Sous un autre ciel étoilé

La lumière de l'aube fait son apparition. Il ne faudra pas longtemps pour que les étoiles mettent les voiles, chassées par le jour. Mes recherches s'arrêteront donc là. Inutile de les poursuivre pour quelques minutes. Mais pendant que je suis sur ce toit, je m'accorde ce lever de soleil.

- Bon anniversaire, Eurona.

Dans quelques heures, le festival commencera. Ça a sacrément divisé, mais en même temps, celui qui a proposé cette idée devait être soit fou, soit inconscient. Un an que nous sommes arrivés ici, et la situation n'a pas tellement changé. C'est comme fêter la première année passée en prison, mais sans la certitude d'en sortir un jour, ça n'a pas vraiment de sens. Et puis même physiquement, ça n'a aucun sens. Ça fait bien longtemps que j'ai acquis la certitude que nous ne sommes pas sur Terre et que ce n'est pas notre Soleil, n'en déplaise au Clan Palkia. Entre la création de la planète et sa mort, engloutie par notre étoile changée en supernova, les constellations n'ont pas pu être autant modifiées à l'échelle galactique. Elles auraient pû se décaler, se déformer légèrement, mais là, elles sont toutes autres. Depuis que nous avons construit ce qui me sert d'observatoire, j'ai commencé à répertorier toutes les étoiles sur de longs panneaux en bois, avec un marteau et des clous. J'ai parfois dû m'y reprendre à plusieurs fois, pour corriger des distances - le panneau en garde des traces - et il m'en reste encore beaucoup à placer vu comme le ciel est clair, sans pollution chimique ni lumineuse, mais je les connais suffisamment bien pour donner raison au Clan Palkia avec certitude : nous avons été déplacés dans l'espace. Quant au Clan Giratina… Je n'ai jamais vraiment pris au sérieux leur histoire de changement de dimension. Ils ont déjà entendu la théorie des cordes pour croire à des bêtises pareilles ? Les lois de la physique sont les mêmes que d'où nous venons. La gravité est certes plus réduite que celle à laquelle on est habitués, et ce soleil est plus bleuté - il est soit plus chaud, soit l'atmosphère est différente - mais ce ne sont que des détails face à la complexité de l'univers. Après, ils n'y peuvent pas grand chose. On était tous perdus, à notre arrivée.

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Sous un autre ciel étoilé

C'était un chaos total. Déjà, il a fallu calmer les enfants. C'était un véritable cauchemar éveillé pour eux, de se retrouver là, tous seuls, sans leurs parents. Sans même une peluche pour les consoler ou un jouet pour se divertir. Plus le confort de leur maison, plus de télévision, de téléphone, d'internet. Juste de l'herbe, des bois et des cailloux. Pour certains, ça leur aura au moins permis de tenir un moment, mais avec la faim, la soif et le sommeil, ça n'a pas duré longtemps.

Les adultes ne s'en sortaient pas beaucoup mieux. Être loin de nos familles est tout aussi douloureux, mais on n'y réagissait pas de la même façon. Il y en a qui ont piqué des crises de colère incroyables, que personne n'était en mesure de calmer. Des pleurs, aussi. Beaucoup de larmes ont été versées, plus ou moins discrètement. Et puis certains ont commencé à donner des directives. Ça n'a pas été très bien accueilli. En même temps, venir voir quelqu'un qui vient de réaliser qu'il ne reverra peut-être jamais ses proches pour lui dire de se bouger et d'aller chercher de la nourriture dans une forêt étrange, ça avait peu de chance d'aboutir sans faire de vague. Sans parler des conflits de direction. Les priorités n'étaient pas les mêmes pour tout le monde. Il faut croire que, quelque soit l'échelle, la politique est rarement consensuelle.

Je ne sais pas s'il faut se réjouir d'avoir connu le monde moderne. Le sentiment de perte était forcément accentué, mais d'un autre côté, on aurait été encore plus paumés sans un objectif concret. Certains voyaient déjà la construction des abris comme notre objectif principal quand d'autres se demandaient seulement comment se nourrir, boire et nous laver ici, à Eurona. C'était forcément amené à exploser. Nous étions trop. Tant de personnes nous manquaient, mais nous étions trop. Sans une structure hiérarchique précise, sans un chef reconnu, les leaders ont fini par abandonner leur alliance. Les différences d'opinion sur les moyens de rentrer chez nous ont simplement été le prétexte qui a mis le feu aux poudres. Et paf, limite du jour au lendemain, on a formé nos trois clans. Trois civilisations différentes, chacune sous la bannière d'un des dragons de Sinnoh, la preuve de notre incapacité à nous unir dans l'adversité.

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Sous un autre ciel étoilé

Malgré tout, le clan Palkia prospère sous le commandement de Juliette. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres, je ne fais pas partie de ceux qui vont absolument chercher à garder le contact. Aucun de mes proches n'est arrivé ici, de toute façon. Je n'ai aucune attache. Parfois, je me demande comment va Noémie. Si le temps passe sur Terre et ici de la même façon, le bébé doit déjà avoir quelques mois. Je ne sais même pas si c'est un garçon, ou bien une fille. J'espère que tout c'est bien passé. Ce doit être beaucoup pour une femme seule. Surtout tant qu'elle n'a pas fini ses études. J'espère que ses parents sont auprès d'elle. Les miens aussi. Je ne sais pas quoi penser de tout ça. La solitude est difficile, mais je me demande, parfois, si j'ai encore une vraie envie de rentrer. Je me demande dans quel état se trouvera ma vie si je parviens à la récupérer.

En un an, beaucoup de choses peuvent se passer. La preuve : nous avons rebâti une civilisation, encore rudimentaire mais structurée et avec un confort de vie relativement agréable. Nous avons commencé par des tâches simples : récolter de la nourriture, du bois, de la pierre, des métaux. Je me suis mis dans la dernière catégorie. Je ne suis ni le plus musclé, ni le plus endurant, mais j'en étais plus capable que d'autres, plus usés par les années. Pendant ce temps, Juliette n'a pas cessé de consulter d'autres scientifiques, plus âgés, sur la manière de rebâtir un semblant de ville. Après l'exploitation venait la construction et un professionnel du secteur du bâtiment a fait de son mieux pour donner ses consignes. Comme nous n'avions pas d'architecte compétent, l'objectif était de limiter un maximum la taille des structures. Les maisons ressemblaient plutôt à des chambres, et des espaces communs, d'abord ouverts puis refermés pour faire face à l'hiver, ont été aménagés. C'est comme ça qu'on s'est retrouvés avec un immense réfectoire de cantine version antiquité. Et, vu que les connaissances de cette époque se sont perdues avec le temps et que les ingrédients nous sont inconnus, le goût n'était pas encore là. Au début, j'aurais clairement pu affirmer que le CROUS me manquait.

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Sous un autre ciel étoilé

C'est un peu moins le cas aujourd'hui. A force de tâtonner, de s'intoxiquer aussi parfois, on connaît mieux ce qui se mange et comment l'assaisonner. Les chefs ont trouvés leur marques - c'est triste à dire mais je me réjouis qu'ils soient là - mais moi, je serais bien incapable de faire ça. En fait, la cuisine commune a pas mal d'avantages, plus ou moins avoués : le goût, le contrôle de la comestibilité et le rationnement. Quel meilleur moyen pour éviter les vols de nourriture que de fournir une alternative plus attrayante où on pourrait vérifier qui a déjà mangé ? Et aussi, ça permet de donner une utilité aux compétences de chacun. Les gens sont tout de suite plus conciliants avec leurs voisins s'ils savent que leur voisin joue un rôle qui lui apporte quelque chose.

Ce qui nous a beaucoup aidé, c'est les affaires que nous avons emportées avec nous. Tout ce que nous portions sur nous a été déplacé en même temps que nos corps, comprenant nos vêtements, mais aussi des sacs, des outils et - surtout - des pokéballs, vides ou non. Ça a évidemment été un sujet supplémentaire de conflit dans un premier temps. Certains criaient à l'injustice que des objets aussi utiles et des pokémons soient réservés à une minorité. Puis le troc a permis de fluidifier les choses. Les pokémons ont été loués pour réaliser certaines tâches. Les pokéballs vides, échangés contre d'autres biens. Certains scientifiques ont même cherché à en fabriquer des nouvelles et il paraîtrait qu'ils ne sont pas loin d'avoir réussi. C'est assez dingue, quand on y pense. Les matériaux sont tout nouveaux pour nous, mais nous n'étions pas l'esprit vide : pour peu d'avoir un peu étudié dans notre monde, nous avions le savoir du tableau périodique, des formules de calcul, du savoir théorique sur l'électricité et l'énergie de manière générale. Avec ces connaissances, nous avons dompté dès qu'on a pu une rivière en mettant en place un moulin. Avec ça, nous avons fait une farine, à partir du laiyo, une céréale locale. Il poussait à l'état sauvage et son cycle de pousse est très rapide, ce qui en fait une plante parfaite pour l'agriculture. On oublie vite à quel point la farine est la base d'une grande partie de notre alimentation.

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Sous un autre ciel étoilé

A partir de ce simple aliment, on a pu faire du pain - très dense, sans levure pour gonfler la pâte d'air - mais aussi des beignets avec de l'huile, des gâteaux avec nos quelques variétés de baies issues de la collation de quelques uns des enfants, des sauces plus épaisses, des nouilles aussi. Rien n'est comme avant, bien sûr, on ne peut pas s'attendre à tant de similitudes sur une planète si éloignée de la nôtre, mais on fait de notre mieux et pour l'instant, on survie. On teste, on classifie, on assemble et on avance.

C'est ça, le sens de cette fête. Il faut qu'on se rappelle tout ce qu'on est parvenus à accomplir, parce qu'on est encore loin de rentrer chez nous et, pour la plupart je pense, nous continuons à regretter notre ancienne réalité. Construire une fusée est tout simplement inenvisageable, même si mon travail peut y faire croire. Depuis que l'Homme a marché sur la Lune, il y a cinquante ans, Mars nous résiste encore. La vérité, c'est que mes recherches n'ont d'utilité que la navigation locale, pour permettre aux expéditions les plus longues de pouvoir rentrer dans notre clan, à défaut de notre planète. Ce défi là, je le laisse aux générations futures - si générations futures il y a. Je ne peux rien faire, à mon échelle. Il faudrait trouver les bons matériaux, déjà, pour résister à la sortie puis à l'entrée dans l'atmosphère, et aux impacts d'astéroïdes aussi. Ensuite, faire un habitacle assez grand pour toute notre petite population, et alimenter en carburant pour toute cette masse, mais aussi pour celle de l'alimentation. Sachant qu'on ignore jusqu'où il faudrait se rendre. On pourrait même s'éloigner en espérant se rapprocher, pour ce que j'en sais. Peut-être que sur Terre, on connaît Eurona sous un autre nom, mais dans notre référentiel, impossible de se situer réellement. Il me faudrait accéder à toutes les bases de données terrestres sur le sujet, mais je ne peux me fier qu'à mon cerveau faillible. Tant de savoirs accumulés depuis le commencement de la civilisation avons-nous perdu faute de ressources écrites ? Et des personnes plus qualifiées dans ces domaines ? Je ne suis rien, ici. Je n'ai fait que prendre une place qui me faisait envie sans parvenir à en tirer plus que ça.

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