Recommencement

La nuit sembla longue, pourtant les montres affichaient encore une heure bien matinale lorsque l'aube s'annonça le lendemain. Le professeur Kabayashi n'avait pas bougé. Après les premiers réveils, il envoya le dernier tour de garde rassembler les élèves. Les muscles étaient endoloris par l'humidité latente et l'inconfort. Une minorité se plaignait copieusement, jusqu'à ce que la patience de d'autres n'éclate bruyamment. La faim, la soif, la peur, la douleur et la fatigue mettaient les nerfs à vif. Bien que personne n'ait l'énergie de parler avec son voisin, le silence se faisait attendre. Ce n'est que lorsqu'il revint que le professeur commença à parler, sans se donner la peine de se tourner vers son auditoire.

- Bonjour. J'ai mis cette nuit à profit pour établir nos priorités dans les jours à venir. Elles se concentrent en deux grands axes. Le premier : l'exploration. Nous devons connaître notre environnement et repérer les différents endroits notables. Elle a commencé hier, mais à trop petite échelle. Aidez-vous de vos pokémons, ils sont souvent bien plus mobiles que nous et le nombre nous permettra de couvrir une plus grande zone, mais n'oubliez pas leur nature profonde : restez dans le contrôle. Cette exploration a aussi pour but de repérer tout signe de vie. Il peut s'agir de prédateurs, de proies ou de survivants, agissez en conséquence.

Si le professeur n'avait pas fait de la survie sa spécialité, il avait suivi quelques années plus tôt le même parcours scolaire, avant de s'illustrer en tant que dresseur. Malgré la monotonie de son ton, personne ne se laissa distraire. Il ne semblait pas enclin au doute et la relation de confiance qu'il avait tissée avec ses élèves était trop solide pour que l'un d'eux remette son opinion en question.

- Le second axe est notre propre survie. Il nous faudra de la nourriture, de l'eau ainsi qu'une troisième tente. Je ne pensais pas devoir le préciser, mais ne mangez rien que vous ne connaissez pas. Si nous ne trouvons rien dans les prochaines semaines, nous aviserons, mais nous n'y sommes pas encore. De même, pour l'eau, ne la consommez pas directement. Par l'immédiat, nous récupérerons l'eau stockée par nos pokémons, aussi écoeurant que cela puisse paraître, mais il faudra se rationner jusqu'à avoir une source plus conséquente.

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- De plus, si vous comptez vous laver à la rivière, n'y passez pas plus de temps que nécessaire. Nous nous concentrerons sur la confection d'un récipient suffisant pour faire bouillir cette eau et l'utiliser à des fins d'hygiène et d'hydratation. » « On ne pourrait la distiller pour mieux la purifier ? » Nul besoin de reconnaître la voix pour savoir que l'idée venait de Makoto. C'était la seule à pouvoir avoir de telles idées et à les soumettre en pleine intervention du professeur Kabayashi. Ce dernier sembla troublé quelques instants. « Si tu penses pouvoir le faire sans matériel. » Cette réponse satisfit Makoto, et le professeur par voie de conséquence qui put libérer les élèves.

- Répartissez vous mais tâchez de garder des groupes équilibrés.

Aussitôt son discours terminé, l'assemblée se dispersa. Les uns après les autres s'en allèrent pour la forêt avec des objectifs pourtant bien différents. Haruki étant incapable de se positionner clairement sur ses préférences, elle fut assignée à la recherche de nourriture. Les mauvaises langues pourraient soulever qu'il y avait peu de chance qu'elle ramasse quoi que ce soit, paralysée à la simple possibilité de se tromper, mais il aurait été tout aussi contreproductif de compter sur elle pour s'aventurer loin du camp. Elle réagissait déjà au moindre bruissement de feuilles, pokéball à la main, et elle évitait encore de se fier à Miku, qui aurait pu être d'une grande aide pour l'exploration.

Si peu de temps s'était encore écoulé depuis son échec à l'Arène du Village Myokara, où, alors qu'elle avait invoqué la nirondelle pour ouvrir le combat face à Bastien, celle-ci avait tenté de piquer sur le public. Pour autant, elle n'avait pas abandonné l'idée de dresser ce pokémon. C'était tout le cœur de la fonction de dresseur, ce qu'aucune des spécialisations existantes ne pouvait couper. Peut-être pourrait-elle profiter de ce temps loin des autres pour raffermir leur lien, évitant ainsi de la tenter d'attaquer ce qu'elle prenait pour des intrus ? Son instinct territorial était trop intense mais il faisait d'elle un garde du corps investit. Mais trop de doutes planaient sur sa réaction. Se trouver vraisemblablement hors d'Hoenn pourrait renforcer son agressivité. Et si un autre élève s'approchait au détour de sa cueillette, il pourrait être ciblé avant qu'Haruki n'ait le temps d'intervenir.

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Cependant, à force de marcher sans cesse dans la même direction, rien ne méritant plus de quelques secondes de son attention, elle se retrouva au pied d'une falaise. Vu du camp, les alentours semblaient vallonnés, non abruptes et Haruki se tendit. Les souvenirs de son itinéraire étaient encore vifs dans son esprit, mais elle savait qu'ils s'éventeraient. Quelques heures plus tard, lorsqu'elle cherchera à rentrer, seraient-ils encore fiables ? Elle ressortit sa montre de sa poche. La batterie était encore en état de marche, mais malgré la prodigieuse évolution de leur autonomie, elle pourrait lâcher à n'importe quel moment. Haruki limitait sa consommation au strict minimum. A l'aide de l'heure et du podomètre intégré, elle estima la distance qui la séparait du camp avant de ranger l'appareil où elle ne serait pas tenté de l'utiliser. Elle appela également Yasuda afin de marquer l'emplacement où il lui faudrait bifurquer, en sens inverse. Un simple Tir de Boue à même la roche lui avait apparu comme une évidence, mais elle changea d'avis au dernier moment. Manipuler de la boue était une perte d'eau négligeable en temps normal, mais sans certitude de renouveler leurs ressources, elle préféra la conserver pour un Pistolet à O, lorsqu'il leur faudrait s'hydrater. Après réflexion, elle ordonna à son flobio de fendre la roche d'un coup de poing. Un impact localisé arrivait rarement dans la nature, ce qu'elle espérait suffisant pour savoir le reconnaître. Mais, juste au cas où ce ne soit pas le cas, elle plaça les débris pour tracer une flèche dans la direction du retour. Il était rare qu'une seule précaution soit suffisante à ses yeux.

Puis elle poursuit sa route. La falaise offrait un point de repère suffisamment stable pour l'encourager dans sa mission, malgré l'angoisse qui ne la quittait pas. Son regard ne se posait jamais de peur de manquer l'information capitale, le moment venu, mais ce fut son ouïe qui la lui apporta finalement. Un bruissement anormal. Il pouvait venir d'un de ses camarades, bien que peu probable compte tenu de l'éloignement géographique, ou d'une menace. Elle se retourna d'un bond, cherchant frénétiquement sa source, avant qu'un éboulement n'attire son attention, surmontant sa tête. La coïncidence était trop frappante pour croire à un simple hasard. Il était volontaire, c'était une certitude.

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"Un pokémon !" Haruki ne perdit pas une seconde avant de s'enfuir à toutes jambes, sans un regard en arrière. Elle n'avait aucune envie de laisser la vie contre la seule information de la créature à l'origine de l'attaque. Peu de pokémon avaient accès à une telle capacité sans être de type roche et celui-ci ne brillait pas par la vitesse de ces membres. Aussi, elle comptait bien saisir sa chance. "Première étape : s'éloigner du talus." Dès que la végétation lui permit, elle s'enfonça dans les bois.

Très vite, ses talons se rappelèrent à elle. D'ordinaire, la paire qu'elle portait pour l'extérieur était bien plus fonctionnelle. Si elle avait su le déroulé qu'allait avoir la journée de la veille, elle n'aurait pas porté sa paire de chaussures d'apparat, mais personne n'avait jugé bon de la prévenir avant de la propulser dans cette forêt. Impossible de garder vitesse et agilité avec une telle forme. Elle se plaqua dos au premier arbre à portée pour les ôter à la hâte, espérant gagner par ce geste les quelques instants que son assaillant mettrait à contourner, craignant même peut-être ce qu'elle avait pu avoir en tête pour agir de la sorte. Des grognements eurent raison de ses illusions, mais sa course était alors plus fluide. D'un bond, elle se hissa sur un tronc d'arbre mort et se propulsa plus loin. Un claquement mandibulaire la menaça sans qu'elle ne s'interrompt. Elle devait lutter pour poursuivre alors que chaque plante, chaque cachette potentielle pouvait abriter une nouvelle bête prête à l'attaquer. Le doute n'avait pas sa place. Chaque réticence lui faisait perdre une fraction de seconde. Mises bout à bout, elles pourraient faire se refermer les mâchoires du prédateur sur son échine.

Les aboiements sur ses talons lui faisaient sans cesse changer de direction, si bien qu'elle ne se souvenait plus de quel côté se trouvait le relief. Dans l'effort, la faim, la soif se réveillaient, obstacles supplémentaires dans sa poursuite. Sa gorge était rugueuse comme du papier de verre, mais elle ne pouvait s'arrêter pour se désaltérer. Son estomac se tordait, s'enflammait, mais elle contraignait ses muscles à se contracter sans cesse, défilant le sol sous ses longues foulées. L'endurance n'avait jamais été son fort, mais elle ne renonçait pas.

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L'adrénaline la poussait à continuer, encore et encore. Jusqu'à ce qu'elle n'ait nulle part où poser le pied. Elle pila. Devant elle s'étendait un ravin, bien au-delà de ce qu'elle saurait franchir, avec ou sans élan. Le bout de ses orteils léchait dangereusement le vide. Si elle avait gardé ses chaussures, le déséquilibre induit par ses talons l'aurait précipitée à une mort certaine et douloureuse. Elle sentait une goutte de sueur se former sur sa nuque et rouler le long de son dos. Le pokémon prenait son temps. Sa victoire était assurée. Sa proie n'était pas tombée, mais il n'avait plus qu'à l'achever. Pour cela, il n'avait pas à se presser. Bien au contraire : il ne pourrait pas éviter le gouffre s'il chargeait frontalement, sans réfléchir.

Haruki était consciente de tout cela. Cette protection ne durerait pas. Sa palette d'attaques était sans doute bien plus large que l'Éboulement dont il avait fait preuve, et il pourrait y avoir à nouveau recours. Il était urgent qu'elle reprenne de la distance. Elle prit une grande inspiration et abaissa ses appuis, puis elle poussa sur ses jambes de toutes ses forces. D'un bond, elle s'éloigna du précipice et, dans son mouvement, elle se mit face à la bête. Un lougaroc diurne, certainement l'un des pokémons Roche les plus agiles, justifiant son aisance en forêt. La tentative de fuite de la jeune femme le surpris, mais il se ressaisit, prêt à bondir. Mais Haruki avait un temps d'avance. Dans sa pochette, ses doigts se refermèrent sur une pokéball qu'elle connaissait bien et Yasuda revint auprès d'elle. Les types étaient à son avantage. « Tir de Boue ! » Pas de fioriture dans ses ordres. Elle n'était pas en combat officiel, où les apparences avaient un rôle à jouer. L'efficacité seule avait le pouvoir de lui sauver la vie.

Et le pokémon entra immédiatement dans l'état d'esprit de sa dresseuse. Le lougaroc esquiva un premier jet de boue. La fureur se lisait dans ses yeux, alors que les siens semblaient d'ordinaire si calmes en apparence. Dans cette nouvelle configuration, il n'hésita pas à charger à toute vitesse, touchant le flobio de plein fouet. Celui-ci ne broncha pas, il projeta un nouveau tir en pleine tête du canidé.

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Le choc le fit reculer. Un instant, il tourna le regard vers le vide en contrebas, avant de le fixer à nouveau sur son adversaire. L'interrogation le paralisa quelques instants, puis, d'un coup de pattes, il arracha à la terre de lourdes pierres qui s'abattirent sur Yasuda. Il tenta d'esquiver de son mieux, mais le nombre ne lui facilita pas la tâche. Plusieurs le percutèrent, sans lui faire de lourds dégâts grâce à son type sol, nouvellement acquis. Quand il redirigea son attention sur le lougaroc, il avait disparu. Une proie capable d'invoquer des pokémons pour se défendre ne valait pas la peine de se battre. Elle pourrait en appeler un deuxième, un troisième, peut-être même plus et, lorsqu'un combattant unique représentait déjà une difficulté sérieuse, il n'avait pas souhaité expérimenter un affrontement plus déséquilibré.

Lorsqu'elle accepta l'idée que le pokémon était réellement parti - bien que l'idée qu'il se terre toujours dans les sous-bois ne lui permettait pas de s'en satisfaire entièrement - elle se laissa choir au sol. La possibilité que l'herbe soit urticante ou toxique ne lui suffisait plus pour la tenir debout et l'énergie l'avait quittée en même temps que la terreur. Le fait d'avoir déjà courut à travers bois, pieds nus, avec toutes les blessures que cela impliquait, avait fini de la faire céder. Yasuda s'inquiéta et s'approcha, cherchant la meilleure façon pour lui d'aider, mais il n'était pas beaucoup mieux. A moins que le hasard les guident jusqu'à un centre pokémon, il continuerait de porter les conséquences de ce combat. Fragilady n'avait pas accès à des capacités de soin vitaux, seulement d'effets, et Haruki ignorait quels pokémons possédait chacun de ses camarades. Le professeur Kabayashi n'avait pas jugé bon de communiquer les différentes équipes, probablement par manque de temps. Ce qui revenait jusqu'à l'esprit d'Haruki, qui culpabilisait de se tenir ainsi, les jambes encore tremblantes.

- Hooo ho ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Il y a quelqu'un ?

Il n'en fallut pas davantage pour qu'Haruki se ressaisisse. Chancelante, elle se hissa sur pieds et s'approcha prudemment de la falaise. L'écho déformait la voix de quelqu'un qui, manifestement, ne craignait pas de désolidariser les rochers, maintenus en équilibre précaire contre les parois.

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Néanmoins, elle lui était familière. Elle ne fut pas surprise de reconnaître Sōta, dans le lit de la rivière asséchée. La distance le rappetissait, rendant indistinguables les traits de son visage, mais son uniforme et sa blonde chevelure empêchaient toute confusion. Bien que la situation ne s'y prêtait pas, son inimitié à l'égard du jeune homme la porta à sourire, la fatigue n'y étant pas non plus innocente. Cela ne l'empêchait pas de réfléchir à un moyen de l'en sortir. Crier sans considération n'était pas envisageable, aussi elle avait à lui signaler autrement qu'il avait obtenu son attention. Les flobio n'étaient pas parmi les pokémons les plus subtiles. Plutôt que de faire appel à un autre de ses pokémons, car elle préférait en savoir un de confiance auprès d'elle et à l'affût, elle ramassa une pierre, issue de l'attaque du lougaroc, et la jeta vers le dresseur.

C'est à ce moment-là qu'il la reperra. Il fit quelques pas dans sa direction, avant que la pierre ne lui atterrisse sur l'extrémité de son pied. Haruki pouffa de surprise avant de se redresser, tâchant de retrouver sa fierté apparente. Elle n'avait pas imaginé ni parvenir à le toucher, ni simplement à l'envoyer aussi loin, compte tenu de sa faible musculature. D'une telle hauteur, le projectile avait accumulé une vitesse conséquente, et Sōta se saisit la cheville, massant la zone d'impact de ses doigts tout en feignant d'appeler à la pitié d'Haruki, mais celle-ci ne lui accordait déjà plus aucune attention. Elle se demandait déjà comment descendre, ou comment le remonter depuis la hauteur selon ce qui était le plus abordable. Son équipe était à portée de main et, en termes de pokémon, elle n'en possédait que peu en mesure de porter le poids d'un humain : son rhinocorne, Daisuke, et, bien que son apparence ne le laisse pas paraître, Yasuda. En revanche, ni l'un ni l'autre ne pourrait escalader avec assez d'aisance pour se permettre une charge supplémentaire. La réflexion revint à son point de départ. "Pourquoi n'utilise-t-il pas ses propres pokémons ? Aucun des siens ne peut grimper non plus ? Quelle ironie ! S'il avait gardé son arcko dès le premier jour plutôt que de chercher la puissance à tout prix, il ne serait bloqué là."

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