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» Je ne me souviens que d'un mur immense

Ada Freimann

Ada Freimann
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Jeu 30 Avr - 23:52
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Je ne me souviens que d'un mur immense


Nous avions passé la frontière kantoienne depuis une petite heure et nous longions désormais la longue chaîne de montagnes qui séparait Kantô de Johto, en direction du sud. À vol d'oiseau, nous étions désormais très proches d'Ébenelle et de la Ligue 4, notre destination ; mais en voiture, il était impossible de traverser les montagnes, à moins de s'engager sur d'interminables routes tortueuses qui ne nous auraient sans doute pas permis de terminer notre trajet avant l'aube. Nous étions donc obligés de suivre l'axe principal jusqu'à la sortie vers Bourg Geon, à l'endroit où l'autoroute kantoienne continuait vers Jadielle. De là, il nous faudrait remonter vers le nord en suivant la voie plus étroite qui reliait directement Bourg Geon à Ébenelle, passant dans la longue vallée cernée de montagnes dite de la "Route Victoire". Je connaissais le trajet, même si je ne l'avais que rarement parcouru en voiture, tous les autres moyens de transport paraissant préférables pour rallier Kalos à Johto : nous ne serions pas en vue du QG avant de longues heures. Bien que la route fût dégagée et que Terence, je m'en rendais compte, fît son possible pour ne pas perdre de temps en dépit des pauses réglementaires, ce serait donc la pleine nuit lorsque nous débarquerions à Ébenelle. Cela n'était toutefois pas dérangeant : nous ne nous étions pas concertés dans ce but, ayant quitté Mozheim dès que tout avait été en ordre, mais je songeais que pour le passager qui nous accompagnait, une arrivée nocturne était sans doute de toute façon préférable. Il n'y avait plus qu'à espérer que tout se passe bien d'ici-là.

J'apercevais le visage de Louis dans le rétroviseur intérieur. Il avait pris un calmant pour le début du trajet, ce qui ne l'avait pas empêché de le vivre particulièrement mal, et je l'avais vu passer par à peu près toutes les phases du rejet, de l'angoisse, de la panique, du désespoir tandis qu'il luttait contre lui-même pour rester assis à sa place et ne pas obliger Terence à faire un écart, jusqu'à ce que son cerveau ne commence à se faire à l'idée qu'il devait rester dans cette voiture, et qu'il ne s'y trouvait rien qui lui ferait du mal. Les pauses toutes les deux heures étaient un autre moment difficile, mais Terence les pratiquait consciencieusement et je ne pouvais lui en vouloir, surtout avec toute la distance qu'il avait déjà parcourue pour venir nous chercher à l'aller ; je lui étais particulièrement reconnaissante de ce qu'il veillait à toujours sortir vite, en ne laissant qu'un instant ouverte la portière de son côté. Quant à moi, je restais dans la voiture, avec Louis. Je ne le regardais pas. Comme depuis le début du trajet, je ne lui parlais presque pas, sinon à de très rares occasions pour des informations purement utilitaires, toujours brièvement. Je sortais mon livre, profitant de ce que le soleil n'était pas encore tout à fait couché pour lire une ou deux pages, avant que la luminosité ne soit décidément trop basse. Je restais pourtant avec lui. Je ne savais pas très bien si c'était pour le surveiller, ou pour lui tenir compagnie. Sans doute que lui aussi l'ignorait.

À présent, il était toujours réveillé, mais il s'était calmé. Il regardait droit devant lui, un regard fixe, tourné vers une destination que lui seul connaissait. Parfois, ce regard vacillait, se déplaçait, désorienté, et je le savais en proie à une nouvelle vague d'agitation qu'il s'efforçait de réprimer par la nécessité à laquelle l'obligeait la situation – pour son bien, comme pour le nôtre. À d'autres moments, il se baissait vers Perceval qui dormait sur ses genoux, et il lui caressait la tête. Nous avions dû le sortir, tout à l'heure, car cela faisait un long trajet enfermé pour un Pokémon Vol, et je pensais au début que Louis finirait par le faire rentrer dans sa pokéball. Mais sa présence semblait lui faire du bien, et une fois que le Lakmécygne gris avait pu prendre un peu l'air, il était très vite rentré dans l'habitacle et, depuis, somnolait sans un bruit. D'autre fois, enfin, les yeux de Louis se levaient vers moi, dans le rétroviseur, et nous échangions un long regard. Je le dévisageais dans ses yeux sombres, bleus comme l'océan là où les vagues surmontent les abysses ténébreuses, bleus comme la mer sous les derniers rayons d'un soleil éclatant avant la pluie et la tempête, bleus comme le ciel en ces heures de crépuscule où l'effroi croît dans les cœurs incertains et où les esprits les plus fragiles s'agitent, dans ces heures entre Ponchien et Grahyena, dans ces heures grises, les heures des fous. Sous ses fines lunettes dont un des verres était fêlé (nous n'avions pas eu le temps de les donner à refaire), il paraissait plus épuisé que jamais : amaigri, les traits creusés, les joues ombrées par des cernes de plusieurs mois. C'était une fatigue qui, depuis longtemps maintenant, ne le quittait pas.

Je soutenais son regard, et il soutenait le mien, peut-être parce que nous ne pouvions plus rien nous dire, peut-être parce que nous en savions trop, peut-être seulement parce que la distance rétroviseur nous donnait ce courage sans lequel nous n'aurions pu nous dévisager ainsi. Nous nous fixions comme si nous nous demandions ce que nous cherchions encore chez l'autre ; et, en cet instant, nous n'avions pas de réponse. Alors, nous arrêtions de nous regarder. Et je ne parlais toujours pas.

Ada... Je te présente mes excuses... pour ce que je t'ai dit, à propos de Sara. Je ne le pensais pas.


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Ada Freimann

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Ven 1 Mai - 18:34
Depuis le début du trajet, le silence régnait dans la voiture. Il m'arrivait bien sûr de devoir échanger quelques mots avec Terence pour des raisons utilitaires, mais nous le faisions toujours à voix basse, brièvement, avant de nous taire à nouveau pour toute l'heure à venir, comme si les paroles étaient quelque chose de rare, qu'il nous fallait compter, ou comme si elles étaient lourdes d'un sens que nous ne maîtrisions pas. C'était tout aussi bas que j'avais téléphoné à Mishka, un peu plus tôt, pour l'avertir de l'heure supposée de notre arrivée et lui demander de préparer la chambre : je n'avais pas tardé à raccrocher, sans être entrée dans aucun détail, et je m'étais contentée de lui envoyer plusieurs messages après. Comment aurais-je pu faire autrement, avec le passager assis derrière moi ?

Nous roulions, muets, dans un silence qui n'était pas pesant, qui venait seulement de ce que nous ne pouvions rien nous dire – je ne pouvais rien leur dire, maintenant. Nous entendions seulement le ronronnement du moteur, troublé quelquefois par la voix du GPS que Terence, fier d'une absence de sens de l'orientation légendaire, avait programmée au volume minimal. Sa clé USB remplie de morceaux de jazz reposait près de l'allume-cigares : je lui était reconnaissante de ne pas l'avoir branchée. Je lui étais reconnaissante de tellement de choses ce soir, à commencer par le fait de s'être montré compréhensif, d'avoir fait le trajet jusqu'à Mozheim, d'avoir respecté mon silence, ainsi que l'état de Louis, de ne pas poser de questions. Je savais qu'il nous faudrait avoir une discussion, plus tard. Mais, pour le moment, c'était impossible : alors, il faisait simplement son travail d'agent, en cherchant à se montrer le plus discret possible pour mettre Louis à l'aise, pour qu'il puisse oublier, presque, qu'il était là, et je l'en remerciais. Bien que ce fût la première fois qu'ils se rencontraient, j'avais parlé plusieurs fois de Terence à Louis, alors il savait que je lui faisais confiance. Et pourtant, être enfermé dans une boîte étroite qui roulait, lâchée dans le monde, avec deux autres personnes, dont un étranger – il ne devait pas y avoir pour lui beaucoup de choses plus difficiles en cet instant présent.

C'était pour Louis que nous avions fait le choix de la voiture parmi tous les moyens de transport. Sans cela, nous aurions rallié Johto par la voie des airs, comme j'en avais l'habitude ; mais il aurait été impossible pour Louis d'envisager de se retrouver à dos de Pokémon Vol, avec tout l'espace autour de lui sans aucune protection, ni dans un couloir avec de nombreux inconnus. C'était cette même dernière raison qui nous avait fait rejeter la possibilité du train. Finalement, la voiture semblait le véhicule le plus petit, le plus fermé, le plus sûr ; et son chauffeur au manoir, depuis longtemps désœuvré, s'était proposé de nous conduire jusqu'à Ébenelle. Mais dans une voiture, il y avait encore trop de fenêtres. Alors, j'avais pensé aux véhicules mis à disposition par la Ligue, dont les vitres teintées nous isolaient de l'extérieur. C'était pour cette raison que Terence était venu.

Ni lui ni moi ne parlions ; en revanche, Louis, derrière nous, s'agitait beaucoup par moment, et il m'avait aussi adressé la parole quelques fois vers le début du trajet. Ce devait toutefois être malgré lui, car je sentais qu'en temps normal, il ne se serait jamais comporté ainsi. Si la notion de "temps normal" pouvait encore signifier quelque chose. Au début, il voulait s'asseoir sur le siège du milieu car la proximité d'une fenêtre l'angoissait, mais cette place était encore pire, car il nous voyait constamment, Terence et moi, et il ne pouvait échapper à la vision de la route lorsqu'il regardait devant lui. Alors, il s'était placé à gauche, derrière le siège conducteur, et nous avions fini par suspendre un tissu sur la vitre en le coinçant dans l'encadrement de la fenêtre refermée car sa couleur teintée ne suffisait pas. Terence avait aussi activé la sécurité enfants – pour le rassurer, ou peut-être pour me rassurer moi. Quant au siège du milieu, il accueillait une ombre à l'œil rouge – le Téraclope qui suivait Louis. J'aurais voulu qu'il reste à Mozheim, mais il apparaissait toujours quand on ne s'y attendait pas – et, cette fois, Louis avait pris sa défense. « Il vient avec moi. » Il avait tellement grossi depuis la dernière fois que je l'avais vu. Même s'il savait se faire discret, chaque fois que je me tournais vers la banquette arrière, c'était son œil que je voyais, avant de pouvoir regarder Louis. Je ne l'aimais pas, mais il semblait qu'il me faudrait désormais compter avec lui.

J'avais répondu quelquefois à ce que Louis me disait, lorsque c'était nécessaire, ne fût-ce que pour le rassurer quand la tension était trop élevée. D'autre fois – quand je pouvais l'éviter – je ne répondais pas. Je n'avais plus envie de lui parler. Nous aurions beaucoup de choses à nous dire, j'avais des questions à lui poser, nous aurions des décisions à prendre et surtout, lorsque nous serions prêts, nous aurions un choix à faire : nous en avions tous les deux conscience. Mais pour l'heure, je n'avais plus le courage de lui adresser la parole. Je l'entendais aligner des mots dans le vide, c'était pour soulager le stress ou pour se changer les idées, je ne voulais pas voir ses poings se serrer et son front se plisser, je ne voulais plus guetter sa main pour vérifier qu'elle ne tremblait plus, même s'il s'agissait désormais pour lui d'échapper à l'habitude, et en même temps à l'angoisse que la situation présente, dans la voiture, provoquait en lui. Je voulais lutter avec lui. Mais, pour le moment, je ressassais tout ce qu'il s'était passé ces jours-ci, et je n'en trouvais pas le courage. Alors, je me contentais de regarder la route, ou de lui jeter des coups d'œil dans le rétroviseur, et de ne lui répondre que quand je m'y sentais obligée.

Cela faisait un moment qu'il paraissait plus calme ; et, la phrase qu'il m'avait dite, je sentais qu'il l'avait mûrie longtemps. Depuis que nous avions pris la route, c'était la première fois qu'il me parlait sur ce ton-là – sur ce ton qui paraissait vraiment le sien. Je ne m'attendais pas à ce qu'il revienne sur ce point maintenant, en présence de Terence – en fait, je ne m'attendais pas à ce qu'il revienne dessus tout court. Je levai les yeux vers le rétroviseur : il m'observait à-demi, attendant ma réaction tout en semblant la craindre. Oui, il avait besoin de parler. Mais ce n'était pas mon cas.

...Je sais. C'est ta maladie.

Je reportai mon regard vers la fenêtre, pour contempler vaguement les masses sombres des montagnes qui défilaient dans la nuit tombante. Je le sentais, tendu, derrière moi, dans l'attente que je lui dise quelque chose de plus : que je lui fasse comprendre, peut-être, par un regard, que je ne lui en voulais pas. Mais je n'en avais pas envie. Terence était entre nous, il ne pouvait pas l'avoir oublié ; et même si nous avions été seuls, ce n'était pas maintenant que je souhaitais lui parler. Je lui pardonnerais, et je lutterais avec lui, et je ferais tout pour qu'il guérisse – je lui avais peut-être même déjà pardonné. Il n'empêchait qu'en cet instant, je lui en voulais, alors je n'avais pas le courage d'engager la conversation avec lui.

Il faisait trop nuit pour lire. Je pianotai sur mon téléphone pour envoyer un nouveau message à Mishka. J'entendais Louis remuer derrière moi. Comme j'avais l'impression que cela ne le dérangerait pas trop, et que nous avions tous les deux besoin de concentrer nos pensées sur quelque chose, je branchai la clé USB de Terence en mettant le volume au plus bas et un premier morceau de jazz commença à résonner, doucement, dans la voiture.

La tête appuyée contre la vitre, je fermai les yeux. J'avais envie qu'il s'endorme. Mais je savais que ni lui, ni moi ne trouverions le sommeil durant ce long trajet.


« Louis, écoute... Je vais être égoïste. Ce sera la dernière fois. Ensuite... Je te laisserai le choix.
Mais pour l'instant, je vais t'emmener avec moi à la Ligue. »


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Ada Freimann

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Mer 10 Juin - 16:12
Il était deux heures et demie du matin quand nous atteignîmes enfin le Quartier Général de la Ligue. Malgré le halo jaune des réverbères et les lumières qui éclairaient encore certaines fenêtres des différents bâtiments, l'endroit était particulièrement paisible, niché au milieu des hautes montagnes d'Ébenelle exemptes de toute âme humaine ; et quand Terence coupa le contact de la voiture, faisant s'éteindre le son d'un dernier morceau de jazz, ce fut un silence d'une obscurité profonde qui envahit l'habitacle.

Terence s'était arrêté juste devant l'immeuble des champions. Il sortit de la voiture avec moi et s'occupa de décharger le coffre tandis que j'ouvrais la portière de Louis. Depuis ses excuses au sujet de Sara, mon cousin n'avait plus dit un mot de tout le trajet : il s'était contenté de rester immobile sur sa banquette, l'air nerveux, les yeux baissés, s'agitant seulement parfois. À quoi pouvait-il bien penser, durant ces longues heures de silence ? Je n'avais pas eu le courage de m'y appesantir, car je croyais pouvoir le deviner sans mal et cela me faisait, pour le moment, un tel mal au cœur que je ne souhaitais pas y réfléchir. Alors que Terence, resté en retrait, s'apprêtait à devoir nous prêter main-forte, Louis se montra étonnamment volontaire pour sortir de la voiture. Était-ce une tentative pour recouvrer un semblant de dignité, ou une façon de s'excuser auprès de nous des efforts que nous fournissions pour lui ? Quoique tremblant – mais de crainte –, le regard rivé au sol, il se leva de lui-même et s'agrippa à mon bras pour se maintenir debout, d'une force qu'avant ces derniers jours, je n'avais presque fait que deviner chez lui. Je coinçai son avant-bras contre mon coude et nous parcourûmes lentement les quelques mètres qui nous séparaient de la double-porte, deux aventuriers progressant sur un pont suspendu au-dessus d'un abîme. Terence, les valises à la main, restait en arrière : nous protégeait-il du cercle de lumière des réverbères au cas où un paparazzi tardif se fût dissimulé dans la nuit d'encre, car ma petite semaine d'absence, malgré toutes les précautions prises par la Ligue pour me couvrir, avait déjà fait du bruit ? À moins que ce ne fût pour intervenir au cas où Louis se serait brusquement dégagé... Mais Louis était incapable de se déplacer seul dehors, et j'étais trop inquiète pour me préoccuper de ce que l'on pouvait raconter sur moi. Cela ne m'avait jamais touchée, de toute manière.

Louis relâcha un peu sa pression une fois à l'intérieur et je pus appeler l'ascenseur pour monter à l'étage. Perceval, le Téraclope, Terence et les deux grosses valises nous suivaient ; il était convenu que Howell nous fasse suivre d'autres affaires par la malle-poste d'un taxi volant. À travers ses lunettes, les yeux de mon cousin, fixés quelque part sur le sol, paraissaient étrangement froids ; ces temps-ci, j'étais trop souvent devenue incapable d'y lire quoi que ce soit. L'ascenseur s'arrêta enfin et nous sortîmes à l'étage des appartements des champions. Sous les lumières automatiques, nous avançâmes sans un bruit jusqu'à ma porte d'entrée, mais celle-ci s'ouvrit avant même que Terence ne sortît les clés.

Ada ! chuchota Mishka. ...Louis ! Entrez !

Ma petite sœur en chemise de nuit, encore coiffée, dans l'appartement éclairé, qui ne s'était visiblement pas couchée dans l'attente de notre retour. Elle eut un mouvement de recul en voyant apparaître le Téraclope à l’œil rouge, tout comme moi la première fois, mais Louis ne parut pas le remarquer. Terence nous donna les valises afin de pouvoir refermer la porte derrière nous et d'aller regarer la voiture ; j'eus tout juste le temps de lui adresser un signe de remerciement.

J'espérais que Louis se sente mieux une fois la porte close, mais ce ne fut qu'à peine le cas. Il se redressa, parut faire un gros effort pour relâcher mon bras et regarda enfin Mishka, à l'attention de qui il eut un hochement de tête accompagné d'un sourire.

Bonsoir, Mariska. Tu as l'air en pleine forme.

Mishka le dévisagea en paraissant ne pas savoir comment réagir.

...Merci, Louis...

...Fut tout ce qu'elle parvint à bredouiller. Il aurait en effet été difficile de lui rendre le compliment, à moins de sous-entendre qu'il devait être plus en forme que, sans doute, cinq jours auparavant. Malgré les paroles qu'il venait de prononcer, les premières depuis plusieurs heures, il se montrait étrangement raide et il était visible qu'il prenait beaucoup sur lui, jusqu'à son sourire, trop guindé pour être naturel. Un coup d'œil à la pièce me permit de constater que Mishka, comme je le lui avais demandé, avait fermé les volets et commencé à déménager certaines de mes affaires de ma chambre vers la sienne. Plutôt que nous restions à nous fixer dans le blanc des yeux, dans un malaise palpable, je me saisis d'une des valises :

Tu m'aides ? fis-je à Mishka.


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Ada Freimann

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Sam 13 Juin - 15:48
Nous déposâmes les bagages dans ma chambre dont j'allumai les lumières. Les volets de cette pièce aussi avait été fermés et les rideaux, tirés. Cela faisait bien des mois que Louis et Mishka ne s'étaient pas vus, peut-être même plus d'un an, en fait, à peu près depuis qu'il s'était complètement coupé du monde, sinon de moi. Bien sûr, il n'était pas venu aux dernières fêtes de famille, se bornant à envoyer des cartes de vœux et des lettres de félicitations avec des fleurs aux anniversaires. Elle avait cependant suivi ce qu'il devenait par mon biais et ces jours-ci, à Mozheim, j'avais beaucoup échangé au téléphone avec elle, par besoin d'évacuer.

Tu vas prendre ma chambre, annonçai-je à Louis. Je dormirai avec Mishka. On t'a fait une place dans l'armoire, tu peux y mettre tes affaires, par contre, demain, on déménagera mon bureau parce que c'est là que je travaille. Il faudrait laisser les affaires des Pokémon là, si ça ne te dérange pas. Tu peux piocher parmi les livres sans problème, il y a aussi des étagères dans le salon. Les prises sont là si tu as besoin. La salle de bains est à côté...

Tout en parlant, j'ouvrais les placards, les tiroirs, pour lui montrer l'espace que Mishka avait libéré et ce qui contenait encore mes affaires. L'appartement était divisé en trois parties : à gauche, il y avait la chambre de Mishka ainsi qu'un grand placard, au centre, la pièce à vivre et à droite, ma chambre, la plus spacieuse, et la salle de bain. Peut-être aurait-il été plus simple que ce soit la chambre de Mishka que nous attribuions à Louis, ne serait-ce que parce qu'elle était plus petite et donc plus susceptible d'accueillir une seule personne que deux, mais quand j'avais fait part de mes projets à ma petite sœur, je n'avais pas songé une seule seconde à lui demander ce service. Il m'avait paru naturel que ce soit dans ma chambre que dorme Louis, comme il m'avait paru naturel de lui demander de venir ici sans m'en être ouverte à aucun autre membre de notre famille au préalable.

Louis restait debout, inexpressif, suivant mes mouvements des yeux – mais je n'osais plus, ou ne voulais plus, le regarder en face. Aux murs, parmi les schémas de Pokémon fossiles et les photos de paysage, il y avait la plaque en liège sur laquelle j'avais fixé des photos de mes proches, parmi lesquelles celles de Louis et moi – je n'y pensais plus, à celle-là... Je sortis de la chambre avec Louis pour lui montrer la salle de bain.

...Voilà. Tu peux mettre tes affaires avec les nôtres. Dis-moi s'il te manque quelque chose, on peut à peu près tout obtenir rapidement ici. Attention, n'utilise pas ces produits, c'est pour les Pokémon. Je baigne Viviane tous les jours à sept heures et vers vingt-et-une heures, la baignoire est inutilisable à ces moments-là. Si tu as faim en dehors des heures de repas, il y a un petit frigo dans le salon, tu as vu... Mais fais-moi signe sinon...

La salle de bains, le frigo... Je lui présentais tout cela avec une appréhension que je cherchais à masquer, et je ne mentionnai pas la cuisine commune ni le service de ravitaillement – pas encore. J'étais inquiète de ses réactions, mais Louis m'écoutait sans mot dire, calmement, n'esquissant pas le moindre geste de trop. Nous retournâmes dans ma chambre. Perceval furetait partout, mais il semblait n'attendre qu'un signe de son maître ou de moi pour se nicher quelque part et dormir ; le Téraclope nous suivait comme une ombre, mais en restant à quelques mètres de distance.

Le lit est fait, dit Mishka qui restait dans l'embrasure de la porte, peut-être par timidité.
...Bon. Je ne savais plus quoi dire, et pourtant je rechignais à le laisser seul, alors qu'il ne s'était presque pas exprimé, alors que j'ignorais totalement dans quel état d'esprit il se trouvait. J'étais inquiète. Toujours. Je craignais tant que quelque chose m'eût échappé, dont j'aurais eu à me repentir ensuite. Je te laisse t'installer... Nous, on va se coucher. J'essaierai de ne pas trop te déranger. Si, dans la journée, tu as un problème et que je suis au travail, appelle Terence, je vais t'envoyer son numéro. Il acquiesça.
Merci.

Avant de quitter la pièce, comme si cela ne me revenait qu'à peine, je fis sortir ma Vacilys de sa pokéball.

...Je te laisse Viviane pour la nuit... D'accord ?

J'avais prévu de le faire, mais je ne savais pas très bien comment le lui exposer. Il baissa les yeux vers la fleur tentaculaire désormais postée près de la porte, les releva vers moi, et je compris qu'il comprit. J'avais toujours beaucoup de mal à le regarder en face ; mais je vis le sourire étrange, comme ironique, qui étira ses lèvres.

Tu ne me fais pas confiance ? demanda-t-il.

Cette fois, je le dévisageai. Je croyais le connaître par cœur, mais je ne m'étais jamais rendu compte qu'il ressemblait autant à son frère, Otto.

Non, répondis-je.

Il hocha la tête, et soudain, je compris ce qui m'avait échappé, jusque-là, dans son regard : c'était un air de tristesse.

Tu as raison, dit-il.

J'avais cru son sourire ironique, mais finalement, peut-être était-il fait de mélancolie avant tout... Je quittai la chambre en refermant la porte derrière moi, sans qu'aucun de nous deux n'ait ajouté le moindre mot.


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Sam 24 Juil - 18:34
— Un an et demi plus tôt

    Après le jour de l'enterrement d'Otto, quand Louis m'avait demandé de rentrer chez moi, plusieurs mois avaient ensuite passé sans que nous nous voyions.

    Ne pouvant supporter de rester à Mozheim, j'avais décidé de tout quitter pour entamer un nouveau voyage pokémon, mon quatrième. Je m'étais enfuie sur les chemins côtiers et bordés de palmiers de la région de Hoenn, que je ne connaissais alors que par de brèves vacances, et qui était donc dénuée de tout souvenir commun avec mon cousin. Résolue à me changer les idées, je m'étais coupée de ma famille comme lorsque, adolescente, j'avais quitté le pensionnat pour partir sur les routes de Kalos – bien qu'à l'époque, il s'agissait d'un secret dont je ne m'étais ouverte qu'à Louis. J'avais remporté un premier badge, puis un deuxième, puis un troisième ; après trois Ligues vaincues, ma réputation de dresseuse commençait à se consolider et j'affrontais sans flancher les adversaires toujours plus coriaces qui se dressaient face à moi, heureuse de me consacrer de nouveau à ce que je préférais.

    Pour les fêtes de Noël, j'avais marqué une pause dans mon voyage afin de rentrer dans ma famille : une tradition que je n'avais jamais manquée. Nous avions toujours fêté Noël dans le manoir historique de la branche aînée des Freimann, à savoir celui qu'occupait Louis. Ces deux dernières années n'avaient pas échappé à la règle, malgré le décès du père puis de l'un des deux fils, et le fait que ce noyau familial fût en passe de se réduire à peau de chagrin ; le Noël suivant poursuivrait l'usage, en dépit de conditions encore plus particulières.

    Ce Noël-ci, il y avait Louis, Tante Sophie, mes parents, mes sœurs, Heinrich et Dimitri, Louis le patriarche, un grand-oncle, son épouse et leurs enfants, d'autres grandes-tantes ; nous étions dix-neuf en tout, à nous attabler dans l'immense salle à manger qui aurait pu accueillir quatre fois notre nombre sans qu'on ne se sente serré, dix-neuf à nous rendre, ensemble, dans l'église voisine pour défiler aux flambeaux et écouter la messe de minuit, dix-neuf à nous offrir, au retour, nos cadeaux dans les salles chauffées du manoir, puis à nous amasser par petits groupes devant les feux de cheminées pour échanger des photos, des souvenirs, des nouvelles, tout au long de cette longue nuit de Noël. Il avait neigé dehors, comme souvent en hiver sur ces hauteurs de Mozheim ; dans les pièces occupées de ce trop grand manoir, ces pièces doucement chauffées et où les lueurs apaisantes des bougies avaient relayé celles des lampes, l'absence de feu Oncle Léopold s'était, une fois de plus, fait durement sentir, mais l'esprit de fête avait malgré tout pris le dessus pour la plupart d'entre nous.

    Ce soir-là, Louis avait accueilli l'ensemble de ses invités avec un sens des convenances que peu d'entre nous lui connaissaient. Quand il y était décidé, Louis savait passer maître dans l'art des faux-semblants ; il en fit, ce Noël, une éclatante démonstration, qui serait plus tard malheureusement amenée à se confirmer. Depuis qu'il avait transmis la charge de l'entreprise familiale à Heinrich, les murmures dans son dos étaient nombreux ; malgré les larges sourires des invités, ce repas était aussi, pour beaucoup, une occasion de le juger dans son nouveau rôle de chef de famille. Mais la noblesse et l'affabilité dont il fit preuve durant tout le réveillon furent de nature à faire taire la majeure partie des critiques. Pourtant, malgré tous ses efforts – sa dignité sans taches, son sérieux très soigné, la maîtrise pour ainsi dire parfaite de tous les usages qu'il démontra de l'arrivée des invités jusqu'aux derniers départs – il sembla manquer de quelque chose, peut-être un éclat plus important d'enthousiasme, une spontanéité ; le quelque chose en plus qui aurait convaincu chacun de sa solidité. À la place, nous fûmes laissés sur une impression confuse, qui empêchait les critiques sans éliminer tout à fait les murmures.

    Comment les autres le voyaient, en réalité, je ne le devinai que par les échos que j'attrapai plus tard au vol. Ce soir-là, j'étais moi-même trop concentrée sur mes propres sentiments et la recherche d'une attention qu'il avait, semblait-il, cessé de m'accorder, pour vraiment m'intéresser aux autres. C'était la première fois que je voyais Louis depuis qu'il m'avait fait comprendre son désir de mettre en pause nos relations, la première fois que nous échangions depuis des mois ; et il se montra distant.

    De toute la soirée, pas une fois il ne nous permit de rester seuls ensemble. Ce n'était même pas non plus comme s'il m'évitait : son regard se posait quelquefois sur moi, il m'adressait la parole au cours d'échanges superficiels, effleurant seulement les sujets, comme il le fit avec tous les autres durant ce réveillon. Mais il ne s'approchait que lorsque j'étais avec mes sœurs ou avec mes parents ; dès que nous menacions de nous trouver seule à seul, il partait. Quand je montrai les photos de mon voyage aux intéressés – une partie de ma famille commençait timidement à admettre ma carrière de dresseuse pokémon – il fit partie des curieux, mais n'adressa à mes photos que quelques regards par-dessus mon épaule avant de s'éloigner plus tôt que la politesse ne le lui recommandait. Et quand je tentai à mon tour de le questionner sur l'avancée de ses projets personnels, il ne me fit que des réponses évasives : impossible de deviner s'il avait vraiment profité de ces derniers mois pour se consacrer à la peinture et à la musique, comme il l'avait annoncé. Il se produisit tout de même au piano du salon au moment de l'habituel récital, accompagnant Lexie qui nous offrit de délicieux morceaux chantés de sa voix agréable – je me demandai si, de piano, il avait fait réparer celui de sa chambre. Et rien de plus.

    Dans la famille, tout le monde connaissait notre ancienne proximité, si bien que cette soudaine distance ne pouvait qu'être remarquée. Ce fut même au point que mon père, au détour d'un couloir, me glissa :
    « Dis-moi, Ada... Il s'est passé quelque chose, avec Louis ? »
    Allons bon. Toute notre adolescence, on nous avait reproché d'être trop intimes, et voilà que quand, enfin, on cédait à leurs souhaits, on me faisait savoir qu'on s'en inquiétait ! Mais mon père était le parrain de Louis, et il se faisait pour lui un souci sincère. Je secouai pourtant la tête. « Non. Rien de spécial. »
    Rien de spécial, si les choses étaient désormais vouées à aller ainsi.

    Je respectai cette volonté de me mettre à distance, si bien que lorsque je le vis, discrètement, s'éclipser à quelques moments de la soirée, sans doute pour se reposer, je n'en profitai pas pour le rejoindre. Je souffrais de cette violente mise à l'écart ; mais ce qui était le plus dur, c'était d'avoir l'impression que cette souffrance n'était pas partagée. Quand il m'accordait à peine un regard puis s'éloignait, après seulement quelques mots échangés, comment croire qu'il ressentait encore quoi que ce soit pour moi ? Même son cadeau de Noël : des chocolats, une fleur, un bijou. Bien choisis, chacun, mais la même chose qu'à mes sœurs. Et je me sentais horrible d'espérer que lui aussi souffre, mais c'était une déchirure que de le voir se comporter avec moi comme avec tous les autres – de penser que, peut-être, il était déjà parvenu à mettre notre histoire derrière lui, quand je n'aurais jamais cru cela possible. Je ne le croyais pas possible pour moi.

    Il jouait un rôle, pourtant, cela me paraissait très clair ; mais peut-être sa raison d'être n'avait-elle rien à voir avec moi. Il jouait un rôle, ce soir-là, et j'avais l'impression de n'en être qu'une des spectatrices parmi tant d'autres.
    J'aurais pourtant dû me réjouir de voir Louis, même si distant : au Noël de l'année suivante, il prétexterait être malade et, de toute la soirée, ne se montrerait pas.


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Ada Freimann

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Lun 26 Juil - 15:19
Passé
    Je repartis pour plusieurs mois de voyage pokémon, raréfiant mes contacts avec ma famille afin de me sentir libre de mes expériences. Quatrième badge, sixième badge, huitième badge... Je finis par compléter le défi de Hoenn et, après une pause bien méritée, m'inscrivis à la Master Ligue, le dernier des tournois, dans le but de remporter une quatrième coupe qui viendrait rejoindre celles de Kalos, Galar et Sinnoh déjà installées chez moi.

    Pour ma Master Ligue, j'envoyai des invitations aux matchs à plusieurs des membres de ma famille, quand bien même la plupart d'entre eux continuaient à désapprouver ma passion pour les combats pokémons et ma participation à des compétitions de ce type. Louis fit partie de mes destinataires, avec une lettre en tous points identique à celles que j'envoyai à mes parents, ma tante et mes sœurs ; je n'avais plus eu de contact avec lui depuis Noël. Je lui avais seulement envoyé une carte postale d'Atalanopolis, une ville qui nous faisait rêver enfants, à laquelle il n'avait jamais répondu.

    Dans les tribunes de mon premier match, il y eut Lexie et Mishka (mes plus fidèles supportrices) ainsi que mes parents, que je n'étais pas sûre de voir. Pas de trace de Louis, en revanche. Ne l'apercevant pas non plus au deuxième, je crus qu'il ne viendrait jamais ; cela ne m'empêcha pas de me battre, mais il me manquait quelque chose, une raison d'aller au bout, que je compensai en montrant deux fois plus de rage mais aussi, par moments, en devant lutter deux fois plus pour accomplir des techniques que je réussissais d'ordinaire sans peine.

    Louis apparut dans les tribunes à partir du troisième match, et j'appris par la suite que son absence lors des deux premiers provenaient d'hésitations sans fin qui l'avaient conduit à regarder les directs depuis son canapé en culpabilisant encore plus de ne pas être venu, et en finissant par partir sur une impulsion un peu plus forte que les autres, à tel point qu'une domestique à qui il avait demandé un thé le retrouva en habits de voyage, en train d'appeler au chauffeur, sans plus se préoccuper de boire ce qu'on lui avait préparé. Il ne m'avertit pas de sa présence et quand je l'aperçus dans les gradins, je ne fus d'abord pas sûre de le reconnaître ; mais Lexie le désignait avec insistance, et ma surprise alors fut telle que je cafouillai terriblement durant les premières minutes du match, livrant un début de combat désastreux. Par la suite, en revanche, le savoir parmi mes spectateurs me donna un courage dont je commençais cruellement à manquer. J'avais enfin une nouvelle raison de remporter la victoire ; et ce fut Ada la battante qui reparut, décidée à prouver à tous que j'étais devenue, sans conteste, l'une des meilleures dresseuses de mon temps.

    Je devais honorer la promesse faite quand nous étions enfants, devant la fresque des Héros de la Nuit Éternelle :

    « Je vais devenir une dresseuse pokémon, et je vais parcourir toutes les régions pour capturer tous les plus forts et battre tous les champions d'arène, tu verras !
    C'est un beau projet ! Ada, je suis sûr que tu seras la meilleure !
    Oui ! Je vais être la meilleure ! Je serai la meilleure maître pokémon, je te le promets ! »


    Nous nous en étions faites beaucoup, de promesses, et le serment à Shamash et Sîn de toujours avancer ensemble, jusque dans l'adversité. Cette fois-ci, Louis avait ri, et m'avait dit que ce n'était pas la peine de promettre, parce qu'il était certain, lui, que je serais la meilleure, et que ce serait dans longtemps et que beaucoup de choses pouvaient se passer. Mais j'étais résolue, et j'avais promis quand même. À cette époque, Louis aussi envisageait de devenir un dresseur. Nous nous étions toujours épaulés sur cette voie, ensuite, et quand j'avais, pour de bon, fait le choix de partir sur les routes pour collecter les badges, il m'avait pleinement soutenue, quand bien même cela devait me tenir longtemps à l'écart de Mozheim. Tout au long de mon premier voyage, je lui avais écrit tant de lettres que c'était comme si nous avions fait le chemin ensemble, lui à domicile, moi sur les chemins ; et pour ma Master Ligue, je ne pouvais dès lors imaginer ma victoire sans le savoir, dans les gradins, à m'encourager comme il le faisait depuis les tous premiers jours.

    Il disparut aussitôt après le match, de sorte que je ne pus le voir durant le court délai qui précédait le quatrième affrontement. Le lendemain, il reparut pourtant dans les gradins, comme s'il n'en avait pas bougé ; il fit de même entre le quatrième et le cinquième duel, l'ultime et décisive bataille. Avec lui vinrent aussi Rica, son époux et leur fils, que je n'espérais plus voir.

    Je n'avais jamais vécu de folie aussi grande que lors de cette finale de ma Master Ligue, quand toutes les tribunes remplies hurlaient et trompettaient et lançaient des confettis pour nous acclamer, le champion et moi, et que le stade avait pour moitié été mis aux couleurs de mon équipe pokémon, et que le commentateur, survolté, nous encensaient sans trêve dans son micro puissant. J'étais placée à égalité avec le champion, pour ces matchs où nous donnions, tous les deux, le meilleur de nous-mêmes, sans qu'aucun de nos pokémons ne subisse d'entrave. J'avais l'impression de lire sur les visages de mes proches, pourtant si loin, un mélange de joie et de tension extrêmes, à la fois si proches de ce que je pouvais ressentir et pourtant si éloignées. Moi, j'étais heureuse d'être là, heureuse de me donner à fond, pour moi, et devant eux. Quand j'allais à la rencontre de mon adversaire sur le stade, plus rien ne comptait, soudain, que l'intensité de ce que je m'apprêtais à vivre.

    « Et c'est ADA FREIMANN QUI REMPORTE LE MATCH ! »

    Ce fut un combat grandiose, élevé et serré jusqu'au terme. Quand l'arbitre siffla pour moi le signal de la victoire, je perdis presque un moment conscience de ce qui m'arrivait ; c'était presque trop pour moi. Cela me semblait plus fort encore que lors de ma première Ligue, parce que, cette fois, il n'y avait plus rien après. À chacune de mes Ligues, ç'avait été la même chose : la victoire était toujours trop forte. Je ne comprenais plus ce qui m'arrivait. Mais, par Arc..., l'émotion était si intense que contre rien au monde je ne l'aurais échangée : j'avais tout fait pour la vivre. Cette fois, ça y était : j'avais vaincu la Master Ligue. J'entrais au Panthéon des meilleurs des maîtres, parmi les champions et tous ceux qui, un jour, étaient parvenus au sommet comme moi ; plus personne ne pourrait dire que je n'avais pas de mérite à devenir dresseuse, parce que je m'étais illustrée dans ce que j'avais choisi, au maximum qu'il était possible de faire.

    Mes sœurs, mes parents étaient descendus sur le terrain pour me serrer dans leur bras ; Louis était avec eux. Dans l'exaltation du moment, toutefois, je ne voyais plus vraiment qui venait me féliciter, qui m'enlaçait, sous les applaudissements et les flashs des photographes, et mon cousin disparut sans que je m'en aperçus – sans que nous puissions échanger une phrase. Les journalistes arrivaient à présent, et les employés de la Ligue pour me tendre le trophée, et les autres champions, si bien que je cessai de pouvoir penser à qui n'était pas là. Plus tard, dans la soirée, quand je fêtai ma victoire avec mes parents et mes sœurs, ils me dirent que Louis était parti tôt, du fait d'une obligation au manoir. Il m'envoya quand même un message :



    Félicitations pour ta victoire, Ada ! Je ne me souviens que d'un mur immense 1f389
    Tu es bien au-dessus des meilleures !
    21:16
    Merci Louis ! Je ne me souviens que d'un mur immense 1f60a
    Maintenant je me repose. 🥂
    Merci d'être venu assister aux matchs, ça m'a fait plaisir !
    Je rentre la semaine prochaine à Mozheim.
    21:28
    Bon retour, en ce cas !
    Fête-le bien avec tes proches.
    21:54
    ©️️ TakeItEzy pour Master-Poké


    La promesse énoncée devant la fresque des Héros avait été honorée.


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Ada Freimann

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Ven 30 Juil - 17:45
Présent

Il avait beau être assez tard pour que, d'ici une heure ou deux, l'on pût dire qu'il était assez tôt et écouter les chants des premiers pokémons Vol, je peinais à m'endormir. Veiller assez longtemps pour n'aller me coucher qu'une fois que toute la ville dormait à poings fermés, cela me connaissait : que ce fût pour arpenter la montagne dans le but d'observer des espèces nocturnes, ou parce que je m'étais plongée dans une lecture qu'il m'était impossible d'interrompre avant de l'avoir finie, j'avais souvent des habitudes d'oiseau de nuit, que partageait, d'ailleurs, mon cousin. Mais cette fois, ce n'était ni une randonnée à la lueur des étoiles, ni une thèse passionnante sur les nouvelles méthodes de datation des fossiles qui me tenaient éveillée.

À côté de moi, Mishka s'était rapidement assoupie lorsque nous nous étions enfin couchées : j'entendais sa respiration, douce et régulière, à mes côtés, en plus du discret sifflement émis par sa Chuchmur au pied du lit et des cliquetis produits par Amadis lorsqu'il rêvait. Elle était très gentille de me prêter son lit, comme gentille de me prêter sa chambre, comme gentille d'avoir attendu, avant de fermer l'œil, notre retour, alors que je ne lui avais pas demandé son avis dans ma décision d'emmener Louis ici et qu'elle n'avait, d'ailleurs, aucune obligation particulière envers lui. Il n'empêchait que j'avais été très contente de sa présence, lorsque nous étions enfin arrivés. La situation n'était déjà pas particulièrement gaie, mais une fois Terence parti, j'aurais été bien mal à l'aise, seule avec Louis, s'il n'y avait pas eu Mishka à côté. ...Bon, de fait, nous avions été trois mal à l'aise. Mais j'avais préféré quand même. Cela avait empêché tout risque de discussion privée que, ce soir, je voulais absolument éviter... Elle était toujours gentille avec moi, ma petite Mishka, alors même que ma décision aurait aussi un impact sur elle.

Je n'arrivais pas à dormir, en partie parce que je guettais les sons qui venaient de la chambre prêtée à Louis. Je n'avais pas entendu grand-chose, tout d'abord. Des grincements, une porte de placard fermée, un raclement de meuble aussitôt arrêté, un silence : Louis avait dû ranger ses affaires. L'appartement était quand même bien insonorisé : il y avait le salon entre les deux chambres, si bien que seuls les bruits les plus forts me parvenaient, assourdis. Il alla aux toilettes – de la lumière par-dessous la porte –, dut se rafraîchir un peu, et j'attendis, le cœur battant ; mais il ne s'attarda pas plus longtemps que nécessaire. Il retourna dans sa chambre, et puis, plus rien.

Cela me laissa donc à penser. Je fixais le plafond plongé dans la pénombre, les yeux grands ouverts. Depuis quand en étais-je arrivée à un point où il me paraissait normal de guetter les bruits de Louis dans le noir ? Cela ne me paraissait pas normal. Depuis combien de temps les guettais-je, avec cette espèce de peur au ventre ? ...Demain, il faudrait que j'apporte des explications à Terence. On ne demandait pas à quelqu'un de traverser deux régions en voiture dans un sens puis dans l'autre comme ça, même si c'était mon agent. Est-ce qu'il se doutait de ce que je ressentais pour Louis ? Non, aujourd'hui, ça n'avait pas dû beaucoup se voir. Il m'avait déjà fait remarquer que j'étais proche de mon cousin, une fois, du fait des lettres qu'on s'échangeait, mais sans doute cela ne paraissait-il pas anormal de suffisamment bien s'entendre avec son cousin pour correspondre. ...Parce que le reste, quoi que j'en dise, cela paraissait anormal : il était bien là, le problème. Louis le percevait plus que moi. Ça n'avait rien d'anormal, pourtant. ...Mais aujourd'hui, ce n'était même plus le plus important.

Le sommeil m'effleurait parfois, mais dès que je sombrais, il me semblait me réveiller aussitôt : mes yeux se rouvraient en grand dans le noir, je clignais des paupières, me demandant si c'était un bruit qui m'avait fait sursauter. Est-ce que Perceval était bien dans la chambre ? On n'avait pas fait descendre les Lakmécygne dans le parc, alors qu'aucun des deux n'avait l'habitude de passer la nuit à l'intérieur. ...Qu'est-ce que je devrais dire à Terence, demain ? La vérité, sans doute. Mais comment l'expliquer ? Comment... mettre des mots... Il me faudrait peut-être m'entretenir avec le Comité aussi. Oui, pour le médecin... Mais je laisserais peut-être faire Terence. Je n'avais pas envie. Je me demandais si Louis réussissait à dormir. Il devait être épuisé. Tout comme moi.

Le bruit d'une porte que l'on ouvrait me fit bel et bien sursauter, cette fois. C'était la chambre de Louis : il y avait maintenant des pas dans le salon. Mais il n'alluma pas la lumière. Je regardai mon téléphone : cela faisait près de deux heures que nous nous étions couchés. Je l'entendis ouvrir le petit frigo, remuer les choses à l'intérieur. Il faisait beaucoup de bruit : je percevais des gestes brusques, c'était comme s'il agissait dans l'urgence. Je demeurais paralysée, le cœur battant. Il referma le frigo, puis se dirigea vers la salle du bain où il y eut à nouveau des sons. Un silence ; ensuite, il alluma l'eau, pendant un temps qui me parut une éternité. Et alors que je commençais à me demander s'il n'avait pas, par hasard, oublié d'éteindre le robinet, il y eut de nouveau le silence.
Un long moment plus tard, je l'entendis revenir à pas de Lougaroc vers sa chambre et refermer sa porte, très délicatement, cette fois.

Les premières lueurs de l'aurore perçaient à travers les volets quand je m'endormis enfin.


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Sam 31 Juil - 18:19
Passé
    Je décidai de rentrer une vingtaine de jours chez mes parents pour me reposer et réfléchir à la suite. Durant mon séjour, mon père proposa d'aller passer un week-end au manoir de Louis :

    Ça fera un peu de compagnie à Tante Sophie. Et puis, cela vous fera sûrement plaisir de revoir un peu Louis, non ? Il était très content de ta victoire, n'est-ce pas, Ada ? Il s'était d'abord adressé à mes sœurs avec moi, mais ses yeux viraient comme malgré lui dans ma direction, et sa dernière phrase confirma ce dont je doutais.
    Oui, il m'a écrit pour me féliciter.
    Très bien, très bien ! Oui, il s'est quand même déplacé pour assister aux matchs ! Eh bien, c'est décidé : je leur téléphone !

    Quelle hypocrisie. Comme si mon père ne savait pas que la moindre des choses, pour Louis qui avait toujours été le plus proche de moi, c'était justement de venir me soutenir le jour de ma Master Ligue, et qu'on aurait pu s'attendre à ce qu'il m'adresse ses félicitations autrement que par écrit. Mais je sentais bien que, par ses questions, il cherchait justement à vérifier le point auquel en était nos relations : peut-être nous étions-nous vus sans qu'il le sache, durant mes mois de voyage ? Sans doute étions-nous restés en contact ? Et le tout, même plus vraiment pour s'assurer, comme à une époque, que nous n'étions pas trop intimes ; mais pour vérifier que Louis allait bien. Eh non, Père, désolée de vous décevoir, cela fait sept mois, depuis Noël, que je n'ai plus parlé à Louis de vive voix, et il a dû m'adresser en tout et pour tout trois SMS, un accusé de réception et un colis (pour mon anniversaire) durant ce laps de temps-là. Vous ne pouvez donc plus vous appuyer sur moi pour obtenir des nouvelles de votre neveu et filleul ; je suis maintenant comme vous, même moins que vous, qui habitez près de chez lui et pouvez continuer de vous inviter dans son manoir le week-end, quand il vous en prend l'envie. Quand j'y repense, maintenant, je me dis que mon père avait eu l'intuition fine : ce n'était pas un Freimann pour rien. Il est dommage que Louis n'ait pas davantage pris appui sur lui, car il aurait pu lui apporter une certaine aide, j'en suis sûre.

    À voir l'expression de mon cousin lorsque notre voiture arriva dans son parc – debout droit devant sa porte, un sourire forcé sur le visage, Howell, le majordome, à l'air bien plus gai à côté de lui – il était loin d'être ravi de notre visite, mais mon père ne lui avait pas vraiment laissé le choix. Le week-end se déroula dans cette même ambiance d'amabilité calculée et de mouvements feutrés, comme si la fine couche des apparences desquelles dépendaient notre entente était aussi fragile que du papier de soie – à un mot de se froisser.

    Ma mère n'avait jamais beaucoup apprécié Tante Sophie, qu'elle trouvait trop molle et peureuse, mais elle prit sur elle de lui tenir compagnie par des séances de broderie et de discussions, puisque la veuve, vieille avant l'heure, mettait à peine le nez dehors. Durant les repas, les sujets devenaient limités, et nous ne pouvions pas débattre de mon match puisque les combats de pokémons n'étaient pas un sujet convenable à table. Mon père parlait randonnées avec Louis ; il n'était pas beaucoup sorti ces derniers temps, il avait eu beaucoup à faire, disait-il, mais il allait se rattraper. Le dimanche soir, tout de même (nous partions le lendemain), au moment du café, nous étions tous réunis et Lexie voulut absolument revenir sur les moments qui l'avaient émerveillée.

    Et quand Lohengrin a foncé sur le Grodrive avec son attaque Piqué, là ! Wouuuh ! Foutu pour le gros ballon !
    Il avait plus d'élan grâce au Vent Arrière, expliquai-je. Mais tant que l'autre avait son Stockage, c'était trop risqué. C'est pour ça qu'on a dû attendre qu'il se libère et que Loh a fait des feintes, avant d'agir pile au bon moment...
    En tout cas, Lohengrin a été exceptionnel sur ce match ! s'enthousiasma Mishka. Il a vraiment mûri ! Je suis fière de lui !
    C'est vrai qu'il a encore nettement progressé depuis la dernière fois que je l'ai vu se battre, intervint Louis. Ton entraînement a porté ses fruits ! Perceval devrait en prendre de la graine.
    Et toi aussi, Louis ! s'amusa Lexie. Oh ! Puisqu'on en parle ! J'ai emmené mon Doudouvet avec moi. Ça vous dirait qu'on s'entraîne ensemble, demain, dans le parc ? Ada pourra nous donner des conseils !

    Un silence.

    Si vous voulez, répondit Louis, en premier. Mais nos Lakmécygne ne devront pas utiliser leurs attaques Vol sur ta plante, tu le sais ? Elle y est très sensible !
    Mais ouiii, je sais bien ! Mais leurs autres capacités ! Et je pourrai l'entraîner à vous esquiver et à riposter avec ses attaques Plante, viouu ! Ada, s'il te plaît !
    Eh bien, si vous en avez envie tous les deux, pourquoi pas, commençai-je, un peu déroutée, en consultant Louis du regard pour m'assurer que je l'avais bien entendu. On peut utiliser le parc pour ça...?
    Ça ne me pose pas de problème, répondit Louis d'un air impassible.

    Du temps d'Oncle Léopold, aucun combat pokémon n'était toléré dans l'enceinte du domaine, en dehors des affrontements spontanés entre deux créatures sauvages sans implication d'être humain. Lorsque Louis était devenu le nouveau chef de famille, il m'avait permis, quelquefois, de m'entraîner dans le jardin ; mais tout cela me paraissait par moments remonter à une autre époque, et même alors, il y avait rarement pris part.

    Lexie se réjouit et nous remercia chaudement. Nous continuâmes à discuter de combats pokémons, ma petite sœur survoltée, jusqu'à ce que l'on finisse par porter un toast à ma victoire en Master Ligue. Ensuite, progressivement, chacun quitta la pièce, pour une dernière discussion nocturne sur une terrasse ou pour regagner sa chambre : l'heure tournait.

    Bientôt, il ne resta plus que Louis et moi dans le salon.


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Ada Freimann

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Mer 4 Aoû - 19:45
Passé
    Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu Lexie si enthousiaste, lançai-je après quelques instants de pause, une fois que je fus assurée que Louis n'allait pas imiter les derniers et quitter la pièce à son tour – que nous restions bien seuls ensemble.

    C'était faux, en réalité. La vérité était que cela faisait longtemps que je n'avais pas vu Lexie si enthousiaste ici, en présence de mon cousin. Mon retour à Mozheim après mon long voyage l'avait réjouie plus que je ne m'y attendais, et je me demandais parfois si je faisais bien de choisir cette vie à distance, alors que ma petite sœur regrettait, très nettement, ma présence. Au sujet de Louis, en revanche, elle se montrait souvent froide. J'avais l'impression qu'elle ne lui avait pas pardonné son comportement envers Otto, dont elle lui imputait en partie le décès ; j'étais contente si elle s'était assouplie de ce côté-là. Je n'avais jamais vraiment pris le temps d'en parler avec elle.

    J'imaginais que Louis, comme moi, recherchait un moyen de rompre le silence, mais ma phrase parut au contraire le tirer de profondes réflexions. Il fallut plusieurs secondes avant qu'il réagisse enfin, redressant imperceptiblement la tête, clignant des yeux, et les posant longuement sur moi, pour finalement répondre d'un ton bas :

    Oui, c'est vrai.

    Allons bon. J'avais la gorge sèche de me trouver seule avec lui pour la première fois depuis plus d'un an, mon cœur se serrait et accélérait à la fois dans la crainte qu'il ne tourne les talons et s'éloigne, sans dire un mot, une nouvelle fois, et voilà qu'il se comportait comme s'il avait oublié ma présence. Mais je le connaissais trop bien pour me laisser tromper par cette première impression. Il était debout à côté de la fenêtre, par laquelle il regardait quand je lui avais parlé ; j'étais assise sur le canapé, à quelques mètres de lui, et bien plus petite à côté de son mètre quatre-vingt-onze qu'il portait toujours parfaitement droit. Quand il s'était tourné vers moi, j'avais vu son front grave, le bas du visage presque inexpressif, et le long regard qu'il m'avait jeté, plus long que la plupart de ceux qu'il m'avait adressés cette dernière année. Il me voyait sans me voir : il était soucieux. Il réfléchissait. D'ailleurs, après un moment de silence où nous demeurions immobiles, il parut se souvenir de quelque chose et reprit soudain :

    Ada, est-ce que tu voudrais bien m'attendre ici un instant, s'il te plaît ? Je reviens vite.
    Oui, bien sûr, répondis-je, un peu surprise.

    Je restai sur le canapé tandis qu'il quittait précipitamment la pièce, me laissant seule dans la semi-pénombre des deux seules lampes de table allumées qui diffusaient une faible lueur. J'avais l'impression qu'il allait un peu mieux, par rapport à quand je l'avais vu à Noël. À la mort d'Otto, il avait maigri, mais il semblait s'être maintenu depuis lors et même, peut-être, avoir un peu repris. Je l'avais aussi trouvé légèrement plus ouvert : il m'avait étonnée, tout à l'heure, quand il avait suivi l'enthousiasme de Lexie. Il demeurait très éloigné du Louis d'autrefois, qui ne me donnait pas cette impression constante de porter un fardeau et de dissimuler toutes ses émotions devant moi, mais j'imaginais que ce devait être un bon signe, pour lui, de le voir ainsi. Peut-être allait-il vraiment finir par retrouver le sourire et s'épanouir. Loin de moi.

    Je ne percevais pas ce qui menaçait alors, trop aveuglée par mon amertume et mon envie sincère de le voir aller mieux, même si ce ne devait plus être avec moi.

    Qu'était-il allé faire ? Je commençais sérieusement à me demander où il était passé, quand j'entendis enfin un pas rapide se rapprocher du petit salon. Il entra, un peu essoufflé, avec dans les mains un petit paquet. Il me fixa un instant, puis vint vers moi et s'assit, à ma droite, et me le tendit.

    Félicitations pour ta victoire en Master Ligue, déclara-t-il, et je sus qu'il avait attendu un moment comme celui-ci pour me le dire de vive voix.

    Le paquet était bleu nuit, recouvert de minces fils argentés qui s'entrecroisaient en arabesques sur sa surface brillante. Je reconnaissais là le type de papiers que Louis commandait sur mesure tout spécialement pour ses cadeaux, tant il aimait offrir, à défaut parfois de faire don de sa présence. J'ouvris délicatement le paquet et en sortis un étui, cette fois bleu fumé, à peu près de la forme d'un étui à bijoux.

    Sous les yeux de mon cousin qui surveillait mes gestes, à quelques centimètres de moi, je soulevai lentement le couvercle rectangulaire. Niché dans l'étui, sur son coussin de velours noir, était lové un objet miroitant tout en longueur et en courbes. Je le pris : c'était une broche en argent, en forme de plume, dont on pouvait aussi se servir comme ornement de cheveux. Sa forme était très simple ; sa surface, parfaitement lisse. Quand je la retournai, je vis qu'à son envers, on avait fait graver quelques mots d'une écriture manuscrite :

    « Pour une dresseuse d'exception.
    Avec mes plus sincères pensées,
    L.
     »

    J'entendais à présent la respiration de Louis à côté de moi : je ne m'étais pas rendu compte qu'il était aussi proche. Il avait beau conserver ses mains jointes repliées contre lui, nos épaules se frôlaient presque ; c'était bien la première fois, depuis un an, que nous avions une telle proximité. Je tournai à demi la tête vers lui, et ses yeux, qui étaient restés posés sur la broche, se relevèrent vers moi. En même temps, il se redressa un peu, mais ne s'écarta pas.

    Elle me plaît beaucoup, déclarai-je. Merci.

    Il détourna de nouveau le regard, eu un petit hochement de tête doublé d'un sourire.

    J'en suis content, fit-il, comme à-moitié pour lui-même. ...Est-ce que tu veux que... je te la mette ?
    Oui, si tu veux bien.

    Il avait relevé les yeux sur ses derniers mots, comme s'il ne s'était souvenu qu'après-coup de la proposition qu'il entendait me faire, et je souris avant de lui tendre la broche. Sans hésiter, il l'ouvrit et, après m'avoir observée une seconde, il la dirigea vers mes cheveux, du côté gauche.

    Je le sentis la placer en oblique, quelques centimètres au-dessus de mon oreille, là où je ramenais deux mèches de cheveux pour les unir à l'arrière. Il m'effleurait véritablement, à présent, et le silence entre nous était si sensible ; je retenais ma respiration pour ne pas le froisser, pour entendre le bruissement des gestes de Louis qui s'activait autour de moi. Il fixa l'attache, puis se retira pour me regarder. Je m'écartai à mon tour.

    Alors ? lançai-je en souriant et en tournant la tête, pour qu'il puisse admirer.
    Tu es magnifique.

    J'avais paradé presque malicieusement, espérant de nouveau le faire sourire, mais le sérieux avec lequel il prononça son compliment fit s'évanouir le mien et je le dévisageai. Ses yeux bleu sombre rivés sur moi, il me semblait me contempler comme on contemple un paysage très longtemps recherché ; l'émotion de sa voix n'était pas feinte. J'avais cherché le Louis sincère ; je l'avais devant moi, et son expression était d'une telle intensité que ce fut moi qui détournai le regard, confrontée soudain à tout ce sur quoi j'avais cru devoir abandonner.

    Louis... commençai-je. J'ai quelque chose à te dire.

    Pourquoi fallait-il qu'il se comporte ainsi maintenant, comme si toute cette année de mise à distance ne devait pas compter, comme si ce qu'il m'avait dit, le jour des funérailles d'Otto, n'avait rien signifié ? Pourquoi me permettre à nouveau de douter, après m'avoir tant fait croire qu'il ne ressentait plus rien pour moi ou, en tout cas, ne voulait plus en parler ? J'étais à deux doigts de lui prendre la main, à deux doigts de me rapprocher encore. Au lieu de ça, je baissai la tête. Nous étions seuls : je devais en profiter pour lui annoncer la nouvelle. Il serait temps, ensuite, de réfléchir à nous.

    Je pris une inspiration. En dépit de toutes les émotions que j'avais traversées, je sentais l'excitation frémir en moi rien qu'à la pensée de ce que j'allais lui annoncer.

    On m'a proposé de devenir la nouvelle Championne de Ligue.


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Ada Freimann

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Sam 14 Aoû - 17:23
Passé
    La nouvelle Championne de Ligue ?

    La question, posée sur un ton d'incompréhension, rompit le silence qui avait plané durant plusieurs secondes. Je hochai la tête, les yeux toujours fixés sur mes genoux. Je serrais mes mains entre mes cuisses, mon corps figé par la tension ; mais mes pieds, eux, s'agitaient nerveusement, les talons frappant l'un contre l'autre sans que je puisse les arrêter. Championne de Ligue. J'éprouvais un mélange d'appréhension et d'exaltation intense à lui exposer cette nouvelle, à laquelle, pendant un temps, j'avais moi-même eu du mal à croire, mélange qui me faisait serrer la mâchoire tout en dessinant un irrépressible sourire sur mes lèvres.

    Oui. Tu sais que Chrystal Reid a annoncé qu'elle quittait son poste à la fin du mois. Après la finale de la Master Ligue, ils m'ont proposé de la remplacer. Ils aiment bien mon équipe : avec quelques aménagements, je ferai une bonne championne Vol-Roche, si j'ai envie. J'ai passé les tests avec d'autres candidats, et... j'ai réussi. C'est moi qu'ils ont choisie.

    Louis ne réagit pas tout de suite. Il demeurait immobile à côté de moi, les mains posée sur les jambes, regardant dans le vide, lui aussi. Quand je finis par tourner les yeux vers lui, me demandant pourquoi il ne répondait pas, je le vis agité de deux ou trois soubresauts, ses lèvres remontant en un sourire naissant. Et puis, il se courba en avant, pris sa tête entre ses deux mains et se mit à rire franchement.

    ...Pourquoi tu rigoles ? demandai-je, interdite.

    Toute la joie que j'éprouvais s'était figée. Il secoua la tête, sans que je comprenne davantage ce geste que ceux qui l'avaient précédé. Puis, il se redressa lentement. Il avait cessé de rire, mais son sourire étrange mit plus de temps à s'estomper.

    Et tu vas accepter, dit-il, les yeux toujours rivés devant lui. Cela ne sonnait ni comme une question, ni comme un reproche : plutôt une simple constatation, découlant logiquement de ce qui avait précédé. À Ébenelle, alors ?
    ...Je n'ai pas encore donné ma réponse définitive, mais oui, je pense accepter. Et c'est à Ébenelle.

    Il souriait, oui, mais d'une façon qui ne me plaisait pas. Il baissa les yeux, secoua de nouveau la tête. Ses lèvres remuaient comme s'il cherchait ses mots. Il ne m'avait toujours pas regardée. Il dit soudain :

    Ça te réjouit, hein ? De partir si loin...

    Je clignai des yeux. Je croyais commencer à comprendre où il voulait en venir, et je sentais mon souffle se raréfier tandis qu'une étrange paralysie était en train de gagner mes muscles, comme si j'allais me transformer en pierre.

    ...Ce n'est pas de partir si loin qui me réjouit, dis-je lentement, articulant avec soin tous les mots. Si la Ligue était à Kalos, j'aurais postulé de la même manière...
    Peut-être, mais c'est compris dans l'offre, pas vrai ? Et c'est pas ça qui te dérange. Tu es tout le temps en vadrouille, tu ne vis que pour les voyages. Tu ne restes jamais là, avec nous, à Mozheim. Même quand on était ados : dès que tu as pu, tu es partie.

    Le sourire avait enfin disparu des lèvres de Louis tandis qu'il développait sa tirade, les reproches dans son ton se précisant à mesure qu'il parlait. Mais à présent, c'était moi qui fixais le vague, les traits figés. Mes mains s'étaient lentement écartées, puis refermées ; je croyais manquer de souffle ; je me sentais bouillir, tandis que je l'écoutais sans l'interrompre, trop pantoise sur l'instant pour penser à quelque argument que ce soit. Quand il eut terminé, je restai immobile durant plusieurs secondes, le temps d'essayer de mettre de l'ordre dans mes idées, ce qui était vain : mon esprit était vide. Vide et tintant, tintinnant, tintant, comme si une petite clochette s'était mise à carillonner, tout là-haut, dans un placard sous les combles de mon cerveau, un son très aigu, qui bourdonnait.
    Et puis, je me levai. Je me tournai vers Louis, et je ne reconnus pas ma voix lorsque, le regardant droit dans les yeux, j'articulai :

    Comment te permets-tu de me dire des choses pareilles... alors que c'est toi... qui me tiens à l'écart depuis plus d'un an ?


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Dim 22 Aoû - 19:23
Passé
    Depuis combien de temps avions-nous cessé de nous comprendre ? Cela me frappait soudain : plus longtemps... bien plus longtemps que je ne le pensais. Cela n'avait pas attendu qu'il tombe réellement malade ; c'était bien plus ancien.

    J'avais enfin obligé Louis à me regarder. Il parut prêt à protester, mais je l'arrêtai d'un geste et je repris, mon ton gagnant en ampleur à chaque phrase :

    Tu crois vraiment que ça ne me fait rien de te voir m'éviter comme si j'étais une tante importune, ou une connaissance forcée à qui un simple bonjour suffit ? Tu crois que ça ne me fait rien de te voir me regarder avec cette espèce de... de froideur désolée, et détourner les yeux dès que je croise les tiens ? Tu crois que je le prends bien quand tu me parles comme si on se connaissait à peine, comme si on n'était même plus cousins, au point que mon père m'a demandé à Noël si on s'était disputés ? Et quand tu ne réponds pas à mes cartes ? Tu crois que je n'en ai rien à faire quand je suis loin de toi !

    Ma voix vibrait ; à présent, je criais presque. De nouveau, Louis fit signe de vouloir parler, il se leva à demi de son siège, mais je reculai et continuai, secouant la tête, ne voulant plus m'arrêter :

    Tu te permets de me dire ça, alors que tout ce temps, je n'ai attendu qu'un signe de ta part ! Qu'est-ce que j'étais censée comprendre quand tu m'as dit de partir ? Mais tu crois que mes sentiments pour toi sont assez fragiles pour s'évanouir après quelques mois sans nous voir...?

    Soudain, je m'étais tournée vers lui, je le fixais avec intensité ; bouche entrouverte, debout, il me dévisageait d'un air effaré, et c'était comme s'il était maintenant incapable de trouver quoi répondre alors qu'enfin, je le lui permettais. Je m'attendais à ce qu'il dise quelque chose, ne fût-ce que mon prénom – étions-nous vraiment si loin l'un de l'autre, à présent, pour qu'il ne réagisse même plus quand je lui renouvelais l'aveu de mes sentiments...? Les joues brûlantes, je détournai la tête pour qu'il ne voie pas mes yeux briller.

    ...Et je ne pense pas que les tiens non plus le soient, ajoutai-je, un ton plus bas que tout ce qui avait précédé.

    S'il te plaît, Louis, confirme-le moi. Confirme-moi que tes sentiments ne sont pas aussi fragiles que tu me l'as fait croire durant toute cette année, dis-moi que je me suis trompée, que si tu ne me parlais plus, c'est seulement que tu cherchais tes mots, que de tout ce que j'ai cité, il n'y a rien dont tu n'aies souffert, toi aussi, alors même que c'était toi qui l'avais provoqué. Mais il ne répond pas. Pourquoi ne répond-il pas ? Peut-être avais-je faux sur toute la ligne, alors. Peut-être Louis a-t-il vraiment tourné la page, et ce que je fais ressemble-t-il à un caprice de gamine, incapable de comprendre quand une histoire est terminée... Mais alors, pourquoi me reprocher de partir, comme si tu voulais que je reste avec toi, alors que c'est le plus haut titre possible que je vais obtenir...

    Et ses bras, dans mon dos, se refermèrent sur moi. Je m'immobilisai. Il me tenait contre lui, de toute sa longueur ; son menton effleurait le haut de mon crâne, et ses mains s'étaient croisées en-dessous de ma poitrine. J'en eus le souffle coupé. Un instant, je voulus me pivoter, pour être face à lui, mais il resserra son étreinte pour m'en empêcher.

    Non... souffla-t-il. Reste comme ça.

    J'obéis. Il me tenait, fort, contre lui : je sentais la chaleur de son corps contre mon dos, j'entendais sa respiration, inhabituellement forte, à mes oreilles. Il y avait jusqu'à son bassin qui appuyait, sans que je puisse l'ignorer, contre moi. Cela faisait une éternité que nous ne nous étions pas pris dans les bras. Je me sentais toute petite, recroquevillée, sous le rempart de ses épaules, et ma propre respiration, elle aussi, s'accentuait : cela faisait si longtemps que j'espérais qu'il me reprenne contre lui.

    J'espérais que tu te réjouirais pour moi... murmurai-je. J'ai réalisé mon rêve ; je veux aller jusqu'au bout de ce qu'il peut m'offrir...

    Louis ne relâchait pas son étreinte, au contraire : j'avais l'impression qu'il serrait toujours plus fort. Je me sentais prise d'un désir que je ne pouvais ni refréner, ni assouvir, en étant ainsi, de dos, contre lui ; et, par son geste, c'était comme s'il me disait qu'il le vivait avec moi. Mais j'étais impuissante : je rentrais les épaules afin qu'il soit plus proche de moi, je le sentais me presser contre lui, me serrer fort, car c'était tout ce qu'il pouvait faire, et j'en voulais au monde de nous contraindre à une situation comme celle-là.

    J'ai peur... chuchota-t-il. Ada... J'ai peur...

    J'avais ramené mes bras sur les siens pour les serrer à mon tour.
    Je sentais sa peur, et je pleurais de ne pouvoir l'en soulager par aucun moyen.


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Sam 28 Aoû - 22:53
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La durée totale de ma nuit n'avait pas dû excéder trois heures lorsque je me réveillai pour de bon, au vibreur de mon réveil que j'avais décalé à plus tard que d'habitude. Mishka grogna, se retourna et ne se réveilla pas. Encore à moitié endormie, je me dirigeai vers la salle de bain pour m'occuper du trempage quotidien de ma Vacilys. Ah, oui : elle était dans la chambre de Louis, du coup. J'entrouvris sa porte le plus discrètement possible, jetai un coup d'œil à l'intérieur : les draps du lit complètement en désordre, il avait l'air de dormir enfin, la respiration régulière. Je fis signe à Viviane de me suivre et refermai silencieusement derrière nous.

La salle de bain paraissait à peu près rangée, de son côté, si bien que je me demandai ce qu'il avait fabriqué cette nuit – mais je n'avais pas envie d'y réfléchir. Je lui sortis une serviette et un gant propres, bleu marine, au cas où il aurait eu envie de prendre une douche. Ensuite, je lançai le remplissage de la baignoire tout en préparant les différents produits dont je me servais, tous les jours, pour procéder au bain de Viviane. Les Vacilys étant des pokémons qui vivaient autrefois dans les fonds marins, leur peau nécessite de nombreux soins journaliers pour rester en bonne santé, tout du moins du moins lorsque, comme la mienne, ils vivent sur la terre ferme. Je laissai Viviane patauger dans son eau salée et nourrissante tout en faisant ma toilette. Mue par un doute lancinant, j'ouvris un tiroir, pour vérifier quelque chose – mais non, rien à signaler. Je m'habillai et revins dans le salon.

Mishka sortait de sa chambre, en bâillant. En chuchotant, je lui demandai de sortir Viviane lorsque son bain serait fini et de me prévenir quand Louis se serait réveillé. J'allai ensuite au garde-manger récupérer des viennoiseries pour la remercier de son aide, en espérant ne croiser aucun de mes collègues : vœu réalisé. Après de dernières recommandations, je pris mes affaires et filai.



J'avais donné rendez-vous à Terence dans le café de la Ligue, une heure et demie plus tard que ce dont nous avions l'habitude pour nous permettre de récupérer – et cette fois, il ne s'agissait pas tant de finaliser le planning de la semaine que de petit-déjeuner. J'arrivai avant lui, fait rare, et il ne parut même pas embarrassé de bâiller devant moi quand il s'assit à notre table.

Bonjour, Ada.
Terence. Bien dormi ?
...J'ai connu pire. Et toi ?
...J'ai connu mieux.

Il eut un mouvement éloquent des épaules, et reporta son attention sur la serveuse qui approchait déjà. Je notai avec satisfaction qu'il m'avait appelée par mon prénom et tutoyée : cela faisait un moment que je lui avais proposé de le faire (« Au fait, Terence... Ça commence à faire un moment qu'on travaille ensemble. Tu pourrais me tutoyer, si tu veux, tu sais ? »), mais il n'y avait que depuis peu qu'il s'y décidait vraiment, par intermittence et très rarement quand quelqu'un d'autre pouvait nous entendre. Comme quoi, faire une quasi-nuit blanche pour emmener mon cousin malade à Ébenelle, ça rapprochait.

Un café, s'il vous plaît. Corsé.
Et un chocolat chaud. Avec des croissants.
Et du sucre. Du sucre avec le café.

La serveuse acquiesça et s'éloigna : au comptoir, on s'affairait déjà. C'était drôle comme Terence perdait ses bonnes manières et sa gêne habituelle quand il n'était pas réveillé. Il sortit sans l'ouvrir son énorme agenda ainsi que son téléphone, puis but d'un air morne au verre d'eau que l'on avait posé devant nous tout en pianotant des doigts sur la table. Bien sûr, il avait de grosses cernes, mais pas tellement plus impressionnantes que d'habitude, si je devais être tout à fait honnête.

La serveuse revint avec un plateau contenant deux grandes tasses et une assiette de quatre gros croissants (on nous avait gâtés), et j'observai, intéressée, Terence déchirer soigneusement son sachet de sucre en deux puis le verser dans son café avant de touiller lentement et de boire. Il me rappelait un peu Louis quand il sucrait le sien, même si lui, c'était toujours deux carrés. Quant à moi, je n'avais jamais aimé le café.

C'est le premier café de la journée que tu sucres ? questionnai-je : j'avais plutôt l'habitude de le voir les avaler bien noirs, et deux ou trois d'affilée, comme s'il n'y avait qu'à ça qu'il carburait. Il secoua la tête.
Là, c'est le troisième. J'ai dû appeler M. Frémont ce matin, comme ils savaient pas quand tu rentrerais. On devrait avoir une réunion générale cet après-midi, j'attends qu'ils me donnent l'heure, il alluma l'écran de son smartphone comme pour illustrer ses propos.

Il se saisit d'un croissant et je l'imitai. Une bonne chose que je n'aie pas relevé le fait que pour une fois, j'étais arrivée avant lui à notre rendez-vous. C'était décidément une nouvelle journée fatigante qui s'annonçait.


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Ada Freimann

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Dim 6 Fév - 19:39
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Le silence plana un moment, le temps que nous mâchonnions la première moitié de notre croissant avec des regards vides qui auraient presque pu passer pour solennels et fortement concentrés. Les croissants étaient bons, moelleux et riches, comme toujours dans ce café, et la pièce était bien chauffée : après la semaine difficile que j'avais passée au manoir, être de retour ici aurait dû me faire du bien. Mais je n'étais pas dans des dispositions suffisantes pour apprécier ce petit-déjeuner. Si nous gardions le silence, c'était en grande partie de ma faute, me semblait-il, car au vu des circonstances, ç'aurait dû être à moi de m'expliquer : Terence le méritait. Il l'attendait, sans doute, buvant à petites gorgées son café en fixant la table, comme plongé dans ses pensées. Mais je ne savais toujours pas par où commencer – mes longues heures de veille en partie passées à y réfléchir ayant eu autant d'effet que de la Brume des rêves au matin dissipée. Mon sens des convenances me décida finalement à ouvrir la bouche, afin de le remercier – mais Terence parut avoir pris, au même moment, la même résolution que moi.

Donc, pour cet après-midi, je t'ai seulement programmé une séance d'entraînement en plus de la réunion, annonça-t-il de but en blanc ; il posa la main en cloche sur la couverture noire de son énorme agenda et le tapota une fois, sans l'ouvrir. J'ai voulu te laisser du temps libre, et de toute façon c'est un peu tard pour planifier quoi que ce soit d'autre, mais ce serait bien que tu reprennes au moins ces séances, surtout si tu veux participer à l'entraînement collectif de demain. Pour demain justement, il y a quelques rendez-vous urgents qui ont été annulés et que j'aimerais placer sur la matinée, sans trop te charger, bien sûr, si ça te va. Ensuite, ça te laisserait le week-end libre, et on aviserait pour lundi. Mais à ce propos, on doit en discuter. Est-ce que tu penses demander une semaine de congé supplémentaire pour accompagner la convalescence de ton cousin ? Ou peut-être un temps partiel pendant quelques jours ?

Je dévisageai Terence. Il me fixait dans les yeux, le visage fermé, sérieux, pas parfaitement serein pour autant – il avait un tic au niveau du sourcil droit qui se déclenchait lorsqu'il n'était pas tout à fait à son aise (autrement dit, souvent). Pourtant, il allait droit au but et réfléchissait vite lorsque la situation l'exigeait. Ce n'était pas pour rien qu'on l'avait embauché pour être mon agent – outre sa capacité à accomplir le double du travail d'un employé lambda sur un même laps de temps sans oser discuter. Je m'aperçus que depuis tout à l'heure, en fait, ce n'était peut-être qu'au planning qu'il réfléchissait – sujet qui m'avait à peine effleuré l'esprit durant mes longues réflexions, et encore. Ce fut pour cette raison que je clignai des yeux, et que je le fixai tout d'abord sans avoir aucune idée de ce que j'allais bien pouvoir répondre.

...Eumh...

Allez, Ada, montre-toi un peu professionnelle, fais un peu ce que l'on attend de toi.

Eh bien... Oui... Je pense que ce serait nécessaire... Peut-être un temps partiel, pour que je puisse assurer les missions les plus urgentes...

Parce que je ne veux pas devoir encore passer une semaine ou plus enfermée dans l'appartement avec Louis malade et qui ne peut pas sortir. Parce que je veux avoir une bonne raison de m'échapper, d'aller prendre l'air, sans passer pour la mauvaise cousine ou donner l'impression que je me fiche de lui alors que c'est moi qui l'ai fait venir à la Ligue, justement pour passer plus de temps avec lui. J'aurais aimé que Terence devine ma voix intérieure, mais il m'était impossible de la formuler plus haut : je me trouvais abominable de penser cela justement alors que c'était moi, qui avais décidé d'emmener Louis avec moi ici, et que jusqu'à il y a peu, j'aurais souhaité prolonger à l'infini chaque moment passé en sa compagnie. Bien sûr, Terence ne devina pas.

Je voix. Il avait hoché la tête. On pourra profiter de la réunion de cet après-midi pour en faire la demande auprès du Comité, alors. Par contre, je ne te cache pas que ce ne sera pas gagné d'avance. La case "cousin", ça n'entre pas dans les motifs d'absence prolongée de dernière minute.
Je sais que tu feras de ton mieux. C'était à mon tour de hocher la tête. Mais si tu n'y arrives pas, ce n'est pas grave, tu sais. Pas très...
Il faudra préparer un solide argumentaire. Il dressa son agenda debout sur la table, appuya sur les tranches pour faire rentrer à l'intérieur les feuilles qui en dépassaient. De même que pour demander à ce que ton cousin soit autorisé à loger ici, d'ailleurs. Tu sais combien ils sont prudents, même quand c'est la famille, normalement il y a tout un tas de paperasses à remplir à l'avance...
Excuse-moi de te demander tout ce travail. Il secoua la tête.
Non non, c'est normal. J'espère que tout sera en ordre. ...Et cet après-midi, il faudra aussi évoquer la question des médecins.

Il se tut sur ce mot, laissant planer un silence, et je sus que ce n'était pas anodin : il y aurait des explications, pendant la réunion, que l'on ne pourrait éviter.
Alors, autant que je les apporte dès à présent, et de la façon la plus complète possible, à Terence : il avait le droit de savoir, et il serait ainsi en mesure de m'aider, tout à l'heure, devant le Comité.


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Mer 9 Fév - 21:34
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Je regardai les volutes de la mousse mêlée au chocolat dans ma tasse, puis mes mains qui la tenaient. Mes yeux glissèrent jusqu'à mes poignets, que je tournai imperceptiblement vers moi ; mes poignets blancs, avec leurs plis, la peau si fine qu'elle en était translucide par-dessus les veines et l'artère qui saillait. Je frémis et me reconcentrai sur mon chocolat. J'avais seulement hoché la tête en réponse à Terence ; je ne savais pas par où commencer. Il le fallait, pourtant, commencer quelque part. Je n'avais qu'à dire les choses simplement, comme elles étaient ; tout était très simple, au fond, quand on y réfléchissait.
Je repensai à Louis dans sa chambre, pas celle que je lui avais prêtée, mais la sienne, au manoir ; les rideaux de sa fenêtre tirés, les volets fermés.

Quand on était petits, commençai-je, on jouait souvent dehors, dans le parc.

Je m'arrêtai. Quand j'avais ouvert la bouche, je n'avais pas prévu que ce soient ces mots qui en sortent ; je ne savais pas pourquoi j'avais commencé à parler de ça. Je ne regardais même pas Terence. Pourtant, les souvenirs de notre enfance se pressaient maintenant sous mes yeux, et comme mon agent attendait, en silence, je repris la parole.

Bien sûr, il devait parfois rester à l'intérieur, pour suivre ses cours, faire ses devoirs... Mais dès qu'on pouvait, on était dehors. On s'inventait des histoires, il lisait dans l'herbe... Je ne savais pas encore lire mais il me lisait ses livres. On aimait bien quand il pleuvait, aussi. Ça donnait un côté mystérieux, les odeurs étaient différentes, il n'y avait plus aucun grand dans le parc. Les grands n'aimaient pas trop quand il sortait sous la pluie, parce qu'après, parfois, il tombait malade. Il est toujours plus tombé malade que moi.

J'ai un sourire tout en parlant, me souvenant de Louis enrhumé ou fiévreux, quand on était jeunes, déjà, et qui, pourtant, ne manquait jamais une nouvelle occasion de ressortir dans le vent et le froid.

Il y avait des Lakmécygnes dans le parc, vers l'étang, à côté du manoir. Une fois, Oncle Léopold nous avait montré comment les approcher sans les effrayer et comment les tenir à distance s'ils nous menaçaient. Ça peut être dangereux avec des enfants, des Lakmécygnes, même dans un parc. Pour leur faire peur, il faut montrer qu'on est plus grand qu'eux, alors Oncle Léopold demandait au jardinier de laisser des branches, sur le côté de l'étang, et on les prenait et on les dressait au-dessus de notre tête pour se grandir, comme ça, je fis un vague geste des bras. C'est idiot, mais ils voient qu'on est des humains et, normalement, ils ne nous attaquent pas.

Je marquai une nouvelle pause, plongée dans ma mémoire. Oncle Léopold avait beau s'être toujours montré assez sévère avec Louis, on retrouvait chez lui un amour du grand air et un respect pour la nature qu'il avait transmis à mon cousin. J'avais bien aimé, la fois où Oncle Léopold nous avait appris à nous entendre avec les Lakmécygnes. Avec leurs longues ailes blanches, leur allure digne, ils m'avaient fascinée. On restait toujours dans leur coin, avec Louis, après. Je voulais qu'ils deviennent mes amis. Du coin de l'œil, je vis Terence lever sa tasse pour boire une gorgée ; la mienne était en train de refroidir entre mes mains.

Un jour, l'une des Lakmécygnes avait fait des petits. Il y avait trois œufs. Je pense qu'il y en avait plus et que mon oncle avait vendu les autres à un élevage, mais je ne m'en souviens plus, et puis, je n'étais pas tout le temps là. Avec Louis, on était super contents qu'il y ait ces œufs. Le jardinier les avait installés dans un abri spécial, pour que la femelle les couve, et on venait tout le temps voir pour les surveiller. Pourtant, une nuit, il y a un Roublerenard qui s'est introduit dans l'abri et qui en a volé un. Il a été abattu.

Louis me l'avait raconté : les cris déchirants des Lakmécygnes, en pleine nuit. Le Pokémon énorme et sombre ; le tir. Il n'avait pu être abattu que parce que les Lakmécygnes de l'étang s'étaient défendus, le noyant à moitié et l'empêchant de s'enfuir. Mais l’œuf s'était brisé.

Il en restait deux, cependant ; et deux, c'était un bon chiffre pour un cousin et une cousine qui attendaient avec impatience l'éclosion des Couanetons en se demandant si, cette fois, ils auraient le droit de s'en occuper.

On ne vit pas les deux autres œufs éclore, mais un matin, dans le nid, il n'y eut plus que des coquilles brisées. Et, dans l'étang, il y avait deux petites boules colorées qui nageaient. Je me souvenais avec attendrissement : il n'y a pas grand-chose de plus mignon qu'un Couaneton nouveau-né. ...Une bleue, et une grise. L'un des deux Couanetons était chromatique. Mon sourire s'efface à demi, tandis que je me remémore ce qui était arrivé. Je ne savais même pas ce que c'était, à l'époque. Mais il avait l'air si petit, si terne, à côté de son frère et des autres Couanetons. Et les Lakmécygnes ne l'aimaient pas. Parce qu'il était différent. Au début, Oncle Léopold a pensé à le vendre, mais Louis et moi, on a insisté pour le garder. On voulait les garder tous les deux, même s'il fallait protéger le gris. Il a cédé : c'est du prestige, un chromatique, et je pense qu'il voulait nous faire plaisir. ...Et on a fait de notre mieux pour que le Couaneton gris apprenne aussi à voler, même si les Lakmécygnes ne voulaient pas de lui. C'était Louis qui s'en occupait. On les avait appelés Perceval et Lohengrin.

J'ai joint mes mains, je fais tourner mes doigts, tandis que je repense aux deux petits Couanetons mal emplumés qu'étaient, au tout début, nos deux Lakmécygnes ; à la façon dont Perceval se collait à son frère, aux soins qu'on lui avait apportés. Au jour où, enfin, le petit Couaneton gris avait grandi.

Perceval a mis du temps à évoluer, mais quand c'est enfin arrivé, il est devenu l'un des plus grands de son étang. Les autres Lakmécygne l'ont enfin respecté. Les Couanetons évoluent quand ils ont fini d'apprendre à voler. Louis et moi, on s'est toujours beaucoup occupés de nos deux Lakmécygnes. C'était la liberté...

J'étends mes mains sous mes yeux, comme des ailes d'oiseau. Le silence plane un instant.

C'est dommage, je reprends ensuite, parce que Louis ne voyait même plus Perceval, ces derniers temps, comme il reste dehors. Peut-être que ça l'aurait aidé. C'était lui qui le soignait, quand les autres le blessaient jusqu'au sang.


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Ada Freimann

Ada Freimann
Ex-Champion

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Jeu 24 Fév - 21:11
Passé
    Il y avait tellement de choses que je n'avais pas comprises. Tellement de choses qu'il m'avait dites pourtant, ou qu'il m'avait montrées. Tellement de signes que j'avais été persuadée de comprendre, à ne pas y réfléchir davantage, parce que je les observais selon ma propre vision du monde ; parce que j'avais trop cru que nous étions semblables, lui et moi, tout ça parce que nous partagions la même sensibilité. Je m'étais toujours vue comme son double, je le suivais partout, je me croyais la seule qui le comprenait et j'avais aimé sentir qu'il avait besoin de moi, comme j'avais besoin de lui.
    Mais nous étions différents ; malgré toutes nos ressemblances, tout ce qui nous liait, nous ne pouvions ignorer ce qui faisait de nous deux individus fondamentalement distincts ; et je n'avais pas su le voir, quand j'étais allée de l'avant tandis que lui restait immobile, en arrière, faisant seulement semblant. Quand j'avais décidé d'avancer de mon propre côté, certaine pourtant que mon chemin continuerait de croiser le sien, je n'avais pas imaginé que lui n'y parviendrait pas – et qu'il demeurerait à me regarder, de plus en plus loin, cherchant, à son tour, à se raccrocher à moi, mais le cachant par dignité, puis par honte, et se contentant de faire semblant.

    Faire semblant, de plus en plus, alors qu'il pouvait de moins en moins avancer.

    Mais je ne savais plus comment nous sortir de là. Je me sentais impuissante. J'avais pris, enfin, conscience de cette différence ; mais moi, j'avais déjà avancé. Je ne pouvais pas revenir en arrière. J'avais réalisé mon rêve de devenir une dresseuse professionnelle, j'avais honoré mon serment aux Héros de la Nuit Éternelle – eux à qui nous voulions ressembler. J'étais partie, déjà.
    Je sentais sa peur contre moi, sans pouvoir dire quel était exactement son objet – s'il avait peur de son désir, ou peur de me voir m'éloigner, peur de ce que nous deviendrions, tous les deux, peur d'où nous conduisait notre histoire. Je ne le savais pas parce que je n'étais pas à sa place, parce qu'il y avait des choses en lui qui m'échappaient et qu'il fallait que je l'accepte. J'avais l'impression que sa peur pouvait porter sur tout cela à la fois.
    Et je pleurais de la sentir et de me rendre compte que j'étais impuissante face à elle.

    Quelques jours plus tard, je confirmai ma décision de rejoindre les rangs des champions de Ligue.



    Il y avait encore un délai et des préparatifs avant mon départ. Du côté de la Ligue, le Comité devait me choisir un agent et construire, avec lui et moi, mon identité publique de championne. Du mien, il s'agissait surtout d'organiser mon déménagement, ainsi que de faire un point avec les membres de ma famille qui ne voyaient, bien sûr, pas d'un bon œil ma nouvelle profession ; mais il y avait belle lurette que je ne cherchais plus à les convaincre, et la plupart avaient fini par s'en accommoder tant bien que mal. (Je crois que plusieurs avaient un peu lâché l'affaire, ces temps-ci, sur notre branche de la famille. Puisque le chef de famille actuel était Louis et que j'étais la plus proche de lui, il était difficile de me dire quoi que ce soit en face ; mais comme Louis, à cette époque, commençait de plus en plus en plus à présenter les signes que quelque chose n'allait pas, l'intérêt s'était peu à peu recentré sur ma sœur aînée Frederica et sur son mari Heinrich à qui Louis avait confié l'entreprise. Mon père aurait d'ailleurs une discussion avec moi à ce sujet, un peu plus tard. Mais à ce moment-là, je ne m'en préoccupais pas.)

    Durant le mois qui précéda mon départ pour Ébenelle, je retournai à plusieurs reprises chez Louis. C'était étrange de se voir de nouveau comme si rien ne s'était passé, même si tout semblait un peu décalé et que nous évitions un certain nombre de sujets : nous ne parlions pas de mon futur départ. Le Skélénox qui suivait depuis longtemps Louis avait pris un peu de distance ; nous nous occupions de Perceval et des autres Lakmécygne, nous parlions lecture, voyages.

    Ma dernière visite s'effectua un après-midi : j'étais venue prendre le thé et faire une promenade. Je ne devais pas partir tard car il me restait, chez moi, les derniers bagages à boucler : je m'en allais le lendemain. J'étais debout dans le hall du manoir, à deux pas de la porte, seule avec mon cousin : c'était l'"heure des adieux", même si ce n'était qu'un au revoir, même si nous pourrions, nous devrions, nous rendre visite. Nous en avions tous deux les moyens, nous n'étions qu'à une région d'écart. Et pourtant, cela sonnait comme des adieux, avec son air mélancolique, et je ne trouvais aucun moyen d'empêcher cela.

    Est-ce que... tu voudras bien que je t'écrive des lettres ?

    Nous nous fixions l'un et l'autre depuis un moment, les bras ballants, sans trouver les mots ni les gestes avec lesquels il convenait de se quitter, et je le considérai avec stupeur quand il parvint enfin à formuler sa question. Il paraissait vraiment embarrassé, ses yeux évitant les miens ; et je me demandai depuis combien de temps il lui fallait mon autorisation pour m'écrire. Depuis quand tout cela, depuis quand les chose s'étaient-elles détraquées entre nous.


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