restent tenaces.

“Ma belle-mère s’était battu jusqu’à son dernier souffle pour redorer le blason de la famille. Elle disait souvent que c’était un honneur que d’être une Wickwood car ses parents avaient évoulés dans l’échelle sociale uniquement par la force du travail. L’entreprise de Mike a mis tout le monde à l’abri du besoin, mais à quel prix ? C’est à nous, à notre génération, de corriger et continuer l’œuvre de nos aïeux pour que vous” Elle pointa du doigt Alice, mais elle aurait bien pu être sa propre petite-fille “... Vous puissiez faire face à vos propres épreuves de demain. Ce n’est pas à vous de porter les erreurs de vos parents, c’est vous qui devez assurer l’évolution et la transmission du patrimoine pour pérenniser la famille”

Là était certainement une pensée profonde et mature trônant en maître dans l’esprit d’Abigail. Même si elle n’était à l’origine qu’une pièce rapportée, elle se sentait autant Steelstrike que Wickwood, si ce n’est encore plus pour avoir co-géré l’entreprise avec son mari avant qu’il ne succombe à la maladie. Nul doute que cette situation, où elle est passée pour morte à l'hôpital, allait faire un joli remue-ménage au sein de l’administration. Et il valait mieux qu’elle reste “morte” le temps qu’elle fomente sa contre-attaque. Car, à quelque part, Layna n’était finalement que l’héritage ingrat qui transcende les générations, les germes d’un mal profond contre lequel il fallait absolument lutter coûte que coûte. Rose n’aurait jamais voulu que sa propre famille soit reliée à une affaire aussi sordide. Il lui devait bien cela…

Au-delà de la lutte juridique, c’était aussi une lutte pour l’image de la famille. Ses propres facéties passaient pour des broutilles par rapport à ce qui se tramait réellement. Et savoir que c’était ses propres filles qui étaient derrière sa tentative d’assassinat la peinait autant que cela la remplit d’une profonde résolution. Nora s’était battue avec une grande dignité contre son demi-frère, elle en ferait de même avec Layna et Jade. Il le fallait.

“Donc vous voulez monter une activité totalement différente…” Cette fois-ci, ce fut Sebastian qui prit la suite. Bien qu’Alice connaissait pas mal le majordome dans son autre vie, il semblait pleinement investi dans sa nouvelle mission. “L’idée est de créer une activité qui soit totalement différente des fonds de la Wickwood compagnie et qui attire la sympathie du public. Si l’argent à l’initial provient de capitaux propres et pour lequel l’action a une application à visée bénéfique pour la société, on pourra gagner le cœur du jury…” “Et peut-être des juges ?” Abigail eut une moue mi figue-mi raisin quant à cette hypothèse. “Je n’y compte pas trop. Comme je le disais, des gens rêvent de nous voir détruire à cause de ce que certains ont fait. Il y a un puissant caractère de justice derrière et on aura beau montrer patte blanche, si c’est la première idée que les gens se font de la compagnie, ce sera fini et je n’aurais plus rien”

Le fait qu’elle n’ait plus rien n’était pas tant dérangeant, mais c’était surtout le sentiment d’injustice qui va se créer qui , de facto, pourrait la détruire. Et en mémoire de ce qu’avait fait Rose pour la famille et la passation secrète de pouvoir dont elle a hérité sur son lit de mort, elle se devait de faire quelque chose. “La famille Wickwood doit servir le peuple et non se servir de lui. C’est ce que Rose m’a dit sur son lit de mort. Il a fallu que je perde presque la vie pour me rappeler que je n’ai pas tenu mon serment. Merci encore d’être venue à son secours Alice. Et toi aussi Sebastian pour avoir remué ciel et terre pour moi.

Elle se releva à son tour et eut un sourire aussi malicieux. “Mais à présent, c’est à moi de reprendre la main. Foi d’Abigail, s’ils me croient folle et digne à être enfermée, ils n’ont aucune idée à quel point je peux me montrer terrifiante”

Abigail était déterminée. Bien que la route serait longue, avec Sebastian d’un côté et Alice de l’autre, elle savait s’entourer de bons alliés. Et puis elle n’était pas seule… Vivre ici tout le temps n’était pas concevable, et elle avait un plan pour mieux vivre et sortir définitivement des radars. Lentement, sa contre-attaque se mettait en marche.

Step by step...