POV Sienna Brancaleoni

L'odeur d'essence dans l'air est pugnace. Elle me brûle un peu les narines, me donne envie de remonter mon écharpe pour protéger mon nez. Pourtant, je ne bronche pas. Un tel geste de faiblesse ne m'est pas permis. Ce n'est pas la première fois non plus que je subis un tel inconfort. Et c'est ce que c'est : un inconfort. Il y a eu pire. Des parfums si intolérables qu'ils vous donnaient envie dès la première inspiration de vider l'intérieur de votre estomac sur le bitume. Comme avec tout, on apprends à s'y faire. Plus encore lorsque l'on a pas le choix. L'être humain est merveilleux pour ça. C'est sa capacité d'adaptation qui le rend réellement supérieur.

Mes yeux glissent sur la scène. Nous nous trouvons dans une maison similaire à tant d'autres dans l'un de ces neighborhood ridicules où les familles se massent. Fiers d'être des moutons bien protégés par leurs barrières blanches. La pièce a été saccagée et l'un de mes sbires s'appliquent à tout asperger de gazoline. Attaché à une chaise, un homme tente de crier mais le bâillon qu'il porte étouffe les sons. Lui aussi au passage depuis qu'il s'est mis à brailler. Je n'ai pas besoin de voir Anya pour savoir qu'elle lève les yeux au ciel à mes côtés. Je me désintéresse vite de notre hôte pour prendre mon téléphone dans la poche intérieure du long manteau que je porte. Un appel manqué. Mes doigts se resserrent un instant sur l'appareil lorsque je vois de qui il est. Tsk. I missed my little sister because of you. Anya n'a pas besoin de plus pour rejoindre l'homme en deux enjambées gigantesques. Elle lui assène un coup violent et plus de sang vient se mélanger à la salive qui lui coule de la bouche. Un instant plus tard, ma bras-droit reprends la place qui lui est due, complètement stoïque. J'ai toujours apprécié son efficacité et la finesse de son jugement. Elle sait toujours quand agir ou ne pas le faire. Parfois, elle se comporte comme si nous partagions les mêmes pensées, voire un instinct similaire. L'envie de frapper l'homme était venue et elle s'était appliqué à le faire avant même que je n'esquisse un geste. Si je lui posais la question, elle me répondrait qu'elle l'avait fait pour que je n'ai pas à me salir les mains. Une pensée louable alors que celles-ci n'ont plus rien de propres depuis longtemps.

Reyna a laissé un message vocal. Je consulte rapidement ma messagerie et, le souffle plus court que je n'aime l'admettre, écoute ce qu'elle voulait me dire. Hey, sis'. It's just me. I- Sa voix est étrange. Elle manque de son énergie naturelle. You know. It's just that time of the year. I wanted to- Mon regard tombe sur le sapin qui occupe un coin de la pièce. Lui aussi est couvert d'essence mais les guirlandes luisent encore dans l'obscurité. Noël est proche. Je m'en veux de ne pas avoir compris plus tôt. Ma cadette n'est jamais tout à fait elle-même en cette période. Oh, Rey. Je soupire. Forget it. Ses émotions m'affectent, c'est indéniable. Je range le smartphone, prends une longue inspiration. Je ne peux rien faire pour elle pour le moment. Mes priorités sont ailleurs. Il m'est impossible d'oublier que c'est aussi pour elle que je fais tout ça.

A nouveau, mon masque est d'acier. Je me suis permis cet instant de faiblesse car le sort de l'homme est déjà scellé. L'idiot qui m'assiste est trop occupé par sa mission, tous ses collègues sont à l'extérieur et sécurisent le périmètre, et Anya ne compte pas. See you in Hell, I guess. Le sourire que j'adresse à notre cible du soir est presque sucré. Je ne me leurre pas, je sais ce qui m'attends. Il prends juste un peu d'avance.

Mon manteau claque derrière moi lorsque je fais volte-face. Un son satisfaisant qui ne fait que nourrir mon ego mais fait aussi son effet parmi certains types de foules. Je compte sortir jusqu'à ce qu'une pensée m'arrête. Par-dessus mon épaule, je fixe mon regard sur celui paniqué du traître. By the way, that pretty boy of yours. J'indique une photo accrochée au mur d'un index nonchalant. Un jeune garçon y sourit à pleines dents. Consider him dead.

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Les cris étouffés de l'homme me suivent jusqu'à l'extérieur. Ils sont désespérés. Il hurle contre son impuissance, pour implorer ma pitié. Il l'a déjà. Juste pas celle qu'il recherche. Je le trouve pitoyable. Ce n'est qu'un minable laquais qui a joué un jeu dangereux et n'était pas prêt à en assumer les conséquences. Il s'est cru plus malin qu'il ne l'était et le paye. Ils sont des dizaines à faire de même. J'en ai connu une longue liste. Ceux qui ont le potentiel d'agir de la sorte n'apprennent pas des erreurs des autres. C'est tout le problème. Cela ne m'empêchera pas de continuer à essayer de leur faire rentrer cette évidence dans le crâne avec toute la brutalité dont je suis capable.

Kill the boy. Anya ne réponds pas. Elle doit avoir hoché la tête derrière moi avant de disparaître. Je n'entends jamais ses foulées mais sa présence n'est plus détectable. La mission que je lui donne n'est pas plaisante mais cela ne l'empêchera pas de l'exécuter proprement. C'est pour ça que je l'ai choisie. Elle n'en tirera pas de plaisir. L'enfant sera supprimé avec un minimum de dignité et d'humanité. Je ne peux pas faire mieux pour un innocent payant pour les crimes de son père. C'est barbare, je le sais. Moi non plus, je n'agis pas de gaieté de cœur.

La portière d'une berline sombre s'ouvre devant moi et j'y entre sans un regard pour le sbire qui s'est improvisé portier. Le temps que je m'installe, il a déjà fait le tour et a pris le siège passager. Le conducteur est l'un de mes hommes les plus fidèles. Il me jette un coup d'œil dans le rétroviseur et démarre sous mon coup de menton. Inutile de lui dire que nous rentrons à la maison.

Je n'ai jamais beaucoup aimé les longs trajets en voiture. Surtout lorsqu'ils sont solitaires. D'habitude, je les occupe en écoutant divers rapports ou en signant des papiers. Parfois, en prenant un appel. Au milieu de la nuit, tout est calme. En l'absence de ma bras-droit, les options s'appauvrissent. Je suis donc condamnée à errer dans mes pensées. Entre le coup de téléphone de Reyna et cette soirée, mon esprit a de quoi faire.

Ma décision a beau être prise, je repense à cet enfant. Il ne doit pas être beaucoup plus vieux que ma petite sœur à la mort de nos parents. Des contrats avaient aussi été placés sur nos têtes, même si je doute qu'elle se souvienne de ce moment en particulier. Les tentatives d'assassinats avaient été nombreuses au début. Heureusement moins virulentes lorsqu'il s'agissait d'elle. Souvent nous n'avions dû notre survie qu'à Frank.

Il y a des dettes que je ne pourrais jamais payer et la sienne est de loin la plus élevée.

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La berline file dans la nuit. Petit à petit, les lampadaires se multiplient alors que nous approchons du centre-ville. Ils illuminent l'intérieur de la voiture à un rythme presque régulier et chaque flash est une minuscule agression avec la fatigue qui s'accumule derrière mes paupières. Ma dernière bonne nuit de sommeil remonte à loin. Je ne me souviens pas non plus d'une vie où une légère douleur ne pulsait pas dans mes tempes. Un soupir m'échappe et mes yeux se ferment machinalement lorsque mon téléphone commence à vibrer dans la poche intérieure de mon manteau. J'y glisse une main pour le récupérer, prête à répondre d'une voix mordante, mais l'envie disparaît aussi vite qu'elle est apparue. Frank. C'est un peu ridicule mais je ne peux pas chasser l'idée qu'il appelle car j'ai pensé à lui quelques instants plus tôt. Dans le fond, je sais qu'il ne s'agit que d'un hasard. Le penser reste néanmoins réconfortant.

Frank. Hi. Miss Sienna. Il me salue poliment, comme il le fait trop souvent depuis quelques années. Une telle distance est parfois perturbante après tout ce qu'il a fait pour nous. Il n'est pas qu'un employé. Il est spécial. Je me suis trop reposée sur lui pour qu'il se fende d'une telle attitude. Please, Frank. Je souffle avec fatigue. Je ne suis pas d'humeur à l'entendre me faire des courbettes. Il rit un peu avant de reprendre plus sombrement. The situation isn't getting better, is it ? C'est le moins qu'on puisse dire. A peine un murmure m'échappe en guise de réponse. Il comprendra, je n'en doute pas. Quelques battements de silence s'écoulent. Frank a compris bien plus. Je ne tiens pas à parler de ce qui m'occupe à Unys.

How is she ? Inutile de préciser de qui je parle. Il n'y a qu'une personne à laquelle je pourrais m'intéresser de la sorte. Not doing so good. As you can imagine. She called me. Je confie, un peu trop empressée de me débarrasser de la honte de l'avoir déçue à nouveau. I could not answer. She will understand. I'm not so sure. She will understand. Il insiste. Only if she learns the truth. Il soupire. It was your choice. Il n'y a qu'un rappel dans sa voix. Il ne me juge pas. Je le fais déjà assez moi-même.

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Je ne sais pas quoi dire. Je n'ai pas non plus envie de raccrocher. Pendant un moment, je veux de cette proximité avec Frank, avec Reyna aussi par extension, même si elle se fait dans le silence. Mes épaules se sont détendues et je suis bien enfoncée dans le siège. Plus relaxée que je ne l'ai été depuis des jours.

She met a boy. Frank s'exprime au bout d'un moment. Le choix du sujet est surprenant de prime abord. Le fait ne m'étonne pas. C'est juste cette façon qu'il a de le dire. A tale as old as time. Il glousse. Un son qu'il est difficile d'imaginer sortir d'un homme aussi impressionnant sur le plan physique. It's not like that. Not yet anyway. He helps her. Informs her about Alola. It's pretty funny, he's like a mock-handler. I'm not that surprised. C'est du Reyna tout craché. Malgré son côté rustre et ses sautes d'humeur, elle attire les autres. Il se dégage d'elle une énergie trop chaleureuse que pour être ignorée. Lorsqu'elle prendra conscience de son charisme naturel, elle sera inarrêtable. J'en suis sûre depuis un moment déjà. Il lui faut juste grandir. Qu'elle reste un brin naïve encore un peu ne me dérange pas. C'est tout ce que je lui souhaite. La raison pour laquelle elle n'est pas à mes côtés dans les difficultés que je suis en train de traverser. Elle a déjà fait des choses que d'autres voient comme horribles pour son âge mais c'est la réalité de notre famille. Mais la liste de responsabilités qui vient avec le nom des Brancaleoni est encore longue et je me salirais les mains à sa place aussi longtemps que je le pourrais. Tant de son enfance a déjà été sacrifiée, je veux qu'elle finisse son adolescence pour elle-même avant de penser au reste.

His father dabbles a bit in the business. Nothing serious but I thought you would like to know. Of course. Dans un archipel si grand, il a fallu que ma cadette aille s'enticher d'un gars d'un milieu similaire. Cela ne m'inquiète pas vraiment, j'espère juste qu'elle ne lui cassera pas le nez à celui-là. Keep an eye on the father. I trust Reyna's instinct with the son. Je n'ai jamais eu à me soucier de sa vie amoureuse. Elle a timidement existé et son type est plutôt évident. J'ai été soulagée en la voyant se désintéresser des bad boys et des petits prétentieux issus de riches familles. Ma chère sœur les préfère timides et un peu nerdy sur les bords. Des goûts qu'elle partage avec feu notre mère, j'en ai l'impression.

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La voiture roule et le silence se déroule avec elle durant encore un moment. Frank se racle la gorge au bout du fil. J'entends un léger bruit de craquement. Il doit s'en doute bouger sur une chaise peu adaptée à sa stature. She had made progress. Hm ? With her new pokémons. She thinks she will soon be ready for the next step. Challenge these thugs ? Yeah. Un soupir m'échappe. Je laisse ma tête reposer contre l'arrière du siège autant que je le peux avec cette queue de cheval haute que je me suis faite ce matin. Even if she succeeds - which I don't doubt - the road to the League will be a long one. J'ai beau avoir confiance en elle, arriver jusque là n'est pas un exploit aisé. La plupart des gens mettent des années avant de se hisser jusqu'aux meilleurs dresseurs toutes régions confondues. Il me paraît impossible qu'elle y parvienne avant que je n'ai pu régler notre problème.

And what happen if you fail ? Une question légitime bien qu'elle me fasse grincer des dents. J'ai beau être préparée à cette éventualité, l'entendre est déplaisant. Surtout venant de lui. Frank est pourtant bien placé pour me questionner. Je soupire à nouveau. I made my arrangements. Don't worry. Oh but I worry. Always. L'affirmation m'arrache un sourire fatigué. Are you sure of yourself ? What do you mean ? Sa voix se charge de tristesse. If you die today, will you do it with regret ? You could have stayed together. Run away, start a new life. Je n'en reviens pas qu'il évoque une telle possibilité. Mon poing se serre et s'abat sur le siège dans un son étouffé. A Brancaleoni doesn't run away ! Il rétorque aussitôt. A Brancaleoni does not stay alone.

La voiture s'est arrêtée à un feu rouge. La lumière des lampadaires urbains illumine l'habitacle et je croise mon reflet déformé dans le métal brillant qui forme l'appui-tête. Sienna. Il insiste. Why is it so important ? Of course I have regrets. Of course I missed her. But I want more for her. And she want more from you.

Je raccroche.

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