Depuis cette fameuse soirée révélatrice de sentiments chez mon grand frère et mes parents, les jours coulaient de façon bien plus fluide, plus sereine et annonçant toujours un esprit familial au beau fixe. Certes, Abel me cherchait toujours autant, que ce fut à la maison ou à l'école, mais la principale différence résidait dans la façon qu'il avait de se chamailler avec moi : il était beaucoup plus protecteur de mon cas auprès des autres, tout en s'octroyant la liberté de me faire quelques plaisanteries sans conséquences. Dur à croire quand on sait qu'il y a quelques années de cela, ces mauvais tours et autres entourloupes pouvaient être bien plus salées et plus nocives que ce qui était prévu, du simple fait de cette injustice naissante et grandissante qu'il nourrissait dès qu'il apercevait mon visage. D'ailleurs, je me rappellerai toujours de cette autre conversation que nous avions eu dans sa chambre, quelques semaines après ce fameux diner de confession.

- Abel ? questionnai-je en toquant à la porte. T'es là ?
- M'w'nan pfufufu ! pouffa-t-il.
- Rrrhô allez, j'ai besoin de te parler s'il te plait.

Il n'y avait pas eu besoin de plus de courbettes de ma part pour que ce dernier m'eut ouvert la porte de son antre d'adolescent, une véritable garçonnière. Une télévision, des consoles de jeu vidéo, quelques lectures dans un style peu orthodoxe où l'histoire se prenait à la fin du bouquin, et où il fallait remonter les pages pour en arriver à la fin. Il y avait aussi du matériel de sport, comme un tapis de course, quelques haltères et une barre lestée. Abel avait un objectif dans son quotidien, c'était de pouvoir devenir un dresseur de pokémon spécialiste, plus précisément, du type Combat. Il faisait l'éloge de tutoriels vidéo qu'il trouvait sur l'interweb via son ordinateur portable : que le type combat pouvait revêtir bien d'autres types, que cela impliquait une hygiène de vie et une rigueur physique exceptionnelle, que tout le monde ne pouvait pas se dédier autant à cette vocation, et que seuls quelques élus pouvaient nourrir de telles ambitions. D'ailleurs, je crois même l'avoir vu accroché à un moment de son adolescence quelques affiches promotionnelles de combats de dresseurs dont les pokémons stars étaient de type combat. De mémoire, je sais qu'il est un fan inconditionnel de Lucario ainsi que de Braségali. Pour avoir jeté un coup d’œil à ces deux créatures, il y avait de quoi comprendre l'engouement, les deux pokémons étant des forces de la nature, connus pour leur témérité et leur ténacité hors du commun, pouvant obtenir des formes atypiques et des augmentations de statistiques dépendant du niveau de synergie emmagasinée avec leur dresseur respectif.

- Bien, j't'écoute Majorette. poursuivit-il avec un rictus non dissimulé.
- J't'ai déjà dit de pas m'appeler comme ça… m'offusquai-je.
- C'est bon, c'est bon. C'était pour détendre l'atmosphère. Tu m'as l'air très sérieuse. J't'écoute.
- Voilà… par rapport à cette conversation l'autre soir à table. Je voulais simplement te dire que je ne t'en voulais pas. Je ne t'en veux pas d'avoir été comme tu as été avec moi. Tu étais dans l'incompréhension, la douleur, et je n'arrivais pas à cerner ça à l'époque.
- C'est vrai que j'ai pas été très cool avec toi. Les mots n'effaceront pas le mal que j't'ai fait, j'le sais. Mais comprends-moi…
- Abel ! l'interrompis-je. J'viens de te dire que je t'en voulais pas. Écoute-moi jusqu'au bout s'il te plait. *le voyant faire le signer des lèvres cousues* Pour moi aussi ça n'a pas été facile d'apprendre la vérité au sujet d'Alba. Moi aussi je me suis détestée de ne pas avoir pu être autre chose qu'un souvenir douloureux dans le cœur de papa et maman. Et quelque part, je m'en veux d'avoir été un poids pour toi pendant des années, du fait du silence autour de ce sujet. Mais j'pouvais pas t'en parler. J'étais beaucoup trop jeune pour comprendre ce que tu vivais, et j'espérais bien que maman le ferait. Mais c'est pas arrivé comme ça, et j'en suis désolée. avouai-je gênée. C'est moi qui suis désolée dans l'histoire, grand frère. Tu crois que tu arriveras à me pardonner ? *yeux embuées de larmes*

Mon frère ne put s'empêcher de rester bouche bée. S'il y avait bien eu un scénario auquel il n'avait pas pensé, c'était celui où sa petite sœur demanderait son pardon pour une facétie du destin sur laquelle elle n'aurait jamais pu avoir d'emprise directe. J'étais une victime de ce revirement de situation, tout comme il l'était, et pourtant, c'était moi qui offrait mes excuses pour une situation qui l'avait mené lui à me faire du mal malgré lui. Alors que mes yeux luisaient de plus en plus de ce fluide lacrymal salé, aucun mot ne fut échangé en retour, du moins, je n'avais rien pu entendre sonner en retour provenant de sa localisation à lui. Mais le cours des évènements en avait voulu autrement, et plus que des mots, Abel s'était résolu à me faire comprendre que son pardon avait déjà été accordé lorsqu'il me prit dans ses bras, me serrant du plus fort mais aussi du plus doux qu'il l'eut pu à ce moment précis. Pour la première fois, il était un rempart me protégeant de cette foutue destinée capricieuse.

- T'en fais pas 'tite sœur. J'aurais dû me racheter auprès de toi il y a bien longtemps. révéla-t-il. Ne t'excuse pas pour ça. Ni toi ni moi n'y pouvons rien, personne n'aurait pu prédire ce qui allait se passer. Mais je peux te promettre une chose, et ça restera entre toi et moi, d'accord ?
- Ou-oui, tout ce que tu voudras. sanglotai-je.
- Je veux que quoi qu'il arrive, si jamais tu sens que tu perds pieds, et que tu ne t'en sortiras pas sans y laisser des plumes. Viens à moi. Confie-moi tes peines et ta détresse. Je me chargerai de régler ça comme un homme, un vrai. Promis ?
- P-promis. Merci Abel !
- De rien, ma 'tite Majorette.
- ABEL J'T'AI DIT DE PAS M'APPELLER COMME ÇA ! rugis-je en le frappant légèrement dans le bras droit.
- Aoutch, mais c'est qu'elle en deviendrait violente en plus ! Tu vas v-v-voir… annonça-t-il à demi-mot alors qu'il commençait à me chatouiller.
- J'ai horreur de ça ! Abel ! HAHAH ! Arrête ! HAHAHAAAAA ! Mamaaaaaaan ! criai-je comme une fillette revenue à l'âge bête.

Finalement, tout avait repris un semblant de normalité dans mon début de vie adolescente. Ma famille se portait comme un charme, mon frère et moi devenions de plus en plus proches, et à l'école, je commençais à me faire quelques amis, en plus d'être de plus en plus demandeuse auprès de mes professeurs qui découvraient petit à petit l'élève assidue et ardente de motivation que j'étais. Bon, je pense que j'exagère un peu le trait sur cette partie de la narration, mais il était vrai que déjà à l'époque je faisais tout pour obtenir les meilleures notes et les meilleures appréciations générales. Demander du travail en plus ne me faisait pas peur. Produire des exposés ou des rapports détaillés dans le cadre de recherches scientifiques ou littéraires étaient devenus comme des domaines de prédilection. Mon goût avancé pour les réflexions socioculturelles et les débats d'idées me rendait particulièrement efficace et redoutable dans un contexte de dialogue de classe. Très rapidement, j'étais devenue l'une des délégués, devenant ainsi une personne de confiance s'affirmant toujours un peu plus chaque jour au sein de son groupe.

Bien tendu, il n'y avait pas que ça dans mon quotidien de jeune tête pensante. Il y avait aussi tout l'attrait des pokémons dans mon cursus scolaire. Rechercher des renseignements sur des statistiques précises de certaines espèces de pokémons, et les comparer par exemple au sein de leur propre lignée évolutive ; faire des comparatifs de descriptions de lieux d'habitats selon les espèces d'un même genre, comme les pokémons de type Vol par exemple ; faire des recherches documentaires et encyclopédiques sur l'impact de l'activité humaine sur la société elle-même ou sur celle des pokémons. Il y avait plein de sujets de prédilections à parfaire et à consolider, et j'étais partante pour tout essayer. En l'apparence, j'étais la fille modèle, intelligente mais toujours un peu timide, la lueur d'espoir parmi une génération féminine toujours plus midinette et toujours plus crédules ces aléas de la vie. J'inspirais stabilité et confiance auprès des autres.

Mais vous l'aurez deviné, il y a un « mais ». Et pas des moindres. Sans trop en dévoiler tout de suite, je peux vous raconter qu'il s'agit d'un évènement qui aura une nouvelle fois marqué ma vie à Ecorcia. Et tout se passe lors d'une sortie scolaire vers Bourg Geon, lors d'une visite programmée au Laboratoire du Professeur Orme. Une escapade récréative et informative en l'apparence, mais qui faisait l'objet d'une évaluation sommative de nos aptitudes à trouver l'information à la source, à la confronter à diverses théories, afin d'en déterminer une ou plusieurs problématiques qui engendreraient un questionnement en deux vitesses, pour aboutir enfin sur des conclusions pouvant confirmer ou infirmer des présupposés initiaux. Un vrai défi scientifique mêlant adaptabilité, vivacité d'esprit, et curiosité naturelle pour la branche scientifique des pokémons.


Dans son laboratoire, le Professeur nous attendait de pied ferme, car il avait quelque chose de très important à nous montrer : une cérémonie protocolaire d'attribution du pokémon d'ornement, appelé « starter », à de jeunes dresseurs se lançant dans la lourde et complexe tâche de devenir des compétiteurs et des compétitrices accompli.e.s, et faire un jour sensation au point de pouvoir graver leurs noms dans le temps et la mémoire collective. Et bien évidemment, c'est d'un évènement somme toute banal, qui ne changerait en rien la vie de quelques élèves en voyage scolaire en temps normal, que nous parvenions petit à petit à un épisode chaotique d'une existence de porte-malheur ambulant. Moi, Ajora Caldwell, allait de nouveau faire parler de mes talents de chat noir, et pas forcément de façon neutre cette fois-ci.

La cérémonie en elle-même n'avait rien de bien exceptionnel. Il y avait une dizaine de dresseurs débutants qui se trouvaient là, dans la pièce, conviés pour effectuer leur première acquisition d'un pokémon d'ornement de départ. D'après les dires du Professeur Orme, chacun de ces dresseurs avaient été sélectionnés pour leur potentiel latent, jugé en cachette par une équipe professorale de premier choix. S'ils étaient là, réunis dans cette pièce, ce n'était donc pas le fruit du hasard, et qu'il devait cette réussite grâce à leur instinct de compétiteur, mais aussi de par leur volonté farouche de vouloir rassembler et composer la meilleure équipe pokémon de la région. Un projet au demeurant ambitieux qui revêtait des ardeurs presque arrogantes d'un trop plein de confiance accordé à ces jeunes têtes brûlées. Parmi les pokémons au choix, il y en avait pour tous les goûts, selon que l'individu était dresseur pur ou dresseur-coordinateur. La différence entre les deux ? Honnêtement, à l'époque, je ne m'en soucias guère. J'étais là uniquement en observatrice, je n'avais pas de réelles ambitions à nourrir du côté de la communauté pokémon. J'avais déjà bien assez de mon propre parcours scolaire à gérer, ainsi que les relations superficielles nouées avec des camarades de classe peu scrupuleux des sentiments des autres.

Côté dressage pur, il y avait un choix entre trois pokémons élémentaires de base : ceux adeptes du style de l'eau, réputé pour incarner la tranquillité, la fluidité et le calme en toute circonstance, pouvait se diriger vers le pokémon crocodile, Kaiminus ; par la suite, ceux dont le tempérament fougueux et direct pouvait s'apparenter à de l'effronterie pouvaient se diriger vers le pokémon représentatif du type Feu, le pokémon hérisson, Héricendre ; et enfin, il y avait éventuellement le pokémon de type Plante, celui qui correspondait à des dresseurs dont la nature était d'être dans le don de soi, d'être pondéré et prudent, tout en faisant appel à une force tranquille au plus profond de leur être, le pokémon feuillu, Germignon. Ce trio de pokémons représentait l'équilibre des forces régies par des formes de créatures légendaires, notamment les Fauves Légendaires, Raiku, Suicine et Entei. Il était dit d'ailleurs que quiconque utiliserait ces pokémons d'ornement initiatique à des fins sombres se verrait un jour recevoir le courroux de l'un des félins mythiques. De quoi faire froid dans le dos pour les plus puristes d'entre nous, quant à moi, ce ne fit que m'arracher un léger rictus, comme pour manifester une certaine résistance de ma part à la naïveté ambiante de la cérémonie.

Côté dressage de prestation visuelle et esthétique, il n'y avait de choix que deux autres spécimens à disposition : tout d'abord, il y avait le pokémon félin à la nature changeante, celui qui représentait l'anomalie la plus célèbre du monde des pokémons, connu pour sa génétique encore inexpliquée et immanquablement incomplète, le pokémon tout de fourrure élégante et douce, Evoli ; pour les autres adeptes de l'art de la coordination, il pouvait également choisir le représentant de la toute première découverte d'un oeuf de pokémon dans la communauté scientifique, de la famille des tout jeunes volatiles, connu et reconnu pour être un symbole de chance, d'opportunité et de bonne fortune, Togépi. Là aussi, une rumeur courut dans la salle que quiconque envisagerait de faire l'usage de l'un de ces deux pokémons prenait le risque de s'exposer à la fureur des Oiseaux de la Légende, connus sous leurs autres noms de Lugia et Ho-Oh.


Sans trop de courbettes, les candidats aux pokémons d'ornement se présentèrent un à un devant le professeur Orme. Affirmant pour la première fois ou réaffirmant de nouveau leurs ambitions, ils passèrent tous au détecteur de mensonge afin de s'assurer une toute dernière fois de la véracité et de la nature de leur motivation. Ainsi, nous pûmes découvrir quelques mensonges de-ci et de-là portant tous sur le thème de la confiance en soi et de la détermination et de la potentialité à pouvoir, dans le futur, surpasser les plus grands dresseurs de la région, et par extension, du monde. Mais en règle général, ils furent tous détenteurs de ce même discours de triomphe et de gloire à poursuivre, ce qui me sonna presque trop standard pour être réellement sincère. Mais qu'à cela n'eut tenu, ils avaient passé les sélections haut la main et étaient le fleuron du dressage de leur génération. Grand bien leur en fit. Et chacun leur tour, ils s'avancèrent vers les pokéballs standards, pour ensuite faire leur choix.

Pourquoi était-ce fait selon cette procédure ? Tout simplement car un entretien préalable avec le Professeur Orme avait eu lieu dans une pièce annexe, quelques heures avant notre arrivée pour la visite. Pendant le temps d'un échange, tout un tas de questions étaient posées aux candidats, et chacun de leur réponse participait à établir un profil type pouvant coïncider avec l'un des pokémons d'ornement proposés. Il ne suffisait pas de grand chose dans les réponses pour établir des conjectures différentes, quand bien même les réponses des candidats pussent être identique, l'exception d'un ou deux mots. Telle était la précision de ces Professeurs à la renommée internationale, et qui faisaient la fierté du fleuron des sciences.


Le premier dresseur s'avança vers la pokéball qui avait été apprêté à son nom. Un adolescent déjà prêt pour sa maturité d'adulte à en juger par son physique développé, son regard conquérant, et sa taille anormalement grande pour un simple adolescent de notre âge. Il prit avec fermeté et détermination la pokéball dont il était le propriétaire et opéra la cérémonie d'invocation première du nouveau partenaire. Et dans un faisceau de lumière rouge, tel un flash, surgit une masse difforme dans les premiers instants, puis se métamorphosant en un charmant petit crocodile tout guilleret et impatient de commencer son aventure. Je mis du temps à la reconnaitre, mais je consignai dans mon carnet son nom : Kaiminus.

Le second dresseur était une dresseuse. Une fille d'un âge plus frais que le mien, probablement une prodige des pokémons, car faire appel à un être presque extraterrestre et le faire obéir à la moindre de ses commandes relevait d'une maturité et d'une confiance en soi redoutable. Vêtue d'une robe rose et arborant une longue chevelure torsadée blonde, la petite fille s'avança à son tour vers sa pokéball. Du fait de sa taille basse, je pus apercevoir son prénom, Aska. Original. Et tout pareil que le premier dresseur, elle se tourna vers un espace libre de la salle, tendit la pokéball à bout de son petit bras d'enfant, et laissa le flux de lumière rougeoyante faire apparaitre cette fois-ci une sorte de coquille d'œuf, craquelée, et renfermant en son intérieur un être d'une couleur jaune presque pâle. Sans hésitation, je griffonnai sur mon carnet le nom de Togépi.

Puis vint le tour d'une nouvelle dresseuse, cette fois-ci probablement dans mon âge, ou légèrement plus vieille. Le seul détail pouvant m'aiguiller sur son léger âgisme par rapport à ma personne étant la proéminence de sa poitrine. Certes, chaque individu féminin ne voit pas cet attribut se développer de la même façon et avec la même intensité, mais il était clair que cette dresseuse n'en était pas à ses débuts de métamorphose hormonale. Affichant également un certain dédain sur son visage, elle s'empara de la balle de capture qui lui était assignée, l'adolescente fit elle aussi jaillir ce laser luminescent de couleur rouge en direction d'un espace libre de la pièce, pour en faire apparaitre un pokémon vert avec une feuille sur sa tête, indiquant clairement son identité que je m'empressai de noter sur mon calepin : Germignon.



Le Professeur Orme en profita pour faire une pause, laissant à tous les jeunes de la pièce un petit temps d'échange, de rafrachissement et de retranchement stratégique aux toilettes. Pour ma part, c'était l'occasion d'en apprendre plus sur la petite dresseuse du Togépi. Contrairement aux deux autres dresseurs, elle m'inspirait bien plus de dynamisme et de réelle passion. N'écoutant que ma condition d'étudiante, je préparai de nouveau mon cahier d'observation, le feuilletai pour arriver sur une série de pages vierges, agrippai mon crayon d'écriture bleu entre les doigts, et enfin m'approchai de la cible de mon entrevue spontanée imminente.

- Excuse-moi. Aska c'est bien ça ? l'interpellai-je.
- Oh, oui c'est bien moi ! Enchantée ! C'est quoi ton prénom à toi ?
- Je suis Ajora, enchantée Aska. lui répondis-je avec légèreté. Ça t'embête si je te pose quelques questions avant que la cérémonie ne reprenne ?
- Tu veux m'interviewer moi ? Et les deux autres alors ? s'étonna-t-elle.
- Bleh ! grimaçai-je. Les deux autres m'ont l'air ennuyant à souhait. Alors que toi, tu m'as l'air joyeuse et motivée ! Ça donne envie de vivre ce moment avec toi ! avouai-je avec un grand sourire.
- Hi hi ! Merci, tu es vraiment gentille Ajora ! Eh bien c'est parti, je suis prête pour tes questions ! enchaina la petite fille excitée par l'idée d'être la star d'une interview.

- Comment as-tu su que tu étais faites pour être dresseuse pokémon ? l'interrogeai-je.
- J'sais pas moa. J'pense que c'est v'nu comme ça. répondit Aska avec sa voix de petite enfant.
- Ah bon ? Tu n'as pas été inspirée par une retransmission d'un match à la télévision ? Entendu parler d'un champion de la Ligue ou de l’Élite ? Pas de personnes dans ta famille qui auraient un pokémon et qui te l'auraient montré ?
- Mmm'nan ! J'ai décidé toute seule !
- Qu'as-tu décidé ?
- Bah… c'est facile non ? J'ai décidé toute seule de devenir la plus forte des dresseuses de Johto ! Duuuuh ! minauda-t-elle en roulant ses yeux vers le haut.
- Ha ha… tu as l'air sûre de toi en tous cas. Et pourquoi tu veux devenir la plus forte ?
- Passque papa m'a promis que je pourrai me marier avec lui si j'devenais la plus forte du monde.
- Que tu pourrais te… hein ?

C'était à ce moment-là que mon cerveau s'était mis à bouillir. Cette petite avait réellement le mental de son âge, et ne savait pas vraiment pourquoi elle s'était embarquée dans cette quête de devenir dresseuse pokémon. Quelque chose me disait qu'il devait y avoir eu une pression parentale dans l'histoire, à en juger les réponses puériles et naïves d'Aska. J'en vins même à me demander si être dresseur ou coordinateur, ou que savais-je encore des possibles métiers liés au pokémon, était réellement une vocation, ou si c'était quelque chose par laquelle il fallait passer pour plonger dans le folklore et les spécificités des Pokémons.

Mon court moment d'interview fut coupée par le retour du Professeur Orme dans la salle, annonçant par la même occasion la reprise de la cérémonie de distribution des pokémons d'ornements pour les apprentis aventuriers et aventurières présent.e.s dans la pièce. Le scientifique de renom reprit alors un semblant de discours officiel, pour rappeler à toutes et à tous pourquoi nous étions là. Bien évidemment, la bonne moitié de l'audience n'était pas là par gaieté de cœur, mais bien dans le cadre d'une sortie scolaire pour comprendre les rituels de passage dans le monde des dresseurs, et aussi, pour comprendre en quoi les scientifiques actuels ont autant leur place dans la société en général que dans un laboratoire dédié à l'exercice de leurs fonctions.

Personnellement, je n'avais pas besoin de cette excursion pour savoir ce qu'il y avait à savoir sur le métier de scientifique. Je connaissais déjà toute la complexité et la diversité de sciences qui existaient, que les recherches d'un professionnels pouvaient varier d'un individu à l'autre, tout dépendant de sa sensibilité scientifique, que les résultats de recherches étaient souvent croisés entre professionnels pour être sûrs de ne rien louper lors des comptes-rendus et autres rapports de recherche. Il devait bien y avoir toute une montagne de choses encore qu'il me fallait étudier et apprendre au sujet d'un Scientifique Pokémon, mais disons que j'en connaissais déjà les fondements basiques.



- J'appelle monsieur Dysley. prononça le Professeur Orme, mais uniquement suivi d'un lourd silence dans la salle. Jared Dysley ?

Quelques murmures s'élevèrent dans la salle, alors que le prénom du prochain dresseur venait d'être appelé. Apparemment, la cause de ce silence était que ce dresseur n'était autre qu'un de nos camarades de classe, qui semblait-il, n'était pas du tout au courant que c'était de lui dont on parlait, pensant à un homonyme parfait. Comme quoi, tout le monde pouvait être concerné par la voie du dressage pokémon, et notre communauté d'étudiant n'était pas une exception.

Notre camarade s'avança alors vers le Professeur Orme, qui lui tendit une pokéball au design légèrement différent de celles des autres. Celle-ci n'était pas simplement rouge, blanc et parsemée de noir ; mais elle était blanche et parsemée de rouge. Le scientifique de renom avoua alors à Jared que ce qu'il tenait dans les mains était une Honor Ball, une balle de capture qui n'était faite que lors de grandes occasions, pour la plupart du temps, y accueillir un pokémon au pedigree certifié. Il lui intima d'en faire bon usage et surtout, d'en prendre grand soin, autant que pour son futur compagnon.

Jared fit alors fuser quelques faisceaux de lumière argentés de l'Honor Ball, et en fit apparaitre un pokémon tout à fait singulier. En le regardant, je savais pertinemment de quel spécimen il s'agissait, mais l'assemblée fut surprise du résultat qui se réveillait sous ses yeux, dans un bâillement félin presque attendrissant. C'était un Evoli qui s'étirait gracieusement et lentement sous nos regards ébahis. La petite foule de la pièce s'accordait à dire qu'il y avait quelque chose qui clochait avec le pelage du petit Pokémon. Jared également semblait dubitatif de la créature qu'il avait devant lui.

La cause était simple, et fut délivrée par le Professeur Orme en personne.

- Voici devant vous une espèce encore plus rare que la simple rareté de l'Evoli. Je vous présente la version chromatique ! annonce-t-il avec un aplomb et une joie non dissimulée.

Des « woah » et des « oooh » s'élevèrent de partout dans la salle. Les gens comprenaient qu'ils avaient en face d'eux un phénomène très rare de la génétique pokémon, et que seul un véritable mordu de sciences ou un scientifique de profession pouvait en expliquer la nature. Pour ma part, je savais déjà ce qu'il y avait à savoir sur cette particularité du monde des pokémons, comment parfois la génétique pouvait se retrouver également au cœur de tout plein de débats, au même titre que lorsqu'on évoquait la génétique humaine. Eh bien, sur le même principe, il faut savoir que si chaque individu humain ne se ressemble pas et ne possède pas le même code génétique, il en est de même chez les pokémons, et que même deux individus similaires ne présenteront pas les mêmes caractéristiques.

- Voyez-vous, la chromaticité d'un pokémon vient du fait qu'un gène - présent chez chacune des espèces peuplant notre monde - responsable du changement de pigmentation de la peau et des différents éléments du corps répondant à une variante de teinte ou de couleur, s'active au moment de la croissance du pokémon. commença à expliquer le Professeur Orme.
- Pourquoi sont-ils si rares si ce gène peut se manifester aussi tardivement ? questionna un des messieurs de l'assemblée.
- Eh bien pour vous répondre, recontextualisons ce phénomène à l'échelle humaine. Vous, monsieur. *pointant du doigt celui qui venait de poser la question* Disons que vous avez un frère jumeau, monozygote pour dire de faire encore plus évident.
- Sssé kwhoua momozigohte môman ? s'interrogea une petite fillette à peine plus grande que l'Evoli chromatique.
- Hi hi ! Ça veut dire que les deux frères ont grandi dans la même bulle dans le ventre de la maman. se permit d'instruire le professeur, qui ravit la môme à en croire son sourire et son regard lumineux d'intrigue. Ce qui veut donc dire que votre ADN est à quatre-vingt-dix-neuf virgule neuf pour cent identique. Et pourtant, il existe ce petit pourcentage de différence, qui peut alors se manifester sous bien des façons différentes : un grain de beauté à en plus, ou disposé à un autre endroit ou en léger décalage ; une petite mèche de cheveux plus claire que prévue ; une ossature du visage moins arrondie ou moins saillante...

- ...ou même quelques cas rarissimes d'hétérochromie, au niveau des yeux.
- Sssé kwhoua hérokomi môman ? se demande une nouvelle fois la petite fillette qui avait déjà perdu le côté angélique de son rire pour laisser place à un froncement de sourcils renfrogné.
- Ha ha, elle est mignonne votre petite. fit remarquer le Professeur Orme à la maman. Eh bien l'hétérochromie ma petite, c'est quand tu as les yeux de deux couleurs différentes ! révéla-t-il.
- WOUHAAA ! SSÉ VRÉ ?! s'exclama la petiote.
- Hé hé ! héééé oui, ça existe. confirma le scientifique pokémon. Tout comme il existe des personnes développant des lobes d'oreilles plus importants que d'autres, ou alors, des cloisons nasales légèrement décalées et ne faisant pas entrer l'air de la même façon et en même quantité dans les poumons. poursuivit-il en s'assurant que la petite ne comptait pas l'interrompre de nouveau. Eh bien chez les pokémons, le phénomène chromatique est identique à celui de la fameuse hétérochromie chez les humains.


A nouveau quelques « woah » et des « oooh » retentirent dans la salle au fur et à mesure que les personnes présentes s'eussent rendu compte du scénario incroyable qui se déroulait devant leurs yeux ébahis. Toutefois, certains dresseurs également présents semblaient rouler les yeux vers le ciel en chuchotant de façon chafouine des « regarde-les moi ces ignorants » et des « ils font genre c'est impressionnant, pfeuh ! » qui trahissait leur inimitié notoire pour la population lambda de notre région. J'ai bien essayé de me mettre à leur place, mais je n'étais définitivement pas ce genre de fille qui pouvait prendre les autres de haut, surtout en sachant l'univers dans lequel j'évoluais et d'où je venais.

Même si j'en savais autant qu'eux, voire peut-être un peu plus grâce à cette passion dévorante pour les livres, les encyclopédies et autres revues d'explorations pokémons, je me contentais d'écouter religieusement le Professeur Orme, lui qui détenait la clé de l'ascension fulgurante que connaitrait notre camarade de classe grâce à cette nouvelle compagnie chromatique. Quelque part, oui, je le jalousais un peu, mais pas parce que j'aurais eu envie d'être à sa place, mais plutôt parce que je n'aurais potentiellement pas autant d'occasions pour vivre aux côtés de ce charmant petit animal. A l'époque, nous ne savions pas si Jared accepterait la lourde tâche d'entrer dans le monde du dressage pokémon.

                                                           (suite de ce sujet post-CEIR)

Ma mère porta une main à sa bouche, comme si elle tentait d’avaler le choc de mes mots, ses yeux écarquillés trahissant une angoisse grandissante. Mon père, lui, se contenta de noter frénétiquement, son stylo grattant le papier pour capturer chaque détail de mon récit sans en perdre une miette. Le silence pesait autour de nous, interrompu seulement par le léger bip des machines médicales, et je pouvais sentir leurs regards emplis d’inquiétude, comme une tension malaisante qui s’accrochait dans l’air. Ils n’osaient presque pas respirer, suspendus à mes mots, tandis que je fouillais dans mes souvenirs pour rassembler les quelques derniers morceaux de cette journée trouble.

— Et… ensuite, qu’est-ce qui s’est passé ? souffla finalement mon père.

Je fermai les yeux un instant, laissant les souvenirs remonter à la surface, même si chaque image ramenée me faisait l’effet d’un choc. La douleur au niveau du bras semblait s’intensifier à mesure que je replongeais dans ces instants, comme si mon corps lui-même revivait chaque seconde de ces évènements malencontreux. Pourtant, les fragments de cette scène refaisaient surface malgré moi, et je rassemblai lentement les bribes de mémoire, tâchant de garder mon calme malgré le poids des émotions qui menaçaient de me submerger.

— Eh bien… j’ai entendu le crépitement de la chaleur, je l’ai presque ressentie avant même que les flammes ne m’atteignent. Et pourtant…

Je laissai ma voix s’éteindre, les derniers mots glissant dans le silence, tandis que j’essayais de maîtriser le flot tumultueux des émotions qui grondaient en moi. Mon cœur battait encore trop vite, beaucoup trop vite. Il me fallut quelques secondes pour reprendre mon souffle et un rythme cardiaque stable sans risquer de replonger dans une détresse physique et psychologique cuisante. Doucement, je tentai de relâcher la tension qui serrait ma gorge, de retrouver un semblant de calme.

— J’ai dû perdre connaissance, parce que je n’ai plus de souvenirs clairs après cela. Un peu comme si… on avait éteint la lumière, et pas moyen de remettre la main sur l'interrupteur pour tout relancer.
— C’est… c’est tellement courageux de t’être interposée, ma chérie, mais aussi tellement imprudent. Que t’est-il passé par la tête ? enchaina ma mère en serrant doucement ma main, ses doigts tremblants.
— J'ai eu comme l'intuition… rétorquai-je en haussant les épaules, un sourire fatigué au coin des lèvres …quelque chose en moi savait que ce Pokémon n’avait aucune intention de blesser volontairement. Elle elle avait juste peur, et j’ai voulu être un bouclier pour lui éviter de devenir une menace malgré elle.

Mes parents échangèrent un regard laissant transparaitre une espèce fierté mêlée à de la profonde inquiétude. Leurs yeux révélaient autant d’admiration que de crainte pour ce que j’avais vécu. Ils restèrent ainsi un instant, silencieux, comme s’ils communiquaient par un langage que seuls eux pouvaient comprendre. Puis, après un dernier signe de tête, ils se levèrent lentement, l’air grave, visiblement décidés à aller rapporter fidèlement tout ce que je venais de leur confier aux policiers. Leurs gestes se voulaient le plus doux possible, mais je sentais le poids de leurs doutes et de leurs craintes, comme une sorte de fatalité les menaçant de se rabattre une nouvelle fois sur leur petite fille adorée.

— On reviendra vite. Prends un peu de repos, d’accord ? conseilla mon père avant de poser un léger baiser sur mon front.

Je les observai partir, une sensation étrange de vide mêlé à du soulagement presque libérateur. Mais tout ne s'arrêterait pas à la simple fermeture de mes paupières. Car à peine avaient-ils franchi la porte que j’entendis un léger bruit de pas et, en relevant les yeux, je vis le Professeur Orme entrer dans ma chambre, la petite Héricendre blottie dans ses bras. Ses yeux brillaient d’un mélange de gratitude et de profonde tendresse, tandis que le Pokémon semblait se recroqueviller timidement, jetant des regards hésitants dans ma direction.

— Ajora… tu es réveillée, le ciel soit loué ! murmura le professeur, soulagé.