j’ai dormi peut-être dix heures dans la dernière semaine. j’occupe une chambre miteuse dans un motel tout aussi dégueu de doublonville depuis quelques semaines. c’est mal à dire mais l’odeur me rappelle kano. son appartement qui empeste le renfermé et l’humidité d’une très longue absence la première fois que j’y mets les pieds. le tapis qui a changé de couleur depuis son installation. les araignées qui ont fait des coins de mur leur maison. les murs qui se secouent à chaque mouvement d’un voisin peu importe la direction. le bruit incessant des voitures et des sirènes à travers la fenêtre peu importe l’heure.
 
mon corps prend la poussière avec tout le reste. je n’ai pas bougé de là depuis plusieurs jours. des papiers sont étendus partout sur le sol. je gis ci et là au gré du temps. je ne me lève que pour ingurgiter une tranche de pain bien calée avec du lait directement de la pinte une fois de temps en temps. et puis je retourne choir contre le sol en prenant sol de ne pas abimer un seul coin des papiers.
 
mes recherches sans retenue à doublonville ont rapidement résonné à travers toute la ville. je pensais retracer le passé de kano mais finalement c’est plutôt vers moi qu’on est remonté. un ancien contact de kano. je n’ai assez de notre rencontre pour entendre tout ce que j’avais à entendre sur kano. tout ce que je voulais entendre. les moindres détails. les traits de son visage lorsqu’il s’est finalement enrôlé. les vêtements qu’il portait lors de sa mission d’intégration. les pokémons qui l’accompagnaient. sa manière de communiquer avec eux quand tout bougeait si rapidement autour. ses accomplissements. ce qu’on disait sur lui. si le succès même dans l’horreur l’avait changé. s’il se tenait plus droit dans la rue. s’il avait choisi lui-même de participer à l’attentat. puis s’il avait parlé de moi. même juste une fois. juste une fois pour toutes les fois.
 
c’est difficile de digérer le kano qui m’est refleté. mon kano. tellement fragile de stature que la tempête en lui menaçait de le dévorer à tout instant. c’est lui mais de loin. emporté finalement mais dans des bas-fonds que je n’aurais pas cru possibles. mon corps rejette viscéralement cette version de lui. je ne peux pas. personne ne pourrait.
 
l’homme me glisse un dossier avant de me laisser seul·e. quand tu changeras d’avis tu n’auras qu’à revenir ici. ils sauront comment me trouver. une pareille certitude me bouleverse. j’ai peur des choses en moi que je ne peux pas voir. j’ai peur de ce trou noir dans mon cœur qui cale tout sur son passage sans réfléchir. sans trembler mes doigts ouvrent le dossier. l’écriture de kano. ces petits caractères à peine déchiffrables. page après page après page tourmentée par la tristesse. acculée devant la seule issue d’un ailleurs. n’importe lequel tant qu’il existe à leurs côtés dans celui-là. qu’importe le coût. juste pour t’entendre rire une autre fois.

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éphémère couine à mes côtés. je la regarde naviguer le labyrinthe de papier jusqu’à l’entrée. elle frotte ses petites pattes contre la porte. ça fait un petit bruit. srcht. srcht. srcht. une boule se forme dans mon ventre. ma belle éphémère. combien j’ai été soulagé·e quand elle m’a enfin été rendue. je ne peux pas lui faire ça. je ne peux pas vivre comme s’il n’y avait que moi. c’est indigne. elle n’a presque rien mangé depuis une semaine elle non plus. elle meurt sûrement d’envie de se dégourdir les jambes. de sentir les rayons du soleil contre son museau. de m’entendre respirer à plein poumons.
 
je m’agenouille. gosh, baby, i’m so sorry. you must be so hungry, uh? let’s get us some food, eh. a nice walk will do us both some good. sa queue frétille. elle s’écarte le temps que j’ouvre la porte. j’attrape mon cellulaire avant de quitter. il est mort. évidemment. fuck. éphémère, gimme a minute, i just gotta find my wallet so i can pay, alright? elle émet un petit grognement. je balaie la pièce du regard mais rien ne me saute aux yeux. c’est une chambre de fou. on ne peut pas vivre comme ça. je navigue le dédale de feuilles jusqu’à la commode. éphémère grogne plus fort. i know, i know! one sec, it must have gotten behind it or something… elle lance un autre cri. plus aigu. presque inquiétant. je me retourne pour la rassurer. j’ai à peine le temps de la voir avant qu’elle ne s’enfuie en courant. éphémère, what the fuck!
 
je pars à sa poursuite. la porte de notre chambre reste grande ouverte. pas comme si quelqu’un pourrait trouver intérêt à voler la pléthore de papier qui s’y trouve. le corridor sur lequel la chambre débouche est long. éphémère est déjà presque au bout. je cours plus vite. j’espère que personne ne surgira devant moi parce que c’est la collision garantie. éphémère, stop right there! j'en tourne moi-même le coin. il n’y a rien d’autre au bout qu’une sortie d’urgence fermée. thank god. je ne baisse pas le rythme pour autant. je ne l’ai jamais vue avoir un comportement aussi erratique. ça m’inquiète. je l’ai vraiment échappé. éphémère atteint rapidement la porte. je la pense acculée. mais le manque de sommeil doit m’avoir plongé·e dans le délire parce qu’au lieu de s’arrêter je la regarde passer à travers la porte. comme si de rien était. pouf. la panique monte en moi. je hurle son nom. tant pis pour les chambreurs. mon corps percute le poussoir de la porte si fort que je vais certainement en avoir un bleu. de l’autre côté pas une cage d’escalier. juste du blanc à perte de vue. un blanc complètement aveuglant. je crie encore le nom d’éphémère tandis que je m’y engouffre. une chaleur m’enveloppe délicatement. l’espace d’un instant me porte. et puis le vide. brusque et violent. insoutenable.

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je tends la main devant moi. je ne sais plus pourquoi. les muscles se tendent pour me rappeler qu’elle est bien mienne. ma main mais je ne la reconnais pas. je ne peux pas l’expliquer. les secondes passent et avec elles tout sentiment de permanence. si je cherche à bouger les doigts toutes les articulations se mobilisent. c’est incontestablement ma main mais elle est trop délicate. une petite main d’enfant. je n’ai pas le temps de la reconnaître. je cligne des yeux et elle s’agrandit. elle est encore fragile. tremblotante. ce ne peut pas être ma main. la mienne est brûlée jusqu’aux extrémités. la peau est différente. mais quand elle s’embrase sous mes yeux la douleur se propage jusqu’au plus profond de moi. je hurle. un long cri strident qui fissure l’espace tout autour.
 
j’ai douze ans et kano et moi sommes couchés dans l’herbe en bordure d’une route de johto que je n’ai jamais explorée avant. c’est l’été et la chaleur nous étouffe. un petit vent caresse ma peau brûlante. sous ses longs vêtements je n’arrive pas à voir celle de kano. je l’imagine blanche comme la neige. avec ses cheveux qui s’y fondent parfaitement. je n’ai jamais vu personne comme kano avant. je tends la main et je noie mes doigts dans ses cheveux. pendant des années chaque fois que j’aperçois des cheveux d’ange dans la foule je tends la main. espérant que ça soit lui même si ce ne l’est pas. quand ce l’est finalement mon monde s’ébranle tant que quand j’y arrive il est trop tard. je n’ai plus jamais senti le contact de kano. mon refuge.
 
à travers les flammes maintenant je tends fermement les deux mains mais c’est futile cette fois encore. la chaleur se dissipe. rapidement je vois mes mains se contracter en celles d’une enfant puis se lézarder de brûlures encore et encore et encore comme si un combat métaphysique se déroulait sous mes yeux. puis finalement leur délicatesse d’enfant s’amenuise. ce sont mes mains. mes pauvres mains qui ne méritaient pas leur sort. mes pauvres mains qui défrichent le blanc m’entourant. ne laissant place à rien d’autre qu’un monde tout de gris et de brun. une fois leur quête achevée elles se posent.  je n’ai pas encore repris conscience de mon corps encore. mais à mes mains se colle une substance mouillée. terreuse. aussitôt effacée par un liquide glacé. je reviens au monde sous la pluie.
 
mes vêtements sont lourds contre moi. j’ai un poids contre la poitrine. je n’arrive pas à bouger assez pour l’observer. dans le ciel des éclairs lézardent de gros nuages gris. je ne sais pas où je suis mais je ne peux pas rester là. mon regard se pose vers l’horizon. de la végétation à perte de vue. une végétation comme je n’en ai jamais vu. je peine à en discerner les contours. j’ai besoin de mieux observer. de peine et de misère je parviens à m’appuyer contre mes coudes. le poids contre mon torse se déplace vers mon ventre. ça remue délicatement.

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éphémère. oh! ma belle éphémère. je ne l’ai pas perdue. je me relève pour m’asseoir contre le sol boueux. le monde autour de moi tangue. j’ai envie de vomir. malgré tout je la serre contre moi de toutes mes forces. je murmure son nom à répétition. don’t you ever scare me like this again. je l’ai perdue trop de fois déjà. je ne survivrai pas une fois de plus. sans desserrer mes mains de son petit corps je relève la tête pour observer les alentours. la nausée n’est plus que vague. la boue sous moi est celle d’un petit chemin de terre qui se noie dans les arbres à l’horizon.

à l’exception du tonnerre qui gronde et du vent qui secoue la verdure je n’entends pas un son. je tends l’oreille malgré tout. éphémère en profite pour se glisser entre mes bras et s’élance sur mon épaule. elle regarde elle aussi notre environnement l’air perplexe.il n’y a pas d’habitation visible. rien qui signalerait que les lieux sont habités. c’est calme. on dirait un rêve. peu importe où c’est ce n’est pas johto. j’en ai parcouru toutes les routes avec kano. je reconnaîtrai un endroit aussi paisible. un endroit que j’ai tant souhaité pour nous. mais si ce n'est pas johto c’est quoi? il n’y a pas si longtemps j’enquêtais à doublonville. j’apprennais que les liens qu’entrenait kano avec la team galaxie étaient plus forts que je l’imaginais. je réalisais combien il était malheureux. incapable d’entrevoir une vie sans nous mais impuissant de sa souffrance.

et puis cette lumière. cette lumière qui nous avait emporté·e·es comme la marée. cette lumière dans laquelle mon corps s’était évanoui avant de renaître. je n’ai observé une telle lumière qu’une seul fois. pendant l’attentat. quelques secondes avant que la balustrade ne m’atteigne. je l’ai vue dans les yeux de kano. reflétée dans ses iris ardents. une lumière brillant si fort qu’elle nous séparait du monde.

ce n’était plus johto et ce n’était pas mon présent. pas plus qu’ici ce n’est johto et mon présent. d’une manière ou d’une autre j’ai échappé à ma réalité une fois de plus. un moyen de me protéger. mais de quoi exactement?

à mes pieds le sol se met à trembler me rappelant à ici. qu’importe où c’est. les oreilles d’éphémère se secouent. elle entend quelque chose. un tremblement de terre? des fragments de roches percutent le sol. je n’ai nulle part où me mettre à l’abri. il n’en faut pas longtemps pour que j’entende le sol gronder. la catastrophe s’approche. éphémère saute au sol et tire ma manche avec ses crocs. je me relève difficilement. mes muscles sont endoloris. elle part à la course vers l’arbre le plus près. je m’efforce de suivre le rythme. ses sens sont plus aiguisés que les miens. elle a senti quelque chose.

le bruit s’intensifie. des branches tombent des arbres. je ne m’entend plus respirer. éphémère grimpe dans l’arbre. elle s’agite quand elle me voit tarder. je ne sais même pas si je serai capable de monter. mon corps est encore endormi. mes avant-bras glissent contre l’écorce mouillée. je retombe par terre. les tremblements exacerbent la nausée. je vais vomir. plus haut je pense que j’entend éphémère crier. elle a peur. et si elle a peur j’ai peur. je recommence. je parviens à me rendre aux premières branches en hauteur avant d’apercevoir à l’horizon des centaines de tauros qui se dirigent sous nous. je vomis pour de vrai cette fois.

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je crie en me tenant fermement à la branche qui m’abrite. le son est noyé par la précipitation des sabots. je n’ai jamais vu pareille chose. rien qui s’en rapproche même. qu’est-ce que cet endroit? qu’est-ce que je fais ici? ça ne fait aucun sens. pourtant les tauros continuent défiler à quelques mètres de moi à peine. j’entrouve les yeux pour les observer. des vagues de brun et de noir passent sans que je n’arrive à faire le focus sur elle. je me retiens de vomir encore. tout va trop vite. je referme les yeux en priant que ça finisse bientôt.

un choc violent secoue l’arbre dans lequel j’ai trouvé refuge. je pousse un hurlement qui doit réveiller maman de où elle repose. j’espère de tout cœur que ma branche tiendra le coup. il faudrait que je grimpe plus haut là où l’arbre est plus solide. mais si je lâche maintenant c’est certain que je tombe. c’est trop désorientant. je m’accroche plus fort encore. et je compte. comme je le faisais quand j’étais enfant. je compte et je ne m’arrête de compter que de longs moments après que le silence soit revenu.

éphémère enfouit sa tête dans ma chevelure toute en sueur. la pluie continue de s’abattre sur nous mais il n’y a plus un grondement de tonnerre à l’horizon. je tremble comme une feuille. j’ai froid. je vais mourir de froid c’est sûr. il faut que je bouge. mais pour faire quoi? aller où? je ne comprends pas pourquoi j’ai atterris ici. je veux rentrer. m’allonger sur le sol du motel parmi les papiers. les reliques de la vie de kano. kano. kano, que voyais-tu dans ces endroits si étrangers?

je prends une grande respiration. je ne mourrai pas ici. de toute façon je ne sais même pas ce qui se produirait si je mourrais ici. j’essaie de me ressaisir. assez au moins pour faire le point sur l’immédiat. je me fais les poches. rien. absolument rien. je vais avoir besoin d’un endroit où me réfugier. d’eau à boire. de nourriture, éventuellement. merde, c’est quand la dernière fois que j’ai réellement mangé?

je fixe mon regard loin autour. à la recherche de quelque chose. n’importe quoi vraiment. de la fumée se détache de la cime un peu à l’ouest. peu imposante. un feu domestique. des humains certainement. je pourrais essayer de leur plaider à l’aide. en profiter pour en apprendre plus sur ici. ou peut-être c’était plus sécuritaire de surveiller l’endroit de loin. attendre qu’ils quittent pour récupérer tout ce qui pourrait m’être utile. sans engager contact. à part pour la présence d’éphémère je suis défense. peut-être qu’il vaut mieux de garder la tête basse. le temps de comprendre où j’ai débouché.

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à défaut d’avoir une boussole pour m’orienter adéquatement, je grimpe les arbres périodiquement. j’observe où j’en suis avec la fumée. chaque fois je dois prier pour qu’elle soit encore là. je ne saurais pas où aller sans elle. heureusement elle est toujours là. sans relâche. elle est plus loin que je l’imaginais. la nuit commence à tomber et je ne sais toujours pas quand je l’atteindrais. malgré mon rythme je grelotte. le vent saisit mes vêtements complètement inondés. autour tout est détrempé. même si je voulais essayer je ne réussirai jamais à faire de feu. pas en de pareilles circonstances.

des hululements percent la nuit. je calque ma cadence à celle du battement des ailes des créatures que j’entends. aucun grognement jusqu’à présent au moins. ça ne m’aide pas beaucoup à me sentir en sécurité. j’ai soif. j’ai soif depuis longtemps déjà. je ne sais plus quoi prioriser. est-ce qu’il y aurait un ruisseau quelque part? il fait trop noir pour voir des arbres. maintenant que j’y pense c’est tout ce que à quoi je peux penser. de l’eau. à ce rythme je ne sais pas si je pourrai atteindre ma destination si je ne m’abreuve pas entre temps. juste un mince filet de liquide ferait toute la différence. dans mes oreilles je n’entends plus les pokémons nocturnes. seulement le bruit d’un robinet qui coule. de l’eau. une abondance d’eau. le paradis.

je marmonne sans le réaliser. de l’eau. éphémère monte la garde devant moi. occasionnellement elle tourne la tête. probablement pour s’assurer que je tiens toujours debout. quand elle s’arrête brusquement je sens mon cœur s’arrêter. une autre catastrophe à venir. une horde de pokémons dangereux. venimeux. ou assoiffés de sang. pourquoi pas les deux. les oreilles d’éphémère frétillent. elle repart de plus belle mais pas dans la direction de la fumée. je ne sais pas ce qu’elle a entendu mais je la suis du mieux que je peux. je ne fais plus confiance à mes sens de toute façon.

on s’enfonce plus profondément dans la forêt. des branches me fouettent le visage. je tente de les éviter mais en échange je ne regarde plus par terre. il n’y a aucun moyen de gagner. mon pied s’empêtre sous une grosse racine. je suis projeté·e contre le sol. mes avant-bras et mes paumes prennent le plus gros du dégât. je sens déjà ma peau chauffer. j’ai envie de crier mais j’ai peur d’alerter les dangers de ma présence. je geigne la tête face première dans le sol à la place. rien ne m’a jamais préparé·e pour ça.

après avoir entendu ma chute éphémère accoure vers moi. je ne sais pas si je vais me relever. je ne sais pas si je veux me relever. ses petites pattes tapotent mes épaules. elle couine. comme si elle voulait avoir mon attention. pour quoi? quoi de plus peut m’attendre? elle tire mon col. je grogne en soulevant la tête. au début je ne vois rien. je m’efforce de calmer ma respiration. un. deux. un. deux. puis je l’entends. le bruit de l’eau qui coule.

un ruisseau. éphémère nous a déniché un ruisseau.

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je n’ai pas l’énergie pour me relever. je rampe à même le sol. mes vêtements s’agrippent aux racines qui jonchent la terre. je peux sentir le tissu se déchirer à certains endroits. de la boue et des petites roches s’incrustent dans les lacérations sur mes avant-bras. c’est sans importance. je les baignerai dans l’eau pour les nettoyer. quand il ne pleuvra plus j’immergerai tout ce qui reste de mon linge pour en retirer la crasse et éviter que mes plaies exposées ne s’infectent. je laisserai l’eau emporter la sueur et le sang de mon corps et le froid engourdir la douleur. il faut juste que je persévère jusque-là. quelques mètres encore. j’entends avec l’eau avec de plus en plus de clarté.

finalement une de mes mains s’accroche au vide de l’eau plutôt qu’au sol. mon chemin est parcouru. j’y suis. je m’avance encore un peu pour que mes épaules reposent contre la frontière entre ces deux mondes. le ruisseau n’est pas très profond. et j’ai tellement soif que je ne pense à rien d’autre. sans plus tarder je bois à même l’eau. comme un animal. sûrement qu’il faudrait que je limite ma consommation. un peu maintenant. un peu dans dix minutes. un peu dans vingt. ainsi de suite. je suis déshydraté·e et je pourrais boire plus que mon corps ne peut le supporter avant même de me sentir ne serait-ce qu’un peu mieux. mais la soif a raison de tout. je bois et je bois et je bois jusqu’à en avoir mal au ventre.

une fois que mon corps ne parvient plus à absorber quoi que ce soit je me laisse choir sur le côté. mes yeux parcourent les alentours. dans la noirceur je ne vois pas grand-chose. de petits poissons dans le ruisseau. un tapis de roche et de sable au fond. des arbres à perte de vue de l’autre côté. certains que je ne reconnais pas. des arbres qui poussent à l’horizontal contre d’autres arbres. leur feuillage d’un seul côté. je n’ai jamais rien vu de tel.

avec difficulté je me redresse sur mes genoux. je plisse des yeux. la fatigue me rend stupide. profondément crédule. la végétation ici n’est pas différente qu’ailleurs. c’est un abri de fortune. des branches placées à l’horizontal pour utiliser le feuillage comme coupe-intempérie. un abri qui tient encore debout malgré la violence de mère nature. je ne pense pas à qui peut l’avoir fait. le fait qu’il soit là m’indique qu’il procure au moins un peu de sécurité dans tout ce qui m’entoure. je dois m’y réfugier.

je tapote mon épaule pour qu’éphémère vienne s’installer. l’eau est gelée. je ne veux pas qu’elle recouvre son pelage. je traverse à genou avec mes mains comme second appui. le débit est assez fort. probablement à cause de la pluie. même si j’avais été capable de me relever le courant m’aurait fait retomber. même dans l’eau glaciale mon corps brûle de fatigue. je ne pourrais plus tenir longtemps.

je donne tout ce que j’ai pour tirer mon corps dans l’abri une fois le ruisseau franchi. la pluie arrête de nous tomber dessus. le vent se fait moins agressant. c’est tout ce qu’il me faut. je ferme les yeux.

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Rôle + niveau : mineur niveau 3
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la dernière fois que je me fais réveiller par la nausée je suis à l’hôpital. mon corps branché à un labyrinthe de tubes. je cligne des yeux pour chasser le sommeil. j’entends des gouttes de mon soluté s’écouler. j’essaie de me relever pour voir si papa est là. le monde tourne autour de moi. je vais vomir. je tâtonne les couvertures à la recherche de l’appel malade. je suis malade presque immédiatement après l’avoir trouvé. l’infirmière me retrouve dans des draps souillés. du vomi me coule le long du visage. normalement la substance collerait à mes cheveux. rien. même pas de mèche qui me tombe devant les yeux pendant que je m’agite. je lève la main pour toucher ma tête. c’est gluant. je veux crier. rien d’autre ne sort de ma bouche que cette matière immonde.

je me mets à tousser comme si ma vie en dépendait. ma poitrine est habitée d’un feu ravageur. ma bouche n’est plus qu’acide. j’étire un peu le cou pour libérer la pression. je ne suis plus à l’hôpital. à la place un feuillage épais m’entoure. il n’y a plus d’infirmière mais j’ai encore mal au cœur. mon front est encore gluant. ma main entre en contact éphémère. sa langue se frotte à répétition contre ma peau. elle fait toujours ça quand elle veut me réveiller. là il est trop tôt. je geins. laisse-moi tranquille. elle n’arrête pas. je veux lui dire quelque chose mais je suis pris·e d’une nouvelle vague. je tourne la tête et je vomis. encore.

la douleur qui irradie de ma gorge me ramène un peu à moi. mes cheveux sont gommants. je ne me suis pas manqué·e. au début je pense que l’odeur vient de là. puis mes yeux s’ajustent un peu à l’obscurité. il y en a partout. what. the. fuck. je gémis encore plus fort. je ne comprends pas ce qui se passe. ni où je suis. mais voyons. voyons voyons voyons. focus. éphémère est à mes côtés. je ne peux pas être à l’hôpital. à l’hôpital on ne sait pas que kano a laissé derrière sur les lieux du crime ses pokémons. mais si l’hôpital n’est pas la réponse alors où ?

une violente crampe à l’estomac me fait me plier en deux. je n’ai pas la capacité de penser. le coin de mes lèvres est gercé. je suis déshydraté·e. de l’eau. en bruit de fond à ma souffrance j’entends un ruisseau couler. le son m’apaise un peu. je me souviens des randonnées avec papa avant qu’emmanuel ne vienne au monde. avant qu’on se retrouve à plus mais aussi à moins. en m’inculquant les bases de la survie en forêt papa espérait me donner la piqûre. maman elle non n’aimait pas le plein air. il m’avait tout montré. de la boussole à l’épuration d’eau. si j’avais tout ma tête je pourrais encore l’entendre m’expliquer les conséquences de boire de l’eau non-traitée et me démontrer les moyens d’y remédier.

ah, papa. tu as toujours trop crû en moi.

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Rôle + niveau : mineur niveau 3
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