Mon prochain lancer rata la cible. Pas grave, j’étais déterminé à m’obstiner aussi longtemps que j’aurais accès au couloir de tir. J’écoutai la réponse de l’animateur en piochant une nouvelle hache dans le panier. Il avait donc découvert cette discipline par intérêt pour l’histoire et ne la pratiquait qu’à titre d’hobby. Peut-être était-il prof ? Cela expliquerait pourquoi il était aussi calé sur le sujet. En tout cas, sa remarque sur la bière me fit rire.
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J’imagine ouais. Il n’empêche que ça doit faire des soirées sympa, ça me parait plus convivial que les fléchettes où plus personne ne voit la cible après quelques verres. Je tentai à nouveau. La hache frappa la cible mais sur le dos ; elle rebondit dans un
clang ! qui sonnait comme les buzzers accusateurs des jeux télé. Mon succès précédent n’était-il à attribuer qu’à la chance du débutant ?
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Mince. J’ai perdu le truc. Je saisis un nouveau projectile. Discuter n’était pas le meilleur moyen de rester concentré, mais je repris tout de même :
Tu es prof d’histoire du coup ?Il n’eut pas l’occasion de me répondre, voire même d’entendre ce que je venais de lui demander : son talkie-walkie s’activa. Je le laissai répondre sans chercher à écouter et essayai plutôt d’atteindre une nouvelle fois cette fichue cible. La hachette se planta cette fois, encore trop bas. Je claquai de la langue.
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Désolé, je dois filer, une urgence apparemment.
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Oh OK. Je trouvais cela dommage, mais me gardai de le laisser transparaître dans mon ton.
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Et, si jamais on se recroise au cours des prochains jours, je m’appelle Eddie. Cela m’arracha un sourire.
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Ça marche. Moi c’est Angelo. Au plaisir.Je le regardai s’éloigner en toute hâte avant de me saisir de la prochaine hachette. Avec ou sans compagnie, je restais déterminé à toucher ce cœur de cible.
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J’atteignis mon objectif au bout d’une demie-heure. Il était temps, car la queue se remplissait à nouveau et le gars qui avait remplacé Eddie me jetait des regards insistants. Même si mon prof n’était plus là pour partager ma réussite, j’entrepris une petite danse de la victoire et pris un selfie triomphant devant la cible avant de quitter le stand, indifférent aux regards amusés qui accompagnèrent ma sortie. Il était désormais temps de trouver de quoi déjeuner. Je folâtrai de stand en stand tout en m’imprégnant de l’ambiance du festival que je n’avais fait qu’effleurer. Je finis par jeter mon dévolu sur un food truck spécialisé dans la cuisine sinnohienne qui proposait des boulettes d’octillery moelleuses et épicées, accompagnées de sauce soja. Cela ne ressemblait pas à ce que j’avais l’habitude de manger, mais c’était pratique à manger en marchant et plutôt savoureux.
Après avoir passé un peu de temps à observer les artisans qui construisaient les statues des dragons légendaires, mes pas me menèrent jusqu’à un bâtiment d’où s’échappait de la fumée. A mesure que j’approchais me parvinrent les coups répétés d’un outil sur le métal et une augmentation notable de la température. Sûrement la forge qui fournissait les matériaux dont les constructeurs avaient besoin, justement. Un animateur se tenait à l’entrée, entouré par une troupe de badauds intéressés à qui il discourait avec de grands gestes des bras. Je m’approchai, juste pour voir, sans intention de m’attarder. Je n’écoutai même pas les explications alors que je me mettais un peu à l’écart des autres pour jeter un œil à l’intérieur.
Il n’y avait qu’un seul forgeron au travail. Au vu de la fournaise il n’était habillé que d’un tablier et de gants, ce qui attirait malgré moi mon attention sur les parties exposées de son corps. Appréciable, même si je tentais de ne pas trop fixer et de me concentrer plutôt sur le travail de ses mains. Ce fut là, alors que les braises rougeoyèrent et éclairèrent son visage, que je me rendis compte que je reconnaissais ce gars. Il releva la tête au même moment pour s’essuyer le front et nos regards se croisèrent.
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Hey, saluai-je avec un sourire.
Tu es sur tous les fronts à ce que je vois.Peut-être qu’il n’était pas du tout en mesure de parler et que je le dérangeais ? Je ne voulais surtout pas être le relou de service : au premier signe que je l’importunais, je me casserais ailleurs.