Et pour finir, je fantasme l'éloignement de certaines régions entre elles, comme l'éloignement que j'ai avec deux personnes dans ma vie actuelle : feu ma sœur jumelle Alba, et mon grand frère Abel. Pour la première, c'était la santé, la potentialité génétique, et la faute à une chance malheureuse que nous avions été séparées dès la naissance, l'une rejoignant le royaume de l'invisible, dans l'ombre de toute vie lumineuse et enivrante d'odeurs et de visions ; pour le second, c'était le besoin de prendre des distances avec cette vie décousue qu'il avait pu mener jusqu'à lors, se réfugiant dans la pratique du sport à outrance, afin de se dégager une rigueur et une exigence de vie personnelle plus prompte à lui offrir la stabilité et la fierté personnelle qu'il recherchait tant. L'éloignement d'une forme de vie jumelle à la votre, arraché de votre petite paume de main de bébé par cette chienne de présence qu'est la fatalité. L'éloignement de celui qu'on aurait aimé avoir comme mentor et comme phare dans la nuit, cet individu qui n'avait de faim et de soif que d'un avenir actif, loin des souvenirs douloureux qui pouvaient le hanter, se rendant utile auprès d'une autre personne qu'il qualifiait de collègue et amis, sur Kantô.

L'éloignement de deux êtres chers, guidés dans deux directions opposées à cet endroit où je me situe présentement, comme coincée à un carrefour entre le regret et l'intimidation. Le regret d'avoir été séparée d'une vie à deux qui aurait pu être tout à fait génial, tout à fait hors du commun, et qui aurait pu engendrer des moments de liesse à deux, des moments d'angoisses à deux, des moments d'illuminations à deux, des moments de douleurs à deux ; tout aurait été en double, tout aurait été deux fois plus puissant, deux fois plus galvanisant, deux fois plus grisants et deux fois plus regrettables dans le cas les plus difficiles. Mais je n'étais encore qu'à la porte du regret, du sentiment de vie manquée, d'un trou béant dans la poitrine qui ne parvenait pas à se reboucher de lui-même sans qu'il n'y ait eu d'épisode révélateur d'une envie de laisser ça derrière moi. L'incertitude de voir celui que j'aime et que j'admire prendre une distance avec moi, pour la simple et bonne raison que lui avait su fermer cette porte du regret absolu, pour se tourner vers cette lumière aveuglante et absolument effrayante de l'avenir. Une opportunité de se faire un nom dans ce monde d'injustice et brutal.

Une occasion de gagner le respect d'un plus grand nombre et de vivre décemment comme un être humain doué de dignité et dont le standard n'était plus à déterminer. La chance de pouvoir vivre des expériences enrichissantes et formatrices, pour se construire peu à peu un chemin cousu de fil blanc vers une finalité plus glorieuse et révélatrice d'un parcours maitrisé de bout en bout, sans laisser la moindre place au doute, à la peur d'échouer, et à l'acceptation de ses forces et de ses faiblesses pour murir et avancer vers un futur radieux et complet.


Cette fois-ci, dans un nouveau sursaut de réveil, je n'avais pas de larmes le long de mes joues. Je n'avais pas non plus cette sensation de déchirure psychologique ni de spasmes inconfortables des entrailles de mon squelette. Plutôt, je sentais que ma mâchoire s'était crispée tout du long, sous le coup de plusieurs sentiments négatifs et nocifs à mon existence : la colère, la frustration, la jalousie, le regret, la fuite, l'incompréhension, la victimisation et la peur de se diriger vers un futur autre que celui qu'on a imaginé pendant des années. Je sentais également que les traits de mon visage s'étaient durcis et froissés pendant ce sommeil agité : les rides du lion semblaient trahit des froncements répétées de mes sourcils en direction du haut de l'arête de mon nez, les pattes d'oie qui commençaient à se dessiner avec l'âge au coin des mes yeux semblaient s'être creusé sous le poids de la crainte et des incertitudes qui m'assaillaient l'esprit en tout temps de la journée, de la semaine, du mois, de l'année. Et le dernier détail qui m'indiquait la réaction machinale d'auto-défense de mon corps, s'était les espèces de crampes que je ressentais dans mes avant-bras, dans mes poignées, et mêmes dans quelques-uns de mes doigts, comme si j'avais eu à serrer cet inconfort et cette rage venant de l'intérieur par tous les moyens du bord possibles et imaginables, comme si tout mon être luttait pour ne pas se faire engloutir sous les ondes maléfiques de cette condition d'esprit tourmenté entre un manque de vie à combler, et une peur d'aller de l'avant pour se construire une vie plus complète, plus attrayante, plus enivrante.

Je m'aperçois qu'une nouvelle fois, les passagers de la Navette Bleue n'ont pas réellement bougé une oreille depuis mon dernier sursaut onirique. Dans une sorte de généralité apparente, ceux qui lisaient un livre ou une revue était encore en plein processus intellectuel et cognitif de déchiffrage de lettre, de décodage de son, de construction mentale de phrases dans le but d'opérer cette gymnastique visuelle et si propre au règne de l'Humain. Ceux qui jouaient, des enfants de bas âge la plupart du temps, refaisaient quelques parties de plus, histoire de prolonger l'excitation et l'envie de gagner, tout en s'assurant que le scénario serait différent, plein de surprises, plein d'entourloupes et autres tentatives de triches subtiles et camouflées, ou pas selon le degré d'agilité et de sournoiserie du joueur ou de la joueuse. Il y avait ceux qui parvenait à ingérer quelques boissons ou quelques bouts de nourritures de-ci de-là du trajet, comme si leur estomac avait été fait d'une matière différente de celle de nous, pauvres mortels lambdas malades en transports dès lors qu'il faut diriger son attention sur autre chose que la route, la trajectoire du véhicule, les éventuelles secousses dans ce dernier, ainsi que l'amorce des virages, des dos d'âne, des chicanes, parfois des nids-de-poule ou encore quelques déformations naturelles ou malencontreuses de la chaussée.

Personnellement, je préfère passer une partie du trajet à dormir, mon corps oublie tous les tracas d'un aussi long trajet, et je peux m'apercevoir que le temps passe plus vite. Pour corroborer ce petit rituel qu'est le mien, je me rends compte que nous sommes dans la région d'Hoenn, que nous avons très largement dépassé la moitié du trajet initial, et que nous ne sommes plus qu'à quelques heures de Célestia, la fameuse ville où le festival des trois dragons se déroulait. Alors du coup, je referme les yeux, et j'espère que la prochaine fois que je les ouvrirai, ce sera au moment de l'annonce du chauffeur que nous arrivons à destination. Mais est-ce vraiment une bonne idée que je me replonge dans les bras de Morphée ? Avec ces deux premières rêves invoquant la présence de deux des trois dragons de la légende, n'étais-je pas en train de m'inviter toute seule dans la gueule du loup concernant le troisième ?

En réalité, je n'en ai que faire, car je sais que ce n'étaient que des rêves, quand bien même ce que j'en ressens soit très personnel, très vif et presque réel. Je me dis que ça me permettra peut-être de continuer ce travail sur moi-même, sur la découverte de ma personnalité, sur le règlement de tous ces épisodes et de tous ces blocages du passé qui m'empêchent peut-être d'avancer dans la bonne direction, ou seulement ce qui m'empêche de parvenir plus vite à ma destination, celle de devenir une exploratrice du monde, à la fois au contact de l'humanité, mais aussi des pokémons.



Ni une ni deux, je rabats les paupières des mes deux perles noisettes, les plongeant dans l'obscurité naturelle de la cavité oculaire. Je sens que mon corps de relâche, ma respiration se ralentit et devient plus sereine, plus décomplexée, plus réconfortante. Le pouvoir du sommeil est fascinant, et je ne me lasserai jamais de pouvoir m'offrir ce luxe de pouvoir mettre le cerveau et le reste du corps en pause, pour recharger les batteries, et être plus à même de performer par la suite sur le plan physique et mental. Mais voilà, qui dit relâchement du cortex cérébral, dit ouverture de la porte vers les songes. Et cette porte là s'ouvre bien plus rapidement que les deux premières parties de rêve effectuées un peu plus tôt. Je ne mets pas longtemps à cette fois me mettre en tête une image du dernier dragon légendaire, Giratina, le renégat du multivers.

De ce que j'en avais lu, ce dragon n'était pas réellement une entité maléfique au demeurant, mais il avait été le responsable de bien des effets négatifs sur la qualité des nuits des habitants et des pokémons de ce monde. Capable d'insinuer en eux des cauchemars, de distiller de mauvaises pensées ou des souvenirs douloureux que n'importe qui aimerait pouvoir oublier ou simplement ne plus avoir à revivre. Sa quête de l'antimatière était telle qu'il ne s'inquiétait d'aucune conséquence de son passage dans les quatre coin du globe, provoquant le courroux terrible de ses deux comparses du Temps et de l'Espace. Jusqu'à ce que le Dieu Pokémon lui-même, Arceus, décide de l'envoyer dans une autre dimension, parallèle à la notre, afin d'y cultiver son goût pour l'antimatière, pour les mondes distordus et reflétant sa propre torsion de l'esprit, tout en gardant un œil sur la réalité primordiale, pour ainsi absorber et mitiger les agissements de Palkia et Dialga, eux-mêmes parfois responsables de dégâts irréversibles dans leur réalité.

Ce ne fut qu'après de longs siècles de laisser-passer et de laisser-faire pour le dragon bleu et le dragon rose, que Giratina décida qu'il fallait enfin se bouger pour protéger la population de cette dimension d'origine, quitte à s'attirer les foudres des autres pokémons et des humains en règle général. Il avait une mission, et il fallait la mener à bien.



Pour ma part, étonnamment d'ailleurs, je ne considère pas le dragon noir comme une source de problèmes, ni même de douleurs, mais plutôt comme un appel véritable de l'existence de vouloir obtenir le contrôle de son destin et de son histoire, de contrôler les distorsions de la réalité et de l'influence d'autrui sur sa propre vie, tout en cultivant ces bouts de personnalité, d'intelligence, de savoirs et d'aptitudes, afin de se construire une version de soi plus proche de l'idéal qu'on en a de notre propre égo. Une sorte de précurseur de la volonté de devenir un être unique, semblable à personne d'autre au monde, de capitaliser sur des sentiments, des sensations et des réflexions tout à fait personnelles et dépourvues de parasitages extérieures, de faire jouer les paramètres psychiques et physiques pour cultiver un goût de l'originalité et de la singularité d'une vie. C'est avant tout un messager de la déconstruction de soi, qui induit une recherche longue et fastidieuse d'éléments de reconstruction de sa propre enveloppe corporelle et intellectuelle, et qui ne demande qu'à conclure sur un avènement d'une existence riche, motivée par le don de soi, le don de s'ouvrir au monde, et de pouvoir venir en aide à quiconque devait se fourvoyer sur sa propre quête de reconnaissance, d'existence ou de simple accomplissement de soi.

Cependant, malgré toute ma bonne volonté d'endormie que je représente, quelques mauvais souvenirs refont surface. Notamment cette rencontre avec Chantico, ma partenaire de vie à l'heure actuelle. Mon Héricendre femelle, sortie tout droit de sa pokéball avec un désir de revanche, sur la vie, sur les humains, sur tout ce qui avait pu représenter sa captivité jusqu'à lors. Ce jour-là, nous avions une belle frayeur, lorsqu'elle s'était révoltée contre le dresseur qui devait en faire l'acquisition pour le jour d'intronisation au rang de dresseur. Sentiment que j'avais pu partagé à l'époque, car l'individu en question avait été tout simplement odieux dans son attitude, déplaisant dans son phraser envers le Professeur Orme, et d'une condescendance à toute épreuve quand il s'agissait de faire allusion au public de personnes lambdas, nous étudiants y compris, face à la communauté du dressage pokémon.

Mais cela avait valu une scène tout à fait flamboyante, avec un pokémon hérisson libérant des flammes aussi chaudes que celle d'un brasero en pleine activité, rappelant aussi que ces créatures étaient capables de faire vivre un véritable enfer à quiconque s'en approchait de trop près, ou se payait le droit d'assister à la manifestation de son âme courroucée et meurtrie par le vice et l'avilissement permanente de l'humain.

Le problème dans ce genre de cas c'est que, comme pour les animaux standards, un spécimen considéré comme trop nuisible pour le reste de son environnement peut être amené à être subtiliser du paysage, disposé on ne sait trop où dans un établissement spécialisé, pour y mener on ne sait quelle opération de réhabilitation. Et ce jour-là, l'homme au comportement plus que révoltant avait bien failli faire appel à l'agent de police de la ville de Bourg Geon, pour appliquer sa petite vendetta personnelle sur Chantico ; chose qu'elle avait immédiatement comprise d'ailleurs, puisqu'il n'en avait pas fallu de plus pour libérer de nouvelles flammes, mais dirigées vers le fameux fauteur de troubles. Personne n'avait eu le cran de bouger, si ce n'est de pousser des cris d'effroi, ou d'écarquiller les yeux de stupeur face au danger imminent qui allait s'abattre sur cet homme. Seule ma bêtise et mon envie de vouloir faire le Bien, que la cible de ma bienveillance soit foncièrement sympathique ou complètement antipathique, avaient eu la force de s'interposer, et de prendre le retour de flamme de l'action.

Mon bras avait été écorché vif par la température du brasier libéré par Héricendre, occasionnant une douleur qui me déchira dans une cri strident avant de m'évanouir dans la tétanie immédiate de mon corps qui n'avait pas trouver d'autres moyens de gérer la souffrance physique. La seule chose que je pouvais entendre encore à cette époque, c'étaient les murmures des autres personnes et des camarades de classes qui se tenaient encore debout, accusant Chantico d'être un véritable démon, qu'elle n'avait pas sa place parmi les pokémons d'ornements de début de parcours pour un dresseur, et que c'était même étonnant que le Professeur Orme avait eu comme idée de la confier à quelqu'un de plus ou moins apte à devenir dresseur. Je me rappelle également la tristesse de pas pouvoir faire plus pour ce pokémon hérisson, la rage de vouloir vaincre ces aprioris manifestes de toutes ces personnes témoins de ce rocambolesque revirement de situation, l'impuissance face aux interrogations du scientifique pokémon sur le comportement de sa petite protégée qu'il assurait être tout à fait sociale, aimante et digne d'intérêt au reste de l'audience présente.

Ce jour-là restera probablement l'un des plus traumatisants que j'ai eu à vivre, mis à part cette enfance meurtrie et aliénée par l'absence d'une sœur jumelle partie trop tôt, par l'acharnement d'un grand frère dans la douleur et la non-acceptation de la perte d'une partie de sa famille, et la méchanceté naturelle et gratuite d'un groupuscule de jeunes têtes de linotte capables de tout pour se ranger du côté du plus fort, du plus influent et du plus superficiel. Bien évidemment que ce souvenir n'avait pas durer trop longtemps dans cette nouvelle phase de sommeil, mais c'était suffisant pour me rappeler la douleur lancinante et impressionnante de la brûlure à l'avant-bras. Je n'avais pas été gravement brûlée, la dégradation du derme n'avait heureusement pas été alarmante, et j'avais pu recouvrer une nouvelle peau par la suite, grâce à une bonne cure de pommade et une hydratation plus poussée pour permettre une régénération des cellules et du collagène naturel. Tout comme le sort de Chantico n'avait pas non plus été le pire qui soit, puisqu'en définitive, elle m'avait été confiée, à l'hôpital où j'avais séjourné pendant ma convalescence épidermique et énergétique, par le Professeur Orme lui-même, car la petite rongeur avait apparemment insisté pour venir me rendre visite, sentant que j'avais été à son écoute, et que je m'étais sacrifiée pour son bien à elle aussi.

Je me rappelle des quelques larmes qui avaient coulées le long de mes joues lorsque le petit pokémon hérisson était venu se blottir dans mes bras, puis dans le creux de mon ventre, puis celui des cuisses, puis de n'importe quelle partie du lit médical qui m'avait été attribué et qui parvenait à offrir des espaces pour se lover tout en restant au contact de mon corps en lutte pour sa guérison. Chantico était, est et sera toujours, cette petite boule de feu caractérielle mais ô combien attachante, qui a conquis mon cœur de la plus belle des manières et mon esprit en un rien de temps, et qui comptait faire de moi sa parente pour la vie, son humaine d'affection, son mammifère humanoïde de compagnie, et m'offrirait l'occasion de développer des ambitions et des rêves tout à fait hors du commun, imprévus de mon schéma de vie, mais qui promettaient des sensations folles et des aventures incroyables.