- J'ai gagné.

Stegan para le coup de Stanford avec son épaule. L'impact était puissant, l'officier galarien en avait dans le sachet. Mais la douleur était devenue une variable négligeable pour Stegan, qui avait déjà subi des dizaines de blessures plus vicieuses les unes que les autres. En un instant, le coude de Stegan s'abattit sur la tempe de Stanford, qui recula de quelques pas en titubant. Stegan saisit l'occasion et prit l'ascendant, en lui assénant un puissat crochet du droit qui fit reculer un peu plus le galarien. Il s'apprétait à enchaîner avec un gauche, lorsque Stanford fit un brusque volte-face et lui plaça un uppercut dans l'estomac.

Stegan fit quelques pas en arrière et cracha. Les deux hommes prirent un instant pour reprendre leurs esprits, et se redressèrent en position de combat. Stegan, campé sur ses jambes, bras levés et légèrement écartés, adoptait une posture typique de self-defense. Stanford, lui, pieds rapprochés, coudes serrés, tenait une garde de boxeur. Les deux soldats se jaugeaient, et bien que le coup de Stegan semblait avoir calmé la furie de Stanford, la même rage silencieuse se lisait dans son regard.

Le galarien fut le premier à attaquer. Stegan esquiva un direct, un deuxième, s'accroupit pour éviter un crochet, et tenta un uppercut en se relevant. Stanford fit un vif pas en arrière, et tenta un chassé du pied. Stegan en profita, et saisit la cheville de son adversaire, qui comptait manifestement trop sur son expérience de la boxe pour anticiper des coups bas typique des vrais combats. Stegan tira d'un coup sec, faisant basculer Stanford dont la tête heurta le sol. Puis il posa un genou sur son thorax, l'immobilisant et lui coupant la respiration, avant de lever le poing. Stanford tenta de se protéger de ses bras, mais dans un bruit sourd, sa vision devint noire.

Lorsque Stanford reprit connaissance, il était adossé à la paroi du tunnel. Son visage endolori lui sembla humide. Il se toucha le nez et vit ses doigts rougis par le sang. En face de lui, Stegan, adossé contre la paroi opposée, fumait un cigarillo.

- Evitez de trop bouger. Y'a moyen que je vous aie pété une côte.
- Salopard.
- Ouais.

Stegan laissa planer le silence quelques instants, tira une bouffée de tabac, et reprit tout en la recrachant.

- C'était pas classe de ma part, je sais. Vous êtes pas responsable de votre ascendance et je le sais bien. J'ai juste pas eu le choix.
- La ferme.
- Vous vous battez comme vous pensez, Stanford. Avec des règles théoriques qui vous handicapent une fois dans le monde réel.
- Je vous ai dit de la fermer.
- Vous auriez eu cette autorité si vous aviez gagné. Mais là vous avez le cul par terre et le nez en sang.

Stanford se tut. La frustration était encore vive en lui, mais pour une raison qu'il n'expliquait pas, les paroles de Stegan avaient plus de sens que jamais. Sans doute car elles avaient été concrétisées par un coup douloureux.

- Vous avez rien à prouver aux autres. Votre priorité, c'est de remplir vos missions en vous assurant de ramener le plus possible de vos hommes à la maison. Concentrez-vous là-dessus et le reste viendra tout seul.
- Comme si je le savais pas.
- Vous pensez le savoir, mais vous vous inquiétez plus de redresser l'honneur de votre lignée que du reste. L'ennemi s'en fout, de votre lignée. Il veut juste votre peau, noble ou pas. Que votre officier supérieur vous prenne pour un fils à papa ou pas, il vous enverra au charbon de la même manière.

Le silence de Stanford pouvait aussi bien être alimenté par sa frustration que par la réalisation de son erreur. Mais il aurait été trop demander que d'attendre de la franchise de sa part, en tous cas Stegan le pensait-il.

- C'est pas vous qui allez m'apprendre à gérer les problèmes sociologiques de Galar. Vous connaissez rien d'autre que la baston.
- Vous seriez surpris.

Stanford se tut. Stegan ne prenait pas mal cette remarque, pour la simple et bonne raison qu'il aimait lui-même l'alimenter. Avoir une telle image avait pour avantage qu'on ne venait pas souvent le solliciter, en bien ou en mal. On lui donnait ses missions, sans chercher plus loin, et ça lui convenait. Mais il avait été un enfant. Un adolescent perturbé, abandonné. Il avait connu l'amour autant que la haine. La joie autant que le désespoir. Et surtout, il savait ce que ça signifiait de se battre contre son passé. Stanford n'était pas si différent de lui, dans le fond. Il avait juste eu un peu plus de chance que lui. Et c'était ce constat, mêlé à l'incapacité de Stanford à sortir de sa vision préconçue du monde, qui frustrait Stegan. Cet officier avait du potentiel, mais tant qu'il restait bloqué sur sa petite fierté, il n'irait jamais bien loin. Pire : il risquait sa vie et celle de ses hommes.

- Stanford. Je suis pas votre ennemi. Je suis venu à Galar pour vous former à ce qu'un membre des forces spéciales doit savoir faire. Et ça passe par votre état d'esprit et votre façon de penser. Si vous voyez tout à travers le prisme de votre fierté et de votre désir de racheter les erreurs de ceux qui sont passés avant vous, je vous donne même pas une heure en opération. Faut que vous regardiez devant vous, sans rien d'autre que la réussite de votre mission à l'esprit.
- Vous m'apprenez rien.
- Je sais que ça sonne comme une banalité. Mais c'est fondamental, et vous y êtes pas encore.

Stanford ouvrit la bouche, mais se ravisa. Stegan crut remarquer que le galarien l'avait dévisagé. Sans doute son oeil crevé, sa main tranchée et ses nombreuses cicatrices aidaient-elles à crédibiliser et appuyer ses propos. Il ne fallait pas longtemps à Stanford pour se rendre compte que Stegan avait bien plus bourlingué que lui, et que son opinion avait, en conséquence, un poids indéniable.

- Et donc, pour être un bon officier des forces spéciales, faut donner des ultimatums aux pokemons sauvages ?

Stegan lâcha un rire sec par le nez.

- Je vous souhaite de pas trop tomber sur des pokemons du genre en opération. Mais quand vous aurez pris un peu de bouteille, vous comprendrez tout seul.
- Et les combats de coq pour s'expliquer, c'est fondamental aussi ?
- Non. Ca c'est juste pour vous et votre sale gueule de cuillère en argent.

Un silence plana pendant plusieurs secondes avant que Stegan ne lâche un rire rempli d'ironie. Stanford soupira, à moitié amusé. Son nez saignait toujours copieusement et lui rappelait qu'il avait appris cette leçon douloureusement.

- On peut reprndre la mission, ou vous voulez encore m'aligner ?
- Si vous pensez que vous pouvez marcher sans tomber d'anémie, j'attends que ça.

Stanford se releva, non sans tituber. Il regarda autour de lui, et constata que son fusil d'assaut était brisé en deux au niveau de la base du canon. Son expression en disait long sur la réalisation des futures conséquences de son acte.

- C'est plus ce que c'était, les AR15. Un incident de tir et le canon saute. Franchement.

Stanford se tourna vers Stegan, qui venait ni plus ni moins que de lui proposer un alibi devant le magasinier. Le hochement de tête discret de Stanford évoquait tous les remerciements du monde.

- Prenez le mien. Moi j'ai mes pokemons.

Stanford s'empara du Scar de Stegan, et les deux hommes reprirent leur ronde. Stanford soupesa le lourd fusil d'assaut chambré au gros calibre, et siffla.

- Y'a que vous pour tirer du 7.62, hein.
- Vous déboîtez pas l'épaule en plus du nez.

Un oeil non-initié ne verrait pas de différence entre les échanges injurieux des deux hommes, avant et après les événements récents. Pourtant, un respect mutuel s'était instauré, et les piques qu'ils échangeaient n'avaient plus rien de véhémentes. Stegan savait que le passage obligatoire par les échanges de coups était dommageable. Mais parfois, le meilleur moyen de se comprendre, c'est de parler la même langue.