Je retiens une blague de mauvais goût, lorsqu’elle m’annonce qu’elle n’a pas eu le loisir de visiter Johto. Si je dis que si ça se trouve, elle ne la visitera jamais, j’suis pas certain qu’elle adhère à mon humour. Je prends la situation avec beaucoup trop de légèreté, jurant parfaitement avec le personnage que je suis sensé jouer. Seulement… J’ai un peu la flemme de m’y tenir, je dois dire. La situation est si unique que revêtir l’identité d’un autre me gave plus qu’autre chose. Tant que je garde secret mon passé de tueur, mes réelles intentions, ça devrait aller. J’apprends qu’elle est native de Kalos et je feins la surprise. Tu m’étonnes qu’elle se sente concernée !

« Je comprends oui… »

Enfin, je dis ça… Mais pas sûr que j’aurais vraiment bougé si c’était arrivé dans ma région. J’aurais sans doute été plus curieux, mais c’est sans doute tout. J’aurais adopté le même comportement qu’actuellement ; venir voir de plus près pour voir le monde brûlé. Que ce soit dans ma région ou non… Après avoir tout de même mis à l’abri Kane. J’ignore si c’est volontaire ou pas d’ailleurs, mais j’évite soigneusement de penser à mon fils ; savoir quel père horrible je suis me dérange déjà en général, aujourd’hui un peu plus encore. Pourtant je le sais que je suis incapable de combattre ma vraie nature.

Le tremblement et la nuée d’oiseaux me permettent au moins de ne pas me focaliser sur le sujet. Je me laisse plutôt porter par la curiosité que m’inspire la scène. Amyra m’affirme quelque chose que je sais déjà, quant aux liens des pokémons avec la nature… Et justement, pour qu’ils fuient ainsi un emplacement, c’est qu’il doit se tramer quelque chose d’important. De dangereux. J’ai encore plus envie de me jeter dans la gueule du Lougaroc. Comme par désespoir mais surtout… Par excitation d’assister au grand chaos qui nous attend. Cela ne semble en tous les cas pas intimidé la demoiselle, si j’en juge par le sourire qui étire ses traits. Elle est toute aussi curieuse que moi – sans doute pas pour les mêmes raisons -, ça me plait. Allons donc voir ce que l’apocalypse nous réserve !

Les arbres sont trop serrés pour que je puisse faire appel à mon Demanta. Naviguer ici serait chaotique, le risque qu’il se blesse les ailes bien trop élevé. Je n’ai pas le choix d’emboiter le pas à Amyra, n’étant pas spécialement à l’aise avec la course à pied. Sur de courtes distances c’est gérable, je suis même plutôt rapide. Mais niveau endurance – merci la clope -, c’est la cata’. Je réalise seulement maintenant d’ailleurs que les pieds de la demoiselle sont faits de métal. Eh bien, quel sens de l’observation pourri que j’ai, sur ce coup. Je ne sais pas si cette information sera utile à un moment où à un autre, mais je la conserve sagement dans le coin de ma tête.

Un grognement puissant retentit. Instinctivement, je m’arrête. Je sens les poils de ma nuque s’hérisser ; il faut croire que j’ai encore un instinct de survie, quelque part. Je ne suis pas loin de la donzelle, même si je suis persuadé qu’elle pourrait aisément me distancer. J’ignore le comportement défensif que mon corps hurle de respecter, regardant autour de moi. La forêt se fait moins dense…

« On irait plus vite à dos de pokémon. »

Je dis on, mais c’est surtout moi. Je sens que mes poumons me font regretter ce que je leur fais endurer depuis des années. Une petite partie de mon cerveau se dit aussi que ce serait le bon moment, pour calmer l’angoisse qui me prend aux tripes, de se taper un petit fix’. Mais non, ce n’est pas que le cas ; je veux être lucide lorsque l’auteur du rugissement sera face à nous. Du moins, aussi lucide que je puisse être. Un éclair écarlate et Devil est à côté de moi. Mon Demanta affiche ses belles couleurs qui me rendent toujours aussi bêtement fier, alors que je n’y suis pour rien. Sa nouvelle apparence lui convient parfaitement, maintenant qu’on sait qu’il n’y aura pas d’effet secondaire à l’utilisation de ce fichu sérum. Mon regard se pose sur Amyra. En théorie, Devil est capable de porter sur son dos deux adultes de poids moyen. En théorie ; avec mon poids plume de toute manière, il n’a jamais eu aucun problème. En revanche, la donzelle et ses prothèses en métal doivent peser… Sans vouloir jouer les goujats.

« Je doute que Devil puisse nous porter tous les deux… » Émettre mes pensées à voix haute, réellement…? Bah, si elle veut se vexer, qu’elle se vexe. Après tout, ce n’est pas comme si ça m’importait vraiment. « Vous auriez un allié qui puisse vous porter ? » Sans doute une question à ne pas poser, mais je m’en fous. En listant mentalement mes pokémons, à part mon Demanta, je n’ai pas vraiment de créatures qui pourraient porter quelqu’un. A part peut-être Tsuku. Même s’il est volumineux, il reste rapide et il a la force de porter un être humain. Mais bon ; ce n’est clairement pas la meilleure des montures. Et encore, heureusement qu’il est bien plus grand que les pokémon de son espèce.

Un nouveau grognement retentit. Il faut qu’on se dépêche, sinon on va rater le spectacle…

De ce que je vois autour de moi, les éléments semblent être maîtrisés. Je suis presque triste de ne pouvoir assister à un brasier ardent. Le feu ne m'a jamais vraiment attiré, mais le chaos qu'il renvoie suffit à faire vibrer mon âme. La désolation qui s'offre actuellement à nos yeux et bien en deçà de mes attentes. Je dissimule ma déception ; peut-être que l'apocalypse est surtout proche de la créature qui émet ses grognements sinistres. En tous les cas, les médias en ont beaucoup trop fait. Clairement. Si ça se trouve, la sœur d'Alan est encore en vie. Cette pensée m'offre un léger soulagement que je ne saurais pas interpréter. On verra ça plus tard.

Pour l'heure, j'en ai marre de crapahuter comme un con dans cette forêt. Maintenant que le terrain me le permet, j'appelle Devil auprès de moi pour voyager sur son dos. Il a l'habitude, ça se constate facilement à son comportement. Bien qu'il se montre curieux de l'environnement actuel, il flotte à mes côtés, à hauteur pour que je puisse grimper sur son dos. Seulement, je ne vais pas laisser Amyra derrière moi-même si ça serait une idée- et je lui demande naturellement si elle a une monture. Mon Demanta ne sera pas capable de nous porter tous les deux, mais la réponse obtenue me fait hausser un sourcil. Hum ? Pas sûr de bien interpréter cette réponse... Mon regard se fait plus perçant sur elle, à la recherche d'un détail qui me permettrait de comprendre. J'ai dû manquer d'attention à son égard à l'apparition de mon allé ; elle le cache, mais je vois la peur dans ses yeux. Alors ça par contre, c'est une première. J'ai l'habitude que les gens aient peur de Tsuku, d'Ama et de Shenzy par exemple, comme ce sont tous des prédateurs. Mais Devil ?... Bon j'avoue, dans son environnement aquatique ce n'est pas un tendre, mais tout de même.

La question qu'elle me pose confirme mes observations. Je ne peux cacher un léger sourire - j'ai déjà retenu un rire, ce qui n'est pas plus mal -, avant de m'acroupir pour caresser mon Demanta qui ne semble pas comprendre ce qui se passe. Il a aussi l'air de s'en moquer puisqu'il n'adresse aucun regard à la demoiselle qui m'accompagne.

« Aucun risque, c'est un gentil. Il ne combat pas beaucoup de toute façon, si ce n'est pour disputer ses petits. »

Je ris brièvement. Je ne m'attendais pas à parler des trois petits chenapans qui ont tant fait galérer leur père. C'est sans équivoque pour cette raison que je suis aussi proche de lui ; lui aussi s'est retrouvé balancé du jour au lendemain dans le monde de la paternité. Il a subi cette pression, tout en étant célibataire. Pas évident. Mais bon, je trouve qu'il s'en sort bien quand même, même si les triplés demandent beaucoup d'énergie. Il s'en sort mieux que moi, d'ailleurs.

Je suis à deux secondes de laisser ma curiosité l'emporter en demandant à Amyra pourquoi elle a tant peur de mon Demanta, mais elle fait apparaître un - ou une - Galeking. Sa taille est impressionnante... Je vais rester vigilant au cas où. Je ne voudrais pas me faire charger par cette créature, si à un moment ma vraie nature reprend le dessus, ou si elle se montre aussi méfiante à mon égard que le Scalproie. La donzelle commente à nouveau Devil. On dirait vraiment qu'il la traumatise... Ça continue bêtement de me faire sourire.

« Il peut facilement planer au-dessus du sol, même s'il est bien plus à l'aise dans l'eau. Bien plus rapide aussi. » Ça n'a rien à voir avec sa vitesse de déplacement dans l'océan... Il faudrait que je l'y emmène plus souvent, histoire qu'il profite un peu aussi. Je le sollicite beaucoup en ce moment, un peu de repos ne lui ferait pas de mal. « Fascinant pour moi c'est clair, il est très beau ainsi. Pour vous en revanche j'suis pas certain que ce soit le premier terme qui vous soit venu à l'esprit... » J'ai un sourire amical. Je ne cherche pas à la mettre mal à aise, mais si je peux savoir pourquoi elle a si peur de Devil... Je suis preneur.

On verra bien. En attendant, je m'installe sur le dos de mon Demanta, m'asseyant pour que ce soit plus confortable pour lui - et pour moi, si je peux éviter de me prendre des branches dans la gueule, ça me va -. Une nouvelle caresse pour le remercier de son aide et on se met en route. C'est bien plus confortable que de courir comme un con en manquant de me latter à chaque racine ! L'air est empli de cette odeur caractérisée de brûlé, me faisant penser que même si c'est moins chaotique que prévu, il y a tout de même du grabuge... Et savoir qu'on s'en approche m'emplit de joie.

On ne tarde pas à arriver à destination. Les habitations aux abords de la forêt n'ont pas souffert, en revanche le centre est gravement touché. On a la possibilité de voir ce fameux cratère dont parle tant les médias. En son centre, on dirait bien qu’il y a quelque chose… Et même si j’ai une bonne vue, je n’arrive pas à en déterminer la nature. Je m’arrête sur l’environnement qui s’offre devant nous ; le voilà, le fameux chaos. La désolation, les cris, les pleurs… Un son qui résonne agréablement à mon oreille. Je m’arrête subitement de sourire lorsqu’Amyra reprend la parole. Merde, oui. C’est un désastre. Pour les gens normaux, ce genre de décor est désolant. Il faut que je retourne dans mon rôle.

« Pas la moindre idée. Ça va être compliqué de le rejoindre. » Je sors mon téléphone de mon portable, constate que je n’ai plus de réseau. « Et ça va être compliqué de le joindre, apparemment. Quelque chose doit perturber… » Pas le temps de finir ma phrase, un nouveau rugissement résonne. Cette fois-ci, on peut voir ce qui suit le grognement et je reste béat face à un énorme rouleau de flammes émanant du centre du cratère. Oh. C’est vivant. Attends… Quoi ? C’est un pokémon ? Ça me rappelle une légende de Johto. Mais c’est à Johto, pas à Kalos. Ça n’a pas de sens. Ou alors plus que j’imagine. Est-ce que c’est seulement écrit quelque part que les légendes doivent rester dans leur région, d’abord ? J’ai envie d’en avoir le cœur net. Je sens Devil frémir. « Tu veux voir de plus près aussi ? » La réponse est clairement oui. Cette fois-ci, je ne m’accommode pas de savoir si Amyra me suit ou pas ; on se dirige vers le centre, passant au travers des débris pour connaitre la vérité.

Et peut-être croiser le chemin d’un nouveau-né plutôt… Ardent.

Je tente d’en savoir plus, sur la raison qui expliquerait le comportement méfiant de la donzelle envers Devil. Je pense adopter le bon comportement pour obtenir sa confidence. Cela fonctionne à moitié ; elle m’avoue avoir eu une mauvaise expérience par le passé. Je lutte pour repousser ma nature sans gène qui me ferait naturellement regarder ses jambes. Je pense qu’il doit y avoir un lien. Mais comme elle a eu la gentillesse, si je puis dire, de ne pas poser de questions sur mes iris, je vais me contenter d’acquiescer et de rester poli. Nul doute que mon comportement pourrait la mettre mal à l’aise… A juste titre. Si je me fiche habituellement d’être rude, je me garde de le faire pour cette fois. Elle a déjà eu du mal à m’avouer son malaise, je l’ai vu à son visage. Il faut croire que malgré tout, je ne suis pas aussi avenant que je le pensais. Après, elle peut aussi simplement être quelqu’un qui ne se confie pas. C’est une hypothèse. Et puis… De toute façon, je me rends bien compte moi-même qu’il y a des incohérences dans mon comportement. Bah, pas grave.

« Navré de l’apprendre. »

Mon faciès rejoint mes pensées. Je me doute que le traumatisme doit être assez important, au moins si ça tourne mal entre nous, j’aurais les cartes en main pour tirer l’épingle en ma faveur. Je ne laisse rien transparaitre néanmoins, ce serait contre-productif. Pour le moment. On se remet en route, arrivant bientôt devant le chaos absolu. Je ne parviens pas à dissimuler mon sourire, le plaisir qu’une telle vue me procure. Il y a forte à parier que ce comportement ne soit pas passé inaperçu… Si la donzelle était assez attentive à ma réaction. Je compte sur une sorte de subjugation pour le décor qui s’offre à nous, comme si cette vision la détournerait de me regarder. Je n’y crois pas trop.

Je réalise que je n’ai pas le bon comportement et adopte rapidement celui attendu. L’inquiétude pour mon ami se peint sur mon visage et cela m’agace en mon for intérieur de constater que cette dernière n’est pas totalement feinte. S’il est arrivé quelque chose à la sœur d’Alan, je m’en fiche. En revanche… Rah merde, fais chier. Pourquoi je repense maintenant à cette fois où ce crétin a failli crever et que j’ai tout fais pour que ce ne soit pas le cas, hein ? Il me saoule ce gars ! On me l’a foutu dans les pattes alors que je préfère largement travailler tout seul. Heureusement qu’il est fort en informatique, parce que sinon, il ne me servirait vraiment à rien. Même pas capable d’assassiner qui que ce soit sans vriller, pfff.

Le grognement soudain me fait esquiver ces pensées parasites. La donzelle semble tout aussi surprise que je le suis. C’est un pokémon qui est à l’origine de tout ça… ? A vrai dire, je me demande même pourquoi on n’y a pas pensé plutôt. C’est toujours les pokémons qui nous rappellent que nous, être humains, sommes des créatures faibles à leur total merci. Heureusement qu’ils acceptent de vivre en harmonie avec nous, sinon il n’y aurait plus la moindre trace de l’espèce humaine, vu les capacités qui sont les leurs. J’ai envie d’en apprendre davantage sur l’origine de ce chaos, surtout que ça me rappelle rapidement une légende de Johto… Et que j’ai envie d’avoir le cœur net.

Je me lance dans la découverte, ayant à peine acquiescer à ce qu’Amyra m’a dit. Je sais à quoi ressemble Alan, avec ses cheveux bleu-vert ça ne devrait pas être trop difficile de le repérer, mais pour l’heure, je m’en fous complètement de mon sous-fifre. Je veux découvrir la créature qui attend et qui crache les flammes de l’Enfer dans ce cratère… Même si c’est la dernière chose que je vois.

Il semblerait que la donzelle est tout aussi curieuse et elle me rejoint dans la course. Bah, ça me fera de la compagnie. Plus on s’approche et plus je sens mon visage se faire frapper par la chaleur ; humf, je n’ai jamais été un grand fan des fortes températures. Je sais que rapidement, ma peau naturellement blanche va se mettre à rougir. Amyra confirme ce que je sais déjà. Heureusement que j’ai déjà attaché mes cheveux, sinon ils me colleraient rapidement à la peau et ça me casserait les couilles. Je sens l’agacement poindre. La donzelle me pose une question alors qu’on est toujours en chemin.

« C’est pas moi qui décide sur ce coup-là. »

Mon regard se pose sur Devil qui se stoppe. Je me demande s’il a envie d’y aller parce que clairement moi, j’y vais. A pied ou avec lui. Quoi qu’il arrive, il est maitre de la décision. Comme il s’est arrêté, je m’apprête à descendre de son dos cela dit ; je ne le forcerais pas à affronter un adversaire qu’il ne veut pas combattre. Je me baisse un peu pour essayer de voir son faciès, me moquant bien que la position que j’adopte est ridicule. Je vois des bulles sortir de ses lèvres et son regard ne trompe pas.

« On dirait que Devil a fait son choix. Et vous ? »

Je me tourne vers elle, affichant un sourire narquois, les yeux brillants. Il est clair qu’on va à l’abattoir. C’est acté, pour moi. Et je m’en fous. La curiosité est trop forte. On se trouve à une centaine de mètres d’une créature que nul autre n’a déjà approché. Et puis… peut-être qu’il y a une chance, même minime, de ressortir de là vivant.

Qui sait ?