// Localisation : Illumis

Quinze ans plus tôt

source : darkmagic-sweetheart & sugary-rainbow

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Illumis était une grande ville, une très grande ville même, une immense métropole dont la réputation n’avait plus à se faire. Plus encore, aux yeux d’une Edelweiss inexpérimentée et fraîchement rescapée de la campagne de Sinnoh, Illumis et ses boulevards, ses avenues, carrefours, rues et ruelles étaient infiniment plus complexes à naviguer que les familières villes de Charbourg ou de Vestigion. Floraville et ses sentiers en terre battue n’entraient bien évidemment pas dans l’équation ; le village dans son entièreté ne devait occuper qu’un quart de la surface de la capitale de Kalos, et c’était se montrer généreux. De fait, pour se déplacer en ville et espérer retrouver son chemin jusqu’aux résidences, Edelweiss n’avait d’autres choix que de prendre une carte avec elle, et demander son chemin lorsqu’elle se perdait inexorablement.

Cet après-midi-là, elle avait choisi un objectif d’apparence simple : celui de se rendre au Parc des Expositions, localisé au sud-ouest de la métropole, juste à l’embouchure de la Route 5, où un salon dédié à l’art pâtissier prenait place pour quelques jours. En temps normal, à cette heure-là, elle aurait dû être en classe avec les quelques autres adolescents de la Team Flare, mais leur tuteur avait rencontré un imprévu. Dans l’incapacité de leur faire cours, il avait été contraint de leur libérer l’après-midi. Il ne s’agissait pas là d’un événement exceptionnel ; lorsque l’ensemble d’un corps enseignant était constitué de sbires, c’était même inévitable.

On l’avait encouragée à passer plus de temps avec ses quelques condisciples, mais l’idée la révulsait. Ses futurs « collègues » étaient tous des garçons, pas assez matures mentalement à ses yeux pour mériter le titre de « jeunes hommes ». Cela, en soit, ne leur était pas tant préjudiciable que cela ; Edelweiss s’était bien entendue avec ses camarades masculins au collège. Toutefois, ces vauriens, que la Team Flare avait ramassés pour quelque obscure raison, n’avaient qu’une idée en tête : la draguer. Pourtant, elle leur avait bien fait comprendre qu’elle n’était pas intéressée, à maintes reprises. Elle avait même dû en venir plusieurs fois aux mains, en vain. Peut-être n’avait-elle pas tapé assez fort ; ou au contraire, peut-être qu’ils y avaient perdu des neurones. Leurs visages abasourdis de la première fois avaient au moins eu le mérite de lui donner de la satisfaction, bien que cette dernière ne fût que temporaire. Malheureusement pour elle, il lui semblait qu’ils prenaient ses réjections comme un défi. Leurs avances incessantes ne lui donnaient en réalité qu’une envie : celle de demander à Corindon, sa Carmache, de les bouffer. Un jour, elle appuierait sur la gâchette qui contenait le dragon. Un jour.

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Se rendre au Parc des Expositions, ce jour-là, présentait un avantage évident aux yeux d’Edelweiss : elle n’y croiserait certainement pas ces malencontreux parasites qui refusaient obstinément de lâcher l’affaire. Si elle devait se fier à son intuition, l’art culinaire ne semblait tout simplement pas être de leur ressort. Elle n’avait plus qu’à espérer que son instinct ne la trahirait pas.

Pour être tout à fait honnête, l’exposition en elle-même n’attisait pas non plus l’intérêt d’Edelweiss. Cependant, les circonstances de sa présence à Kalos pesaient sur ses épaules, au point qu’une partie de son esprit se trouvait constamment animée d’une énergie nerveuse, telle une bête légendaire en cage. La vérité, c’était qu’Edelweiss peinait à imaginer un futur pour elle-même, un déracinement récent et déstabilisant. Un soir avait suffi pour voir son avenir d’agricultrice, jusqu’alors tout tracé, partir en fumée. Se projeter dans un autre domaine lui était difficile, et cette difficulté contribuait à nourrir son inquiétude. Certes, ses tuteurs avaient promis de l’aider à trouver sa voie, une fois qu’ils auraient mieux cerné sa personnalité, ses forces et ses faiblesses, mais… L’expérience lui avait appris qu’elle ne pouvait pas se permettre de laisser les autres décider seuls de son futur.

L’exposition était une opportunité à exploiter, un moyen de découvrir de nouveaux horizons, de trouver de l’inspiration, quelle qu’elle fût. Tout dépendait de l’angle d’approche. Si Edelweiss se forçait à percevoir la visite comme l’occasion d’apprendre de nouvelles techniques, de perfectionner ses compétences en cuisine, une après-midi initialement ennuyeuse présentait soudainement un attrait indéniable. Sans compter qu’elle aurait, sans doute, un jour l’occasion d’impressionner une fille avec sa cuisine…

Atteindre le Parc des Expositions se révéla plus compliqué que prévu.

Edelweiss s’était perdue. Un destin inévitable dans cette foutue métropole, il semblerait. L’adolescente soupira en rangeant sa carte, toujours aussi compliquée à déchiffrer. Un jour, elle saurait lire convenable une carte. En attendant, si elle comptait arriver avant la fermeture, elle n’avait d’autres choix que de demander aux alentours. Avec un peu de chance, elle ne se ferait pas snober ; les habitants d’Illumis avaient développé tout un art d’esquiver les passants en quête d’aide, et son accent campagnard de Sinnoh ne devait pas l’aider.

Une fois n’est pas coutume, Arceus sembla la prendre en pitié, et elle n’eut pas à chercher bien loin pour trouver une solution tout autre à son problème : un groupe d’élèves en sortie scolaire, si les pochettes qu’ils tenaient tous en main étaient d’une quelconque indication.

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Edelweiss s’approcha d’abord discrètement du groupe, l’air de rien, les manches de sa chemise en motif tartan remontées et les mains dans les poches de son vieux jean blanchi, un des rares rescapés de sa fuite du foyer familial. Elle n’avait pas encore eu l’occasion de s’acheter des nouveaux vêtements depuis son arrivée, et « l’uniforme » gracieusement offert par la Team Flare restait généralement dans sa chambre lors de ses sorties personnelles, où elle préférait se fondre autant que possible dans la masse. L’époque de l’horrible costume rouge-orangé et des lunettes de soleil obligatoires de tout temps était heureusement révolue depuis un certain moment pour les membres à part entière de l’organisation, mais les nouvelles recrues n’échappaient certainement pas à ces derniers, à son grand désespoir. Elle se consolait en se disant qu’au moins, ils étaient rarement vus en public dans un tel accoutrement.

Edelweiss observa les élèves à distance, suffisamment longtemps pour décerner qu’ils devaient être de son âge, à un an près. Jugeant qu’elle ne risquait rien à se rapprocher, qu’elle ne paraîtrait pas trop louche aux yeux des passants ou même du professeur qui menait la marche, Edelweiss tendit l’oreille tout en accélérant légèrement le pas pour les rattraper, et son intuition de les prendre en pseudo-filature se révéla récompensée : elle entendit l’un d’eux mentionner le fameux grand salon de pâtisserie. Parfait ! Elle n’avait plus qu’à les talonner pour arriver à bon port !

Edelweiss les suivit avec une certaine discrétion pendant encore quelques minutes, avant de se rendre à l’évidence : si son mètre soixante-dix-neuf, sa stature plus musclée que les citadines lambdas, et son niveau déplorable en filature ne l’avaient pas trahi, c’était que personne ne prêtait réellement attention à elle. Elle laissa alors son rythme naturel de marche reprendre le dessus, ses grandes jambes lui permettant se rattraper le groupe et s’y insérer sans aucune difficulté. Elle se retrouva derrière le professeur, juste à temps pour l’entendre donner des indications sur la localisation du salon. Les noms de rues qu’il cita ne lui dirent rien et ne passèrent que d’une oreille pour sortir de l’autre. Elle devrait travailler sur sa mémoire auditive.

En se greffant ainsi au groupe, Edelweiss s’était retrouvée flanquée d’un garçon qui, contrairement à ses camarades jusqu’alors, ne manqua pas de la remarquer. Il s’adressa à elle sans aucune hésitation, lui demandant de décliner son identité avec l’assurance d’un officier de police venant de prendre un voleur la main dans le sac.

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Edelweiss ne lui répondit néanmoins pas tout de suite. Un coup d’œil suffisait pour voir qu’il n’était pas bien gaillard, et les vêtements qui bâillaient sur sa forme de l’aidaient guère à paraître plus imposant, en opposition complète avec les habits ajustés qu’elle portait elle-même. De ce simple constat, Edelweiss eut même l’impression que ses propres épaules, certes musclées par le travail à la ferme, étaient plus larges que celles de l’adolescent. Sa mère n’avait jamais manqué de lui rappeler à quel point les hommes ne trouveraient pas cela attrayant, mais si les Hippodocus en rut qui la suivaient partout étaient d’une quelconque indication, elle avait eu tort.

Edelweiss se contenta de jauger le garçon du regard, faisant jouer la dizaine de centimètres qu’elle avait sur lui pour exercer une forme d’intimidation silencieuse. Ses cheveux blonds, à longueur d’épaule, basculèrent en partie en avant. De derrière ses lunettes, le jeune homme la surprit en parvenant à tenir le contact visuel pendant quelques secondes, avant de détourner les yeux et d’enchaîner de deux autres questions. L’adolescente esquissa un sourire. Elle avait compté l’ignorer, par crainte que toute forme de politesse ne fût prise comme une invitation à la draguer (ses futurs « collègues » l’auraient certainement pris ainsi), mais cette forme de soumission involontaire du garçon la rassura sur ce point. Une part d’elle espérait qu’elle ne viendrait pas à le regretter.

« Edelweiss. » Elle tut son nom de famille ; il ne lui appartenait plus de toute manière. L’adolescent qui la flanquait se présenta à son tour, avec une mention toute particulière sur le fait qu’il comptait devenir un chef d’entreprise. Edelweiss reprit son sérieux à cette évocation du futur, qui la rappela immédiatement à l’ordre sur la raison de sa sortie en ville. « Je vais bien au salon, oui. Je n’ai fait que m’incruster en entendant quelqu’un du groupe dire que vous y alliez. » Il n’avait pas besoin de savoir qu’elle s’était perdue ; elle projetait déjà suffisamment l’image d’une fille fraîchement sortie de la campagne, elle n’avait pas besoin d’en rajouter une couche. La dernière question du garçon, ne demandant pourtant qu’une réponse simple en temps normal, se révéla toutefois être la plus difficile à articuler. Edelweiss considéra l’idée de dire qu’elle faisait encore partie d’un cursus scolaire classique, mais… mentir sur ce point lui parut aussitôt insipide. Le regard toujours rivé sur le garçon, elle conclut : « J’ai des tuteurs privés, avec d’autres étudiants. » Guère encline à continuer de se faire interroger, Edelweiss désigna du menton la pochette que Jim tenait en main. « Vous avez un travail à faire, au salon ? »

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Alors même qu’Edelweiss interrogea l’adolescent sur le contenu de sa pochette, ce dernier l’interrompit pour lui demander, non sans difficultés et nombre de balbutiements, si elle aimait cuisiner. Edelweiss fut prise de court, et ne cacha pas sa surprise, au risque de paraître sotte. Si la question avait tout à fait sa place dans leur échange, la poser ainsi d’entrée de jeu lui semblait… quelque peu gauche. Enfin, on ne peut pas dire que je ne m’y attendais pas, avec sa tête. Le garçon sembla toutefois se rendre compte de sa maladresse, car, sans même laisser à Edelweiss le temps de répondre, il inonda rapidement la conversation d’informations au sujet de ses propres goûts. Ouais, définitivement un peu pataud. Elle ne voyait pas nécessairement cela comme un mal. Pour l’instant, du moins. D’une certaine façon, le manque évident de finesse de Jim lui évoquait l’image d’un Malosse désespéré à l’idée de plaire à son maître. Indéniablement pathétique, mais suffisamment attachant pour attiser sa sympathie. L’adolescent lui prodiguerait certainement une source d’amusement tout au long de l’après-midi, tant qu’il resterait sagement à sa place.

Au milieu de l’entremêlement de mots qui sortaient à toute allure de la bouche du garçon, Edelweiss parvint à comprendre qu’il avait une préférence pour le sucré, ainsi que l’amer, si le café était d’une quelconque indication. Avec un petit sourire, elle décida de lui faire une fleur : « J’aime bien le sucré aussi, s’il y a de l’acidité avec. Sinon, je trouve ça trop fade. »

Quelques autres balbutiements incompréhensibles suivirent le commentaire, avant que Jim ne lui montrât finalement le contenu de sa fameuse pochette. Edelweiss ne connaissait pas grand-chose de l’entrepreneuriat. Seule l’image d’un chef d’entreprise en costume-cravate ou en tailleur lui venait à l’esprit. Peut-être que cette vision était erronée, mais l’adolescente ne chercha pas à creuser davantage la question sur le moment. Elle percerait le mystère de son côté plus tard, demanderait peut-être à un de ses tuteurs. Dans tous les cas, il n’était pas question de se ridiculiser face au citadin !

À sa grande surprise, le salon entra dans leur champ de vision au détour d’une rue donnant sur un boulevard. Il n’était pas si loin, finalement. Mais je n’y serais pas arrivé aussi rapidement seule. Coup de chance, avec l’aide de Jim, elle parvint à pénétrer au sein de l’exposition sans débourser un centime. Elle saurait lui revaloir cela. Peut-être qu’elle pourrait lui acheter une pâtisserie sucrée en remerciement ? Non, il risque de prendre ça comme du flirt, urgh.

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