les joies de la campagne

La campagne était calme vers la fin de l'hiver. Les pokémons du coin étaient bruyants moins tôt grâce au levé du soleil qui se faisait désirer. Après une nuit à chasser le sommeil avec le désespoir d'un prédateur affamé, Wren pouvait presque comprendre la beauté de son nouvel environnement. Six mois plus tard, elle peinait encore à considérer les lieux comme sa maison. Elle occupait l'étage d'un petit cottage reconvertit en deux appartements. Sans les draps sur le lit et les vêtements abandonnés au sol, on aurait pu croire l'endroit inhabité. Elle ne s'y sentait pas à sa place. Ses effets personnels tenaient dans une valise et deux sacs de voyage auxquels elle avait à peine touché. Le reste de ses affaires s'entassaient dans le garage chez ses parents. Il n'y avait ni cadre au mur, ni décoration. Heureusement la vaisselle était fournie et il y avait un peu de mobiliers. Son seul effort avait été de placer des stores occultants dans la chambre. Un choix stratégique au vu de sa relation malsaine avec son lit.

Vêtue d'une polaire estampillée police pour casser le froid, la jeune femme arpentait le chemin de terre longeant les berges pour rejoindre le centre de la ville. Greenbury ne devait cette dénomination qu'à l'imposant stade construit sur son territoire. Il détonnait dans le paysage campagnard malgré sa couche de peinture verte. Les maisons étaient peu nombreuses et très espacées. Les commerces plus encore.

- Bien le bonjour mamzelle l'agente, la salua un homme d'une bonne soixantaine d'années.

Malgré l'heure matinale, il guidait un petit troupeau de moumoutons à l'aide d'un bâton. La policière lui répondit d'un mouvement de tête sans jamais s'arrêter. Elle n'était pas d'humeur à converser, encore moins pour bavarder météo. L'éleveur ne lui était pas étranger. Elle avait dû se rendre sur sa propriété plus d'une fois pour des cas de moumoutons disparus. L'enquête avait été vite réglée. Elles les étaient toutes ici. Les gamins du coin coupaient souvent par sa prairie et fermaient mal la clôture. Ils avaient récolté une tape sur les doigts et une injonction de faire plus attention. Le commissaire s'était aussi déplacé pour leur montrer comment sécuriser la barrière correctement. On ne leur disait pas d'arrêter simplement d'agir intelligemment. Sans sa mauvaise foi elle aurait trouvé l'idée bien meilleure.

Chaque jour de travail ne cessait de donner à Wren l'impression d'avoir atterri dans un autre monde. L'un d'eux commençait bien trop tôt à son goût. Au moins, on annonçait pas de pluie.

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Les bottes qu'elle avait chaussées aujourd'hui laissaient un bruit mouillé à chaque pas. Le sol n'avait pas encore eu l'occasion de sécher complètement après les pluies de la veille. Heureusement, le chemin n'avait pas été trop arpenté et permettait une progression tranquille. Wren accéléra en entendant le brouhaha d'un autre troupeau en approche qu'elle ne tenait pas à croiser. Elle coupa par l'herbe pour rejoindre la route qui la mènerait en ville. Celle-ci était bétonnée et plus large pour permettre aux voitures et aux camions de livraison de se déplacer plus aisément. La policière choisit tout de même de marcher au milieu sans se soucier du trafic. On entendait venir les véhicules de loin. Elle ne s'en inquiétait vraiment pas.

Le commissariat n'avait rien d'un bâtiment imposant. Un peu en retrait de la place centrale, il avait au moins le mérite d'être récent. A ce titre, il détonnait aussi de la pierre omniprésente à Greenbury. A la place, il avait été construit avec de grosses briques rougeâtres qui juraient avec les accents bleus caractéristiques aux forces de police. Wren se présenta aux portes et sortit son badge. Après l'avoir scanné, elle passa la lanière autour de son cou. La porte coulissa sur son passage et elle fut accueillie par un standardiste fatigué.

- 'jour, inspectrice.

L'homme bailla. Un coup d'œil à l'horloge murale indiqua à Wren qu'elle était un peu en avance. Il n'avait pas dû avoir été relevé de sa garde nocturne. Elle lui offrit son usuel hochement de tête.

- Le chef est là ? questionna la jeune femme en pianotant sur le comptoir.
- Pas encore.

Raison pour laquelle le standardiste était si calmement vautré sur son bureau. Le chef n'avait rien d'un homme sévère mais tout de même. Au vu de son attitude à elle, l'homme ne devait pas ressentir le besoin de faire bonne figure. Wren s'en fichait pas mal. Elle hocha une nouvelle fois la tête avant de continuer son chemin. Elle aurait préféré avoir son affectation du jour pour pouvoir filer au plus vite mais il fallait croire qu'il ne lui restait plus qu'à patienter en attrapant un café.

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Contrairement aux clichés, le café n'était pas dégueulasse. En théorie. Wren n'avait rien d'une experte. Elle avait commencé à en boire au début de sa carrière en réaction aux longues heures. Il valait mieux ça que les boissons excitantes qui l'avaient maintenue éveillé durant ses études. Pour ses papilles, ils se ressemblaient presque tous. Elle avait juste constaté que celui de ce commissariat laissait un arrière-goût moins amer. Le chef avait pris soin d'équiper correctement la salle de repos et fournissait lui-même les stocks avec de la qualité. Wren le savait car elle avait un jour fait la désagréable expérience d'entendre parler l'homme de son amour pour le café. Ces trente minutes avaient été les plus longues de sa vie.

Sa tasse en main, la policière prit place à son bureau. Les agents de garde durant la nuit avaient pris soin de lui laisser des dossiers sur le bureau. Elle scruta la pile avec un regard mauvais avant de s'en désintéresser. Cela attendrait. Elle espérait être en patrouille ce matin. Il n'y avait probablement pas d'affaire urgente. On était à Greenbury après tout. On avait beau lui avoir raconté qu'on avait retrouvé trois corps enterrés dans la parcelle d'un fermier du coin il y a des années, son point de vue sur les lieux ne changeait pas. Qu'on s'entende bien, la jeune femme ne souhaitait à personne d'être tué pour donner un peu de piment à sa carrière. Elle ne manquait tout de même pas d'audace à se plaindre. Elle était la première à ne pas vouloir trop en faire. Le rythme de vie ici servait à merveille son manque de motivation. Râler était devenu son mode par défaut.

- Steinford, t'es tombé de ton lit ? la gratifia le chef en guise de salut.

Wren sursauta. Elle ne l'avait pas entendu venir. Peu d'humeur, elle n'offrit pas de réponse à la blague. L'homme s'arrêta devant son bureau et avisa le travail potentiel qui s'empilait. La policière fut tentée de tout faire glisser vers la corbeille à papier pour ne pas lui donner une raison de la garder à l'intérieur.

- T'as mauvaise mine, commenta-t-il sans jugement. Il était toujours direct. Wren l'appréciait pour ça. Prendre le soleil te fera du bien. Je te met en patrouille après la réunion de service.

Là-dessus, le chef l'abandonna sans aucun doute pour aller quérir un café.

La journée serait peut-être décente.

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Les réunions de service, un plaisir. Wren garda ses distances et le silence tout du long. Appuyée au mur proche de la porte, les bras croisés, elle comptait les minutes la séparant de la tranquillité. Elle hocha la tête quand le chef réitéra son affectation du jour. Coup de bol, un adjoint prendrait soin d'une partie de ses dossiers.

L'église du village sonnait quand la policière passa les portes du commissariat pour la deuxième fois de la journée. Elle arborait cette fois un coupe-vent par-dessus sa polaire et son arme de service. Wren n'allait pas donner l'occasion au temps de la ramener à l'intérieur avant la pause déjeuner qu'elle serait bien forcée de prendre.

Dans les rues de Greenbury, l'activité régnait. Des gamins à vélo ou accrochés au bras d'un parent faisait route vers la petite école primaire. Les adolescents allaient vers la gare. Il fallait rejoindre Motorby pour trouver le lycée le plus proche. La jeune femme fit l'effort de ne pas paraître trop morte de l'intérieur face aux saluts enthousiastes des enfants. Les mères ne partageaient pas cet état d'esprit. Wren était bien consciente que son attitude lui avait attiré une certaine réputation auprès des gens de la communauté. Elle n'aidait pas la cause des citadins déménageant à la campagne en tirant la gueule.

Malgré tout, il n'était pas rare qu'elle soit approchée. L'effet de l'uniforme. La confiance manquait parfois mais sa présence était mieux que rien. Cela n'empêcha pas Wren de se saisir quand son coupe-vent fut attrapé. Elle se retourna avec des mots de choix au bord des lèvres et ne vit d'abord personne. Il lui fallut baisser les yeux pour remarquer le petit accroché à sa veste.

- Bonjour ? se lança la jeune femme, incertaine face à l'enfant.

Un garçon, à vue de nez. Peut-être sept ans. Son frère était le spécialiste des mômes. Dans un vieux réflexe, elle s'accroupit pour se mettre à sa hauteur. Son expérience n'était pas à zéro non plus.

Le petit lâcha son coupe-vent à cause de ses mouvements et recula. Il portait un sac à dos.

- Tu es perdu ? Elle tenta à nouveau.
- On est où ? Il questionna, plus assuré que Wren n'aurait pu l'imaginer vu la situation. Elle était une étrangère.
- Greenbury.
- Oh.

Rarement, la policière avait entendu une exclamation annonçant autant les problèmes.

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Lundi matin et elle commençait sa journée avec un gosse perdu. La semaine s'annonçait belle. Wren retirait tout ce qu'elle avait pu penser. La minuscule dose d'espoir qu'elle avait ressenti en reprenant le boulot après un dimanche au repos. Jamais espérer où on se faisait rattraper. Elle le savait pourtant.

La policière ravala son envie de crier au ciel d'aller se faire cuire un œuf. Il lui fallait passer en mode sérieux. Ce n'était qu'un môme cherchant sa famille. Elle avait vu pire. Au moins celui-ci n'avait pas une rangée d'explosifs accrochée au corps. Assez logiquement il se montrait donc plus détendu. Curieusement trop détendu, elle ne pouvait s'empêcher de penser. Qui était-elle pour le juger néanmoins ? Wren n'avait pas été l'enfant la plus stressée que cette région avait vu passer.

- Ton nom ? Elle questionna. Wren se rendit trop vite compte de sa sécheresse et enchaîna avant qu'il n'ait pu réagir. Le mien c'est Wren.
- Willy. Le petit répondit avec un sourire manquant deux dents. A quel âge un mioche commençait à les perdre ? Son enfance n'était pas si lointaine, elle aurait dû s'en souvenir. Ou était elle déjà ancienne du haut de ses vingt-sept ans ? Tu vas m'aider à retrouver mon papy ? Brave petit, il donnait les réponses tout seul.
- Tu l'as vu où pour la dernière fois ?
- Dans le train.

Le...train ? Ce gosse avait fait tout ce chemin depuis la gare et personne ne s'était posé de question ? La policière en perdait non seulement la lichette de foi en l'humanité qui lui restait et son point de vue sur le petit Willy. Quelle idée ! Il aurait pu s'adresser à un contrôleur à l'uniforme plus voyant encore que le demi-effort de Wren pour passer pour une flic. Elle n'allait pas lui reprocher d'être descendu du train à la mauvaise station, le vieux aurait dû lui tenir la main. De mauvaise foi, la jeune femme jugeait l'ancêtre quand elle en avait fait voir de belles à ses parents. Elle avait toujours détesté devoir leur tenir la main. La seule chose qui ne la rendait pas toute boudu était que son frère se mette au milieu pour faire le lien.

- Oh ! S'exclama Wren en sortant son téléphone. Une idée l'avait traversée. Bouge pas.

La policière pu prendre une photo de l'enfant docile avant de l'envoyer à son frère. Le tout accompagné d'un message très éloquent : ça a quel âge ça ? La méthode ne brillait pas par sa déontologie mais elle effacerait tout. Au pire, elle userait de l'excuse qu'il fallait bien prendre une photo pour l'avis de recherche si le grand-père ne se manifestait pas tout seul.

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Avant toute chose, Wren devait prévenir le commissariat. Elle fit gaffe à garder un œil sur le gamin en attrapant la radio accrochée à sa ceinture.

- Ici IP07, centrale, à vous, énonça la policière avec la force de l'habitude.
- Ici centrale, je serais ravi de vous être utile inspectrice.

Wren soupira, le doigt éloigné du bouton activant son micro. Elle reconnaissait sans mal cette voix. Le standardiste avait été relevé et remplacé par un gars agaçant. Un trentenaire au sourire qu'il pensait irrésistible et distribuait à toutes les femmes qu'il croisait. L'homme paraissait croire que l'attitude de la jeune femme n'était qu'un challenge.

- J'ai un gamin perdu. Moins de dix ans. Il dit se prénommer Willy. Vous avez un avis de disparition ?
- Un instant, je vérifie.

Quelques claquements de clavier plus tard.

- Rien de correspondant dans le coin à première vue.
- Très bien. Je vais retracer son chemin avant de le ramener au poste. Contactez moi si vous entendez quelque chose.
- Je n'y manquerais pas. Bonne chance inspectrice.

Au moins, il pouvait se montrer professionnel quand il le voulait.

Wren rangea sa radio et tendit la main au petit garçon. Elle n'allait pas prendre le risque de le perdre à son tour.

- Je vais t'accompagner jusqu'à la gare. Peut-être que ton grand-père a fait demi-tour et te cherche là-bas. Dans quel ville vous alliez ?
- Ludester, répondit le gosse en lui attrapant la main sans hésiter.

Ce n'était pas la porte à côté. Wren ne pouvait qu'espérer que le papy était descendu à Motorby ou à Skifford pour prendre un train dans la direction opposée.

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La réponse de Connor ne tarda pas. Le curieux duo formé par Wren et Willy s'était à peine mis en route quand le téléphone de la première vibra dans la poche de son coupe-vent. Elle l'en sortit avec une pointe de soulagement. Le gamin n'avait eu besoin que de quelques secondes pour commencer à débiter à la vitesse de balles de mitraillette. La policière serra sa main pour attirer son attention et glissa un doigt devant sa bouche pour lui intimer de se taire. Il l'imita. Le signe universel du chut avait encore une fois prouvé son efficacité.

- Tu devrais pas être avec tes gremlins ? La jeune femme manquait toujours de délicatesse dans ses saluts.
- Je me suis inquiété en voyant la photo, murmura son frère. Elle se prit à l'imaginer sous son bureau, à parler tout bas pour éviter de se faire remarquer. L'image lui arracha le plus minuscule des sourires.
- Je l'ai pas kidnappé si c'est ça qui t'inquiète.
- Bien que tu l'as pas- L'homme s'emporta avant de retomber. Sa voix en était devenue plus basse encore. Je sais que tu n'as pas kidnappé cet enfant. La situation n'en est pas moins inquiétante.
- On cherche son grand-père, tout ira bien.
- Wren, il souffla dans un soupir.
- Quoi ?
- Une telle expérience peut être très traumatisante pour un enfant.

La policière jeta un coup d'œil à Willy qui l'écoutait calmement parler. Il n'avait pas l'air bien traumatisé, ce môme. C'était à se demander si il comprenait la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait. Si on lui demandait son avis, Wren aurait dit que non.

- Et pour ma question ?
- Est-ce que tu lui as demandé ?

Elle aurait pu effectivement faire ça. Wren se sentit un peu bête de ne pas y avoir pensé. Si il était capable de lui donner son nom, il pouvait en faire de même avec son âge.

- Ooook, byyyye.
- Wr-

Elle raccrocha.

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- C'était qui ? s'intéressa le gosse dès l'instant où Wren eut raccroché son portable. Curieux, le gamin.
- Mon frère, répondit-elle, monotone.
- Il s'appelle comment ton frère ?
- Connor.

Distraitement, Wren se fit la réflexion que le petit Willy lui tirait bien aisément les vers du nez. Des deux, elle aurait dû être celle qui menait l'interrogatoire. Quoi qu'interrogatoire se voulait être un mot sans doute trop agressif au vu du public concerné.

- J'ai pas de frère moi. Ca doit être chouette.
- Hm, la policière souffla sans volonté d'ajouter un quelconque commentaire.
- Ma maman avait un bébé dans le ventre mais... Territoire dangereux. D'instinct, Wren se sentit resserrer les doigts autour de ceux du petit. Demeurait en elle peu d'hésitation vis à vis de ce qu'il sous-entendait.
- Tu vis avec ton papy ?
- Oui. Mon papy c'est le meilleur, l'enfant s'enthousiasma avec son sourire troué.
- J'en doute pas, réagit la jeune femme avec une rare sincérité.

Willy reprit le contrôle de la discussion avec une aisance qu'elle peinait à placer. Les gamins n'étaient pas simples à comprendre. Elle avait été une enfant silencieuse, quoi que plus verbale avec son frère, mais il existait des circonstances qui la voyaient s'ouvrir. Parfois, tout tenait à l'occasion. Le gosse était peut-être juste heureux d'avoir trouvé une adulte qui ne l'interrompait pas.

L'enfant lui parla des champs de Greenbury, des rongourmands que son grand-père nourrissait avec ses déchets de cuisine, du bateau à la voile rouge qu'il avait vu à Skifford,... Tous les sujets y passaient. Wren lui offrait de rares hochements de tête dont il se souciait peu. Willy, il semblait, voulait juste parler. Elle songea que Connor devait comme souvent avoir raison et qu'une telle attitude devait être une réaction au stress de la situation. La policière ne pouvait l'assurer. Elle ne pouvait qu'offrir un peu de son attention au gamin sur le chemin de la gare.

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