Il paraît qu'il faut être fort. J'y crois, surtout dans ma situation, mais ce n'est pas ça qui va m'empêcher de pleurer. De m'asseoir par terre, à même la terre, au beau milieu de cette route interminable, et verser des larmes. Elles coulent, encore et encore, le long de mes joues, avant de filer entre mes doigts et s'infiltrer dans mes paumes où elles laisseront leurs traces salées. Je me cache les yeux sans que ça n'empêche rien. Ils me feront mal à force de les frotter pour essayer de les sécher, alors que mes mains doivent encore avoir des traces de terre.
Je suis fort car cela fait des jours et des jours que je marche dans ces terres inconnues, sans désespérer de trouver trace de vie humaine. Mes pieds ont beau me faire plus mal que jamais, je continue de mettre un pied devant l'autre, acharné. Je suis fort car, avec l'aide de Bowbow, j'ai tué un pokémon oiseau pour me nourrir. C'est moi qui lui ai tordu le cou, pour qu'il ne souffre plus et que les grosses pattes de mon chelours ne l'écrasent pas. Prendre une vie de moi-même m'a fendu le cœur, celle d'un de ces pokémons que je suis sensé aimer et étudier pour que les humains, comme moi, puissions leur offrir les meilleures conditions de vie lorsqu'ils deviennent nos compagnons. Je suis fort pour plein de raisons, et je pleure aussi pour elles.

Je ne sais plus depuis combien de levés de soleil je suis perdu. Ici, au milieu d'une nature sauvage dans laquelle j'ai l'impression de tourner en rond. C'était un jour comme les autres, jusqu'à ce qu'une porte que je passais devienne en fait un portail qui m'a aspiré ici. Quelque part. Nul part. Je suis resté là où je suis apparût sans que le portail revienne, j'ai tourné autour sans le retrouver, me suis éloigné, de plus en plus, sans en trouver aucune trace. Bien que je n'arrive pas à me faire une raison, j'ai décidé de partir à la recherche d'autres êtres humains. S'il y a des pokémons, cela veut dire qu'il y a des êtres vivants, et donc peut-être des membres de mon espèce. J'espère seulement qu'ils ne seront pas aussi agressifs que les créatures sauvages qui peuplent ces lieux. Si je n'avais pas eu sur moi les pokéballs de Bowbow, Nuggets et Poutrelle, sûrement que je serais déjà mort. Si je n'étais pas un dresseur confirmé, aussi.
La présence de mes trois compagnons m'aide à tenir le coup. C'est grâce à eux que je continue de mettre un pied devant l'autre – sauf dans les moments où je m'assieds pour pleurer, bien sûr – et aussi grâce à mon gobou que je peux avoir de l'eau plus potable que celle de la rivière. Je ne veux même pas imaginer ce qu'il serait arrivé à mes intestins si j'avais dû y recourir. L'eau que me donne Nuggets n'est pas la meilleure, et il y a quelque chose de repoussant au fait de boire ce qui sort de la bouche de son pokémon, mais il faut bien que je survive. Il le faut, pour rentrer chez moi.

La journée a cependant assez duré. En me relevant, je constate avoir mal partout, mon corps me fait ressentir des courbatures qui rendent chaque mouvement difficile. Je décide qu'il est temps de me trouver un abri et me reposer. Le soleil est à peine en train de décliner, je me sens si fatigué. C'est mon chelours qui repère des arbres assez proches les uns des autres pour donner l'impression que leurs branches forment une cabane. Il s'y affale pour que je puisse m'allonger sur ses jambes et contre mon ventre. Mon concombaffe restera aussi hors de sa pokéball cette nuit, pour monter la garde. Ce soir, nous n'avons rien à manger, j'entends le ventre de Bowbow gronder contre mon oreille. Se nourrir de plantes à l'air comestibles et de racines n'a pas été très concluant aujourd'hui, je n'aurais pas d'autre choix, demain, que de chasser à nouveau.

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Je suis réveillé par des gouttes d'eau qui me tombent sur le visage. Le temps d'émerger, l'averse s'intensifie. Les branches des arbres au-dessus de moi ne seront pas suffisantes pour m'empêcher d'être trempé. Je n'ai rien contre le fait d'être mouillé, mais dans cette situation c'est un coup à tomber malade, ce dont je n'ai vraiment pas besoin. Il faut que je trouve un autre abri et vite. Après avoir remis Bowbow et Poutrelle dans leurs pokéballs, je retrouve le chemin que je suivais la veille et y cours en espérant trouver, enfin, quelque chose.
La pluie devient battante. A mesure que j'avance, la terre se transforme en boue. Mes chaussures glissent et je manque plusieurs fois de perdre l'équilibre. Mes pieds me font toujours mal, mes genoux aussi et l'effort alors que je n'ai pas mangé depuis longtemps me fait tourner la tête. Il faut pourtant que je continue à courir, encore et encore, jusqu'à trouver un endroit où je pourrai m'abriter, me réchauffer, me sécher et éviter de choper la mort. Bercé par mes souhaits, je m'imagine un village au bout du chemin dans lequel les habitants m'accueilleraient à bras ouverts pour me porter secours. Ils seraient bienveillants, amicaux, et je leur rendrais leur aide au centuple pour les remercier de m'avoir sauvé la vie avant de retourner chez moi. Même si exprimer cette gratitude doit prendre des semaines ou des mois.

Ce que je finis par trouver, alors que je suis à bout de forces, n'est pas un village, ni même une habitation digne de ce nom, mais une petite cabane de fortune. Tout ce que je vois, c'est qu'elle a des murs et un toit. Un palais, vu les circonstances. Rassemblant mes dernières forces, je m'élance dans sa direction et m'effondre presque sur la porte avant de tituber de l'autre côté. Je retrouve à peine mon équilibre qu'une voix s'élève, peu amicale.

- Non ! Non, non, je... Non !, non, je ne retournerai pas là d'où je viens. Pas sous la pluie, pas dehors, pas à un endroit où je ne suis pas à l'abri.

Quelque chose à l'air menaçant est tendu vers moi, c'est difficile à voir dans la pénombre. De toute façon, j'ai seulement la force de m'effondrer contre le mur le plus proche et me laisser glisser lamentablement jusqu'au sol. Mes jambes flagellent à force d'avoir couru et ma tête s'emplit de coton. J'ai envie de me laisser tomber encore, m'allonger et dormir, là, tout de suite. Seulement, alors que je suis en train de fermer les yeux, mon esprit réalise enfin quelque chose de crucial : on vient de me parler. Quelqu'un vient de me parler.
Il y a un être humain ici.
Je redresse la tête pour tenter de distinguer la forme qui tient l'objet menaçant. Avec le manque de luminosité, je serais bien incapable de détailler ses traits, mais la forme de son corps et la manière dont ils se tient me confirment qu'il s'agit d'un humain. De toute façon, même si ce n'était pas le cas, même si ce n'était qu'un pokémon humanoïde, je croirais que c'est un des miens. Je le veux trop pour que ce ne soit pas vrai. Ce constat enfin ancré en moi, je sens les larmes revenir et je me mets à sangloter. Cette fois, ce n'est ni de la tristesse, ni du désespoir, mais du soulagement, de la joie et de la fatigue. Je ne peux m'empêcher de dire à voix haute, entre deux hoquets :

- Il y a quelqu'un ! Il y a vraiment quelqu'un !, l'énoncer me permet de l'inscrire un peu plus dans la réalité. Je cherche quelqu'un depuis si longtemps si tu savais... Pitié me fait pas retourner dehors tout seul, laisse-moi rester avec toi. Je me fais tout petit, je reste dans le coin. Je... Je veux rien de cette cabane, si c'est chez toi. C'est juste la pluie, pour pas tomber malade, je renifle bruyamment tandis que j'essaye de ravaler mes larmes et me donner un peu de contenance. Promis !

Effondré contre le mur de la cabane vermoulue, je ne parviens pas à garder le contrôle de mes émotions. Les larmes et les paroles coulent sans que je parvienne à les contrôler. Tout ce que j’espère est que cette personne ne m’attaquera pas, qu’elle ne me jettera pas dehors, et qu’elle acceptera que je reste avec elle. Me retrouver seul serait encore pire que d’être dehors et tomber malade. Un autre être humain, c’est ce que je cherche depuis le début de mon périple forcé dans ce monde inconnu et hostile.
Comme je me force à sécher mes larmes et à force de les frotter de mes yeux, je perçois le soupir de l’autre personne et comprend qu’elle baisse son arme. Ce n’est pas pour autant qu’elle se montre amicale, me pointant l’état de la porte qui laisse entrer l’eau à l’intérieur de la bicoque. Je veux me lever pour réparer mon erreur sans que mes jambes acceptent de m’obéir. Elles restent tremblantes de ma course, ont besoin de plus de temps. L’inconnu prend en charge le problème de la porte avec une rapidité qui me questionne sur s’il comptait sur moi au départ ou non. Ais-je déjà déçu la seule personne qui existe peut-être dans ce monde ? Je dégluti d’inquiétude, toujours prostré dans mon coin. Au moins, j’ai cessé de pleurer.

Une fois la porte fermée et la pénombre redevenue plus forte, je tente de me redresser. Des filets de lumières parviennent à entrer dans la cabane, par des jointures mal faîtes, ce qui permet avec l’habitude de distinguer les formes de ce qui nous entoure. Si j’avais encore de la batterie sur mon téléphone, je pourrais utiliser la lampe torche et montrer mon utilité. A la place, je ne peux que tenter de me redresser pour reprendre contenance. Je force mes jambes à se tenir droites devant moi ainsi que mon dos à me tenir correctement. Je reste assis, mais c’est déjà mieux. Il va me falloir encore un peu de temps avant de me lever.
Un sursaut me traverse lorsque je sens quelque chose de doux contre mes jambes. Puis, je distingue un évoli qui vient me câliner. Qu’il est mignon… Ou elle, je n’en sais rien. Comme pour l’autre être humain qui est là. Sa silhouette ne m’indique rien de concluant, ni sa voix. Contrairement à la mienne qui, malgré mon apparence codée plutôt féminine, révèle tout de suite ce que je suis vraiment. Avec le plus de délicatesse possible, afin de ne pas l’effrayer, je rends ses attentions à l’évoli.

- Tu es gentil, petit évoli… Merci, un sourire illumine quelques instants mon visage, tandis que je gratifie le pokémon de quelques dernières gratouilles.

L’inconnu bouge encore, je me fige d’instinct, de peur de faire une bêtise, mais il pointe simplement mes pokéballs. Un feu. C’est vrai que ce serait nécessaire, mais encore une fois j’ai peur de décevoir. Il va falloir que je réfléchisse vite, il faut que je trouve une solution. Je le vois directement comme une condition à l’absence de future solitude. Sur un plan plus anecdotique, je retiens que l’évoli est une femelle nommée Ephémère.
Il est temps de me relever. En m’appuyant sur le mur dans mon dos, je me hisse sur mes deux jambes. Elles ne tremblent plus comme avant. Malgré les douleurs de mes pieds, je suis capable de me tenir debout et de marcher.

- Je viens de Vergazon, à Hoenn, tu connais ? Je… J’avoue ne pas savoir où je suis, hésitant à parler du portail car je ne voudrais pas être qualifié de fou, il me paraît plus prudent de ne pas élaborer pour le moment. C’est chez toi ici ?

Tout en parlant, je commence à faire jouer mes pokéballs entre mes doigts, réfléchissant à la meilleure manière de faire partir un feu dans le foyer humide de la cabane. Un instant, je lève le regard vers l’autre personne et lui adresse un sourire reconnaissant avant d’enfin me présenter :

- Je m’appelle Aaron. Merci de m’avoir laissé rester à l’intérieur, je tends la main vers l’autre personne, dans l’espoir qu’elle la serre si elle le souhaite. Mes pokémons n’ont pas d’attaque feu, mais j’ai peut-être une idée.

Je commence par m’agenouiller à côté du foyer. Les os de mes genoux claquent sur le sol en bois sans que je me préoccupe de la douleur. La première créature que j’invoque est mon concombaffe que je pose immédiatement sur les branches humides restées là. Ces pokémons absorbent bien l’humidité et j’espère qu’il pourra commencer à les assainir. Ensuite, je lui demande une attaque purification pour aider à les sécher. Le processus étant un peu long, j’adresse régulièrement des sourires que je veux rassurant à mon hôte. Lorsque Poutrelle a fini, je le remercie et le pose sur mon épaule où il s’accroche à l’aise de sa main en organes. Ma faiblesse me frappe car je le trouve plus lourd que d’habitude.
Ensuite, je fais appel à mon chelours et lui explique qu’il devra utiliser sa capacité poing éclair sur les morceaux de bois, dans l’espoir qu’ils prennent feu, mais uniquement lorsque Poutrelle aura lancé ses protections et mur lumières autour du foyer. Les éclairs ne doivent pas s’échapper de là : avec l’humidité et la pluie, c’est toute la cabane qui risque de s’embraser sinon. Les boucliers du concombaffe font apparaître des reflets de lumière dans la cabane puis, après m’être écarté, j’ordonne enfin à Bowbow d’attaquer.

L’attaque provoque un léger flash dans la cabane qui suffit à m’aveugler momentanément. Après lui ne reste qu’une lueur dans le foyer qui, tandis que ma vision me revient, se transforme en petites flammes et braises. Ca a pris, mais je crois que mon chelours a pulvérisé une bonne partie du bois. Ca ne m’empêche pas d’être heureux de notre réussite et l’exprimer dans un cri de joie :

- Wouhou ! Ça a marché !, l’excitation me fait sautiller jusqu’à ce que des points blancs apparaissant dans mon champ de vision et que ma tête se mette à tourner. Mauvaise idée. A la place, je m'assieds à côté des flammes, rassuré. J’espère qu’il va tenir. La survie, j’ai jamais fait avant.

Bowbow vient s’asseoir derrière moi, une de ses pattes arrière de chaque côté de mes cuisses et ses bras doux et confortables autour de moi. Poutrelle, de son côté, se hisse sur ma cuisse droite. Sans eux je serais mort. Sans eux, je me serais sûrement fait jeter dehors. Car, seul, je suis inutile.

Les réponses de cette personne inconnue à mes questions me laissent plus que perplexe, mais je tente de ne pas trop le laisser transparaître. Ma confusion pourrait la pousser à me jeter dehors, sous la pluie, dans la tempête. Et puis la manière dont elle le dit a l’air si… Normale. Comme si passer de Vergazon au Nord-Ouest de la région de Sinnoh était un phénomène banal, commun, tout à fait explicable. Peut-être cette personne a-t-elle des connaissances sur les pokémons psychiques que moi je n’ai pas et qui pourraient expliquer une telle téléportation, il faudra que je lui demande plus tard. D’abord il y a les présentations avec celle que je peux désormais nommer Maryam. Je la vois toujours mal et ai toujours du mal à genrer sa voix, mais il me semble que c’est un prénom féminin.

Mon hôte me demande de l’aide pour allumer un feu, problématique face à laquelle j’improvise une solution grâce à l’aide des pokémons que j’ai avec moi. Aucun ne possède de capacité de type feu, mais avec un savant mélange de capacités, je parviens à quelque chose en utilisant le poing-éclair de Bowbow. Ca me rassure, d’ailleurs, de les avoir avec moi hors de leurs pokéballs. Il ne manque que Nuggets, mais mon gobou est fatigué et au vu du taux d’humidité, rajouter un pokémon de type eau n’est peut-être pas une bonne idée. Au moins Poutrelle, bien qu’il soit un concombaffe, ne crache pas de l’eau.
Les flammes apparaissent dans le foyer, d’abord timides puis plus franches. Je suis plutôt fier de moi et profite de ce début de chaleur avec mes pokémons, sans cacher mon enthousiasme face à cet exploit. J’adresse un grand sourire plein de dents à Maryam, donc je discerne un peu mieux les traits grâce à la lumière du feu. Elle semble cependant préférer le pratique aux réjouissances car, plutôt que de me répondre, elle dépose des bûches à mes pieds pour que Poutrelle puisse les assainir. Soit, je me contente cette fois de hocher la tête avant de solliciter à nouveau l’aide de mon concombaffe. Ceci fait, je remets du bois dans le feu et laisse le reste de côté pour plus tard. J’espère que nous aurons assez pour couvrir la durée de la tempête.

Maryam m’offre un morceau de viande séchée que j’accueille avec joie.

- Pas encore, non !, même si je considère l’idée tant la dissonance cognitive devient forte entre le fait de travailler au bien-être des pokémons et celui de continuer à en manger. Merci beaucoup Maryam… Ces derniers jours tout ce que j’ai pu manger c’était des pokémons oiseaux grillés par le poing éclair de Bowbow, c’était dégueux, en plus de m’avoir provoqué des soucis intestinaux dont on se passera bien.

Le dialogue avec mon hôte devient ensuite plus complexe, alors que je suis occupé à sucer le morceau de viande séchée pour profiter du goût le plus longtemps possible. Elle a beau déjà être allée à Vergazon, elle doit être originaire d’un lieu que je ne connais pas car certains mots de son vocabulaire me sont inconnus. Je comprends les idées qu’elle transmet, mais ne peux m’empêcher de buter par moments, ce qui me fait plisser les yeux - comme si cela allait aider à ma compréhension globale.

- Bah je sais pas ce que je fais ici, dis-je d’un ton plutôt dépité et la tête basse. J’étais chez moi à Vergazon et puis j’étais ici, sans transition. Comme dans un film ou un jeu vidéo, tu vois ? Donc ouais, non, je suis pas préparé du tout, je lui adresse un sourire désolé, ayant bien conscience que mes réponses ne doivent pas être satisfaisantes. Ca fait des jours que je cherche des traces de civilisation humaine pour avoir des repères et de l’aide, cette cabane est la première que je trouve… Et toi le premier être humain que je vois !

Affirmer cette vérité fait un peu passer mon petit coup de mou et je retrouve une expression plus avenante. Cette rencontre est précieuse et j’ai la chance de la faire. J’aurais pu trouver cette cabane vide et me contenter d’y grelotter jusqu’à ce que la pluie passe puisqu’il ne me serait peut-être pas venu à l’idée de faire du feu. Là, je commence à sentir la chaleur, suis bien blotti dans les bras de mon chelours, en présence d’une personne charitable. Tout va mieux, d’un seul coup. Je me recroqueville contre Bowbow qui passe ses bras autour de moi pour me réchauffer un peu plus.

- Si tu veux Maryam, Bowbow pourra te réchauffer aussi ! Il est très doux et vraiment adorable, le plus mignon de tous les chelours, je me frotte la joue contre les poils de mon pokémon et pousse un soupir d’aise. Je dois ressembler à un enfant dans cette position, tant pis. Rassuré et à l’aise, alors que je continue de mâchonner mon morceau de viande séchée que je cherche à faire durer le plus longtemps possible, je finis par demander à ma sauveuse : Dis, si t’as déjà été à Vergazon, tu sais comment y retourner depuis ici ?

C’est animé d’un léger sentiment de fierté que j’adresse une fausse grimace désapprobatrice, exagérée, à Mariam lorsqu’elle rit de la manière dont j’ai survécu. C’est un de mes talents, je crois, de détendre les gens (quand le balais qu’ils peuvent avoir dans le cul n’est pas trop profond). Je crois le constater encore plus quand elle accepte de s’approcher de Bowbow pour se réchauffer, même si j’imagine que ce mouvement est encouragé par l’attitude de son évoli. Qu’elle est mignonne, d’ailleurs, cette petite boule de poils… J’ai envie de lui donner des gratouilles, mais ne sais pas si j’en ai l’autorisation. Mon chelours, lui, considère Mariam et esquisse un vague mouvement de patte dans sa direction. Il doit vouloir la prendre dans ses bras, comme il le fait avec moi, mais je lui adresse un signe discret pour le lui interdire. Mon hôte ne m’a pas l’air totalement à l’aise et quelque chose me dit qu’elle n’apprécierait pas du tout une telle attention. Pas pour le moment, en tout cas.

Au vu de notre discussion, même si cela m’emplit d’une certaine appréhension, je demande à Mariam si elle connaît le moyen de rentrer à Vergazon depuis là où nous sommes. Je m’efforce de ne pas laisser transparaître mon stress, surtout face à ma première source d’espoir depuis que je suis arrivé ici, mais sens bien que la réponse sera difficile. C’est d’ailleurs comme ça que mon hôte amorce : c’est compliqué.
Je me redresse sur Bowbow et ouvre des yeux ronds quand elle évoque les distortions spatio-temporelles. Dit comme ça, ça ressemble vraiment à ce qu’on peut entendre dans un film, tel que je l’évoquais plus tôt. Je n’aurais pas imaginé que ce soit ça, ou plutôt je n’aurais pas réussi à l’admettre. Tout ce qui sort de ma bouche en réponse à cette information est un “Wow…” plus qu’impressionné. Comment Mariam sait-elle tout ça ? Peut-être avait-elle étudié le sujet avant d’arriver ici. J’écoute donc avec attention la suite de ses paroles et hoche la tête à chacune de ses informations. C’est vrai. J’avais remarqué que cet endroit était très différent que ce que je connaissais, mais m’étais plutôt voilé la face afin de ne pas perdre espoir.

- Je faisais semblant de ne pas le voir, dis-je simplement, un peu penaud.

Doublonville est une très grande ville de la région de Johto, la plus grande même, je crois. Le choc a donc dû être très grand pour elle aussi. La description brève des humains qui vivent ici me donnent envie de les rencontrer. S’ils sont en groupe, c’est sûrement qu’ils ont des villages, des endroits plus ou moins sécurisés pour vivre, et surtout ils offrent la possibilité de ne pas se retrouver seul. Cependant, les explications de Mariam m’indiquent je ne ne devrais pas les rejoindre si je veux espérer rentrer chez moi.

- Tu es plus réaliste et a plus la tête sur les épaules que moi en tout cas. J’espérais être tombé dans une zone sauvage je ne sais où et qu’à un moment, par miracle, j’allais tomber sur un village de mon temps… Ou de ma dimension. Vu que, si c’est des distorsions spatio-temporelles, j’imagine qu’on peut pas savoir si c’est l’un, l’autre, ou les deux, j’esquisse un sourire amusé face à la multitudes d’hypothèses qui se présentent à nous. Tu dis que les distorsions peuvent nous reprendre, mais est-ce qu’on peut aussi tomber dans une autre et partir encore ailleurs ? Ca te fait pas peur ?

Au vu de ce qu’elle me dit, si Mariam se dirige vers le Nord, c’est dans l’espoir de rentrer chez elle. Mais s’il existe la possibilité de se retrouver dans un monde plus hostile encore… Je me demande si je serais capable de prendre le risque. Si l’espoir de retrouver ma vie serait assez fort pour quitter le confort apporté par la rencontre avec d’autres humains. D’ailleurs, tout ça veut dire que Mariam ne se dirige pas vers les humains, mais l’opposé. Et moi, où je veux aller…?
Pour le moment, je décide de ne pas répondre à cette question. J’avance les mains vers le feu et essaye d’initier une conversation plus badine :

- En tout cas, c’est sûr que ça doit te changer de Doublonville ici ! Vergazon c’est calme, la pleine campagne, et il est pas rare que des pokémons sauvages viennent dans le village, mais Doublonville… Ca doit être au moins aussi actif qu’Illumis !, une ville où je suis peu allé, mais dont j’ai pu m’imprégner des bruits. Je dis ça parce que j’habitais à Kalos avant d’aller à Hoenn. T’es Johtoienne toi du coup ?

En lui demandant, je me rends compte qu’on ne vient peut-être pas de la même dimension. Mais dans ce cas, tout devient encore plus étrange. Mon esprit plus scientifique s’active et considère le fait que les pokémons sont similaires pour nous deux. Je connais les pokémons de ce monde, et son évoli existe à l’identique dans celui d’où je viens. Alors je ne pense pas que nous venions de dimensions différentes. La temporalité, par contre, ça reste une question à se poser.