Pendant que Lenny lui racontait comment il avait vécu l'obtention de son premier badge, Poehere entama le maquillage de son autre œil. Sa technique consistait à faire passer la brosse en zig-zag sur ses cils, pour leur donner une forme légère et allongée, sans faire de pâté. Ses paupières ne bougeaient pas d'un millimètre, malgré la proximité de la brossette avec son œil. Avec le temps, ses yeux étaient conditionnés pour subir de telles tortures.
- Au moins, il y avait un stade, c'est déjà ça ! Dit-elle en restant concentrée sur son geste.
Les yeux, c'était fait. Comparé à ses magnifiques dégradés de fard à paupière qu'elle avait l'habitude de faire, une simple retouche de mascara lui paraissait bien peu, un maquillage presque inexistant selon elle. L'effet "nude", un peu trop nude à son goût. Elle déboucha le rouge à lèvre et s'approcha encore du miroir. Mais elle se recula pour répondre à Lenny, lorsque celui-ci évoqua la ligue.
- Mais grave ! Dit-elle sans cacher son enthousiasme. C'est le rendez vous des plus forts, genre.
Comme si Kahuna avait prit cette remarque pour lui, il aboya joyeusement, et remua la queue. La jeune fille lui sourit, et appliqua son rouge à lèvre avec précision, sans dépasser une seule fois sur sa peau. Elle plissa les lèvres plusieurs fois, fit une retouche de rouge par ci par là, et sourit dans le miroir pour voir si ses dents n'étaient pas tachée. Pas très élégant, mais nécessaire pour ne pas avoir l'air d'une idiote.
- ...La chaussure de madame est avancée.
Poehere eut un sourire idiot, et prit la chaussure en faisant une petite révérence.
- Merci.
Elle rangea le tube de rouge à lèvre dans sa pochette, et replaça son sac à main sur son épaule en veillant à ce que la lanière tombe pile à l'endroit de la crotte du poichigeon. Elle enfila ses échasses avec grâce, et retrouva ses centimètres perdus. Poehere s'admira une dernière fois dans le miroir, pour vérifier qu'elle n'avait rien oublié. Les cheveux ondulait à peu près comme elle le souhaitait, la tâche était camouflée, pas de rouge à lèvre sur les dents. Elle était prête. Même si avec son style actuel, une paire de basket aurait été plus appropriée. Dans sa situation, il fallait bien qu'elle fasse avec les moyens du bord.
- J'en prends note, dit elle avec une pointe d'amusement. J'essayerais de ne pas courir.
Kahuna s'avança natuellement vers la porte, comme s'il avait senti que c'était le moment d'y aller, de sortir enfin de ces toilettes.
- Merci pour tout Lenny. Sans vous, je serais encore là à pleurer comme une chouchoute fondue. J'espère que vous trouverez ce que vous cherchez ici, et que vous allez enfin profiter de votre pause
Elle lui sourit avec toute la sincérité qu'elle pouvait, se s'avança vers la porte des WC. En l'ouvrant, elle tomba nez à nez avec l'ouvrifier de Lenny, qui avait obéit à son ordre sans broncher. Kahuna s'en approcha prudemment, surpris par ce spécimen qu'il n'avait jamais vu jusqu'à présent.
Soudainement, l'assurance de Poehere chuta, et elle se trouva paralysée dans l'embrasure de la porte.
Et si elle tombait encore sur des gens malveillants ? Des hommes avec des pensées lubriques comme tout à l'heure ? Si elle faisait confiance à la mauvaise personne, et qu'elle se retrouvait dans une posture bien plus délicate ? Loin de son île natale et de ses repères, est-ce qu'elle aurait la force d'affronter les sifflements, les remarques ? Prise d'un soudain élan de panique, Poehere se mordilla la joue, éprise d'un doute. Même si Kahuna était un garde du corps exemplaire, elle ne pouvait pas tout mettre sur ses épaules. Pourtant, elle devait se rendre à cette fichue convention, sans quoi, elle allait certainement devoir rembourser les frais avancés par Kathleen Jones, ce qui était au dessus de ses moyens. Elle fit volte face, la main toujours sur la poignée de la porte.
- Eum... Je... Enfin... Ca vous direz d'y aller avec moi ? J'ai un pass VIP, on pourra accéder à tout ce que vous voulez voir.
Poehere eut un sourire timide. Jamais elle n'avait été aussi peu confiante de sa vie, ce qui la rendait extrêmement mal à l'aise.
- Et puis, j'aimerais vous offrir un café... Ou une gaufre... Ou une glace ! Je vous dois bien ça après tout.
Elle plia sa jambe pour lever son talon en l'air, en souriant bêtement. Oui, c'était la moindre des choses. C'était simplement dommage qu'elle pense à ses intérêts avant celui des autres.
Maintenant que j'la vois en train d'terminer son relooking improvisé, j'm'en veux d'autant plus d'avoir eu cette pensée d'boomer à son sujet. Et j'trouve d'autant plus cons les gens qui disent qu'les influençeuses sont des feignantes qu'ont pas un vrai métier. Pour arriver à s'transformer comme ça, en quelques minutes, et retrouver une apparence que la plupart des gens jugeraient plus que potable (et que moi, du haut d'mon inexpérience, je juge carrément wahou-esque), faut avoir une sacrée maîtrise du sujet. Et c'est aussi théorique que technique, visiblement. Non, c'te fille est une pro, ça s'voit. Si j'm'en rends compte, c'est parce que, même si mon daron était au moins aussi bourrin qu'les autres, ma mère était bien plus portée sur toutes ces histoires de mode et d'apparence. Et j'me souviens qu'elle disait souvent qu'l'apparence était un capital précieux. Ca doit être d'autant plus vrai pour des gens comme Poehere.
Elle m'remercie. J'penche la tête en guide de "de rien". J'sais jamais comment réagir à ça, pour moi c'est tellement une évidence qu'il faut aider les gens en galère qu'elle aurait pu partir sans rien dire, j'm'en s'rais pas vexé. Enfin, p't'être un peu. C'est chiant, ça, comme paradoxe. Si on m'dit merci, j'sais pas où m'mettre et j'préfèrerais qu'on m'aie rien dit, mais si on m'dit pas merci, j'me micro-vexe. Faut-il que j'soie un crétin.
Elle sort. J'lui emboîte le pas avec grand plaisir. J'ai pas oublié une seule seconde que j'suis dans les toilettes des dames, et qu'j'ai rien à y faire, surtout maintenant qu'la fuite est réparée. Plus tôt j'serai sorti d'ici, mieux j'me sentirai. Mais elle a l'air d's'arrêter au moment d'sortir. Avec la porte ouverte. Si quelqu'un du staff passe à c'moment précis, j'suis dans une de ces sauces.
- Ca vous dirait d'y aller avec moi ? J'ai un pass VIP, on pourra accéder à tout ce que vous voulez voir.
J'hausse les sourcils. J'm'attendais pas à ça. Moi ? Moi tout sale, tout transpirant, en t-shirt crade et pantalon d'chantier ? Avec elle ? Elle qui vient d'faire une cendrillon inversée dans un WC public qui fuit ? Y'a même l'histoire d'la chaussure. Non, arrête tes conneries Lenny, c'est pas l'moment d'faire des blagues. Une influenceuse des îles te propose d'l'accompagner à la convention et profiter d'son pass VIP, alors concentre-toi.
En fait, j'sais vraiment pas quoi penser. Si j'y réfléchis pas, j'suis en mode "WOUHOU". Genre, c'te veine. C'est pas un truc qui vous arrive tous les quatre matins, et moi qui voulais apprendre des choses dans c'te convention, c'est l'occasion parfaite. Et en plus, c'est mieux d'le faire avec quelqu'un de visiblement très sympa, que tout seul, d'autant plus avec ma confiance en moi légendaire. Mais d'un autre côté, l'accompagner, ça veut dire suivre son rythme. Et comme elle m'a dit qu'elle avait été invitée en tant qu'influenceuse, ça veut dire qu'elle va avoir du boulot. Est-ce que j'aurai l'temps d'voir tout c'que j'ai à voir ? J'veux dire, j'verrai sûrement des choses que j'aurais pas vu, sinon. Et ça c'est intéressant. Mais si elle est invitée, c'est qu'elle est considérée comme ayant déjà d'l'expérience, j'imagine. Donc...
- Et puis, j'aimerais vous offrir un café... Ou une gaufre... Ou une glace ! Je vous dois bien ça après tout.
J'dois bugger pendant trois ou quatre secondes. Ca m'aide pas, ça m'aide vraiment pas. Mon instinct de grand enfant s'réveille quand il entend les mots "gaufre" et "glace". Mon instinct de jeune adulte célibataire s'réveille quand il réalise qu'une jolie fille m'invite à prendre un café. Et mon instinct de type sans aucune confiance en lui qui veut s'faire tout petit et ne déranger personne, qui était déjà bien réveillé, s'met à hurler quand il comprend que, si j'accepte, j'vais me taper l'incruste. Oui, c'est elle qui m'invite. Mais autant c'est d'la pure politesse et ça l'arrangerait bien que j'dise non.
Dans un premier temps, j'ai envie d'refuser poliment. Pas qu'j'aie envie d'refuser, bien au contraire. Oh putain, bien au contraire. Mais j'ai toujours eu ce frein à accepter la reconnaissance des autres. Même m'faire payer un verre au bar par un collègue qui m'en doit dix, j'ai du mal à accepter et j'me sens gêné. Alors là, imaginez.
Puis j'me retourne le cerveau. Pour certaines personnes, c'est important d'rendre la pareille, donc autant ça la dérangerait plus que j'refuse plutôt que j'accepte d'l'accompagner. Et en plus, ça s'rait passer à côté d'une sacrée occasion d'voir la convention sous un autre jour, et bien accompagné. Alors, sans vraiment qu'j'aie de prise sur c'que pense mon cerveau malade, j'décide d'être égoïste -selon mon propre référentiel- et d'accepter.
- Euh... je... bah, euh, ouais, carrément ! Enfin faut pas qu'ça vous dérange hein, vous d'vez avoir du boulot.
J'en profite pour rappeler Hercule dans sa pokeball. Ca arrangerait pas notre cas qu'on nous tombe dessus avec lui dans les pattes. Ou p't'être que si ? J'en sais rien. J'ai pas la tête à ça. En plus j'me rends compte que Poehere a pas spécialement l'air super à l'aise non plus. J'espère vraiment qu'c'était pas juste une proposition en l'air juste pour la politesse, parce que sinon j'ai encore sauté d'dans à pieds joints.
J'en oublie presque ma hâte à sortir des toilettes. J'espère qu'c'est pas un bruit d'pas qu'j'entends au bout du couloir.
Dites oui. Dites oui, priait silencieusement Poehere, dans l'attente de sa réponse. Lenny avait l'air tiraillé, comme s'il n'en avait pas vraiment envie. Après tout, c'était bien normal. Il était en pause, et allait se taper encore les blablatages de l'influenceuse alors qu'il aurait pu profiter de la convention en toute liberté. Mais malgré tout, il ne déclinait pas sa proposition. Avait-il compris que Poehere ne se sentait pas vraiment en sécurité ici, toute seule ? Ou pensait-il qu'elle voulait se servir de lui comme garde du corps, à juste titre peut être ? Lorsque Poehere ajouta l'invitation à grignoter, elle vit son expression changer. Son point faible, pensa Poehere. Les surcreries. Elle imaginait que Lenny s'entendrait à merveille avec Olele. Son amie raffolait de friandises en tous genre: barbe à papa, cookie, beignet au chocolat, tout ça sans prendre un gramme ! Une erreur de la nature, qui faisait envier toutes les femmes du mondes. Mais ce n'était pas le sujet.
Poehere retenait son souffle en attendant le verdict. S'il refusait, elle n'avait qu'à faire un sourire poli, et partir le plus vite possible prendre quelques photos pour ensuite retourner à l'hotel, et se mettre à l'abri. L'après midi passera plutôt vite, et demain, elle serait enfin dans l'avion pour le retour au bercail. Le soleil. La plage. Le paradis. Ce qui était le plus triste dans l'histoire, c'était que toute cette panique était due à un homme aux pensées lubriques. Quelques phrases plus tard, et son séjour entier semblait fichu. Oui en effet, c'était triste. Triste de constater à quel point des paroles en l'air peuvent faire du mal, ou apeurer les gens. Et pourtant, Poehere n'était pas une dégonflée, loin de là. Mais sur ce coup, elle aurait bien aimé que Lenny accepte sa proposition. Juste au cas où. Parce qu'on sait jamais. Allez, dites oui ! Paniquait elle intérieurement.
- Euh... je... bah, euh, ouais, carrément ! Enfin faut pas qu'ça vous dérange hein, vous d'vez avoir du boulot. - TROP COOL ! S'exclama-t-elle en offrant un sourire radieux. Oh non non non, ça ne me dérange pas du tout. Sinon j'aurais pas proposé. Et ne vous en faîtes pas pour mon travail, je gère, ajouta-t-elle avec un clin d'œil.
Kahuna eut un sursaut lorsqu'il vit disparaître Hercule sous ses yeux. Il n'était pas habitué aux pokéballs. Il en avait une, certes, mais Poehere ne le faisait jamais rentrer à l'intérieur et c'était tant mieux: Kahuna était un chiot sauvage, désireux de faire de nouvelles découvertes, de participer à de nouvelles aventures. Rester coincé dans les WC par exemple, en était une.
Poehere fit quelques pas dans le couloir, soudainement soulagée d'un immense poids. Elle prit son téléphone et envoya un nouveau post sur ses réseaux: #Convention #Unys #GoDécouverte, accompagné d'un selfie capturé quelques secondes plus tôt. De quoi ouvrir l'appétit à ses followers, qui se demanderont certainement pourquoi Poehere est à Unys.
Elle leva son regard vert olive sur Lenny, et se mordilla l'intérieur de la joue. Il était sale. Sale, comme après une journée de boulot dans le bâtiment. Avec un pantalon de chantier, et un tee-shirt odorant. Elle lui avait littéralement coupé l'herbe sous les pieds en lui proposant de venir avec lui. Le pauvre n'avait même pas eu le temps de prendre une douche, ou au moins, de se changer. Elle était vraiment ingrate de ne pas s'en être rendue compte plus tôt.
- Mais euh, vous voulez peut être vous changer avant non ? Enfin, j'imagine que ça doit pas être agréable d'être euh... En tenue de travail.
Elle avait choisi soigneusement ses mots pour éviter de le blesser. Entre autre, elle esquiva les mots "sale", "odeur", "crasse", "collant" et "transpiration". Il ne manquerait plus qu'il s'en aille à cause d'une maladresse de sa part. Ou peut être que sa proposition était une maladresse en elle même ?
- Je vous attendrais là, où au stand là bas, comme vous voulez, dit-elle en pointant du doigt le premier kioste à la sortie du couloir.
Derrière elle, elle entendit des pas lourds se diriger vers eux. Elle fit volte face en serrant la lanière de son sac dans sa main. Pur réflexe. C'était un homme qui sortait des WC... Pour hommes. Il était petit, gras, avec des yeux globuleux qui arrivaient pile poil au niveau de sa poitrine. Il ralenti sa course lorsqu'il vit l'influenceuse, et fut surpris de voir Lenny qui sortait des toilettes des dames. Le gros monsieur posa un regard coquin sur la jeune femme. Poehere sentait une rage qui montait en elle.
- Y'a rien à voir, dit-elle froidement. Allez hop. Zou. Du balais !
Elle agitait sa main de haut en bas, comme pour faire fuir l'homme grassouillet. Ce dernier perdit son sourire et se pressa vers la sortie, ronchon. Il aurait bien aimé dire quelque chose, mais visiblement, la présence de Lenny l'en avait empêché.
- Il sont tous comme ça les gens chez vous ? Demanda-t-elle en croisant ses longues jambes.
Ouais, voilà. Ca m'aurait étonné aussi qu'elle accepte de s'balader avec moi alors qu'on dirait que j'sors d'une bétonnière. Et encore que, j'dis ça, mais on dirait qu'elle s'inquiète juste d'mon confort. J'sais pas si elle s'imagine que quelqu'un puisse ne pas s'préoccuper d'son apparence, c'qui est mon cas. Mais d'un autre côté, j'me sens pas super à mon aise comme ça, et encore moins si j'dois faire bonne figure à côté d'elle. Déjà que tout seul, j'passerais pour un pouilleux, alors avec un point d'comparaison pareil... nan, c'est la honte. Le souci, c'est que...
- Ouais, j'vais essayer d'me rendre présentable. Enfin j'ai pas d'rechange donc j'vais devoir faire avec les moyens du bord.
C'est à dire, cacher la misère. Ca va être compliqué d'faire mieux. Mais d'un autre côté, après la transformation qu'elle vient d'me montrer, j'ai pas d'excuse. Faut que j'trouve un moyen d'ressembler à un être humain à peu près fonctionnel.
J'allais enchaîner quand un type sort des WC pour hommes. J'flippe un peu sur l'moment, puis j'me rends compte que l'problème est ailleurs. C'est pas moi qui l'intéresse, c'est Poehere. Il lui lance un d'ces regards, même dans mon métier j'en vois pas beaucoup qui sont aussi peu discrets. J'ouvre grand les yeux et j'le regarde en mode "t'es sérieux mec ?", mais Poehere réagit bien plus franco qu'moi. Elle le vire, propre et net.
J'dois avouer qu'ça m'fait bizarre. De c'que j'ai pu voir, les femmes qui s'font emmerder dans la rue ont plutôt tendance à faire semblant d'pas voir et d'pas entendre ; en tous cas, d'ignorer les emmerdeurs. P't'être pour pas perdre leur temps avec ça, ou alors... pour éviter de surenchérir et qu'le débile en question s'énerve. C'qui est assez atroce quand j'y pense. Mais là, elle l'a juste balayé d'un coup d'main. C'est p't'être une question d'culture, genre à Alola on dit c'qu'on pense ? C'est sûrement ça vu la question qu'elle m'pose. Et franchement c'est pas plus mal. J'ai du mal à cacher un sourire un peu admiratif en voyant l'autre abruti partir la queue entre les jambes. Mais j'le perds vite, et j'lâche un soupir un peu désespéré. J'suis pas chauvin pour deux sous, mais elle doit vraiment pas s'faire une bonne image d'Unys, et ça m'ferait un peu chier qu'elle m'y associe.
- Tous... non, mais... Pfff.
J'me mords les lèvres. J'ai jamais trop fréquenté d'filles, j'en connais quasiment pas. Et j'me doute que Poehere est un cas à part, vu comme elle en impose, et vu son statut d'influenceuse qui la rend forcément plus populaire que la moyenne. Mais si les femmes doivent supporter c'genre de réaction d'façon régulière, elles doivent vraiment pas avoir la vie facile. J'me sens presque un peu mal d'le réaliser que maintenant, mais faut dire qu'mon entourage exclusivement masculin m'aide pas forcément à réaliser c'genre de choses. Surtout qu'c'est plutôt d'eux qu'ont tendance à venir les réactions en question. Et moi j'fais partie d'ce troupeau. J'ai honte et j'crois qu'ça s'voit.
- J'sais pas. La vie dans l'béton, la pollution qui dérègle le cerveau, vivre les uns sur les autres comme des animaux... Ou alors tous les parents du pays ont décidé d'mal éduquer leurs gosses. J'avoue qu'ça m'désespère un peu d'voir ça.
J'suis un peu hypocrite. J'vois souvent mes collègues faire du rentre-dedans lourdingue dans des bars ou dans la rue. Ca m'fait pas rire, j'trouve même ça con, mais j'me suis jamais interposé, j'les ai jamais empêché d'le faire. D'un côté, c'est de l'instinct d'survie. Si j'avais dit un truc, j'en aurais été bon pour des années d'foutage de gueule, voire pire. Et puis j'crois que j'me disais qu'c'était rien d'méchant, qu'c'était juste des mots. Mais maintenant qu'j'le vis pour ainsi dire de l'intérieur, ou en tous cas que j'me préoccupe un peu plus d'la personne qui en est victime, j'me rends compte d'à quel point c'est d'la merde. Et j'culpabilise.
- Désolé.
C'est sorti tout seul. J'crois qu'ça s'voit que j'suis surpris d'avoir dit ça. J'ai rien fait d'mal, enfin j'crois. Pourquoi j'm'excuse ? D'avoir rien fait avant ? C'est débile. Bon, on s'calme, on change de sujet.
- Bon, euh. J'vais m'débarbouiller vite fait, j'prendrai du rechange directement sur un stand. J'voulais m'acheter un nouveau sweat t'façons. J'ai économisé trois mois en prévision !
J'lâche un rire peu convaincu par ma blague. Le cliché du goodies de convention qui coûte dix fois son prix habituel, c'est un peu passé d'mode. Même si c'est pas foncièrement faux.
- On peut s'retrouver au premier stand du coup. J'fais ça vite. A de suite !
J'crois qu'elle a déjà passé bien trop d'temps dans c'couloir. Je glisse presque littéralement jusqu'aux WC des hommes, beaucoup trop pressé d'quitter ma gênance. Sans déconner, comment on peut être aussi awkward juste en disant des mots. J'essaye d'me rappeler tout c'que Poehere a fait pour s'métamorphoser juste avec un évier. Déjà, j'humidifie une feuile d'essuie-tout pour enlever les tâches de plâtre sur mon t-shirt et mon pantalon. Du coup, j'deviens humide, mais c'est que d'l'eau, ça va sécher. Ensuite, j'me passe de l'eau sur la tronche, histoire d'enlever la sueur et tout c'qui colle. Dans les cheveux aussi, histoire qu'ils donnent pas l'impression d'tenir debout tous seuls. J'me les plaque au maximum un arrière. On dirait un peu qu'j'ai mis du gel, mais j'imagine qu'eux aussi, ils vont sécher. Au pire tant pis, j'contracterai un prêt sur trois ans et j'achèterai une casquette dans la convention. Et pour finir, j'me lave copieusement les mains et les avant-bras. Deux fois.
Bon, j'ai pas réussi un miracle comme a pu l'faire Poehere, mais au moins, j'ressemble à quelque chose. Au moment d'sortir, j'réalise juste que j'ai oublié d'nettoyer mes chaussures, mais si j'voulais qu'elles soient propres, j'aurais besoin d'un marteu-piqueur vu toutes les couches de plâtre séché qui s'y sont accumulées. Et puis c'est pas les chaussures qu'on regarde en premier chez un homme, pas vrai ?
J'respire un grand coup, comme si j'allais passer un entretien, et j'me dirige vers le stand en question. Tout en avançant, j'cherche du regard un stand qui vend des fringues. Plus vite j'cacherai ce t-shirt dégueulasse, plus vite j'aurai l'air de quelque chose, et moins j'mettrai la honte à Poehere. Problème : des fringues, y'en a partout. Des trucs sponsorisés, des trucs promotionnels, collector, artistiques, ou même juste du merch' low cost au prix de la haute couture. J'sais pas vraiment ou donner d'la tête. Puis, j'vois Poehere, et tout s'éclaire. Pourquoi j'me prends la tête ?
- Re ! Euh, dites... vous qu'êtes une pro, vous m'conseillez quoi avec un pantalon marron ?
Comme celui qu'je porte. Comme la grande majorité de ceux qu'je porte. J'préfère ces frocs-là aux jeans, c'est plus pratique.
Poehere soupira intérieurement. Voilà, il avait l'air gêné maintenant. Pourtant, elle avait fait attention à dire des mots qui ne sont pas dégradants, mais visiblement, ce n'était pas suffisant.
- Non non c'était pas pour ça, vous êtes euh... Présentable... Enfin, c'était juste pour votre confort quoi...
Puis franchement. C'était beaucoup plus facile pour un homme de se refaire une beauté rapidement. Pourquoi ? Déjà, pas de maquillage, ce qui enlève un temps considérable à la préparation. Un coup d'eau sur les cheveux pour les remettre en place si on ne dispose pas de gel coiffant, un rapide coup de rasoir sur le haut des joues et sous le menton, un pchit de déo, un pchit de parfum. Basta. Poehere s'y connaissait en "mise en beauté", et avait du mal à comprendre que d'autres pouvaient avoir des difficultés dans ce domaine.
- Tous... non, mais... Pfff.
Encore une fois, il avait l'air embêté. Elle allait finir par croire que c'était elle le problème, ou du moins, tout ce qui sortait de sa bouche. Lenny théorisa que c'était la vie urbaine et le manque de place qui rendaient les gens hostiles, et pleins de mauvaises intentions. Poehere fit de suite le lien avec Alola: l'archipel était grande, mais les îles qui l'a composaient étaient petites. Sur certaines de ces îles, comme à Mele-mele, il y avait une très forte population notamment à Ekaeka. L'expression "vivre les uns sur les autres" prenait tout son sens là bas, mais pour autant qu'elle s'en souvienne, elle n'avait pas l'impression d'être autant sollicité qu'ici. Peut-être était ce une question de culture ? Ou parce que, tout simplement, tous les habitants d'Alola vivent toute l'année presque nus, et n'e sont plus étonnés de voir un décolleté, une robe moulante ou une jupe un peu courte. Poehere aurait pu émettre sa propre théorie, mais Lenny le devança.
- Désolé.
Son visage s'adoucit. Désolé de quoi ? Pensa-t-elle, avant de se rendre compte que Lenny semblait porter toute cette responsabilité sur ses épaules. Comme si c'était un peu de sa faute que le monde était ainsi. Elle lui sourit.
- Vous n'y êtes pour rien. Et vous n'êtes pas comme eux.
Et heureusement d'ailleurs. Sinon, qui sait ce qu'il lui serait arrivé dans ces WC ? Elle préférait ne pas imaginer. Il changea de sujet, et parti en direction des toilettes pour hommes, qui n'étaient pas très loin de celles pour femme. Après un rapide " à toute ", la jeune influenceuse fit volte face, et s'engagea dans ce couloir qui lui semblait désespérément grand. De loin, on aurait dit un mannequin effectuant son meilleur cat walk tout en gardant un visage fermé, antipathique. C'était certainement ce que les commerçants se sont dit lorsqu'ils l'ont vue arriver à leur stand, car aucun d'entre eux ne décrocha un "bonjour". Ils s'afféraient à ranger des babioles, et à présenter leurs produits à d'autres visiteurs. Leurs produits, c'étaient des goodies dérivés des pokémons eau. Il y avait des peluches aquali, des gourdes lacmecygne ou encore des paniers pour pokémon eau destinés à être transformés en petites piscines si besoin est. Poehere prit entre ses doigts l'une des gourdes qu'elle observa avec attention. 35$ la gourde. C'est abusé. Cela ne l'empêcha pas de prendre une photo en prenant soin de mettre sa manucure en évidence autour de la bouteille. Elle s'empressa de poster le cliché dans son album virtuel en l'accompagnant de quelques hashtags, comme #tropmims #lacmecygne #convention. Elle reposa la bouteille avec un léger rictus de dégout qui n'échappa pas aux commerçants. L'hypocrisie était la base de son métier.
Lenny revint quelques minutes plus tard, débarbouillé de sa sueur et du plâtre qui lui collait à la peau. Poehere remarqua qu'il avait aussi fait un effort pour ses cheveux en les plaquant en arrière, ce qui la fit sourire. Ca lui allait bien. Son regard s'illumina lorsqu'il lui demanda conseil. De tous les domaines, la mode était celui dans lequel elle excellait: il avait frappé à la bonne porte.
- Alors, tout dépend de ce que vous voulez comme style, dit-elle en prenant appui sur sa hanche. Votre pantalon c'est une coupe cargo il me semble, donc c'est plutôt ample il faudrait un haut plus cintré pour couper l'effet de volume. Avec votre teint, toutes les couleurs un peu pastelles vous iraient bien, genre le vert ou le bleu. Ou peut être le blanc tant que j'y pense...
Elle frotta son menton de ses longs doigts, prise d'une intense réflexion. Poehere examina avec attention Lenny, en prenant en compte la texture de son pantalon, la morphologie de son corps et malheureusement, ses chaussures encore pleine de plâtre. Dans le centre commercial d'Ekaeka, Poehere connaissait toutes les boutiques par coeur, et aurait pu guider Lenny dans ses choix de manière très rapide et efficace. Ici, c'était un peu plus compliqué.
- On vise un tee-shirt blanc basique, avec une veste élégante ou décalée, déclara-t-elle comme si elle briffait une escouade militaire. La pièce maîtresse, celle qui fait tout le style. C'est ça qui va être plus complexe, mais faisable.
Elle haussa les épaules, fière d'elle.
- Prêt pour la chasse ? Ajouta-t-elle avec un air de défi.
"Vous n'êtes pas comme eux". J'crois que j'avais pas besoin d'plus pour m'sentir mieux. Ca fait pas disparaître l'problème, mais au moins ça m'permet d'me dire qu'j'en fais pas partie. J'pense que si l'doute était resté, j'aurais fini par la laisser. Ne serait-ce que parce que j'ai pas envie d'prendre le risque d'être un indésirable auprès d'qui qu'ce soit. Mais du coup, j'ai plus trop d'scrupules à m'incruster avec elle, ni à lui d'mander conseil, d'ailleurs. Et j'crois qu'j'ai bien fait. On dirait qu'j'ai mis une pièce dans une machine de haute précision.
- Ah, c'est cargo qu'ça s'appelle ?
J'connais l'concept de nom, mais j'ai toujours dit "pantalon d'chantier". Tout est "d'chantier" chez moi. Chaussures d'chantier, veste d'chantier, gants d'chantier, casque d'chantier. Ca sonne un peu plus fashion, "pantalon cargo". J'vais garder la combine.
Poehere m'fait toute une analyse sur les couleurs que j'peux porter. Vert et bleu pastel, j'sais pas d'où ça sort. J'lui fais confiance hein, j'la crois sur parole, c'est elle la pro. Mais j'ai aucune foutre idée de c'qui lui fait déterminer ça. Genre, y'a un nuancier des couleurs de t-shirts en fonction d'la peau ? Et elle l'a appris par coeur ? C'est assez ouf si c'est ça. J'avais déjà pris une leçon d'vie en la voyant faire, mais d'l'entendre en parler, ça m'prouve que la mode et tout, c'est vraiment ultra technique. J'pourrai plus laisser dire les gros bourrins qui s'foutent de la gueule des fashion victims, en fait elles ont autant d'savoir-(faire que tout artisan. Juste pas dans l'même domaine.
Finalement, ça part sur du blanc. Bon, un t-shurt blanc, ça j'gère. J'ai presque que ça chez moi. Va s'agir d'en trouver un propre maintenant. Une veste élégante et... décalée ? Elégante j'crois qu'je vois, mais ça veut dire quoi, décalée ? Asymétrique ? Bizarre ? J'ose pas l'interropre, elle a l'air super concentrée. Et elle m'demande si j'suis prêt. La chasse, carrément ? J'm'attendais à c'qu'on prenne le truc qui passe le mieux à portée d'main, pas qu'on aille en quête du saint-graal des blousons. Mais en vrai, j'suis assez curieux. J'ferai pas du shopping avancé tous les jours, alors pour une fois qu'j'ai l'occasion d'me faire relooker par une pro, j'suis même un peu excité.
- Prêt, chef !
J'dis ça avec un poing levé et l'autre main posée sur le biceps. Un p'tit geste qui symbolise le fait d'se retrousser les manches pour aller au charbon. J'ai pas d'manches mais c'est l'intention qui compte. Même si j'déchante un peu quand j'vois les prix affichés sur l'stand à côté duquel on squatte depuis tout à l'heure.
- Oh l'ecrémeuh, ils s'font pas chier.
L'mec qui tient l'stand me r'garde de traviole. Oups, c'est sorti tout seul. J'lui fait un grand sourire et j'm'écarte un peu. Je jette un coup d'oeil autour de moi. Un t-shirt blanc simple, sans rien dessus, ça a pas l'air d'être le plus courant. Y'a des motifs partout, des illustrations, des logos. Ah, si, par là-bas, j'crois que j'vois un stand de la Devon avec des petits logos discrets sur la poitrine. Mais d'un autre côté, en face, y'a l'air d'y avoir une association qui vend des t-shirts avec des têtes de pokemons en mode cartoon dessinées dessus.
- Euh, chef, pour l't-shirt, les têtes de pokemon, ça passe ?
J'nourris l'espoir secret qu'il y ait un d'mes pokemons dans l'lot. J'sais qu'charpenti est pas très apprécié et qu'duralugon est pas très photogénique, mais doit bien y avoir un p'tit gobou qui traîne.
Il ne fallait pas grand chose pour flatter son égo. Poehere bomba presque le torse, flattée d'être considérée comme une supérieure, même si c'était un genre de jeu de rôle. Elle hocha la tête quand Lenny lâcha son "ils se font pas chier", totalement en accord avec lui. Même si elle avait été plus discrète, Poehere pensait exactement la même chose.
La mission relooking venait de commencer. Ses yeux de sniper se posaient sur chaque vêtement à la vente avec rapidité. Dans sa tête, elle fit un premier tri: on évite les stands qui vendent des produits plutôt dédiés aux femmes et aux enfants, les trucs trop sponsorisés et ce qui est cheap, comme les blousons de grand père. Le plus urgent était de trouver un tee shirt blanc tout simple. Un défi simple pourtant, mais les commerçants n'étaient pas là pour ça, ce qui était logique. Dans cet évènement, il fallait vendre de la marque, ou des produits inédits. Un simple tee-shirt blanc était donc par conséquent, quasiment introuvable.
- Euh, chef, pour l't-shirt, les têtes de pokemon, ça passe ?
Poehere arqua un sourcil. Lenny aurait-il un super radar à vêtement, lui aussi ?
- Hum, je sais pas, il faut voir.
Elle s'approcha du stand associatif, et fit un rapide bonjour de la tête. Plusieurs grosses dames âgés aux joues rosies lui répondirent avec un sourire solaire. Clairement, ces drôles de dames étaient très heureuses d'être ici. Poehere fit glisser les ceintres avec rapidité en cherchant LE tee-shirt qui pourrait correspondre. Mais globalement, elle n'aimait aucune des propositions.
- Ca vous plait ? Demanda l'une des mamies. - C'est nous qui l'avons fait hein ! Rajouta une autre.
Poehere serra les dents. Elle sentait qu'elle allait tomber dans un piège.
- Oui, j'ai vu, répondit elle en tapotant un affiche "handmade". - Vous connaissez notre association "Fil à retordre" ? - Non mais je... - Alors je vous explique !
Et voilà, elle l'avait prédit: elle était coincée. "Fil à retordre" était une association de petites mamies vivant à Povonnay, qui se donnent rendez vous tous les mardi et les jeudi pour tricoter, coudre et floquer des habits en tous genre. Les sous qu'elles gagnent servent à organiser des crêpes party dans l'école de leurs petits enfants, ou donner un coup de main à l'église locale. Elles arrivaient toujours à se glisser dans des évènements comme celui ci, parce que selon elles, ce sont d'excellentes négociatrices. D'où leur nom "fil à retordre".
En soi, rien d'extraordinaire. Mais les dames étaient de vraies sangsues. Poehere jeta un coup d'œil désespéré vers Lenny, en priant pour que celui ci vienne à sa rescousse.
- Vous avez vu nos tee-shirt ? Ils sont jolis pas vrai ? - Euh oui... Vous avez beaucoup de pokémon...
Chaque tee-shirt était différent. Il y avait évidement les bestioles les plus répandues dans les foyers: pikachu, goupix, évoli ou alors des bêtes souvent vues dans les concours de coordination comme milobellus ou dracaufeu.
- Oh oui ! S'écria l'une des mamies. - Et encore, vous avez rien vu ! On les as presque tous, dit une autre en se retournant vers une pile de carton.
Elle posa l'un des cartons sur la table, en un gros "boom". La grand mère l'ouvrit, et Poehere écarquilla les yeux. C'était des tee-shirt. Encore, et toujours des tee-shirts. Elle imaginait que la pile de carton derrière elle en était plein à craquer également. Elle senti son coeur faire un bond. Si mamie flocage voulait montrer tout son travail, ils allaient rester sur le stand durant une éternité. Poehere ne trouvait pas vraiment de style à ces tee-shirt, mais leur prix était honorable et de toute façon, la veste allait le recouvrir. Alors autant en finir au plus vite.
- Euh.. Hum... Lenny ? Il y en a un qui... Qui pourrait vous plaire ?
Wow, j'ai à peine le temps d'lui faire part d'ma trouvaille qu'elle prend la tête des opérations. Elle fouille les t-shirts avec la rapidité d'un scanner dernière génération, mais ça lui vaut d'se faire alpaguer par les mamies qui tiennent le stand. Et quand ça part en exposé, j'vois Poehere qui m'regarde avec un air désespéré. La pauvre, j'l'ai fait se jeter dans la gueule du lougaroc. Enfin, du vieux lougaroc édenté, sauf le respect des mamies.
V'la que Tic et Tac nous sortent tout l'stock. Faut dire qu'y a pas foule autour d'leur stand, et maintenant qu'ces vortentes permanentées ont trouvé une proie, elles sont pas prêtes d'les lâcher. J'crois qu'c'est l'heure pour Lenny "cheveux mouillés" Sorano d'sauver sa sensei. J'vois l'premier t-shirt de la pile, avec un ectoplasma dessus. Ca ira très bien, même si jamais d'la vie j'aurai un pokemon spectre. J'ai pas confiance, on sait jamais dans quels bails occultes ils ont traîné, ou si c'est pas l'âme de quelqu'un qu'j'ai connu. Rien que d'me dire qu'une de ces mamies va p't'être un jour devenir un tutafeh ou un brocelôme, ça m'fout les chocottes.
J'me faufile, j'montre l't-shirt ectoplasma, et j'prends un faux air intéressé.
- Cui-là, il est top ! Vous l'avez en L ? - Très bon choix, jeune homme ! C'est un de nos modèles les plus populaires chez les jeunes. - Oui, après dracaufeu. Avec toutes les formes qu'il a, les petits l'adorent... Rien que le mois passé, on en a écoulé plusieurs dizaines. - C'est vrai. Les modèles concombaffe aussi ont beaucoup de succès en ce moment, je me demande bien pourquoi. - Arrête, il est mignon comme tout ! Et puis le noir et rose, c'est à la mode.
Elles jactent comme si j'étais pas là. J'ose pas trop les interrompre, mais j'pense à Poehere qui doit subir ça pour moi, et la honte prend l'pas sur la politesse.
- Et du coup, vous avez ma taille ?
J'souris autant qu'je peux, j'suis aussi sympa qu'possible. J'ai pas envie d'être méchant avec elles, elles sont reloues mais gentilles.
- Oh oui, bien sûr ! Il est juste en dessous, tenez. - Au fait, on a aussi le t-shirt mélodelfe assorti, si vous voulez !
Elle r'garde Poehere en disant ça. La dernière demie-heure défile devant mes yeux, avec tous les efforts qu'elle a déployé pour s'rendre présentable, pour un résultat plus que valide. J'la vois mal tout ruiner avec un t-shirt de collégienne fangirl. J'veux pas présumer pour elle, mais il en va d'mon devoir d'lui offrir une échappatoire. Du coup j'détourne la conversation.
- J'vous dois combien ? - Celui-ci, il est à vingt, tout pile !
J'sors mon larfeuille. J'doute qu'elles prennent la carte, mais comme j'ai du bol et qu'j'ai fait pas mal de p'tites missions au black pour rendre service, j'ai du liquide. J'sors un billet que j'lui donne.
- Merci jeune homme ! - Merci à vous.
J'prends l't-shirt sous l'bras, et j'tourne les talons. J'peux pas retenir une grimace qui en dit long, à base d'yeux écarquillés et d'long soupir par le nez. J'ai retenu la leçon, faut pas s'jeter sur l'premier stand qui passe. Surtout s'il est tenu par des mamies.
- Bon, allez. J'me trouve une veste et on passe aux choses sérieuses. Une seconde, j'reviens.
Comme j'sais pas combien d'temps on va mettre pour ça, même si j'espère qu'ça prendra pas mille ans, j'décide de profiter d'mon acquisition et d'tomber le t-shirt d'chantier. J'me faufile entre deux stands, j'enlève mon vieux t-shirt en deuspi, et j'enfile mon nouveau trésor tout aussi vite. J'fourre l'ancien dans une de mes grosses poches, et j'ressors. Il est un peu serré, j'suis pas super confort, mais Poehere a dit qu'il fallait que j'sois cintré du haut. Du coup j'imagine que ça l'fait.
Et bla et bla et bla. Si Poehere n'aimait pas la plupart des gens, c'était à cause de toutes ces paroles inutiles. "Il fait beau hein" "Oulala qu'il a grandit" "C'est bien calme aujourd'hui n'est-ce pas". Inutile, inutile, inutile. Aussi, quand elle fut prise au piège par les mamies, Poehere tenta de garder son calme du mieux qu'elle le pouvait. Car elle le savait: les vieux sont souvent des gens qui parlent pour ne rien dire. Encore une fois ce fut Lenny qui vola à son secours en s'intéressant à l'un des tee-shirts. Les petites mamies se jetèrent presque sur lui, en racontant une nouvelle fois leur vie. L'espace d'un instant, elle imaginait ces drôles de dames dans la peau d'un monstre terrifiant, prêtes à croquer tout cru la nourriture fraîche qu'elles avaient face à elles. En tout cas, sans leurs cheveux grisonnants et leur bonne bouille, ça y ressemblait beaucoup.
- Au fait, on a aussi le t-shirt mélodelfe assorti, si vous voulez !
Apparemment, elle était de la viande fraîche elle aussi. Poehere ne put réprimer une grimace pleine de mépris.
- Ca ira merci.
Lenny paya son tee-shirt, et fit volte face. Lui aussi semblait... Comment dire... Soulé ?
- J'me trouve une veste et on passe aux choses sérieuses. - Avec plaisir, répondit elle avec le même enthousiaste.
Alors qu'elle s'apprêtait à le suivre, elle s'arrêta. Elle ne devait pas oublier pourquoi elle était là.
- Je peux vous prendre en photo mesdames ? Demanda-t-elle avec un sourire trop rayonnant pour être honnête. C'est pour les réseaux sociaux. - Oh, vous êtes journaliste ? Demanda l'une des dames. - Euh... En quelques sortes.
Elle n'avait pas le temps d'expliquer à une brochette de mamies le concept d'internet.
- Ah, c'est chouette ça ! Mon fils est marié à une journaliste ! C'est vraiment un travail qui demande du temps apparemment. - Ah bon ? Répondit une autre. Mais Céline elle est pas photographe tu m'as dit ?
Poehere eut du mal à garder son sourire. Elle s'approcha du stand, leur demanda de se rapprocher, et fit quelques clichés. C'était pas terrible, mais en même temps les modèles comme les produits n'étaient pas vraiment au gout du jour.
- Merci ! Dirent-elles en chœur. - Votre article paraîtra dans quel journal ? Il faut absolument que nos petits enfants voient ça ! - #Poe, P, O, E, sur les réseaux sociaux. Dites ça à vos petits enfants, et ils trouveront. Bonne journée !
Sans attendre son reste, elle fit demi tour, et s'éloigna du stand en se sentant plus légère à chaque pas. S'ils étaient tous comme ça, la journée allait être interminable. Soudain, Lenny réapparut devant ses yeux comme par magie. Surprise, Poehere resta statique un moment, en laissant balader son regard sur le nouvel accoutrement de son acolyte du jour. Ses joues s'empourprèrent légèrement. Le tee-shirt était serré. Peut-être un peu trop pour être à la mode, ou alors, juste assez pour laisser deviner ce qui ne devait pas être vu. Lenny avait un buste très bien dessiné, musclé, solide. En le voyant assis dans les toilettes il y a quelques minutes, jamais elle n'aurait pu deviner que son sauveur avait une telle carrure d'athlète. Elle fit glisser une mèche de ses cheveux derrière son oreille.
- C'est parfait, dit-elle un peu trop rapidement. Bon, euh, il faut trouver une veste ou un blouson ou...
Ou n'importe quoi qui lui ferait garder son sang froid.
- Une friperie ! S'exclama-t-elle soudainement. Si on arrive à en trouver une, je suis sûre qu'on aura la pièce qu'il faut. C'est toujours des modèles uniques, et souvent vintage. Ca serait parfait. Allez, en route !
En faisant volte face, elle leva discrètement les yeux au ciel. Quelle idiote. Elle détestait perdre ses moyens, et sur ce coup, elle n'avait vraiment pas assuré. Mais bon après tout, il l'avait vu au fond du trou dans les toilettes - sans mauvais jeu de mot - alors comment ça pouvait être pire ?
- Vous aimeriez voir quel stand en premier, après ? Demanda t-elle en gardant son radar à vêtement allumé. Enfin, quand on aura trouvé cette veste je veux dire.
Soudainement, cette balade à travers les stands de la convention devint bien plus agréable que ce qu'elle ne l'aurait imaginé. Tout ça à cause d'un pauvre tee-shirt ectoplasma vendu par une association de vieilles ? Certainement pas. Enfin, c'est ce qu'elle voulait bien croire.
J'avais peur que l'expérience Mamie Simulator n'aie mis Poehere dans un état encore pire que ce que n'l'avait fait le passage aux WC maudits, mais en fait, elle a l'air d'aller bien. Elle m'surprend même un peu quand elle a son illumination, mais d'la voir regagner en enthousiasme comme ça, ça m'fait plaisir à voir. Ca lui va mieux d'sourire, j'imagine qu'elle le sait vu son métier. Une friperie qu'elle dit ? Mais ça s'trouve, dans une convention comme ça ? J'ai un doute mais bon, c'est elle la pro. Pis l'vintage, ça m'connaît. Sorti des fringues utilitaires, j'ai tendance à aller les chercher là où elles sont pas chères, donc les friperies, j'ai l'habitude.
- Vous aimeriez voir quel stand en premier, après ?
C'est vrai qu'avec tout ça, j'y ai pas vraiment pensé.
- J'sais pas, des gens qui peuvent donner des conseils en dressage, des stands qui vendent du matos spécialisé pour les combats... enfin pas des trucs nazes de télé-achat, genre, des trucs vraiment utiles. Ah ! Et si y'a des stands qui font du matos pour s'occuper des pokemons, j'prends aussi. L'entretien, l'alimentation, la santé, tout ça. J'm'en sors pas tellement y'en a des différents. De matos ET de pokemons, j'veux dire.
J'en profite pour faire un tour d'horizon tout en parlant. J'vois des jouets pour gamin, là-bas j'crois que c'est un photographe qui propose de s'prendre en photo avec son pokemon, au coin d'l'allée on dirait un sculpteur sur baie... d'l'autre côté, ça a l'air plus industriel. J'vois des logos de grosses multinationales, ça peut valoir l'coup. Et... Oh ?
- 'scusez, ça vous embête si on va juste voir ça vite fait ?
J'lui montre un stand à quelques mètres d'ici. J'l'avais pas vu en passant d'vant parce que j'étais concentré sur les sapes, mais c'que j'vois, ça m'intéresse. Visiblement c'est une boîte qui vend des friandises bio pour tous les types de pokemons. Et ça tombe bien, parce qu'entre un ouvrifier, un galegon et un flobio, j'ai d'quoi m'paumer dans les régimes alimentaires.
- Bonjour !
Déjà, c'est pas une p'tite vieille. Plutôt un gars qu'a l'air d'sortir d'une école d'ingénieur ou d'commerce. Plutôt d'commerce, il a pas les ch'veux gras. Et Arceus sait qu'j'en ai vu des ingénieurs.
- Bonjour. Dites, à tout hasard, vous auriez quelque chose à m'conseiller pour un galegon et un flobio ?
Hercule, il a toujours plus ou moins mangé comme moi, d'la viande, des légumes, même des sandwichs. Enfin plus trop maintenant, on m'a dit qu'le pain c'était pas super pour les pokemons combat. J'verrai après s'il a quelque chose de protéiné pour lui, mais la prio, c'est Kiwi. J'pense qu'il va finir par en avoir marre d'becqueter des clous d'rails et des barres de fer, même s'il a pas l'air d'avoir des goûts d'gourmet.
- Bien sûr. Là, vous avez des galets compressés, pleins de minéraux et de vitamines pour les pokemons acier. Et ici, c'est des crèmes arômatisées, conçues pour l'hydratation des pokémon eau. Aucun additif chimique, aucun colorant. Que des ingrédients naturels issus de la culture biologique ! - Oh, génial. J'vous prends dix de chaque. Vous auriez un truc pour un pokémon combat en pleine croissance ? Et...
J'jette un oeil au rocabot d'Poehere. Ca s'rait cruel d'le laisser sur l'carreau, pauv' petiot. J'baisse la voix, comme si c'était une confidence.
- Une friandise pour rocabot ?
Le type sourit et s'prend au jeu, il chuchote presque.
- Bien sûr, tenez, un petit os à mâcher plein de minéraux. Et c'est bon pour les dents. Et pour un pokemon combat...
Il passe sous son stand et en sort un gros pot. On dirait ces bocaux d'protéine en poudre que prennent les bodybuilders.
- De la poudre protéinée à lui faire en shaker, avec de l'eau ou du lait meumeu. Ca imite le goût du jus de baie, tout en l'aidant à renforcer ses muscles. - Au top ! J'vous en prends un, et on est bons. - Parfait, ça vous fera... cent-trente-sept quatre-vint-quinze, s'il vous plaît.
J'ouvre un peu grand les yeux, j'm'attendais pas à c'prix-là. Le tarot de la qualité, j'imagine. Eh bah j'espère qu'ils vont les savourer, leurs snacks.
- Vous prenez la carte ? - Bien sûr. Il vous faut un sac ? - Siouplaît.
Je casque et j'embarque mes trésors. J'sors le nonosse du sac, j'm'accroupis pour essayer d'appâter l'rocabot, et j'lui montre le p'tit os.
- Eh, viens voir, p'tit gars.
Mais j'ai un moment d'arrêt et j'regarde Poehere.
- Oh, euh... j'peux ? J'ai pas pensé à d'mander avant d'le prendre, pardon.
C'est vrai que d'nos jours, maintenant qu'on s'inquiète vraiment d'la santé des pokemons, on peut plus leur donner n'importe quoi à becqueter. Quand j'y pense, j'sais pas trop c'qui m'a pris. Moi qu'aime pas me mêler des affaires des autres, j'ai eu tout d'suite envie d'faire quelque chose de sympa pour Poe et, par extension, son pokemon. Alors que c'est pas comme si j'avais été un enfoiré avec elle. J'pense que j'veux la remercier d'me trimballer avec elle et d'accepter d'me relooker alors qu'elle a clairement autre chose à faire. Mais si ça s'trouve j'fais ça comme un pied, et elle va m'envoyer bouler. Bah, au pire, ça fera des minéraux en plus à Kiwi.
- J'sais pas, des gens qui peuvent donner des conseils en dressage...
Au plus Lenny parlait, au plus Poehere acquiesçait de la tête. Il avait raison, les trucs de télé-achat, c'était pas vraiment nécessaire. Le but ici, c'était plutôt de prendre des trucs, des astuces pour s'améliorer, pas de tomber dans des pièges à touristes.
- Pour mon rocabot, je lui donnes des croquettes One spécial pokémon roche. Il aime bien, rajouta-t-elle en haussant les épaules. Après, j'ai que lui donc c'est plus facile. Quand on commence à avoir plein de pokémon différent, ça doit être plus difficile de s'y retrouver.
En pensant à ça, Poehere eut soudain une petite illumination. Quel futur pokémon allait elle avoir à ses côtés, pour continuer son aventure ? Kahuna frôlait la perfection à ses yeux, mais elle ne pouvait décidément pas combattre tous les doyens du tour des îles, et se pointer à la ligue avec un seul pokémon. Affaire à suivre.
- 'scusez, ça vous embête si on va juste voir ça vite fait ? - Oh, non, pas de soucis.
Ils marchèrent vers un stand de nourriture bio, qui était tenu par un homme assez élégant. On aurait dit une start-up spécialisée dans les friandises pour pokémon avec pour objectif d'être le plus responsable possible pour la planète. Poehere se saisit de cette opportunité pour faire des photos en long en large et en travers du stand, et des produits. Elle était certaine que cette publication allait ravir ses fans engagés pour la planète, et lui donnerait en plus, une belle image.
Alors que Lenny faisait sa petite tambouille avec le vendeur et qu'il lui posait des questions, Kahuna quant à lui s'approcha du stand avec la truffe en l'air. Il ne savait pas trop ce qui se traficotait là haut, mais ça sentait drôlement bon. De son côté, Poehere demanda au vendeur si elle pouvait lui faire de la publicité sur les réseaux, ce qu'il accepta sans rechigner.
- Je peux faire un selfi avec vous ? - Bien sur ! Répondit il, presque flatté.
Elle dégaina son téléphone, et sorti son plus beau sourire face à la caméra. Elle se rendit compte qu'on voyait encore un peu la tâche du poichigeon sur son épaule, et elle se dit qu'elle allait devoir retoucher la photo avant de la poster sur les réseaux. Quand Lenny s'accroupit, Kahuna s'approcha naturellement de lui, en remuant joyeusement la queue. En voyant l'os, il se raidit presque instantanément.
- Oh, euh... j'peux ? - Hein ? Oh euh oui, carrément, mais attention aux doigts par contre ! Doucement Kahuna. DOU-CE-MENT.
Il s'approcha lentement du bout d'os, presque tremblant d'excitation. Même si ça le démangeait de lui arracher la friandise de la main (en emportant un ou deux doigts avec), Kahuna savait qu'il était sous surveillance. En entenant Poehere gronder derrière lui, il ouvrit doucement la gueule, et prit le bout d'os le plus lentement possible. Mais quand la friandise entra dans sa gueule, il ne put se retenir plus longtemps: il tira le bout vers lui, et mâcha très bruyamment le bout d'os avec passion. Poehere laissa échapper un soupir.
- Désolé pour la nourriture c'est encore un peu compliqué.. Il est brusque. J'essaye de lui faire comprendre, mais c'est pas facile.
En quelques mastications, la friandise avait été réduite à néant. Kahuna avait englouti l'os presque sans le savourer. Il se lécha les babines, renifla le sol pour voir si un bout n'était pas tombé, et s'approcha de Lenny à nouveau tout en remuant la queue. On ne sait jamais, peut être qu'il a d'autres cadeaux cachés dans son sac ?
- Hep ! Ca suffit Kahuna.
La petite bête tourna un regard heureux vers sa maitresse, la langue pendue sur le côté pendant qu'il haletait.
- Eh bien, en tout cas il a l'air l'aimer ça ! Merci c'est gentil.
Elle lui sourit. Peut être qu'elle allait repasser par ce stand pour prendre d'autres friandises pour Kahuna. Du coin de l'œil, Poehere aperçut un autre stand de vêtement. Ca ne ressemblait pas à une fripperie, mais plutôt à une grosse boutique de goodies du salon. Jusqu'à là rien de bien extraordinaire. Mais elle crût voir sur un porte manteau, de grosses vestes destinées aux hommes.
- Le style américain, genre veste d'université ça vous plairait ? Je crois qu'il y en a là bas... On va jeter un œil ?
Elle avait dit ça en s'avançant déjà vers le stand, comme si elle connaissait sa réponse. Kahuna quant à lui resta collé à Lenny, au cas où il déciderait de lui donner un autre bout d'os. Tant qu'il avait cette poche de friandise avec lui, il resterait son meilleur ami, pour le meilleur et pour le pire !
J'ai l'autorisation d'Poehere, mais avec un avertissement. C'est vrai qu'à bien r'garder c'rocabot, il a l'air complètement surexcité à l'idée d'grailler mon nonosse. C'la dit, il est assez bien élévé, ou assez craintif d'sa maîtresse, pour être super délicat en l'prenant. Jusqu'à c'qu'il le déchiquètte avec la violence d'un mangriff sur une mue d'seviper. Ca m'fait un peu rire d'le voir s'exciter comme ça, mais Poehere s'excuse.
- Y'a pas d'mal, l'but c'est qu'il s'régale !
J'ai à peine détourne l'regard quelques s'condes, que l'os a déjà disparu. Et le v'la qui en r'demande. Ouais, alors, c'est pas qu'j'ai pas envie, j'ai juste pas l'budget. Pendant qu'il s'fait rappeler à l'ordre par sa maîtresse, j'lui flatte la tête un p'tit coup.
- Désolé p'tit, c'était juste pour goûter.
Puis j'me fais r'mercier. C'est pas c'que j'cherchais en faisant ça, mais bon, ça fait toujours plaisir.
- Oh bah ça m'fait plaisir. Un p'tit bonhomme tout sage comme ça, ça mérite bien un p'tit nonosse.
C'est vrai qu'il est sage. Ca s'voit qu'il a envie d'faire des bêtises, comme tout chiot qui s'respecte. Mais il obéit à sa dresseuse au doigt et à l'oeil, ça fait plaisir à voir. Pis qu'est-ce qu'il est mignon.
- Le style américain, genre veste d'université ça vous plairait ? Je crois qu'il y en a là bas... On va jeter un œil ?
J'lève les yeux vers l'endroit qu'me montre Poehere. Un stand de goodies, on dirait. Si c'qu'elle appelle "veste d'université", c'est les blousons d'couleur avec les manches et l'col blanc, effectivement, ça m'déplaît pas. Mais bon comme j'suis jamais allé à l'université...
- Oh bah ouais, carrément.
Et elle y part direct. Efficace la fille. Faut dire aussi qu'elle doit en avoir marre d'tourner pour m'trouver des sapes. Plus vite ça s'ra réglé, plus vite on pourra passer à SA visite du salon. J'aimerais bien arrêter d'être un boulet assez rapidement. Pendant que l'rocabot me suit comme mon ombre -j'ai pas l'coeur d'lui dire que j'ai plus rien pour lui-, j'rejoins ma guide au stand.
Y'a pas mal de choses ici. Des casquettes avec des oreilles d'pokemon, des porte-clés, des gourdes, des posters, plein d'trucs sympas et inutiles pour lesquels j'ai pas d'budget. Par contre, ces vestes, elles sont cool. Y'en a d'plein d'couleurs, et quand j'les regarde, j'me rends compte qu'il y a les symboles des types pokemon brodés dans l'dos, assortis à la couleur. La veste noire ténèbres, trop dark. Les vestes roses psy et fée... mmmmmeh. La gris acier est sympa, tiens. La jaune electrique m'rappelle un peu trop l'chantier. La rouge feu, trop voyante. Les specte, poison et dragon ont quasiment l'même violet pas très beau. Par contre, c'qui attire mon attention, c'est les vestes roche et sol. La première a un marron foncé un peu terne, la deuxième est beige. J'aime bien ces couleurs.
J'm'apprête à d'mander conseil à Poehere, mais j'me ravise. Elle doit en avoir marre d'm'entendre lui d'mander des conseils, et puis, j'aimerais bien tester mon sens du fashion. Réfléchissons. La marron ou la beige ?
J'préfère la couleur d'la marron. L'souci, c'est qu'c'est quasiment la même couleur qu'mon pantalon. Donc on va croire que j'suis en uniforme, et j'ai qu'un seul pokemon de type roche. J'ai qu'un seul pokemon de type sol aussi, c'la dit. Mais l'beige de la veste sol va bien avec le marron, sans qu'ça fasse ton sur ton. Dans ma tête, c'est une bonne chose. P't'être que j'me trompe cela dit. Mais y'a un autre argument en faveur d'la veste sol. Mon fanboyisme. M'dame Hollowell est spécialiste de type sol. J'trouve qu'ça serait un bon moyen d'assumer mon admiration pour elle, sans passer pour un mec chelou qui imprime sa tête sur un t-shirt ou, pire, un oreiller.
J'prends donc la veste beige sol, et j'la montre à Poehere, ne serait-ce que pour confirmation.
- J'ai bon avec ça ?
Et au moment où j'lève la veste devant moi, j'vois l'étiquette avec le prix. J'étouffe un bruit d'surprise qui s'transforme en un espèce de gargouillis dans l'fond d'ma gorge. Une part de moi en vient à espérer qu'elle m'dise que c'est d'la merde, c'qui m'permettrait de dire que tant pis, j'reste en t-shirt. Mais bon, les dés sont jetés.
Effectivement, c'était une grosse boutique de goodies. Contrairement aux autres stands, celui-ci semblait être la boutique "officielle" de la convention. Tout y était bien rangé, bien organisé pour donner envie de toucher, de regarder, d'acheter. La technique marketing par excellence, qu'on ne présente plus. Mais Poehere était friande de ce genre de présentation, et comme la parfaite fouineuse qu'elle était, elle ne se privait pas de toucher à absolument tout. Elle palpait la texture de toutes les peluches, tripotait tous les portes clés, les aimants aux couleurs de la ville et de l'évènement, et tout ce qui, de manière générale, pouvait se manipuler. Même Kahuna se désintéressa un instant de Lenny pour renifler les odeurs ambiante dans l'air.
En voyant Lenny se diriger vers les vestes, Poehere eut un petit sourire. Voir un homme faire du shopping, c'était toujours drôle à voir. Ils semblaient moins sûrs d'eux, plus indécis. Ceux qui font les caïds dans les rues, sont souvent aussi ceux qui sont complètement perdus devant un étal de pantalon. Et ça, ça faisait bien rire notre fashonista. Mais dans le cas présent, elle ne se moquait pas de Lenny, au contraire. Il avait l'air concentré dans sa cherche - bien qu'hésitant - et Poehere le laissa chercher seul ce qui pourrait lui aller.
De son côté, elle prit des photos. Beaucoup de photos. Certaines étaient postées de manière immédiate sur les réseaux, d'autres, allaient devoir attendre une petite retouche pour pouvoir être révélées au grand jour. Devant les regards parfois surpris ou ahuris de certains visiteurs, elle prenait des selfies sans aucune gêne avec des grosses peluches, ou des lunettes rigolotes, comme celles avec des yeux de spinda qui tournent en permanence. Elle essaya plusieurs colliers en cuir sur Kahuna, et trouvait que celui avec les strass roses était très joli. Mais à peine avait-elle sanglé le collier, que le chiot se mit à se gratter frénétiquement pour essayer de l'enlever. Bon. Eh bien, visiblement, ça ne lui plaisait pas.
Du coup de l'oeil, elle vit Lenny en train de comparer deux blousons. L'un était plutôt clair, l'autre un peu peu plus foncé. Elle espérait qu'il choisirait le plus clair. La couleur "sable" s'accordait bien avec son teint de peau, et de manière générale, c'était une couleur plutôt tendance pour un look casual, passe partout mais stylé. Poehere s'avança vers lui en faisant claquer ses talons au sol.
- Alors ? Demanda-t-elle. - J'ai bon avec ça ?
C'était effectivement, le boulon qu'elle avait repéré. Elle sourit.
- Yes, carrément. Il faudrait l'essayer pour voir le rendu.
Elle croisa les bras sur sa poitrine, en examinant Lenny de haut en bas. C'était comme si son âme de styliste sondait son mannequin pour voir si quelque chose cloche. Même Kahuna s'était assis à côté d'elle, et fixait Lenny. Même si, en vérité, il n'avait pas oublié qu'il avait des petits gâteaux cachés quelques part dans une poche. Quand soudain, une jeune fille habillée aux couleurs du stand surgit à côté d'eux.
- Pardon, mais vous ne pouvez pas essayer les vêtements ici, il y a une cabine plus loin...
Poehere arqua un sourcil.
- Euh, si, on peut. C'est un blouson en faite, il va pas aller se cacher pour l'enfiler.
Malgré l'agressivité de Poehere, la jeune fille eut un visage rayonnant.
- Oh mais vous êtes Poehere ! #Poe ! J'ai regardé tous vos tutos ! Vous êtes trop douée ! Je... Je pourrais avoir un autographe ? Ou une photo avec vous ? Mes amies ne vont jamais me croire !
Poehere se sentit remplie d'une fierté immense. Elle n'était pas vraiment très connue, surtout au delà de l'archipel d'Alola. Le nombre de "vues" augmentaient à chaque vidéo, mais elle n'était pas pour autant une star. Alors, se faire reconnaitre par une abonnée en plein Volucité, c'était vraiment insolite.
- Bien sûr. Quand on viendra à la caisse on fera ça, OK ? Rajouta elle avec un clin d'œil.
La jeune vendeuse hocha la tête, et disparut dans le rayonnage.
- Revenons à nos moumoutons, dit-elle à Lenny. Désolé c'est...
Elle s'arrêta dans sa phrase. Qu'allait-elle dire ? C'est pénible d'être connue ? C'est chiant d'être célèbre ? Elle n'était ni l'un ni l'autre, même si elle aspirait à le devenir. Au vu de la situation, et du contexte de leur rencontre, était-il utile de mentir à Lenny ?
- Ça ne m'arrive jamais, finit elle par avouer en haussant les épaules. Même à Alola, ça ne m'étais jamais arrivé.
Quand la fille du stand vient m'dire que j'peux pas l'essayer comme ça, j'me sens super gêné. J'aime pas déranger, alors ce genre de r'marque, ça m'fait tout d'suite me sentir comme une merde. J'm'apprête à m'excuser platement, mais Poehere choisit une méthode complètement différente. J'crois que lj'la regarde avec des yeux comme des assiettes quand j'la vois aussi autoritaire. J'peux pas dire que j'aime cette façon d'répondre, même si, dans les faits, elle a pas tort. Mais encore plus bizarrement, la fille a pas l'air d'se vexer. Elle s'met à gagatiser en réalisant à qui elle parle. Ca doit être bien d'être célèbre si on peut s'permettre d'parler au gens comme ça, et qu'la seule conséquence c'est qu'on vous d'mande un autographe. Mais dans l'fond, ça m'plaît pas vraiment. Remarquez, j'dois pas avoir un jugement bien dosé, vu qu'j'ai plutôt tendance à m'écraser et à m'effacer. Peut-être qu'apprendre à m'imposer un peu comme elle le fait, ça m'rendrait service. Mais moi, on m'demanderait pas une photo.
J'suis perdu dans mes pensées quand elle m'dit que... ça lui arrive jamais ? Genre, c'est une première qu'on l'aborde comme ça, en mode fangirl ? Dans un premier temps, j'ai du mal à y croire. Mais pourquoi elle mentirait ? Les gens célèbres ont plutôt tendance à s'la péter quand ils ont d'la notoriété, non ? Du coup, j'me sens un peu coupable. J'ai l'impression d'l'avoir jugée sur sa réaction, sans penser au reste. Elle a juste défendu ses plates-bandes. Enfin, mes plates-bandes. Ca a pas l'air d'être une de ces starlettes qui s'croit au-dessus du lot. Faut vraiment qu'j'arrête de confondre assurance et vanité.
En deux-deux, j'passe le blouson sur mes épaules, tout en vérifiant du coin d'l'oeil que la fille du stand me voit pas. J'ai pas non plus envie d'la narguer. Eh, c'est confortable comme matière. Et pas trop lourd en plus. J'crois qu'il me va, il serre un tout p'tit peu aux épaules mais sinon j'ai peur qu'ça fasse deltaplane. Et niveau couleur, bah ça m'a l'air pas trop mal. J'tourne un peu sur moi-même.
- Type sol validé, j'crois.
Comme ça j'ferai honneur à Waffle et à m'dame Hollowell. J'enlève le blouson, j'sors mon larfeuille et j'me dirige vers la caisse. Y'a un peu d'attente mais ça d'vrait pas durer mille ans. J'en profite pour sortir une question qui m'titille.
- C'est drôle que vous ayez pas l'habitude de c'genre de fans. J'pensais que c'était l'quotidien des influenceurs. Ou alors c'est juste à Unys qu'on est surecxités, paraît qu'ici on en fait toujours des caisses.
Enfin, c'est surtout les Kalosiens qui disent ça. Mais eux ils tirent la gueule H24, c'est pas une bonne référence. Arrive mon tour. J'passe ma carte sans regarder, je souffrirai en f'sant mes comptes à la fin d'la s'maine. J'laisse Poehere faire ses p'tites affaires avec la vendeuse, pendant que j'm'écarte et que j'remets mon nouveau blouson, en toute légalité cette fois-ci. Franchement, j'regrette pas trop l'prix que j'y ai mis, il est vraiment classe. Mais va falloir que j'fasse gaffe à pas l'prendre sur les chantiers. Celui-là, ça sera mon blouson pour sortir, et rien d'autre.
Quand Poehere a fini avec sa fangirl, j'prends un semblant d'pose, pour m'montrer avec mes sapes toutes neuves. Qui c'est qui s'est fait relooker par une instagrameuse ? C'est bibi. Les copains m'croiront jamais.
- Et voilà l'travail ! Bon maintenant qu'c'est réglé, j'vous suis. Et j'suis à vot' service, j'vous dois bien ça.
J'suis très, très content d'avoir fini d'être au centre de l'attention et d'accaparer son temps. J'compte bien lui rendre la pareille à ma manière, même si ça implique d'porter ses courses et d'éloigner les fans trop collants. J'lui apporte même le café si elle m'demande. C'est les instincts d'larbin qui refont surface, mais, eh, ça au moins j'sais faire.
Poehere afficha un grand sourire en tapant des mains, presque surexcitée.
- Hii trop cool ! Ça y est. Genre, vous êtes méga stylé pour aller flâner en convention. C'est parfait ! Je suis archi-fière, on a dead ça.
La pin-up passa une main dans ses cheveux en faisant volte face, comme si elle participait à une série télévisée pour jeune adolescent et qu'elle occupait le rôle de la fille la plus populaire du lycée. Rôle auquel elle pouvait auditionner sans aucun soucis, d'ailleurs. Dans la file d'attente qui mènerait certainement Lenny vers un gouffre financier, il lui fit une remarque. Etonnant pour une influenceuse de ne pas être habituée aux fans. A moins que ceux d'Unys fassent plus peur que les autres. Poehere ne put s'empêcher de sourire.
- En vrai, je commence tout juste. J'essaye de partager mon quotidien sur mon île de rêve, mes routines make-up et mes entrainements pour les arènes. C'est étonnement... Plus facile que ce que j'imaginais. Mais ça doit être le début, c'est pour ça.
Arrive enfin leur tour. Lenny règla son achat, et la jeune caissière trépigna d'impatience face à l'influenceuse. Elles firent quelques photos ensembles, et Poehere en profita également pour faire un peu de communication sur ses réseaux. Elle publia une photo avec comme légende: quand tu rencontres tes fans d'Unys !! #love #tropdamour #lavie #conventiondresseurs
Après cette séance shopping, la journée put enfin commencer. Le duo visitèrent un maximum de stand, et grâce au pass VIP dont bénéficiait Poehere, ils avaient même eu la chance de pouvoir rencontrer des grands dresseurs aguerris, qui s'étaient frottés à la ligue où qui allaient bientôt tenter leur chance. Il y avait aussi une exposition de pokéball dernier cri, encore sous phase de test. Des innovations. Comme par exemple, cette Biball, qui permettait de conserver deux pokémons dans une seule capsule, ou encore, la Bullball, complètement transparente qui permettait de pouvoir voir son petit compagnon à l'intérieur de la pokéball.
Parmi toutes les propositions, il y avait aussi quelques jeux. Comme le concours de lancé de pokéball (où Poehere avait eu un score lamentable), ou encore un blind test sur le cri des pokémons sauvages (là aussi, la jeune fille avait tout faux). Compte tenu de ses maigres performances aux jeux, Poehere se dit que tout était truqué, et ne participa pas au troisième grand jeu qui était de relier les pokémons avec leur environnement naturel. Son argument ? C'est bon, je sais déjà, j'ai pas besoin de jouer. Etait-elle mauvaise perdante ? Certainement. Le duo rencontrèrent des anciens champions d'arènes venus de plusieurs régions. Certains d'entre eux vendaient des livres sur leur parcours, leur expérience, tandis que d'autres étaient là simplement pour papoter et se faire prendre en photo.
En plus de tout ça, la convention était remplie de stands liés à l'entrainement des pokémons. Des sacs de frappe, des cordes à sauter, des gilets lestés, des mannequins d'entrainement haut de gamme. L'un d'entre eux était spécialisé pour le type eau: il était capable d'absorber des centaines de litre sans jamais se déformer, enfin, c'était ce que promettait le vendeur...
Poehere ne vit pas le temps passer. Alors qu'elle prenait une énième photo, elle se rendit compte que la journée arrivait à sa fin. Elle honora sa promesse, et invita Lenny à prendre un quatre heure en sa compagnie. Les kiosques de gaufres avaient été dévalisés. Les crêpes étaient elles aussi en rupture de stock. Il n'y avait que le "Bekaglaçon Glacier" qui proposait encore des glaces, et il était envahit de monde ayant eu la même idée qu'eux. Le Bekaglaçon Glacier proposait des glaces sophistiqués en plus des classiques pots ou cônes. Parmi les choix qui étaient présentés, Poehere opta pour une glace en forme de fleur goût mangue - noix de coco.
- Bon... Je suis désolée, mais c'est mieux que rien, dit-elle en s'installant à table.
Le serveur avait prévenu qu'il allait y avoir un peu d'attente. Il n'avait pas anticipé d'être dans le jus à cette heure ci de la journée.
- J'ai fait plein plein de photo de la convention, c'était trop cool. Et toi, c'était quoi ton, enfin, vous... Euh, on peut se tutoyer non ? Ce que tu as préféré ?
Après tout ce qu'il avaient vécu ensemble, entre l'épisode catastrophique des toilettes, la séance shopping improvisée et la visite de la convention, Poehere n'avait qu'une hâte: faire tomber ce fichu vouvoiement. Et manger une glace en forme de fleur.