Se rendre utile

La directrice ne lâchait pas son téléphone des yeux. Kate patientait, l’incompréhension déformant son visage.

- Oui, donc… Pardonnez-moi. Est-ce…

Le son d’une nouvelle notification s'éleva de son portable, attirant une fois de plus son attention. Ses yeux parcouraient la courte ligne, et quel que fut son contenu, il lui arracha une grimace. Impossible de lire si l’horreur ou la panique dominait.

- Bon, je disais, situation de crise à Kalos. Galar s’est engagée à envoyer des effectifs. Avez-vous une quelconque raison pour vous opposer à ce transfert ?

La dame contrôlait chaque information qui franchissait ses lèvres. Elle savait laquelle donner à chacun, pour ne pas alarmer, ne pas suggérer d'interprétation tout en transmettant celles nécessaires au bon déroulement des opérations. Ses années de service comme médecin et désormais comme représentante du centre pokémon au conseil d’administration l’avait rodée à l’exercice. Elle considérait que dissimuler les failles auprès des investisseurs tout en leur présentant suffisamment pour ne pas être mise en tort comme le principal aspect de son métier.

Aussi, Kate n’avait aucunement connaissance des événements. Elle savait uniquement que Kalos nécessitait des renforts médicaux et que la crise était suffisamment grave pour que Galar se mobilise, mettant en jeu les relations diplomatiques entre les deux régions, soit rien de plus en définitive que ce que la directrice avait choisi de lui révéler. Nulle déduction ou théorie ne venait s’y ajouter. Elle se posait bien quelques questions sur l’organisation, mais elle connaissait suffisamment bien sa supérieur pour savoir qu’elle ne recevrait pas les réponses dans l’immédiat, mais qu’elle les aurait en temps et en heure.

- Non, aucune.
- Départ à 13h sur le toit. Si vous avez des affaires à aller chercher, faites vite. Ne prenez que l’essentiel, vos traitements si vous en avez, les pokémons que vous conserveriez hors du système. Pour le reste, nous verrons sur place.
- Entendu !

D’un geste de la main, la dirigeante lui donna congé et Kate s’exécuta. Désormais, hors du regard d’un membre de sa hiérarchie, ses jambes commençaient à trembler. Il était simple d’obéir aux ordres, beaucoup plus du moins que de prendre ses propres initiatives. Elle connaissait la démarche à suivre certes, mais à tout moment elle était susceptible de rencontrer un imprévu qui la forcerait à faire des choix par elle-même. A tout moment, elle pouvait décider sans le savoir entre la vie et la mort de civils.

Le trajet jusqu’à son appartement se passa sans qu’elle s’en aperçoive. Son esprit était accaparé par le doute, sans pourtant avoir construit de scénario précis. Motorby était calme à cette heure et les rues presque désertes n’avaient heureusement pas réservé de coup du sort à l’inatentive. Poussée par le sentiment d’urgence, elle déverrouilla et ouvrit violemment la porte du hall d’entrée, puis elle monta quatre à quatre les marches de son immeuble, ignorant ses jambes fatiguées.

Tout juste entrée chez-elle, elle déboula dans sa chambre. Zigzig, le zigzaton de Galar, bondit de surprise. Lui qui se reposait sagement dans son panier moelleux, son instinct sauvage prit le dessus et il se plaça en position de combat, prêt à se défendre. En le voyant, Kate s’adoucit immédiatement :

- Du calme mon beau, on va juste partir en voyage. Je suis un peu stressée, on doit se préparer un peu vite. Tout va bien.

La fourrure du rongeur retombait légèrement. Il bondit sur le lit, à côté de la valise que Kate y avait jetée, observant ce que faisait sa maîtresse avec curiosité et attention. Celle-ci passait sans cesse d’une pièce à l’autre, pour ramasser ce dont elle avait besoin. Quelques tenues de rechange, quoique beaucoup moins que ce qu’elle estimait nécessaire, juste suffisamment pour tenir avec des lessives régulières. Trousse de toilette, dont son maquillage, afin de garder une bonne mine et cacher le manque de sommeil. Et bien sûr, tout le matériel pour ses pokémons, qu'il s'agisse de vaisselle comme d'entretien courant. Elle glissa également dans une poche divers objets de soins : vitamines, pilules homéopathiques, et tout en stock de pansements et de bandages.

Kate se rendit vite à l’évidence : ce qui était censé se limiter à l’indispensable s’était changé à tout ce qui pourrait se révéler utile à l’avenir. Si elle n’eut pas de difficulté à agencer son chargement pour permettre la fermeture de son bagage, il était tout de même plein ou presque. Il ne lui restait alors plus qu’à rassembler les pokéball qu’elle ne transportait pas déjà sur elle, rentra son zigzaton dans la sienne, puis après un dernier tour de son logement en quête d’un oubli potentiel, éteignant au passage ses radiateurs, elle posa sa valise au sol et la fit rouler jusqu’à la sortie.

De nouveau, ses pensées se libérèrent, sans destination précise vers laquelle se tourner, et la ramenèrent vers l’angoisse.

Impossible de rejoindre le lieu de décollage en vélo avec son chargement. Malgré ses réticences, Kate n’eut d'autre choix que d’appeler un taxi afin de ne pas prendre de retard. Le véhicule s’arrêta au pied de son immeuble. En apercevant sa cliente, le chauffeur bascula l’état de la loupiote. Elle s’éteint alors, signifiant que la coordinatrice allait bénéficier du plein usage de ce service.

- Madam Spring ?
- C’est ça.
- Où allons-nous ?
- Au centre pokémon, s’il vous plaît.

Le moteur se remit en route, arrachant la voiture à son inertie. Kate regardait les rues par les fenêtres qui défilaient, pensive. Elle ne remarquait tout d’abord pas les paroles qui lui était destinée, ce n’est que lorsqu’elle cessèrent qu’elle s’aperçut du soudain silence, les oreilles uniquement bercées par le ronron de la thermique. Alors, elle secoua la tête, comme pour chasser le voile qui recouvrait son attention.

- Sorry, vous avez dit quelque chose ?
- Seulement que vous aviez une mine bien renfermée. C’est dommage, vous devez avoir un très beau sourire.

Il laissa s’échapper un petit rire gêné, peu fier. Cependant, la jeune femme répondit à sa plaisanterie, tentant de retrousser quelques peu ses lèvres, et il fut rassuré.

- Qu’est-ce qui vous met dans cet état, si ce n’est pas indiscret ?
- A vrai dire, je ne sais pas…
- Vous ne savez pas ? Ce n’est pas très courant.
- C’est le travail, c’est tout… Juste le travail…

Kate avait terminé à voix basse, chuchotant presque. Elle se parlait davantage à elle-même. Peut-être se disait-elle que ne pas aborder le sujet le rendrait moins menaçant. Mais elle changea finalement d’avis. Les paroles se déversaient à grande vitesse et le chauffeur n’en saisit pas tous les détails, si ce n’est le sentiment d’urgence qu’il ne saurait qualifier de justifié ou non.

- C’est que… C’est compliqué à Kalos, je ne sais pas ce qu’il se passe. Je dois partir en renfort, je suis infirmière pokémon et… Je n’ai aucune idée de ce à quoi je vais être confrontée. Si Galar envoie des effectifs, c’est que ça doit être grave. C’est même certain. Je pense qu’ils se préparent à ce que tout le système de santé soit saturé, centre comme hôpitaux, pour faire appel à nous. Je suppose que les médias en parleront bien vite. Ça peut être épidémiologique, même si je n’ai pas connaissance de cas isolés avant, et puis… Si les pokémons sont concernés, c’est sans doute plus accidentel.

Le fait d’exprimer ses doutes les rendait moins effrayants. Plus nets, ils perdaient leur immatérialité, comme un fantôme rendu palpable, que l’on pourrait affronter en fonction des moyens disponibles. Pour Kate, le moyen était, comme beaucoup, ses pokémons. Mais elle n’était pas dans une démarche agressive, envers leurs congénères comme envers les obstacles. Elle était dans une posture défensive, la protection et les soins. Car, du moment où il n’y a pas de victime, directe ou indirecte, la nature, le destin ou tout autre concept avait pour elle tous les droits d’exister.

Le chauffeur luttait pour trouver les mots. Ils étaient parfois mal choisis, maladroits, mais ils avaient l’effet escompté, et Kate s’apaisait. Elle était prête à accomplir son devoir, à faire son maximum, peu importe ce qu’elle rencontrerait sur place. Blessés ou malades, elle s’occuperait d’eux. Quand elle monta finalement dans l’hélicoptère, elle était sereine.

Compte tenu de la faible taille de l’appareil, peu de collègues l'accompagnaient. L’essentiel de l’espace était occupé par des machines. Quelques brancards et même des lits pliables étaient coincés contre la paroie. La coordinatrice se figea un instant en les voyant, cherchant à en déduire ce qu’elle pouvait. La médecin la plus proche repéra son expression et l’emmena plus à l’avant, où le calme se faisait un peu moins absent.

La doctoresse lui demanda si elle avait reçu les informations, ce à quoi Kate répondit par la négative. Ainsi, elle lui expliquait les événements dont elle avait eu connaissance. Le premier tremblement à Cromlac’h, qui ébranla la ville et ses bâtiments. Les remontées de lave qui ont suivi, au niveau des crevasses, et les feux qui se sont répandus dans la ville et les environs. C’était comme si l’enfer avait soudainement pris place sur Terre. Même avec cette description, Kate ne se faisait pas une idée nette de la situation. C’était trop soudain, trop improbable, et son vécu n’était pas assez proche des régions les plus habituées à ces catastrophes pour évaluer l'importance des dégâts. Elle savait cependant que personne n’était prêt à ce sort.

Les pales prennaient de la vitesse, entraînant l’hélicoptère dans les airs. Le vacarme était difficilement supportable pour les passagers, entassés contre le matériel. Peu à peu, le véhicule prenait de l’altitude. Pour quelqu’un dont c’était le premier vol, Kate était plutôt à l’aise. La réalité lui semblait fade, inexistante. Le temps s’était suspendu, tandis que le pilote prenait l’itinéraire de Kalos.

La vue de sa destination fut un choc d’autant plus violent. La ville n’était que ruines et flammes. L’étage supérieur de l’hôpital était totalement détruit, il était donc impensable d’y atterrir. Dans tous les cas, les bâtiments étaient trop affaiblis par les secousses répétées, et le moindre changement pourrait en causer l'effondrement total et l’explosion des vitres. Il semblait que chaque pas, chaque mouvement pouvait conduire à la mort, sans toujours proposer une issue.

De grandes tonnelles blanches avaient été tendues à proximité de la ville, lorsque la distance avait été jugée suffisante pour ne pas constituer un risque en cas de chute des bâtiments les plus proches. Les consignes étaient claires : dans la mesure du possible, il fallait acheminer tous les blessés dans la zone. Seuls ceux qui ne pouvaient pas tenir le transport et ceux qui avaient besoin des équipements électriques du centre y étaient directement soignés, en espérant que les renforts placés à la hâte seraient suffisants pour soutenir les murs et les toits le temps qu’ils soient traités.

Kate sortit son équipe de soin. Malheureusement, elle était encore limitée. Oren, le nanméouïe et premier pokémon de la brigade, pouvait se charger d’améliorer la guérison naturelle, tandis que Mellifera, la belle apireine, était la plus apte à apaiser les tissus abîmés. L’infirmière possédait également un troisième soigneur, Lux. Depuis que la kirlia avait utilisé pour la première fois Fontaine de Vie, Kate l’utilisait parfois dans son métier, mais elle refusait de lui confier des cas difficiles. Elle s’inquiétait des conséquences psychologiques que pourrait subir sa petite. Perdre un patient était difficile à surmonter, et certaines blessures ouvertes demandaient un grand sang-froid. Elle souhaitait à tout prix protéger Lux. Mais cette fois, la situation était trop grave et toute aide était la bienvenue.

Kate ferma les yeux quelques secondes et compta à rebours, avant d’appeler Lux hors de sa pokéball.

- Désolée mais… je n’ai pas le choix. Tu veux bien m’aider ?

Lux ne comprenait pas les mots, mais ses pouvoirs psychiques lui apprenaient ce qu’elle avait besoin de savoir : l'embarras de sa dresseuse, l’urgence… La douleur des rescapés. L'impatience et l’appréhension de ceux qui attendaient des nouvelles de leurs proches. La souffrance de ceux qui savaient déjà qu’ils en avaient perdu. C’était bien au-delà de ce qu’un humain pouvait percevoir et de ce que Kate avait imaginé. La kirlia regarda autour d’elle et tituba.

Au milieu des rangs des blessés s'affairaient les infirmiers, humains comme pokémons. Kate aurait aimé protéger Lux de cette souffrance, mais toute l'aide disponible était nécessaire. Telle était la mission des travailleurs de la santé : se donner corps et âme pour le bien du plus grand nombre.

Oren et Mellifera s'affairaient déjà et semblaient assez indépendants à première vue. Au centre pokémons, ils n'auraient jamais été laissés seuls, mais la situation exigeait l'inverse et ils prennaient très au sérieux leur tâche. Avec ses facultés d'écoute, Oren n'avait aucun mal à prioriser les patients dont la vie était la plus en danger. Le nanméouïe leur envoyait des vibra-soins, autant qu'il était en mesure de leur donner. Les pokémons guérissaient vite, laissant plus de temps pour leurs maîtres. Les humains, en revanche, réagissaient beaucoup moins à ses capacités. Il leur fallait des soins médicaux, plus appropriés, mais les médecins n'étaient pas assez nombreux. En attendant qu'ils leur soient portés, il n'y avait qu'à espérer qu'ils soient assez réceptifs pour survivre et, si possible, que leur état s'améliore légèrement. Mellifera, quant à elle, avait plus de mal. Elle faisait de son mieux, mais ses compétences étaient bien plus limitées. Elle soignait les brûlures lorsqu'elle en trouvait, mais sans les sens des autres pokémons de Kate, elle était vite limitée à apaiser les sinistrés par les odeurs de fleurs et de miels, qui tranchaient avec la poussière et les cendres.

En revanche, Kate restait proche de sa kirlia. Tout comme Oren, Lux sondait les blessés et utilisaient l'eau miraculeuse de sa fontaine de vie pour stabiliser leur état. Kate, sur ses talons, pouvait se concentrer sur ceux qui en avaient le plus besoin. Mais son esprit n'était jamais tout à fait libre. Elle gardait toujours l'attention portée sur le pokémon dont elle s'était occupée depuis sa naissance. Où se trouvait l'équilibre ? Que pouvait-elle encaisser ? Ce travail n'était pas le sien. Elle le faisait peut-être partiellement par sa propre volonté, mais surtout pour sa dresseuse. Si elle en avait le choix, elle n'accepterait probablement pas de se trouver dans ce contexte. Mais elle était là. Et elle avait le pouvoir de faire taire une partie de cette douleur. Et comme tous ceux qui se démenaient autour d'elle, elle ne pouvait pas rester impassible. Travail ou non, son devoir était en jeu.

- Eh, vous ? Vous avez un moment ? Il y a besoin de renfort pour décharger les ambulances !
- Je… Ok. Lux, tu sais où me trouver.

Kate gagna sans mal l'endroit où elle était demandée. Les vagues indications du jeune soignant n'avait qu'une utilité discutable lorsque le va-et-vient des sirènes et des gyrophares se retrouvaient manifestement en un point. Un premier brancard descendait, immédiatement pris en charge par un infirmier et ses pokémons. Une inconnue vient à sa rencontre, supervisant les troupes. Le chant discordant des sirènes couvraient leurs paroles, mais le sens restait plutôt clair.

- Oh, parfait. Occupez… suivant. Mais… Où sont… émons ?
- Ils s'occupent de ce… sous… nelles.
- Ah… je vous …veinard.

Le pokémon suivit les ordres de sa dresseuse et se plaça aux côtés de Kate qui ne savait quoi répondre. Il n'était pas temps de discuter, chaque seconde était précieuse et une nouvelle ambulance se précipitait sur le lieu de dépôt. Les deux urgentistes firent glisser le lit dans la pente. Tandis que l'un d'eux transmettait à Kate les informations qu'il avait réussi à obtenir au cours du trajet, le second réapprovisionnait le matériel. La dresseuse du leveinard, elle, se chargeait d'éloigner les curieux qui espéraient trouver un membre de leur famille ou un ami.

- Pas de pro… prend la relève.

En la voyant, la blessée tenta de dire quelque chose à Kate. Avec le temps, l'habitude rendait la cacophonie beaucoup plus supportable, mais la nouvelle venue était faible et probablement désorientée. Son murmure était impossible à comprendre.

- Ne vous… pas ms. On… pper de vous. Si… des proches, il… blement déjà pris en cha… ira bien. Vos… superficielles… on… placer, okay ?

Kate ne pouvait qu'interpréter et supposer. La jeune femme aussi, avec un peu plus d'indices. Elle acquiesça, mais ses yeux trahissaient son incompréhension. Kate entreprit de déplacer le corps, en essayant de le bouger le moins possible. Les brancards et les lits étaient en nombre limité et si l'état de la patiente le permettait, alors il fallait les libérer au plus vite. Mais à peine eut-elle toucher le sol qu'elle se tortilla pour s'asseoir. Kate essaya de l'en dissuader, mais sa consigne fut couverte et le silence ne revint qu'après coup. Alors que la femme acceptait l'oeuf offert par le leveinard, Kate maudissait intérieurement les sirènes. Et puis, à quoi servaient-elles ? Il ne devait pas y avoir tant de voitures encore en circulation et la plupart des routes étaient difficilement praticables, donc la pleine vitesse n'était pas une option. Mais peut-être qu'une rencontre restait possible ? Ou qu'une victime encore non repérée pourrait se diriger vers les axes où elle serait repérée, si elle en avait encore les moyens physiques ? Ce n'était pas impossible. Seulement, ici, elles n'apportaient que toujours plus de peur.

L'état de la jeune femme semblaient assez allarmant à première vue. Sa peau était couverte de bleus. Des pieds à la tête, ses vêtements déchirés laissaient apercevoir des plaies où le sang avait commencé à sécher, se mélangeant avec la poussière projetée par les effondrements. La laideur des blessures apparentes n'indiquait en rien des lésions plus profondes et Kate avait bien sûr toute confiance dans le travail accompli par ses collègues de Kalos et en leur jugement, établi au départ et au cours du trajet… Mais une part d'elle restait méfiante. Elle préférait garder un œil sur sa patiente, juste au cas où ils seraient passés à côté de quelque chose. Pour prévenir plutôt que guérir même si, en l'occurrence, la phase de guérison semblait inévitable.

Elle remarqua rapidement que la blessée bougeait avec difficulté. S'asseoir et manger lui demandaient visiblement de grands efforts. Ses muscles étaient endoloris, couverts d'ecchymoses plus ou moins sérieuses. Kate ne pouvait qu'imaginer ce qu'il s'était passé. Sans doute une étagère qui se serait renversée lors du tremblement de terre ou plus tard, sous le poids des débris. Alors, les livres ou bibelots l'auraient rouée de coups sans qu'elle puisse s'en protéger, marquant le rose de bleu sombre et de rouge sang. Elle n'était peut-être même pas capable de voir la source du danger, dans l'action et sous le choc. Puis, bloquée par le meuble, ou d'un bloc du plafond ou des étages supérieurs, elle était restée immobile un long moment, dans une position qui n'avait rien de naturel, et l'appui prolongé sur ses jambes, jusqu'à l'os, devait toujours la peser depuis sa libération, comme si deux boulets y étaient accrochés.

Mais ses mouvements ne laissaient heureusement pas supposer plus grave. En cas de fracture ou autre dommage interne important, elle n'aurait probablement pas réussi à cacher sa douleur en s'asseyant. Non, Kate était assez sûre d'elle. Bien sûr, il faudrait faire attention à éviter d'aggraver son état de santé, en cas d'infection ou d'un débris fiché un peu plus loin dans sa chaire, mais le plus probable restait que dans quelques semaines, toute trace visible de l'incident aurait disparu, sans autre conséquence physique. Les séquelles psychologiques, elles, étaient impossibles à évaluer, mais la cacophonie ne laissait pas à Kate l'opportunité de la rassurer davantage.