Le tunnel où creusent les tics et clics débouche sur de plus grandes galeries. Elles sont irrégulières, très hautes, parfois basses, larges, étroites, avec des différences de hauteur au niveau du sol. Nous devons être prudents pour avancer avec nos lampes torches et cherchons un endroit qui paraît sûr pour prendre la pause demandée par Célestin. A force de recherche, soigneusement cartographiées par Tarja histoire qu’on se perde pas au retour, nous finissons par trouver une salle où se trouvent, enfin, les pierres flottantes. Leurs grésillements couvrent les bruits de pas des géolithes et nodulithes qui peuplent cette partie de la grotte. Peut-être que c’est pas le plus sécurisé, niveau électricité, de se poser là, mais l’avantage et que la lumière produite par les roches permet de ne pas dépendre trop des lampes torches pour voir si un pokémon nous attaque. J’étale une bâche isolante pour qu’on puisse s’asseoir sans danger et installe un des paratonnerres portatifs à une bonne distance de nous. Dès que je l’allume, des arcs électriques se forment autour de lui, prouvant qu’il absorbe déjà pas mal même s’il ne se passe rien. Heureusement qu’on a nos tenues isolantes !
Ceci fait, je m’en vais prendre en photo les roches, admirant leurs luminescence bleue et la manière dont elles lévitent au-dessus du sol. Je leur trouve une ressemblance avec la manière dont se déplace la strassie de Célestin. Si j’en poussait une, qu’est-ce qui se passerait…? Ou plutôt si je pouvais en pousser une sans risquer de finir carbonisé par la foudre.

- Tarja ! T’as ton marcacrin ? Tu crois qu’il pourrait donner un coup de tête dans une pierre pour voir ce que ça fait ?
- Tu veux pas venir te reposer au lieu d’essayer de tous nous tuer ?, rabat-joie. Il est de type sol son paillasson, ça passerait.

Enfin, je vais tout de même me poser sur la bâche, soulagé de pouvoir me débarrasser quelques temps de mon sac. Mine de rien, son poids finit par travailler le dos. Rubis s’assied collé contre mon dos, sa flamme est gonflée, il n’est toujours pas tranquille. Je lui montre sa pokéball, il la refuse. Bon, comme il veut hein… Juliette, elle, flotte autour des pierres flottantes. Je lui dit d’être prudente, elle répond par un écho de cloche. Célestin a sorti un carnet et est en train de prendre des notes.

- Hé, pourquoi tu m’as pas dit que le truc qu’est arrivé à mon voltali c’était imprévisible ?
- Parce que tu m’as coupé la parole et que ça sert à rien de te parler quand tu gueules, il emploie un ton sec inhabituel. Je me sens bête.
- Ah… Désolé du coup. Mais t’aurais pu le faire après.
- Non, t’aurais trouvé un moyen de te foutre de ma gueule.
- Mais non !, il m’agace. Lui aussi l’est visiblement car il pousse un soupire, lève la tête de son carnet et s’étire la nuque avant de reporter son attention sur moi. Quoi ?
- Ecoute Illia, je sais que tu me détestes, que je suis la cible facile à emmerder, mais là je suis en train de réfléchir pour savoir si on est trop en danger pour continuer notre mission ou non. Donc si tu t’ennuies ou que tu veux absolument me prendre la tête pour savoir si oui ou non j’aurais dû ou pu crier plus fort que toi, ça peut peut-être attendre, non ?

Ok, je dis plus rien. Je reste assis, silencieux, à me sentir con pendant qu’il continue de se triturer les méninges et que Tarja s’occupe de son oniglali. Un petit sourire satisfait danse sur ses lèvres, l’échange qui vient de se dérouler doit lui plaire. De mon côté, je pensais pas que Célestin pouvait être si franc, il s’est toujours comporté comme un lâche ou une serpillère avec moi. Pourtant je suis pas pire que d’habitude avec lui aujourd’hui, je crois pas l’avoir vraiment emmerdé depuis ce matin, en plus c’est même pas ce que j’essayais de faire là. Je voulais juste… Etablir le pourquoi du comment car je voulais pas avoir eu une attitude de connard. Même si c’était avec Célestin. Car bien qu’il me soule, je le déteste pas. Lui pense que si. Je peux comprendre, je crois, surtout en prenant en compte ce qu’il vient de me dire. Ca donne l’impression qu’il me voit comme une sorte de bully d’école qui s’acharne sur sa cible préférée… Bon. Ok. C’était peut-être un peu cas quand on était gosses, mais maintenant !! Puis je pensais qu’il m’aimait bien vu comme il me colle toujours pour qu’on soit potes ! C’est quoi ce délire ?

Au bout de dix bonnes minutes, Tarja se lève et me prend l’appareil photo, disant qu’elle va faire un tour pour observer le comportement des pokémons sauvages au cas où ça puisse nous donner plus d’éléments de réponse. Une partie de moi a envie de la suivre pour ne pas rester seul avec Célestin, mais quelque part ce serait pire d’être avec elle considérant l'abcès qu’on a toujours pas comblé par rapport à Phil. Et maintenant, avec Aram en plus… Pfff. Je suis de nouveau en train de me tourmenter quand Célestin balance rageusement son carnet plus loin sur la bâche.

- Ca a aucun sens, j’y comprends rien ! C’est pas cohérent avec les capteurs du paratonnerre !
- Fait peut-être une pause ? Le recul, tout ça…, j’essaye de ne pas montrer ma surprise : lui qui s’énerve, c’est inhabituel.
- Non ! Analyser et réfléchir c’est tout ce à quoi je sers en mission, si j’y arrive pas je sers plus à rien, il rabat ses genoux contre lui, cale sa tête dessus. Il semble déçu. Déjà que je sers pas à grand chose…

Mouais. Je sais pas si j’ai envie de m’engouffrer la-dedans, d’entendre parler des états d’âme de Célestin. Le truc c’est que je peux pas m’empêcher de me dire que c’est un peu de ma faute s’il se sent si nul en mission. Certes, c’est la vérité : il n’a aucune endurance, s’inquiète de tout, ne sait rien faire de ses dix doigts, mais je suis bien toujours le premier à appuyer dessus pour enfoncer le clou. Par exemple, ajouter que de toute façon il ne sert pas à grand chose, j’aurais pu avoir le réflexe de le faire.
Je fouille dans un sac pour en sortir un thermos de thé, préparé spécialement pour se réchauffer au besoin. Nos tenues nous protègent du frais de la grotte, mais l’esprit aussi ça peut se refroidir. Je le tends à Célestin avec un gobelet en carton.

- Il s’est passé un truc ?
- Merci…, il prend le thé. Mais pas besoin de faire comme si ça t’intéressait.
- Je suis juste curieux, t’es bizarre là. Enfin, je comprends que t’ais pas envie d’en parler avec quelqu’un que tu déteste du coup. Calme-toi les méninges avec le thé va !
- Ah euh… Je te déteste pas en fait, son cerveau a dû griller avec l’électricité ambiante, ça n’a aucun sens. Il remarque que je le dévisage car il s’empresse de se justifier : C’est pas parce que tu peux pas me supporter que c’est réciproque.
- T’es maso ?
- Pas spécialement. C’est la même chose que quand on était petits : si je suis vraiment en danger, t’es le premier à venir m’aider… Forcé par Rose quand on était gamins, certes, mais y avait rien qui t’obligeait à lui obéir. Tu continues de le faire aujourd’hui… Souvent en plus parce que je suis vraiment pas doué, il soupire envers lui-même. T’es insupportable avec moi, mais même si je voulais je pourrais pas te détester. J’aurais bien aimé qu’en se retrouvant tous les deux au cabinet on devienne amis, mais bon, il hausse les épaules, un sourire triste sur le visage. Tant pis !

Je n’arrive pas à savoir si Célestin est beaucoup trop stupide ou beaucoup trop gentil. Et moi trop méchant avec lui du coup. Sûrement un peu des trois. Je me penche vers l’arrière, gênant Rubis qui râle dans le processus, pour observer le plafond de la grotte. Le plafond est si haut qu’il est plongé dans l’obscurité : impossible de dire ce qu’il s’y trouve. A tous les coups, des chovsourirs et des grindurs pas assez téméraires pour tenter le saut de l’ange. Y a pas les impacts au sol qu’on a repéré dans la première pièce.

- Tu crois qu’on devrait rentrer du coup ?
- Je sais pas.
- D’habitude quand tu sais pas tu fais la chochotte et demande à repartir.
- J’essaye de changer ! Je serai jamais un bon éthologue si je continue à avoir peur de tout.

Célestin reprend son carnet de notes. Il n’est pas difficile de voir dans son regard qu’il est encore plus perdu que tout à l’heure face aux éléments étranges qu’il a vu dans la Grotte Electrolithe.

- Il s’est passé quoi du coup ?, je réitère la question à laquelle il n’a pas répondu. Fais pas genre tu t’es trop plaint de la manière d’un gars qui veut absolument qu’on lui demande ce qu’il a pour pouvoir en parler !

Il rechigne pendant quelques secondes encore avant de refermer son carnet et baisser la tête.

- C’est rien. Juste… Je réalise que je ne suis pas une personne capable de grand chose. Et je suis pas intéressant pour compenser.
- En même temps tes pokémons préférés c’est les types roches.
- Je retire tout ce que j’ai dit, en fait je te déteste, impossible de me retenir de rire à sa répartie. J’ai jamais eu beaucoup d’amis, toujours du mal à m’intégrer dans les groupes, tout ça. La dernière roue du carrosse, à peine une roue de secours, le pote qu’on oublie d’inviter…, n’ayant jamais eu plus de deux amis je peux difficilement comprendre ce que ça fait, mais nul doute que ça doit pas être agréable. Depuis quelques années, j’ai un groupe d’amis sur internet, passionnés de recherches sur les pokémons. On a chacun notre spécialisation, on échange beaucoup et on apprend des uns des autres. Je suis le seul qui va sur le terrain grâce au travail. Même mes parents ne sont pas aussi intéressés que ces amis quand je leur raconte ce qu’il s’est passé en mission ! Mais la semaine dernière j’ai appris qu’ils ont fait une IRL sans moi, sans même m’en parler. Je l’ai découvert car l’une d’entre elle a changé sa photo de profil sur les réseaux pour une où ils sont tous ensemble. Depuis que je leur ai demandé pourquoi, ils ne me parlent plus, il est vraiment peiné. Quels bâtards ses potes ! Je ne comprends pas, je peux même pas savoir si c’est juste moi ou si j’ai fait quelque chose de mal. A tous les coups j’ai dû les souler comme je vous soule toi et Tarja tout le temps ! Je parle trop, j’ose rien faire et je suis collant même quand je sais qu’on veut pas de moi. Tu m’étonnes que personne veuilles traîner avec moi !.

Hm. J’imagine que c’est le moment où je devrais lui répondre en citant ses qualités, sauf que ce qu’il dit de lui je trouve ça vrai. Ses qualités c’est d’être intelligent et gentil, pas le genre de trucs bien réconfortants.

- Rose t’aime bien.
- Rose m’apprécie comme on apprécie un ponchiot à moitié mort sur le bord de la route. C’est de la pitié, ah ouais. Violent comme paroles étant donné qu’il a toujours eu un gros faible pour elle. C’est encore plus triste en fait. Il faut que je change, moi non plus je m’aime pas comme ça, mais je sais pas comment faire.

La vache. Si je m’étais attendu à partager une problématique de changement avec un type comme Célestin ! Je me sens pas de lui en parler ceci-dit, pas envie et ce serait bizarre. Enfin, le problème, c’est que s’il se confie à moi, il faut bien que je réponde quelque chose. Alors j’y vais avec le premier truc, sûrement nul, qui me passe par la tête :

- Au moins toi t’es sur le terrain malgré tout.
- ... C’est vrai.

N’ayant pas envie de voir si ma réflexion a provoqué du positif ou du négatif, je continue de fixer le plafond et ses profondeurs obscures. Impossible d’y apercevoir quoi que ce soit, jusqu’à ce qu’un filament électrique y passe. C’est si bref que je me demande si je ne l’ai pas rêvé. Comme une étoile filante, du moins ce que j’en imagine puisque je n’en ai jamais vu. Ca m’intrigue. Je sors de mon sac la plus grosses lambe, celle qui pèse lourd, prend de la place et ressemble presque à un spot et la pointe vers le plafond. Célestin me regarde faire, perplexe.
C’est le moment que choisit Tarja pour revenir. En courant. C’est assez inhabituel pour que je m’arrête avant d'allumer.

- Les gars, y a des géolithes qui sont d’un coup parcourus d’électricité et se mettent à léviter, … Quoi ? Célestin t’as réussi à déduire des choses ?, il secoue négativement la tête, précisant à nouveau à quel point tout ça est bizarre et que les géolithes qui lévitent n’arrangent rien. Alors on se casse. La dernière fois que j’ai vu des phénomènes aussi inexplicables, tout le monde est mort.

Ils s’activent pour remballer. Moi aussi, je vais le faire, mais d’abord j’aimerais allumer, juste quelques secondes, cette lampes. Ca ne fera pas grande différence, si ? J’enclenche le bouton.
La lumière atteint le plafond à l’instant où une onde de choc fait exploser le paratonnerre.

Sabelette a la main verte, il coupe coupe coupe et trouve une "Baie Maron" !

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Un Géolithe sauvage niv.24 tombe du plafond et manque de vous assommer !

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Que souhaitez-vous faire ?

Tarja est trop proche du paratonnerre quand l’onde de choc survient. Son corps est projeté en arrière, elle s’écrase sur le sol rocheux quelques mètres plus loin. Seul son cri de douleur me parvient, je suis incapable de détourner les yeux de ce que le spot révèle. Là-haut, au plafond, il y a une créature.
Au départ, je l’ai pris pour un nuage d’orage. Puis j’ai aperçu ses bras, sa queue, sa corne. Je n’ai jamais rien vu de tel, sa taille n’est pas impressionnante, mais cette chose me tient en respect. Chose car je n’arrive pas à me dire qu’il s’agit d’un pokémon. Respect car sa présence me fige jusqu’à faire trembler mes os de peur. Il évolue sur le plafond de la grotte, lentement, suivi de nuages sombres d’où sortent de fins éclairs. Je comprends que c’est ce que j’ai comparé à une étoile filante. A chaque fois que ses griffes s’enfoncent dans la roche, une onde de choc électrique a lieu, faisant sursauter les restes du paratonnerre. Est-ce que ma lumière l’a réveillé ? Je n’arrive pas à regarder Tarja, mais m’excuse m’entalement auprès d’elle. Je l’entends haleter, elle est consciente et bouge.

D’un coup la lumière s’éteint, ne restent que quelques filets d’électricité dans l’obscurité. Enfin, j’arrive à bouger. C’est Célestin qui a désactivé le spot. Il tremble de tous ses membres, se concentre pour maintenir une respiration normale. Je me rends compte que je retenais la mienne. Il s’approche de moi, le plus silencieusement possible. Sa voix est un murmure à mon oreille :

- Il faut partir.
- Qu’est-ce que c’est ?, je réponds aussi doucement que lui.
- Je sais pas, admettre cette vérité le met encore plus en détresse et moi en alerte.

Je laisse tomber l’équipement que nous avons sorti des sacs, me contente de remettre le mien dans mon dos sans un bruit. J’ai l’impression d’entendre le moindre frottement de vêtement par-dessus le crépitement électrique. Un coup d’oeil à mes pokémons, je constate que Rubis est à quatre pattes, prêt à bondir, le regard fixe vers le plafond. Sa flamme est agitée, gonflée. Il surveille un prédateur. Juliette a plié ses bras métalliques pour les mettre devant ses yeux. On peut tout de même voir qu’ils clignotent de manière frénétique. Elle tente de se cacher. Il faudrait que je les remette dans leurs pokéballs, pour plus de discrétion, mais le mécanisme fait du bruit.
Célestin m’indique qu’il prend le sac de Tarja pour que je puisse m’occuper d’elle. Elle s’est traînée jusqu’à la bache isolante, peine à se remettre sur ses jambes. Son oniglali est pile au-dessus d’elle, lui aussi occupé à surveiller la créature. La strassie de Célestin, elle, fait briller légèrement la roche de son front au niveau du tunnel de sortie. J’aide notre cheffe d’équipe à se relever et la soutient pour qu’elle puisse marcher. Après avoir fait signe à mes pokémons, je suis le troisième membre du groupe vers le tunnel par lequel nous sommes venus. Le sang bat fort dans mes tempes.

Tout de passe bien, même si j’entends désormais le son de ses pattes, lourdes, quand elles se déplacent au plafond. Chacune est accompagné d’un crépitement électrique plus menaçant que ceux que nous avons entendus jusqu’ici. J’ai l’impression que ses pas font frémir les murs de toute la grotte, tente de me persuader que c’est ridicule sans y parvenir.
Tarja, Rubis et moi sommes les derniers à atteindre l’entrée du tunnel. Tout se passe bien jusqu’à ce que je vois les yeux de Célestin s’écarquiller, sente Rubis mordre mon pantalon pour nous faire tomber et qu’un géolithe électrifié passe à toute vitesse au-dessus de moi.

Je ne sais pas comment j’ai évité d’écraser Tarja en tombant et n’ai pas le temps d’y réfléchir : d’autres geolithes nous foncent droit dessus - ou plutôt sont projetés, je crois. J’en esquive un deuxième avant de me relever et forcer Tarja à courir, quitte à la traîner derrière moi. Un regard en arrière montre que plusieurs autres menaces arrivent. Je n’avais pas fait attention à quel point cette galerie était droite à l’aller !
Les géolithes vont bien plus vite que nous, c’est Juliette qui nous sauve. Ma archéodong s’interpose, bas de cloche vers les adversaires, et envoie une onde de choc psychique qui les fait dévier et s’écraser dans les murs plutôt que sur nous. L’impact est violent, des débris de pierre fusent. Je me protège le visage des deux bras. Ca tape dedans, mais aussi dans les jambes et le bide. La douleur est brève, j’aurai des bleus, y a pire. Y aurait pu avoir bien pire ! C’est pas ça qui va m’empêcher de courir et c’est tout ce qui compte à cet instant.
Nous repassons devant les tics et clics dont les rouages ne bougent plus. Ils sont figés. S’ils n’étaient pas si inexpressifs, je pourrais croire qu’ils ont peur. Pas le temps de s’y attarder, on continue encore et encore. Célestin est le premier à arriver au bout de la galerie, à prendre l’angle qui nous mènera à la prochaine cavité. Dans quelques secondes, j’y serai aussi et je pourrai souffler, regarder si Tarja a pas été blessée dans la manoeuvre, m’inquiéter de mes pokémons.

Un rugissement retentit, venant de derrière nous. Sa puissance m’hérisse les poils - ou peut-être que c’est l’électricité ambiante. Au même moment, des éclairs ressemblant à ceux d’une attaque de pokémon se mettent à courir le long des parois de la grotte. Les gisements dans la roche sombre brillent plus que jamais tandis que les tics et clics explosent lorsque l’électricité les parcourent. Leurs rouages se démantèlent, se disloquent, se tordent et ils tombent à terre en morceaux. Ils sont morts.
Tarja me secoue le bras :

- Avance !, je ne m’étais même pas rendu compte que je m’étais arrêté.

En quelques foulées, sans bien comprendre comment je fais pour ne pas me faire griller par un éclair au passage, je rejoins la cavité dans laquelle nous attend Célestin. Il est tout blanc, s’autorise à respirer une fois qu’il nous voit arriver.

- J’ai cru que je vous avais perdus !
- Il nous poursuit.

Nous restons silencieux plusieurs secondes, à écouter la grotte. Il n’y a plus de rugissement, mais des crépitements réguliers accompagnés d’un bruit sourd. Les mêmes pas que j’ai entendu venant du plafond. La chose a aussi emprunté le tunnel, elle prend son temps. J’évite de me faire la comparaison avec un prédateur sûr d’attraper sa proie, préférant me concentrer sur le fait que ça nous laisse du temps pour nous enfuir.

- Il faut qu’on le bloque !
- Tu veux pas qu’on sauve notre peau plutôt ?, j’arrive pas à croire que ce soit moi qui veuille me barrer et Célestin qui veuille rester.
- Mais si on le bloque on sauve peut-être d’autres gens que nous ! Si ça se trouve il va nous suivre jusqu’à la sortie de la grotte et après…
- Il est pas sorti jusqu’ici visiblement.
- On doit être plus intéressants à poursuivre que des statitiks.

Tarja s’est appuyée sur son oniglali, mais elle a retrouvé de l’énergie : elle arrive à se tenir droite. C’est bon signe, ça veut dire que si on doit à nouveau se barrer, j’aurai pas à me la trimballer comme un poids mort. Célestin a l’air de s’en sortir avec les sacs car il n’a pas enlevé celui dans son dos, ni posé celui qu’il a pris en plus. Vu comme il s’y cramponne, je crois comprendre pourquoi il ne veut pas s’en séparer. Ca fait quelque chose à tenir plutôt que de se laisser trembler comme une feuille.

J’observe le tunnel par lequel va arriver, tôt ou tard, la créature. Je crois déjà y voir de la lumière, par éclats réguliers, en rythme avec les bruits de pas. Un frisson me parcourt l’échine, j’ai des sueurs froides. Il faut se barrer, mais ils ont aussi raison. Si on fuit maintenant, jusqu’où on va devoir fuir pour lui échapper ? Alors que si on le bloque, on a une chance de ne plus jamais en entendre parler.
Pour ça, Tarja prend les choses en main. Elle demande à son oniglali de créer de grandes stalactites sur tout le plafond de la grotte devant le tunnel. Le pokémon est capable de rapidement former d’impressionnants pics de glace longs de plusieurs mètres. Ce qui est horrible, dans ce moment, c’est le sentiment d’impuissance. Je suis là, les bras ballants, à regarder notre cheffe d’équipe faire car je n’ai aucun moyen de me rendre utile. Une attaque avalanche plus tard, les stalactices sont plantées dans le sol, bien stable, et forment des barreaux à l’entrée du tunnel. A cela elle ajoute plusieurs laser glaces afin de colmater les trous et renforcer la structure de glace.

Mon reptincel et mon archéodong retrouvent enfin un peu de calme, ce qui me fait penser que l’idée de Tarja et la protection qu’elle nous crée est bonne. Depuis le début ils sentent la menace, je le comprends maintenant, même s’ils n’étaient pas capables de l’identifier. J’ai bien envie de râler sur Rubis : si c’était si dangereux il aurait facilement pu me le faire comprendre ! Mais vu son caractère tête brûlée, à tous les coups, même s’il avait peur, il a pris le parti de m’accompagner au travers du danger afin de montrer qu’il est courageux et fort. Non, le blâme ne revient pas à mes pokémons : c’est moi qui n’ait pas su comprendre et prendre les bonnes décisions. J’aurais dû bien plus m’attarder sur leur comportement et chercher à le comprendre. On a tous fait l’erreur, finalement.

- Je pense que c’est bon, on peut-

De l’autre côté du mur de glace, une lumière vive. Elle est électrique, crépite. Il est impossible de la distinguer clairement, mais nous voyons que la créature est arrivée. Deux formes sombres appuient sur la paroie gelée, ses pattes griffues. Il rugit à nouveau, c’est toute la cavité qui s’illumine à travers ses filons de métaux. Derrière nous les anchwatts s’agitent de manière frénétique. On peut les entendre se cogner contre les bords de leur rivière. Quelque chose me dit qu’ils cherchent à s’enfuir. Ils peuvent le faire, par là où arrive ou s’écoule l’eau.

- On court ! Maintenant !

Au moment même où la voix de Célestin nous rappelle à notre instinct de survie, le mur de glace vole en éclats.

Les éclairs qui émanent de son corps me permettent de le voir clairement. Enfin je peux avoir une vraie idée de la chose qui se cache dans le nuage d’orage. C’est une créature au corps bleu ciel tacheté de bleu plus foncé. Ses bras sont enveloppés de nuages desquels sortent trois griffes imposantes. Son crâne est surmonté d’une corne. Le bas de son corps est muni de deux petites pattes griffues et d’une queue longue sur laquelle sont enfilées, comme des perles, des sphères sombres desquelles sortent les éclairs. Il a dû s’allonger pour passer dans le tunnel, doit faire quelque chose comme la taille de deux hommes. Ce n’est pas la créature la plus grande que j’ai vu, mais il possède une aura menaçante qui en fait la plus effrayante. Rien que de l’avoir devant moi, alors qu’il ne fait que nous fixer, et mon corps se met à m’envoyer plusieurs signaux d’alertes. L’un d’entre eux étant que cette chose va nous tuer.
Célestin tire sur ma manche pour qu’on recule le plus doucement possible. Je vois qu’il fait de même avec celle de Tarja. Je pense au filet d’eau où il y a les ancwhatts : on ne peut pas le traverser sans sauter par-dessus. Comment on saute discrètement par-dessus quelque chose ? C’est impossible. Et même si j’y connais pas grand chose en physique, quelque chose me dit qu’on est moins rapides que des éclairs.
Tarja doit se faire des réflexions similaires aux miennes car elle murmure quelque chose à son oniglali, flottant juste à côté d’elle, et ce dernier vient se placer face à la créature. Un vent froid s’élève dans la cavité rocheuse, de plus en plus fort et violent. Des grêlons se forment dans l’air, je crois reconnaître une attaque blizzard.

- Maintenant !

Notre avancée est rendue difficile par le blizzard, même s’il n’est pas dirigé contre nous. Célestin est le premier à sauter par-dessus le ruisseau. Il est rapidement suivi de Tarja. J’aurais pu enchaîner si je n’avais pas vu ma collègue fouiller frénétiquement dans sa poche à la recherche de sa pokéball, l’air horrifiée. Je me retourne et vois que la créature a pris l’oniglali dans une de ses pattes. Le blizzard semble peu l’affecter. Il serre de plus en plus, je crois que la glace du pokémon se fissure. Est-ce que… Est-ce que la chose est en train de sourire ?
Le filet rouge de la pokéball trouve l’oniglali, il est sauvé. Je pourrais être soulagé si je me retrouvais pas en première ligne, juste entre mes collègues et la menace. Je suis inconscient, je le sais, j’ai pas souvent peur. Vraiment peur, je veux dire. Là, je sais.

- Restez pas plantés là, cassez-vous !
- Mais-
- J’arrive, c’est qu’un vieux ruisseau !

S’ils prennent de l’avance, ce sera plus facile de m’en sortir, non ? J’aurais à penser qu’à moi-même, pas besoin de prendre leur survie en compte. Je serais déjà bien plus loin, par exemple, si je n’avais pas eu à traîner Tarja ou écouter les états d’âme de Célestin concernant l’idée de coincer cette bestiole dans la grotte. Survivre, c’est plus facile tout seul. Et survivre, c’est ce que me hurle mon cerveau actuellement, parce que j’ai peur.
Pas le temps d’argumenter plus. Ce bref échange avec mes collègues est à peine fini que la créature rugit, bombe le torse, et envoie un éclair dans ma direction. Je vais crever.
Je vais crever. Je vais crever. Je vais crever. Je vais crever..
Sans avoir le temps de rien de plus.

L’éclair m’aveugle, la chaleur remonte brusquement après le blizzard. Il me faut quelques secondes pour réussir à voir ce qu’il se passe : Rubis s’est interposé entre moi et l’éclair et le repousse avec des flammes d’une puissance que je lui connaissais pas. La grotte s’illumine en bleu et orange. Mon reptincel est impressionnant, je reste bluffé, jusqu’à ce que je réalise : si ses flammes s’affaiblissent, il se prendra l’éclair de plein fouet. Vu la puissance qu’a montré la créature jusqu’ici, je ne veux pas imaginer l’état dans lequel il serait.
Je veux sauter par-dessus le ruisseau, m’éloigner et ramener Rubis dans sa pokéball afin que l’éclair nous rate tous les deux, quand une nouvelle lumière entre en jeu. Là, juste devant moi, c’est mon reptincel qui s’est mis à luire tout en maintenant son lance-flamme. Je reconnais : c’est une évolution. Rubis a rassemblé toutes ses forces et est en train d’évoluer pour me sauver la vie. Si la situation était moins tendue, si notre survie était pas en jeu, je crois que je pourrais en chialer.

Son corps grandit dans la lumière, change progressivement de formes et devient plus imposant. Deux belles ailes se dessinent dans son dos, sa corne se divise en deux. Son évolution est sur le point de s’achever quand la créature… Rit ? Rit et augment subitement la puissance de sa foudre. Les flammes de Rubis ne font plus le poids, il est touché de plein fouet. Son corps est propulsé vers l’arrière sur plusieurs mètres. Je suis là, juste derrière lui dans la trajectoire, et me prend donc un dracaufeu de plein fouet. Nous passons par-dessus le ruisseau. Quand on s’écrase, j’ai si mal que je me demande si je suis encore capable de bouger. La lumière s’est dissipée autour de mon rep-... Dracaufeu. Rubis est un dracaufeu. Je le vois bien, même s’il est à moitié écrasé sur moi.

- Rubis ! Ca va ?!

Je devrais être heureux et lui aussi. Ce devrait être un moment de fête, d’accomplissement de le voir enfin évoluer, vu qu’on le veut autant tous les deux depuis tant d’années. A la place, tout est dominé par la peur. La peur de la créature, la peur des blessures infligées à Rubis, la peur de ne plus pouvoir bouger, la peur de mourir ici.

Le prédateur rugit à nouveau. Les petites pierres en lévitation s’agitent, tremblent tellement qu’elles se désagrègent en plusieurs morceaux. Le sol de la grotte picote à travers mes vêtements isolants. La créature se rapproche du plafond, entouré de ses éclairs. Elle crie. L’électricité émanant de sa queue entoure tout son corps avant d’être projetée sur le plafond rocheux. Là elle courre, se rassemblent en plusieurs nuages d’orages, avant de s’abattre jusqu’au sol. Le sol se met à trembler. Le tonnerre fuse à répétition du plafond. Je suis terrifié.
Par instinct, je me recroqueville et me cache les yeux pour ne pas voir le moment où je vais finir carbonisé. J’entends Rubis grogner, il est plus grave qu’avant. Y a un poids chaud sur mon corps, je comprends qu’il essaye encore de me protéger. Des ondes psychiques et un tintement me parviennent : Juliette est là aussi. A eux-deux ils essayent encore de me sauver la vie au lieu de penser à leur propre peau. Entre ça et la peur, je crois que cette fois je suis vraiment en train de pleurer.

Si la situation me permettait d’être lucide, je ne penserais pas avec envie à cette période de ma vie où j’avais envie de mourir et où me dire que j’allais finir tué par une créature inconnue aurait peut-être eu quelque chose de rassurant. Même si cette pensée est rapidement balayée par la culpabilité : je pourrais jamais regarder Phil en face, si y a quelque chose de l’autre côté, en partant avec cet état d’esprit. Surtout que je ne veux pas mourir. Je veux pouvoir sortir d’ici, avec mes pokémons, avec mes collègues. Je veux rentrer à Port Yoneuve, je veux retrouver mon studio, je veux dormir longtemps, je veux tenter ces plats que j’ai repéré sans jamais avoir la foi de les cuisiner, je veux voir les paysages d’autres région, je veux faire le tour du monde sur ma moto, je veux encore délirer avec Rose, je veux voler sur le dos de Rubis, je veux aussi qu’on voit le monde tous les deux, je veux encore aller rendre visite à mamie, je veux m’excuser auprès de la mère de Rose, je veux reparler à mon père, je veux revoir tous les films que j’ai déjà vu et en découvrir au moins mille autres, mais par dessus tout…
Je veux revoir Aram.