Hors Série #2 : La confusion au service de la réflexion

Cette première exploration du Bois aux Chênes fut une épreuve aussi bien physique que mentale. Il y avait eu toute cette réminiscence de mon passé, un effort de mémoire pour me rappeler qui je suis, d'où je viens et où je vais surtout. Une sorte de monologue interne entre mon moi enfant et mon moi adulte, que je n'avais pas l'habitude de solliciter dans des moments de solitude. Ou du moins, de solitude humaine ; grâce à Chantico, je n'ai plus réellement ce problème d'être livrée à moi-même, face à l'immensité du monde, de l'univers et du destin. Avec elle au moins, je peux respirer, penser à autre chose, et surtout, me donner corps et âme à cette envie d'explorer le monde, ses habitants, ses écosystèmes, ses cultures, mais aussi ses problématiques, ses cas de consciences, ses besoins d'être guidé et agrémenté de bonnes actions, de bonnes réflexions, de bonnes philosophies.

Ce projet professionnel lié à l'éthologie - pokémon et dans son sens anthropologique plus large - est surtout une façon pour moi de prendre une revanche sur la vie. Elle ne m'a pas faite de cadeau. Pire même, elle m'en avait offerte des empoisonnés, des bien sentis et des récalcitrants. Mais je n'avais pas baissé les bras, et à l'heure où je consigne mes dernières prises de recul de ma précédente exploration, je sens que je suis faite pour ça. Parcourir les contrées les plus éloignées comme les plus peuplées, y découvrir des informations du terroir, y glaner des renseignements socioculturels concernant la population, d'y observer des règles et des lois et comment tout cela peut s'appliquer tant sur le plan humain que sur le plan environnemental, ou sur le plan de la faune et de la flore, que cela concerne ou non les pokémons ou les animaux standards. J'ai à cœur de vouloir comprendre ce monde qui faisait parfois dans la facétie de la destinée, dans l'ironie des situations, dans le sarcasme des rencontres. Comprendre cette planète, découvrir ses richesses, renseigner ses us et coutumes, et d'en faire des rapports anthropologiques et éthologiques afin d'éclairer le genre humain sur ce que nous engendrons dans notre sillage.


Mais pour l'heure, je suis sur le quai de la marina d'Oliville. J'attends le prochain ferry qui pourra m'emmener vers Irisia, ma ville natale, celle où j'allais potentiellement retrouver Capucine, cette généreuse jeune femme rencontrée à Floraville lors de la Fête des Fleurs du Printemps annuelle. Cette dernière avait accepté ma proposition de m'assister et de m'épauler dans ma quête de devenir une éthologue accomplie et reconnue pour ses travaux et ses recherches ; tout en l'aidant elle aussi à devenir une dresseuse plus experte et plus à même de tirer profit de toutes les caractéristiques des pokémons possibles et imaginables.

Je prends connaissance de l'horaire du prochain départ, et je me rends compte que j'ai quelques heures à tuer avant de continuer mon chemin retour. Je me dirige alors sur le quai, là où je trouve un banc, qui peut aisément accueillir au moins deux autres personnes de mon gabarit. J'attends. Je regarde l'horizon, derrière lequel j'imagine mes parents m'attendre avec un bon petit plat fait maison. Je scrute les quelques pokémons du règne des oiseaux et les quelques pokémons aquatiques se faisant la guerre au loin vers la ligne imaginaire délimitant le royaume de l'eau de celui de l'air. J'imagine une soirée tranquille, posée vers le feu de la cheminée du salon, reprenant mon calepin et révisant toutes mes notes, afin d'en tirer le maximum de conclusions propice à me donner de la matière pour de futures rubriques de catalogues d'éthologies, de livres recensant des découvertes et des confirmations de théories anthropologiques ou pokéthropologiques. J'imagine déjà le regard de Chantico, choqué et démotivé, sur les quelques dizaines de pages à passer à la loupe, pour y déceler le ou les éléments qui me mèneraient vers ma prochaine destination.

Mais alors que je tombe une nouvelle dans mes pensées, je ne remarque pas tout de suite qu'une personne vient de se rapprocher de ma localisation. Je ne sais même pas à quoi elle ressemble dans mon regard dans le vide semble s'être figé. Tout ce que je sais, c'est que je peux entendre sa respiration. Je peux sentir qu'un regard se pose sur moi, et aussi sur ma compagnonne pokémon. Peut-être que cette personne cherche à s'asseoir également et à passer le temps avant d'emprunter le même bateau que moi ? Ou peut-être est-ce un ou une employé.e du site portuaire venu me questionner sur la raison de ma présence passive, sans être passée par la case achat de billet ?

Je crois que je ne peux pas mieux vous décrire la situation que via ce mot : malaise. Pourquoi ressens-je ceci alors que rien ne m'y invite ? Il me semble que c'est justement parce que je sens qu'un regard est posé sur moi. Je tente d'apercevoir mon Héricendre dans mon champ de vision, mais elle se tient derrière le banc, vaquant à d'autres occupations ; probablement en train d'admirer le paysage qui se trouve dans mon dos. Je ne sais pas pourquoi je m'entête à vouloir trouver un moyen de fuir cette paire d'yeux… verte ? Mince ! Je viens de la regarder le temps de quelques secondes. Flûte ! Zut ! Mais quelle gaffeuse je fais décidément. Je le sais pourtant, qu'un contact visuel équivaut à une interaction muette mais avérée. Je le sais que croiser le regard d'un individu revient à lui faire savoir qu'il ou elle a capté notre attention. Pourquoi ai-je donc ce besoin de vouloir m'assurer que la source de mon mal-être est déraisonné et déraisonnable ? Probablement un mécanisme de défense hérité de Madame Kovačević. Fichtre ! Il va falloir que j'ouvre la conversation.

Bien évidemment, tout d'abord, je scrute de nouveaux l'horizon qui s'étend devant moi, comme pour faire mine de recouvrer mes esprits après un moment d'égarement m'ayant obligée à diriger mes élucubrations mentales vers la surface édaphique du banc où je suis assise. Ensuite, je jette de nouveau un coup d'œil sur ma gauche, en direction de cette femme. Non. De cette jeune femme dont l'âge doit aisément se trouver en dessous du mien. Deux billes émeraude qui me regardent attentivement. Une chevelure presque turquoise, mi-longue, qui s'accorde bien avec son visage et la couleur de ses yeux. Une corpulence somme toute légère, même si la nature l'a gâtée sur certaines parties. Jalouse ? Moi ? Jamais. Envieuse ? Non plus. Je dirais plutôt que je suis une femme qui aime se rassurer de ses propres atouts en se comparant avec une autre, pour relativiser de ce que j'ai en trop ou en moins. J'ai passé trop de temps à me sous-estimer étant plus jeune, il est loin le temps où Ajora se sentait mal dans sa peau.

Mais le détail le plus troublant au final, ce n'est pas tant qu'elle me regarde. Ni même qu'elle attend prêt du banc sans vouloir s'y asseoir. Chantico ne semble même pas l'avoir remarquée, ce qui était un exploit en soi, vu sa nature méfiante et protectrice avec moi. Ce qui m'étonne, c'est ce qu'elle tient dans sa main. Une crêpe ? Du sucre ? Elle veut que je la vois en train de manger pour saliver, être envahie d'une soudaine envie de me sustenter et de lever mon séant du banc pour me prendre la place ? Je n'en ai pas l'impression. Elle continue de me regarder, comme si elle attendait quelque chose. Ou quelqu'un ? Ou peut-être attend-elle que je lui fasse la conversation ? Et qu'est-ce… un pokémon ? Je crois reconnaitre cette espèce de pokémon à la croisée d'un félin et d'un canin. Un Evoli ! Incroyable ! Ce pokémon est tellement timide de nature et tellement craintif de l'Homme de par les innombrables expériences scientifiques à son sujet. « L'inconnue de la génétique » est le surnom qu'on lui donne de nos jours à ce petit pokémon, tout doux, tout mignon. Il se disait que ce Pokémon pourrait être la clé de la compréhension du code génétique des pokémons, et peut-être même de celle des êtres mythiques comme les oiseaux de légendes, Lugia et Ho-oh.

- Oh qu'il est mignon cet Evoli ! ai-je confié à voix haute malgré moi.

Par pur réflexe, j'ai mis ma main sur ma bouche comme pour me forcer à redevenir silencieuse. Mon faible pour les découvertes et les pokémons m'a trahi. J'ai enclenché la conversation, et je dois en subir les conséquences. Surtout, je dois trouver rapidement de quoi enchainer, pour ne pas paraitre rude et faire comme si je n'avais pas remarqué sa présence, à elle.

- Je vois que vous avez les mains prises. Voudriez-vous que je vous fasse de la place pour continuer de déguster votre crêpe ? demandé-je. Elle a l'air succulente d'ailleurs. Crêperie du Millefeuille ? enchainé-je.

Je ne sais pas ce que cette ouverture d'échange oral donnera. Je ne sais pas non plus comment réagira mon observatrice, qui avait le regard toujours rivé sur ma chevelure. Quelque chose me dit que je ne suis pas au bout de mes pei- … de mes surprises. Allez, qui sait, peut-être que le destin m'envoie un signe ?

Alors. Comment vous dire que la réponse de cette jeune femme ne m'inspire pas du tout. Je veux juste faire la conversation, pas me heurter un mur de réponse fermée et qui n'amène pas de sujet concret à exploiter. Non pas que je suis fainéante en matière de discussion, mais j'aime bien avoir un répondant qui alimente naturellement l'échange. Je suis une femme de matière, je suis partie prenante de la coopération tant qu'il y a de quoi fournir l'interaction. Je ne suis pas une grande adoratrice des transactions à sens unique, ni même aux collaborations égocentriques. Moi ce que je préfère, c'est que ce soit donnant-donnant, que chacun y trouve son compte, et que chacun soit le catalyseur même de la performance, qu'importe le domaine. Et la discussion entre deux adultes en faisait partie.

Ou alors, dois-je comprendre un message subliminal dans les mots employés ? Dois-je anticiper la répétition du mot crêperie comme une volonté de me faire préciser certaines choses, comme des points techniques d'une potentielle dégustation préalable menant à un verdict culinaire plus pointu ? Dois-je comprendre que l'instance du port est une façon déguisé de vouloir faire une topographie plus poussée de l'environnement et d'en disserter les avantages et les inconvénients, le temps de savourer la crêpe ? Ou alors faut-il que je comprenne que l'utilisation ciblée de l'adjectif succulente était une tournure de phrase visant à embrayer sur un côté plus philosophique d'une nature à proximité se soumettant au joug de la sollicitation topologique du genre humain ? Et encore... non... tout cela ne me paraissait pas judicieux. Je ne voyais que la dernière partie de sa réponse qui me donnait de quoi rebondir et éventuellement préciser le motif de sa présence.

- Il est vrai que la nourriture locale et le côté typé des productions sont aussi des mets de choix pour les pokémons. remarqué-je. Votre Evoli doit en raffoler également de ces crêpes n'est-ce pas ? la questionné-je. L'apport du sucre, la qualité de la pâte mélangeant savoir-faire et intelligence culinaire des mixtures et des proportions. Tout ça permet des interactions sociales paradoxales j'imagine...

Si avec ça je perds mon public en binôme, je peux définitivement me dire que l'éthologie n'est pas prévue au programme. Mais peut-être plus un échange standard, pour une socialisation basique, ne requérant que manipulation de la langue, intonations de voix et gestuelle codifiée. Mais si je parviens à faire parler cette jeune plante au feuillage capillaire turquoise, alors je peux m'estimer heureuse et chanceuse de pouvoir entretenir une conversation entre une professionnelle du milieu, et une future collègue en devenir. Et peut-être que cette fois, la répartie sera plus complexe et plus à même de créer un début de connexion entre nous.

Chantico, elle, ne fait toujours pas attention à cette nouvelle rencontre. Je la vois pourtant, zyeuter de temps à autre en direction du charmant Evoli. Mais elle n'a pas l'air réceptive à l'idée de pouvoir créer un lien de connivence amicale avec le petit félin-canidé connu pour sa génétique farfelue et incroyablement énigmatique. Est-elle en colère ? Simplement désintéressée ? Je ne vois pas pourquoi elle serait méfiante, ni à ce point détachée. Ça ne lui ressemble pas.

D'accord. J'ai donc vu juste. Cette fille n'est pas là par hasard, et elle ne m'a pas abordée sans raison. Elle a quand même daigné me répondre plus précisément sur son compagnon à poil. Elle l'a rencontré au détour d'un bâtiment en ruine, sans doute victime d'un incendie préalable qui avait dénaturé le paysage et laissé des pokémons tel que cet Evoli en proie à la solitude, la détresse et le besoin urgent de se reconstruire. Puis, elle précise que ce spécimen-ci ne mange pas n'importe quoi, et cette crêpe ferai office d'erreur de nutrition le concernant. Une chose que je pouvais comprendre, tous les pokémons n'ont pas le même métabolisme, pas les mêmes besoins en apport énergétique, et ne suivent pas tous les mêmes régimes diététiques. Cette jeune femme à la chevelure turquoise montre quand même un certain respect pour cette créature, en suivant une ligne conductrice sensée et adaptée pour son petit protégée.

Mais apparemment, ce petit quadrupède est capricieux et sujet à des humeurs massacrantes. Si bien que la bleue décide de changer de sujet. Je n'ai pas pu lui donner ma réponse quant à sa judicieuse décision de faire attention à l'alimentation de son partenaire. C'est dommage, j'aurais adoré parler plus amplement sur les bienfaits des baies sucrées pour les pokémons de type normal, ou comment des mets plus âpres pouvaient correspondre aux représentants du type poison, ou encore, comment envisager une technique de nutrition pour des pokémons spectres, car ces derniers sont non seulement très exigeants, mais en plus, l'administration de la nature doit suivre un protocole tout à fait exceptionnel. Mais malheureusement, je n'aurai pas cette chance, et je vais devoir subir le changement de conversation malgré moi. Chose que je regrette amèrement dans les quelques secondes qui suivent.

- Nous ne sommes pas là pour parler de ça. Vous avez une nouvelle mission à m’accorder ? Ou des informations sur mes parents ?


Je suis perdue. Je suis confuse. Je fronce l'un de mes deux sourcils, affichant à présent une interrogation asymétrique sur mon visage. Une mission ? Moi ? Ce n'est pas elle la professionnelle éthologique chargée de m'aiguiller dans mes futures explorations ? Ce n'est pas son rôle à elle que de me donner des conseils ou des lectures à envisager pour adapter mes protocoles d'études et de prises de notes ? Et puis, c'est quoi cette histoire d'informations sur ses parents ? Elle me confond avec un membre de sa famille ? Ou alors, je ressemble à quelqu'un qui pourrait faire partie de sa famille, mais qu'elle ne connaitrait pas forcément ?

- Je... vous demande pardon ? l'interrogé-je, perplexe.

Je ne sais vraiment pas quoi répondre, ni quoi penser. J'en viens à penser que je suis victime d'un canular, et que cette éthologue ne tardera pas à m'annoncer qu'elle me teste. Sur quelles compétences alors ? L'adaptation en milieu inconnue ? La capacité à prendre des informations dans l'environnement proche comme lointain, afin de pouvoir trouver des théories et des débuts de pistes de réflexions en instantané ? La potentialité à improviser un objet d'étude éthologique accompagné d'un protocole exploratoire innovant et traduisant une souplesse cognitive ? Ça doit être ça, ma capacité à m'adapter à n'importe quel type de sujet de conversation, improviser un angle d'étude différents de celui que j'aurais pu prévoir, et agir en conséquence pour répondre aux hypothèses nouvelles. Oui, ça devait être ça, mais il faut que j'en sois sûre.

- Vous n'êtes pas là pour les retours de mes explorations du Bois-aux-Chênes ? Vous savez, l'art d'étudier les pokémons insectes en synchronie des autres espèces tels que des rapaces ou des mammifères, et notifier des interactions et de l'importance d'une telle diversité pour un écosystème sylvestre en renouvellement permanent ?

Je ne vais pas lui laisser l'occasion de me détourner de mon objectif, à savoir ce qu'elle veut réellement savoir. Je vais cependant essayer d'embrayer sur le thème parental, pour lui soumettre un éventuel changement de résolution de problématique. Et avec ce que je vais lui demander, je n'aurai aucun mal à cerner la raison de sa présence, et surtout, sur quel point elle cherche à me tester.

- Seriez-vous en train de me faire comprendre que les lignées évolutives des pokémons fonctionnent comme des modèles familiaux humains et que la parentalité de certaines espèces priment sur les comportements et les habitudes d'autres ?

- D’après vous, quel lieu serait le plus agréable à visiter en ce beau début de printemps ?

Mince. J'ai l'impression que ma tentative de disserter oralement sur quelques points méthodologiques et théoriques sur quelques éléments d'éthologies n'a pas fait l'effet escompté sur cette jeune femme à la chevelure insulaire. Presque comme si elle avait répondu quelque chose au hasard, en attendant que je fasse le reste de la répartie. Problème, est que je n'ai pas envie outre mesure de me donner à ce genre de conversation où je suis la seule à alimenter le débat ou la réflexion. Il me faut de la substance, du concret, du démontrable, du prouvable… Je ne me suis pas mise en quête de devenir une éminente éthologue pour seulement accumuler les échanges vides de sens et d'acuité intellectuelle, si ?

Son Evoli, en revanche, commence à m'intriguer. Certes, il est mignon à croquer. Son pelage m'appelle à la câlinerie, et son petit minois est comme une invitation à la mignonnerie. Pourtant, il ne me calcule pas une seule seconde, comme si je n'existais pas à ce moment précis de notre rencontre. Au contraire, il semble lui-même interpelé par l'attitude distante et froide de ma Chantico, mon Héricendre de toujours. Rendez-vous compte, cette partenaire est avec moi depuis le début la seconde année de collège ! Je vous ai déjà raconté notre rencontre et comment notre destin s'est lié en aussi peu de temps, mais il faut dire que c'est une dure à cuire. On ne dirait pas comme ça, mais vingt-deux ans se sont écoulés depuis que nous avons décidé de faire histoire commune. Et très honnêtement, je ne regrette toujours pas sa présence. Elle a fait irruption dans ma vie à un moment critique de mon adolescence, et rien que pour ça, je peux m'estimer heureuse qu'elle soit toujours aussi en forme, joviale, désireuse de parcourir le monde avec moi.

Mais revenons-en à la conversation. Tant pis pour l'Evoli, je n'aurai pas le plaisir de lui prodiguer mon amitié, et puis de toute façon, la bleu turquoise ne m'a même pas donné son nom. Donc, la distance était de mise. Sans doute que Chantico s'en occupera. Elle est douée pour se faire désirer, tout en maintenant une distance entre les autres espèces de pokémons et elle. Vous voyez un peu, cette sorte d'égérie, qui attire tout le monde mais qui reste un brin inaccessible ? C'est elle. C'est Chantico. Mon impératrice du feu. J'espère que la petite boule de poile brune et claire ne s'y frottera pas de trop près, il pourrait y laisser des sentiments.


- Il y a plusieurs réponses à cette question. réponds-je avec perplexité. Tout dépend le point de vue que l'on adopte. Du point de vue professionnel, je serai plus encline à me diriger vers terres plus arides, possédant une faune de pokémon plus brute, plus coriace. Ébènelle serait un choix intéressant. introduis-je. Ensuite, il y a l'option de la pluralité et de la diversité de l'écosystème. Un endroit plutôt humide, prolifique de vie et de ressources naturelles. Une forêt comme celle se trouvant au Parc Naturel, au sud de Rosalia, serait idéale. poursuis-je tout en reprenant ma respiration et avalant un peu de liquide salivaire. En revanche, d'un horizon purement personnel, je recommande Irisia. Cet endroit isolé à l'Ouest de la région, bordé par la mer d'un côté et les montagnes escarpées de l'autre, offre une garantie d'y faire des découvertes et des observations tout à fait exceptionnelles. conclus-je. Bon, je dis ça, je suis native de là-bas, alors mon avis que très peu objectif pour le coup. Mais qu'est-ce qui vous inspire, vous ? demandé-je avec curiosité, la moue pensive.



Pendant ce temps, Chantico est à l'œuvre. Elle tourne le dos à l'Evoli, encore et toujours. Elle sait qu'elle n'est pas intéressé par ce petit pokémon dont l'âge devait être très jeune, assez pour ne pas recevoir les signaux d'indifférence et de nonchalance de ma partenaire. Mais qu'à cela ne tienne, elle le laissera s'approcher, éventuellement discutera un petit moment avec lui, le fera tourner en bourrique tout en s'assurant de sa nouvelle dépendance affective à son égard, et lui fera gentiment comprendre que leur lien, autre qu'amical, sera voué à l'échec, si tant est qu'il ait eu l'envie de s'y tenter.

- Irisia ? C’est marrant j’en arrive. Il y avait un concours de coordination là-bas. J’y ai pa… J’y ai assisté. C’était très sympa.

Il est vrai que ce genre de compétitions est plutôt commune dans le coin, Johto est le berceau des premières compétitions de coordination pokémon. Cela dit, sa façon d'hésité sur le fait d'y avoir assisté ou non, c'était louche. Je suis plutôt observatrice, et j'arrive à percevoir les changements de comportements et les oscillations dans la voix pour reconnaitre un mensonge ; Abel, mon grand frère, y est pour quelque chose dans cette faculté, lui qui m'a menti au nez à et à la figure pendant quelques années durant mon adolescence. Je suis d'ailleurs à peu près sûr qu'il ne me dit pas encore toute la vérité sur son véritable train de vie, mais en tous cas, grâce à lui, je savais repérer les fausses notes.

Mais bon, ce n'est pas vraiment le moment ni le lieu pour se lancer dans un interrogatoire. L'éthologie humaine n'est pas ce que j'ai envie de faire en ce moment, j'ai déjà bien à faire avec les pokémons. Mais en soi, cette mystérieuse fille à la chevelure turquoise possède ce je-ne-sais-quoi qui ne sonne pas entièrement vrai. Une façade ? Un masque ? Se pouvait-il qu'elle cachait quelque chose au sujet de ce concours ? En est-elle en fait l'une des vainqueurs et se retient de le dire pour ne pas attirer une foule locale ? Les éthologues ne sont ni plus ni moins des professions qui viennent sur le côté d'une carrière de dresseur standard ou de coordinateur après tout, et il ne serait pas improbable que cette bleue en soit une. Maintenant, pourquoi cacher une part de vérité dans cette affirmation ? Le mystère est entier et saura être résolu en temps voulu.

- Irisia est un joli village de pécheurs. Étant originaire d’Illumis ça m’a beaucoup dépaysé.

Remarque pertinente mais quelque peu banale. Un ton léger et superficiel sur fond d'observation aléatoire, comme pour dire de faire la conversation du mieux qu'elle peut. Ai-je pointé du doigt une donnée sensible ? Je pensais au moins que mes questions seraient assez pertinentes et pointues pour orienter le dialogue vers quelque chose de plus technique, de plus scientifique. L'éthologie est certes un domaine très vaste, la pêche et tout l'écosystème s'y ralliant vaut la peine d'objets d'études approfondies. Mais je ne vois pas pourquoi ramener à ça à une ville de la région de Kalos aurait pu me donner un quelconque signal d'une entrée en matière en termes éthologues. Y a-t-il un détail dans son énonciation que j'ai loupé peut-être ? Un jeu de mot caché pour me tester et évaluer mes réflexes cognitifs en instantané ? Je me rappelle de mes cours à l'université, la vivacité d'esprit et la capacité à s'adapter à son environnement sont les concepts clés d'un travail de recherche qui tient la route. C'était donc cela, le but caché de ces hésitations ? Mais pourquoi changer radicalement de sujet alors ? Oh… je crois avoir une petite idée.

- Irisia n'est pas qu'un simple village de pêcheur vous savez. Certes, l'écosystème piscicole y est riche et abondant. Mais je pense pouvoir affirmer que ce n'est pas la ville même qui offre toute sa spécificité au paysage. amorcé-je. Je pense plutôt que c'est l'autre versant de la montagne environnante qui influe sur la dynamique de la cité. poursuis-je. Preuve en est du Parc Safari.

Je suis à peu près sûre de taper dans le mille cette fois-ci. Le Parc Safari. Comment ne pas y penser quand on parle d'Irisia ? Il faut dire que cette structure est assez récente, et n'a été rendue possible que grâce à l'effort conjoint entre la communauté d'urbaniste, celle des compagnies de constructions et de paysagisme, ainsi que les pokémons dont les types furent propices à la modification du relief local. Mais c'est bien là qu'est le point important de la réflexion : la cohabitation et la coopération entre l'Humain et le Pokémon, pour créer et dynamiser un territoire où les deux populations peuvent y prospérer, tout en découvrant des buts conjoints et/ou complémentaires.

- J'imagine que l'exemple du Parc Safari pourrait peut-être donner des idées aux Kalosiens, et pourquoi pas développer leur propre réseau de Parc Safari, et faire pérenniser quelques espèces en danger. N'est-ce pas ? interrogé-je.

Chantico ? Oh, elle est toujours non loin de notre banc. Elle semble quelque peu perplexe quant au comportement de ce jeune Evoli qui semble en pincer pour elle. Le pauvre, si seulement il connaissait son âge, peut-être qu'il réfléchirait à deux fois avant de tenter une approche en conquérant séducteur. Il pourrait s'en mordre le pelage si jamais il n'y faisait pas attention. Sauvageonne ? Non, Chantico est tout simplement prudente, elle connait les rouages de la vie, elle a quand même vécu un certain temps au milieu des humains en ma compagnie. Rappelez-vous mon âge, j'ai trente-cinq ans, et je l'ai rencontrée pour la première fois à l'âge de quatorze ans. Faites le calcul, et vous comprendrez alors pourquoi. Elle n'est pas irrespectueuse au point de complètement ignorer un autre pokémon venant à son contact ; mais elle n'est pas naïve au point d'accorder sa confiance, et encore moins ses sentiments, au premier compagnon venu. Oh ça non.

- Vous pensez que ça vaut le coup de visiter celui d’Irisia ?

D'accord. Là je suis réellement perdue. Je ne sais pas pourquoi elle insiste à me demander des informations sur des lieux de Johto plutôt que sur des sujets d'études. Ai-je mal calculé mon coup et je n'ai réellement pas affaire avec une éthologue connue du milieu ? Très honnêtement, je ne vois pas non plus pourquoi j'ai autant cherché de mon côté à orienter la discussion sur un plan intellectuel et scientifique. C'est un de mes défauts. Je suis très égocentrée lorsqu'il s'agit d'une de mes passions, et dès que je vois l'opportunité de pouvoir disserter ou philosopher à ce propos, je perds toute notion de réalisme, de rationalisme et de considération pour mon interlocuteur. S'il faut, la bleu turquoise ne veut effectivement QUE connaitre divers endroits à visiter et à découvrir, et tout l'intérêt de la conversation venait à disparaitre.

- Je pense que vous devri-
- Riiiiiiiiiiiii ! Ricendre ! rugit Chantico.
- Mais enfin qu'est-ce que tu fais ? fustige la bleue.


Incroyable. L'Evoli de mon interlocutrice vient littéralement de me sauter dessus, sans crier gare ni sans même ne m'avoir démontré un quelconque intérêt depuis que nous sommes en train de discuter sa maitresse et moi. Chantico avait elle aussi assisté à cette scène malgré elle, irritée de voir autant d'effronterie et d'indécence dans le comportement de ce jeune pokémon à la génétique particulière. Mon Héricendre est très protectrice, mais surtout, très méfiante des étrangers, et encore plus des pokémons qui ont tendance à prendre des aises comme cet Evoli. Elle n'apprécie pas non plus les comportements insistants et intrusifs. Je ne vous dis pas comment elle réagit aux tendances lascives de certains représentants de la gente masculine… autant vous dire qu'il n'y en a pas beaucoup qui ne sont pas vu prendre feu par inadvertance.

De mon côté, je suis plus surprise que vexée. Je ne comprends tout simplement pas ce que le pokémon de ma partenaire de discussion peut bien vouloir faire en me sautant dessus. En plus, il semble chercher quelque chose au niveau de mes poches de veste. A-t-il faim et cherche des baies pour se sustenter ? Pense-t-il pouvoir trouver des pièces de monnaie pokédollars pour s'acheter un souvenir à la boutique du coin ? Ou alors, il renifle l'odeur de Chantico faute d'avoir pu intéressée la femelle dans la pleine fleur de l'âge ? Une idée quelque peu saugrenue, aux allures de fétichisme improbable. Les pokémons seraient eux aussi capables de ce genre de déviance temporaire du comportement ? A bien y penser, cela pourrait faire un objet d'étude plutôt inédit et original. Il faut absolument que je le garde dans un coin de ma tête. Mais pour l'heure, il faut que j'éclaircisse la situation.

- Votre Evoli cherche quelque chose en particulier ? Ou a-t-il l'habitude de sauter sur toutes les jeunes femmes qu'il croise ? questionné-je avec un ton quelque peu taquin, le sourire au coin des lèvres, les yeux plissés et rieurs.
- Ririri ! plussoie ma partenaire de feu.

- Je vous prie de l’excuser, je ne sais pas ce qu’il a.

Pour le coup, je me demande si elle se rend compte de ce qui vient de se produire sous ses yeux ? Son pokémon, que je n'ai pas vraiment eu le temps d'apprivoiser ni même de jauger, s'est permis de me sauter dessus pour on ne sait quelle raison. Dans une société moins tolérante des pokémons, et par extension des animaux en règle général, ce comportement aurait pu être punissable. Non pas que je déplore l'attitude de cet Evoli, mais je regrette le fait que ce dernier n'ait pas demandé de permission avant de s'inviter sur mes jambes, ni même manifesté de désir apparent de vouloir grimper sur moi afin de quémander un peu d'affection, ou d'attention, ou pour me faire comprendre un semblant de rapprochement affectif. Personnellement, si le cas de figure devait se présenter avec Chantico, je pense que je lui aurais passer un petit savon immédiat, par pur respect envers la personne qui se retrouve envahir soudainement dans son propre espace corporel vital.

Je ne suis pas du genre à m'offusquer, ni même à tenir rigueur longtemps d'un comportement déplacer venant d'autres individus ou des pokémons sauvages, je n'ai pas le temps pour ça. Mais le problème était que ce représentant primaire de la lignée des évolitions ne s'était pas juste contenter de me grimper dessus ; l'espèce de petit chient-chat semblait renifler et palper certaines zones intimes de mon corps, à la recherche de quelque chose. Bien évidemment que je ne suis pas au courant de cette fouille incongrue et impromptue, mais toujours est-il que la situation devient très rapidement gênante pour tout le monde, la victime comme le coupable.

- T’as fini ? Laisse cette dame tranquille. annonça la bleue en prenant l'Evoli par le coup avant de le reposer à terre. Habituellement il est extrêmement méfiant avec les étrangers. Je crois qu’il n’a pas eu une jeunesse facile.

Là encore, justifier un comportement par le biais d'une expérience passée encore imbibée à même les fibres psychologiques du pokémon, soit. Mais il n'y a pas réellement de demande de pardon ni d'excuses présentées de la part de mon interlocutrice, à part de vouloir absolument dédouaner les agissements de son acolyte. Une attitude peut-être non calculée, mais qui a son importance à mes yeux. Je commence donc à me demander si je ne me trompe pas depuis le départ en supposant qu'elle est une représentante du monde de l'éthologie, et qu'elle n'est en fait qu'une simple passante avec qui la conversation s'est installé par l'heureux hasard du destin.

Mais son Evoli ne s'arrête pas là. Non content d'avoir provoqué indirectement Chantico à se faire du souci pour ma sécurité, ce dernier petit chenapan s'est permis de se glisser dans le dos de sa maitresse - alors que celle-ci commence à me raconter l'historique de sa rencontre avec lui, au sein de la Tour Cendrée - afin d'en faire sortir un de ses compagnons de route. Jusqu'om sa bêtise peut bien aller ? Se comporte-t-il comme un enfant en pleine crise pré-adolescente ? Est-ce encore un de ces pokémons qui se comportent comme des enfants-rois, à qui tout est est permis et offert ? Décidément, j'en avais pour mon divertissement malgré moi. Mon Héricendre, elle, est de moins en moins fan du spectacle qui se déroule sous ses yeux, et commence à perdre patience. Surtout lorsque l'Evoli se place derrière le nouvel arrivant, un Mystherbe chromatique, comme si ce dernier avait été un bouclier.

- Mando ? Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais je crois bien que votre compagnon, Evoli, vient de refaire des siennes. Il s'est glissé dans votre sac pendant que vous tentiez de me raconter votre rencontre à la Tour Cendrée. annoncé-je en regardant le tout nouveau compagnon de la bleue. Un Mystherbe chromatique à ce que je vois. Est-ce que lui aussi va tenter de me sauter dessus ? *reportant mon regard plissé et dubitatif sur l'Evoli* Ou est-ce que le commanditaire de cette nouvelle apparition aurait un message à me faire passer ?

Non seulement l'empressement de Chantico à vouloir m'alerter sur le comportement de cet Evoli me parait louche, mais après cette nouvelle facétie de sa part, je ne peux rester indifférente. Ce pokémon a quelque chose à me faire comprendre, comme une sorte de codage d'une information que la bleue tente de me faire parvenir depuis le début de notre échange. Et cette femme, est-elle réellement éthologue, ou alors je nourris un quiproquo depuis trop longtemps maintenant ?