« J’ai besoin d’un anti-brûle et d’une potion, si on peut me trouver ça, s’il-vous-plaît. » Les lits n’étaient pas encore tous installés, mais nous en avions quelques-uns de disponibles. Je ne me fis pas prier, je n’attendis pas d’avoir l’autorisation. Ces moments où on agit dans l’urgence sont particuliers, ils marquent la mémoire. Je me souviens très bien m’être inquiété de la douleur que pouvait subir le volatile, et je ne souhaitais pas en rajouter en inspectant sous son plumage. J’avais plusieurs options devant moi et devais faire un choix avisé rapide. D’un côté, je pouvais demander à Gus d’utiliser Balance, pour répartir la douleur entre la Hélédelle et lui. Il s’agissait d’une option que je savais efficace mais de dernier recours ; cela faisait souffrir mon Symbios pour simplement atténuer la douleur de l’oiselle. De l’autre, je pouvais essayer de travailler avec Pacôme, en lui faisant utiliser plusieurs de ses capacités. Le choix pourrait être facile, mais il s’avère qu’on travaille encore avec le Cotovol sur le dosage des poudres et spores qu’il crée et utilise. J’inspirai alors profondément. Je me décidai donc à faire appel à Pacôme. Je considérais qu’il y allait forcément y avoir une première fois à l’utilisation de ses poudres en situation, et le moment était venu. Il s’agissait de son épreuve du feu, presque littéralement.

Je fis tout de même sortir Augustin de sa pokéball. Il restait mon assistant principal, et j’allais avoir besoin de lui. « Allez Pacôme, j’ai besoin de toi. Utilise Doux Parfum pour l’apaiser dans un premier temps. Doucement, ne force pas trop sur le dosage. » Je souhaitais rassurer le pokémon plante, lui montrer que je lui faisais pleinement confiance, que je l’en savais capable. « Monsieur, excusez-moi, est-il possible que vous me remettiez la pokéball de votre Hélédelle, ainsi que votre nom et prénom, s’il-vous-plaît ? » Il est parfois difficile d’agir quand on sent le regard du dresseur du pokémon dont on s’occupe sur soi. On ressent l’inquiétude, qui peut les pousser à dire certaines choses, à déconcentrer aussi. Et ça, Geoffroi le sait. « Suivez-moi, et rassurez-vous, votre pokémon est entre d’excellentes mains. » Intérieurement, je remerciais mon collègue et ami, avant de me recentrer sur l’oiselle.

Pacôme n’était d’ailleurs pas le seul à s’entraîner avec ses dosages, j’en faisais de même. J’essayais de percevoir à l’odeur la quantité délivrée par le Cotovol, ce qui s’avérait un exercice difficile ; je dois admettre que progressais moins vite que mon pokémon. Je le voyais très concentré ce qui me fit reporter mon attention sur l’Hélédelle, cherchant à voir à quel moment elle serait suffisamment apaisée pour passer à l’étape suivante. Une fois que ce fut fait, je demandai à Pacôme de basculer sur Aromathérapie, cette fois pour cibler la brûlure dont souffre le pokémon hirondelle. Je n’osais pas encore toucher au plumage, ayant encore trop peur de la tirer de cet état plus détendu.

« Gus, si tu peux te connecter à elle, au moins pour me tenir au courant de ses variation d’état, je prends. » Sans que je n’eusse à le regarder, je devinais mon Symbios joindre ses mains pour amplifier ses capacités psy. De cette manière, il avait appris à sonder, d’un point de vue médical, les pokémons que nous soignions. « Voilà la potion et l’anti-brûle, désolée de ne pas avoir pu te les apporter plus tôt. » Ah, parfait. « Merci Toshiko, et t’inquiète, on n’en est pas encore là, alors t’es dans les temps. » En y repensant, je ne suis pas surpris que ce soit Toshiko qui ait répondu à ma demande. Elle était super discrète, dans notre promo, mais très observatrice. C’était souvent elle qui remarquait ce que le reste d’entre nous n’avait pas vu. Je constatais qu’elle avait conservé cette habitude de s’excuser pour tout, presque de s’excuser d’être là ou d’aider. Elle avait parfaitement sa place ici, parmi nous. « Et stop, c’est bon pour l’aromathérapie. On va maintenant pouvoir passer à la poudre dodo. » Si l’objectif premier était d’apaiser globalement la brûlure, je souhaitais que l’Hélédelle demeure parfaitement immobile, d’où l’utilisation de cette capacité. Je vérifiai d’abord que tout soit bon du côté de Augustin, qu’il n’ait pas constaté d’anomalie particulière. Le Symbios donna son feu vert, tandis que l’oiselle s’endormait peu à peu.

J’ai commencé à vérifier sous le plumage, pour délimiter les zones de brûlure, y appliquant au passage le spray d’anti-brûle dès que cela me semblait nécessaire. La vapeur avait donc touché tout le flanc gauche de l’Hélédelle, et une partie de son aile gauche. Je ne vis rien ailleurs. D’une certaine manière, j’étais rassuré. Certes la brûlure était là, mais elle était localisée, sans être extrêmement sévère ; ça augmentait drastiquement ses chances de convalescence sans gros encombres. Une fois l’anti-brûle passé, je redoublais avec la potion. Il ne me semblait pas nécessaire d’utiliser un produit de soin plus fort. Il est important de ne pas soigner outrancièrement un pokémon, il pourrait mal supporter l’intensité de la molécule soignante, ce qui serait plus problématique qu’autre chose. J’y allais doucement et comptais préconiser quelque chose de régulier. « C’est bon les gars, vous pouvez arrêter. Vous avez été top. » J’étais vraiment fier de Pacôme car l’enchaînement de capacités n’avait rien d’évident et il avait su le réaliser avec brio. Nos entraînements payaient et c’était extrêmement satisfaisant. J’allais pouvoir compter sur lui pleinement pour m’accompagner dans mon travail.

« Gus, tu m’aides à la transporter ? » Utilisant de nouveau ses pouvoirs psy, le Symbios souleva sans difficulté l’oiselle encore endormie. Je restais très précautionneux, je préférais utiliser la capacité à faire léviter d’Augustin pour les déplacements, car cela reste plus doux que si je le faisais moi-même. Il fallait éviter toute brusquerie, même si Pacôme restait à mes côtés si nécessaire. Il fallait que je transporte l’Hélédelle où elle pourrait rester en observation, sauf que je n’avais aucune idée de la section qui avait été établie pour ça, ni même si elle avait pu être montée, le temps que prenne soin du pokémon hirondelle. Je vis alors Djamal passer et l’interpelai, en quête d’une réponse à ma question. Il pointa du doigt la tente prévue à cet effet et, en tournant la tête, je pus constater qu’elle était en train d’être montée. « Je ne te retiens pas plus longtemps. » Nous allions être tous débordés par les arrivées massives de pokémons blessés, ou alors envoyés à droite ou à gauche, que ce fusse des pokémons capturés ou des pokémons sauvages, d’ailleurs. Je ne savais pas quel allait être mon rôle ici. J’avais soigné l’Hélédelle qui nous avait été apportée parce que j’étais là au moment où le ranger s’était amené et qu’il m’avait directement appelé ; il était possible que, dans l’organisation de Geoffroi, j’aie un tout autre rôle.

Nous nous dirigions donc vers la fameuse tente. « Il y a besoin d’un coup de main ? J’ai déjà un pokémon à vous laisser. » Jasmine et le vétérinaire kalosien que je ne connaissais pas – tout du moins pas encore – installaient la fin de la structure de la tente, de ce que je pouvais en voir. Les lits n’étaient pas encore dépliés, les cages pas encore toutes installées. « On peut aménager un truc rapidement, tu me fais le topo pendant qu’on fait ça ? » C’était donc parti, je commençais à décharger avec Jaz de quoi installer les pokémons blessés. « Hélédelle femelle, brûlure superficielle par vapeur sur le flanc gauche et la base de l’aile gauche. Anti-brûle à renouveler toutes les deux heures, potion toutes les quatre. » Jasmine s’interrompit pour prendre des notes. « Ok, dernières applications ? » « Il n’y a pas cinq minutes. » Je répondais du tac-au-tac, j’étais habitué à ce genre de transmissions d’informations. Tout doit être noté, pour un bon suivi des pokémons. « Parfait, on s’occupe d’elle maintenant. Je crois que tu devrais aller voir Geoffroi, il te cherchait tout à l’heure. » L’information me parut étrange, car je n’avais pas eu la sensation qu’il voulait me dire quoi que ce soit quand il est venu s’occuper du dresseur de l’Hélédelle. Après, dans le feu de l’action, je ne l’avais peut-être tout simplement pas remarqué parce que je ne lui prêtais pas vraiment attention.

J’ai fini par remettre la main sur Geoffroi. Il faut dire qu’il avait de quoi être occupé, d’un point de vue logistique humaine. Des vétérinaires du monde entier arrivaient à son appel, et c’était à lui de les dispatcher. Au final, il n’utilisait pas ses compétences de vétérinaires mais plutôt celles d’organisateur. « Mon Jojo, j’ai cru entendre que tu me cherchais. T’as besoin de quoi ? » J’étais loin d’être formel quand je m’adressais à mes amis, même dans le cadre de mon travail, je ne peux pas le nier. « Ah, Eddie, tu tombes bien. J’ai besoin d’un bon communicant pour gérer les arrivées. » La tâche était importante. J’allais être le premier interlocuteur des dresseurs, mon rôle n’allait pas être de soigner, mais de déterminer le niveau d’urgence et le professionnel vers qui orienter. « Ça marche pour moi, il me faut juste la liste des vétos sur le pôle de soin et leurs spécialités. » Les personnes qui arrivent pour faire soigner leur pokémon sont souvent en panique, il faut souvent les calmer, les rassurer, parfois les consoler. Je ressentais une certaine satisfaction à avoir été placé à ce poste pivot. Quant à Geoffroi, la réponse ne se fit pas attendre. Il avait sûrement prévu le coup et me tendit une liste. Je n’avais plus qu’à rejoindre la tente principale.

Une fois sur place, je découvris le matériel que j’avais à disposition : pas grand-chose, mais le strict nécessaire. J’avais un tableau blanc, parfait pour noter chaque vétérinaire et sa liste d’attente, des feutres de différentes couleurs, une radio et la fameuse liste des vétos présents. Mon premier objectif fut d’identifier quels vétérinaires étaient sous quelles tentes et sur quelle ligne de radio. Je me disais, à ce moment-là, que je n’étais pas pleinement certain de savoir faire fonctionner la machine, mais je m’y retrouvai relativement vite. « Ici Eddie au triage, pouvez-vous m’indiquer qui est là et sous quelle tente ? » Ça crépitait, j’espérais avoir bien exécuté la manœuvre. « Eddie, ici Otto Sveliev, tente 8. » Je me fis la réflexion que cela faisait un bail que je ne l’avais pas vu et qu’il était dommage d’attendre de telles circonstances pour se revoir. « Parfait, merci beaucoup. » Sur l’adhésif collé à la radio, j’inscrivis le nom de mon collègue et la tente correspondante. J’en avais – pour l’instant – quatorze autres à faire. J’avais cru comprendre que nous n’irions pas au-delà, que les vétos arrivant par la suite iraient directement sur le terrain. Je m’attelais donc à la tâche qui m’avait été incombée.

Être à la réception, m’occuper du premier accueil, de la redirection, ça me plaisait. J’étais au contact des pokémons, de leurs dresseurs et de mes collègues. On ne va pas se mentir, je faisais de mon mieux – en dépit de l’urgence et de la gravité de certaines situations – pour alléger l’ambiance, pour la rendre plus supportable. Nous étions confrontés à des choses difficiles à voir, et pourtant nous ne pouvions pas reculer ou dire stop. Il s’agissait de notre devoir, nous avions accepté cela en choisissant ce corps de métier. Sauf que cela faisait beaucoup d’un coup, en comparaison de nos quotidiens respectifs. Alors échanger, parfois plaisanter, c’était tout ce qu’il nous restait, et j’étais doué pour ça. Au point que, dès que ce fut possible, certains venaient me voir pour discuter brièvement. Je savais que c’était la raison pour laquelle Geoffroi m’avait placé à ce poste ; une preuve supplémentaire de ses qualités de leader.

Le temps passait, les patients se suivaient mais ne se ressemblaient pas. Je commençais à avoir chaud, la tente se transformait en étuve. Entre la lave non loin et le soleil, ça s’avérait assez difficile à supporter. « Oh et puis merde, hein. » J’ôtai le dossard violet de l’ONG pour retirer ma chemise qui allait finir trempée et collante, avant de remettre le dossard, sur mon torse désormais nu. C’était peu conventionnel, mais je m’en fichais pas mal. J’étais bien loin d’avoir honte de mon corps et je préférais être à l’aise que de répondre à des normes sociétales d’habillement. « Je savais que je pouvais compter sur toi pour ça. » Je me rappelle avoir été surpris par la voix dans mon dos. Geoffroi. Je me suis retourné et l’ai dévisagé. « Ils auraient mieux fait de m’écouter. Je le connais mon Doudou. » Je ne comprenais toujours pas, je notais cependant que Geoffroi utilisait le surnom que lui seul pouvait utiliser. Je voyais la satisfaction dans son regard, mais attendais toujours de savoir ce qu’il se passait. « Et donc, tu m’expliques ? » Il lâcha un petit rire. « On a parié sur le temps que tu mettrais avant de finir torse nu. » Je me suis immédiatement demandé si j’étais à ce point prévisible et eus une pointe de déception à constater que oui. Pour autant, j’ai trouvé ça génial qu’ils aient lancé des paris entre eux. Certes j’aurais aimé pouvoir être impliqué, mais mon statut d’objet du pari m’en avait empêché. Tant pis. Je me suis alors décidé à annoncer les résultats à tout le monde via la radio.