(2020 - flashback)

T'es sûre qu'une donation pourrait pas nous sortir de là ? J'pensais que l'argent achetait tout. Je grommelle dans le téléphone collé à mon oreille. A l'autre bout du fil : Sienna. Ma chère sœur use toute sa patience dans cette discussion. Il faut dire que je me répète. On cause de ça depuis mon dernier bulletin de notes. Une catastrophe, j'vais pas vous mentir. Je suis pas douée à l'école et franchement je m'en bat les reins des cours. Avant d'arriver dans c't'école, je pouvais cacher la misère mais pas ici. Le niveau est trop haut. Puis on nous surveille de trop près pour que je puisse tricher efficacement. Autant dire que c'est la merde. Pas ta meilleure idée de m'envoyer dans cette académie de péteux. Sienna soupire. J'avais de bonnes raisons de le faire, tu le sais. Ouais, c'est ça, des raisons dont tu me parles pas. Reyna. Pfff. Je souffle fort dans le micro. Je sais que tu en es capable si tu fais un petit effort. Facile à dire pour toi, t'es une putain de génie. J'exagère pas. Elle a fini le lycée avec deux ans d'avance. Ce qu'on apprends ici à tout d'un jeu d'enfant pour madame j'ai fait trois masters tout en gérant une famille criminelle. De mon côté, je suis en sueur dès que le cours de math commence et mon cerveau se fait la malle au bout de deux minutes. Les séances de tutorats vont aider. J'en rigole. La bonne blague. Mon dernier tuteur s'est barré après la seconde séance. Fais au moins un effort avec elle. Son père essaye de tisser des liens avec nous depuis un moment, elle a donc toutes les raisons de s'impliquer avec toi. Je me disais bien que ça cachait un truc. Ok. C'est bon, j'ai compris. Mais tu m'en devras une. Deux si je réussi ce putain d'exam. Elle raccroche avec ce qui sonne comme un rire satisfait. Pour sûr, je me suis fait avoir.

J'arrive dans la salle de tutorat un peu plus tard après une rencontre malencontreuse avec une surveillante. Elle m'a remis ma cravate en place et m'a fait redescendre ma jupe parce qu'apparemment c'est pas correct de la porter si court même avec un cycliste en dessous. Autant dire que mon humeur s'est pas améliorée. Y a une gonzesse assise à la table. Menue, l'air impeccable, toutes les autres caractéristiques de la nana toute proprette. On va pas s'entendre, j'le sens. C'toi l'intello qui doit m'apprendre les maths ? Serena qu'que chose ? Meilleure entrée en matière. Bravo, Reyna.

Dans le silence ambiant de ta petite chambre, chaque son est entendu. Tu perçois le vent soufflant dehors et agitant les branches d'un arbre assez proche pour gratter légèrement la façade, le couinement de semelles en caoutchouc sur le plancher de la chambre voisine, le grattement régulier de ton stylo pendant que tu t'appliques à développer proprement une équation, même le passage des minutes du réveil trônant sur ta table de chevet ne t'échappe pas. Il est dix-neuf heures dix et ton estomac commence à se plaindre. Il grogne doucement depuis un moment déjà sans que tu ne décides de faire une pause pour te rendre au réfectoire. Il faudra que tu le fasses vite si tu ne veux pas rater le service du soir, mais tu te laisses pousser par cette petite voix dans ta tête qui t'encourage à en faire encore plus. Qu'importe que tu ais déjà pris une solide avance sur les travaux à rendre et autres devoirs. Lorsque ton portable se met à vibrer, le son parait presque violent à cause de sa soudaineté. Un sourire t'étire les lèvres alors que tu t'en saisis - cela ne peut qu'être Gia - mais il s'efface aussitôt. Tu t'empresses de décrocher, un peu fébrile.

« Papa ? »

Un son de gorge grave te réponds. Au vu de l'heure, tu l'imagines sans mal sur la route, impeccable dans son costume malgré une longue journée dont il revient à peine. Il a beau ne pas pouvoir te voir, tu te sens prise en faute dans ton uniforme débraillé. Tu te tiens plus droite encore dans ta chaise de bureau, tes mains tombant sur tes cuisses pour t'empêcher de les laisser jouer avec ton stylo. Tu sais qu'il déteste lorsque tu gigotes. Cet appel sème sa confusion bien trop vite dans ton esprit. Il n'est pas normal. Tes parents ne te téléphonent qu'à des moments définis. Une fois par mois, tu reçois un coup de fil de ta mère pour te communiquer le planning des prochaines semaines. C'est à ce moment là que tu apprends si il est nécessaire que tu rentres pour le weekend. A chaque fin de trimestre, ton père décroche son téléphone pour te réclamer un rapport sur la progression de tes notes. Pour ça, il est encore un peu trop tôt. Tu ne sais donc pas comment réagir.

Un coup de klaxon résonne au loin ce qui confirme ta théorie. Il y a le bruit du clignotant, puis tu l'entends prendre une inspiration.

« Je t'ai organisé des séances de tutorats avec une autre élève. »

Malgré toutes les questions qui se faufilent dans ton esprit, tu es trop bien éduquée que pour l'interrompre. Tu n'as pas besoin d'une tutrice. Tes notes pourraient difficilement être meilleures et tu as prouvé être parfaitement capable de travailler seule. C'est même comme ça que tu t'en sors le mieux. Tu es trop mal à l'aise avec les autres. Même ton père doit en avoir conscience, raison pour laquelle tu ne comprends rien à cette histoire.

« C'est la seconde fille Brancaleoni. Une élève difficile, je suis sûr que tu as dû entendre parler d'elle. »

Oh. Il veut que, toi, tu deviennes tutrice. Cela fait plus de sens. Tu aurais dû y penser directement. Tu te sens même idiote de ne pas l'avoir fait. Pour ta défense, c'est dire à quel point cet appel te perturbe.

Tu as beau ne pas participer aux racontars, il faudrait que tu sois aveugle et sourde pour ne pas connaitre l'adolescente dont il parle. Reyna Brancaleoni fait souvent parler d'elle et jamais en rien. Tu n'es pas enthousiaste à l'idée d'être forcée de la fréquenter. Au vu du fond de dédain dans la voix de ton père, il ne l'apprécie pas plus. Pourtant, il n'hésitera pas à te jeter en pâture à cette brute si cela peut lui apporter quelque chose. Ce qu'il fait.

« Si elle venait à améliorer ses notes grâce à toi, cela aiderait mes affaires.
Je ferais de mon mieux.
Tu vas devoir faire plus que ça. Ne me déçois pas, Seiloh. »

Il raccroche sans un mot de plus et tu restes avec ton téléphone collé à l'oreille pendant une poignée de secondes supplémentaires. Bien sûr que tu ne t'attendais pas à plus. Il n'allait pas prendre un peu de son temps pour chercher à savoir comment tu allais. L'option de dire non n'existait pas non plus. Ce n'est pas un service qu'il t'a demandé. Il t'a donné un ordre, t'a confié une tâche, et tu ne peux que la mener à bien.

Tu soupires, reposes ton téléphone sur le bureau, et de longs instants s'écoulent. La pièce est toujours silencieuse. Le vent souffle un peu plus fort dehors, les minutes passent sur le réveil, ton ventre gronde une énième fois à cause d'une faim dont tu n'as plus le courage de t'occuper. Tu reprends ton stylo et le cours de tes équations.

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La salle de tutorat est le dernier endroit où tu as envie de te trouver pour le moment mais tu y es tout de même assisse. Ta trousse et tes manuels sont soigneusement arrangés devant toi. Tu t'appliques à maximiser ton temps en entamant déjà tes propres devoirs. Reyna est en retard. Cela commence mal et tu n'en es pas étonnée. Les détails ont été organisés par vos parents, vous n'avez pas échangé un mot depuis que tu as reçu cet appel de ton père. On t'a juste dit de te présenter ici. Vous n'avez pas eu beaucoup d'occasions non plus, vous n'êtes pas dans la même classe. Tu remontes un peu la manche de ta veste pour regarder l'heure. Déjà quinze minutes passées quand tu avais prévu de lui consacrer une heure. Tu vas devoir décaler tout ton emploi du temps. L'idée te fait monter un début de migraine.

Tu sursautes lorsque la porte s'ouvre et qu'une blonde vaguement familière fait irruption. Son attitude t'irrite déjà bien que cela ne se reflète pas sur ton visage. Tu ne laisses échapper qu'un soupir. Au moins, elle est là.

« Seiloh Barton. »

Tu la corriges en retenant ton agacement. Tu continues d'une voix plate.

« Tu es en retard. Fais plus attention à l'heure la prochaine fois, s'il te plaît. »

Seiloh Barton. Ouais, bon, Serena ou Seiloh c'est du pareil au même. Ok, je force un peu. Son prénom est putain d'original. Si ça m'avait pas tant fait chier d'être là, j'aurais pu le retenir juste à cause de ça. A la place, j'ai balancé le premier truc commençant par la même lettre et ça me fait passer pour une bitch. Ce que je peux être, on va pas se mentir. Je peux assurer que je vais l'être là en tout cas. Sa tête me revient pas. J'aurais préféré qu'elle le prenne mal, que son ego se fasse amocher, qu'un truc se passe quoi. A la place, elle est juste passive. J'sais pas quoi en penser. Pas illogique vu que je la connais depuis deux minutes. Tu es en retard. Fais plus attention à l'heure la prochaine fois, s'il te plaît. Chiant. En plus, c'est pas de ma faute ce coup-ci. Pour sûr, si je lui racontes, elle va pas me croire donc je prends pas cette peine. Je suis juste saoulée d'être rappelée à l'ordre. Tu vas pas me gaver pour cinq minutes. Si Sienna m'entendait, elle me foutrait une baffe. Nan, en fait. Elle est pas brutale gratos ma sœur. A la place, j'aurais droit au regard noir ou à celui qui dit qu'elle est déçue. Je le déteste lui. Faut que je fasse un effort. J'ai beau faire genre que je lui dois rien à la Seiloh, c'est plus compliqué. J'doute qu'elle ait plus envie d'être là que moi. Puis y a le plan de ma sister. Je ferais gaffe. Que j'soupire, vaincue par ma propre tête. Comme quoi, je peux être raisonnable.

Tout en me perchant sur la table, j'attrape un de ses bouquins. Mes jambes touchent pas le sol donc je peux les balancer. J'suis d'accord, ça fait gosse, mais ça aide pour évacuer l'énergie. Être assise, j'aime pas. Raison pour laquelle je tripote ses affaires en plus. Wait. J'ai pas capté tout de suite ce que j'avais dans les mains. Je le reconnais vaguement ce manuel parce que je l'avais l'année passée quand Frank s'occupait encore de mon éducation. Autant dire que c'était plus simple à l'époque. Mais c'est pas la question. Je zieute ma tutrice avec méfiance. Meuf, t'es une sophomore ?! C'est quoi ce plan ? J'sais que je suis nulle en math mais pas au point de devoir me faire materner par une nana plus jeune.

La rebuffade est immédiate. Te fait serrer les mâchoires avant que tu ne parviennes à te rappeler de garder les traits lisses. Tu n'es pas censée manifester tes émotions de la sorte. C'est une perte de temps. Tu le sais pertinemment. Mais tu réagis mal à la rudesse dans sa voix. Ce n'est pas vraiment de sa faute. Certes, il serait plus facile si elle se montrait moins arrogante et cassante, mais tu devines que votre coopération ne va pas être facile même sans ça. Tu risques d'être souvent mal à l'aise. Ce n'est pas pour rien que tu évites de passer du temps avec certaines personnes. Tu préfères les taiseux avec qui tu n'as pas à te soucier de manifester trop de signes de sensibilité, selon les mots de tes parents. Elle fait partie de cette catégorie d'élèves que tu fuis comme la peste avec leur voix forte et une liste d'ennuis potentiels qui semble toujours les suivre. Tu ne devrais pas la catégoriser de la sorte, ne pas la voir uniquement comme ce stéréotype qui lui colle à la peau. Que tu sois sur la défensive n'aide pas. Si tu avais la possibilité de t'écouter, tu serais sans doute partie depuis cinq minutes. Peut-être l'aurais-tu plantée là à l'instant même. Tu n'as néanmoins pas ce luxe. Dans ce cas-là, tu n'aurais pas été là pour entendre le changement dans sa voix. Tu ne l'as pas vu à cause de tes yeux baissés, mais son effort te fait relever la tête sous le coup de l'étonnement. Tu en restes bouche-bée. Elle vient de faire un pas dans ta direction métaphoriquement parlant. Physiquement aussi. Elle en fait même plusieurs jusqu'à venir se jucher sur la table que tu occupes. Ton dos s'aplatit contre le dossier de ta chaise par réflexe dans un besoin de générer de l'espace. Tu restes soulagée que le geste n'ait pas été assez vif pour faire bouger les pieds. Le grincement contre le parquet aurait été tout sauf discret.

« Ah- »

Tu veux réagir lorsqu'elle brise l'équilibre de tes livres étalés devant toi, mais elle ne t'en laisse pas l'occasion. Elle observe celui qu'elle a pris, un manuel d'histoire, et, pendant ce temps au moins, son attention n'est plus sur toi. Tu n'aimes pas trop qu'on touche à tes affaires. Tu ne sais pas non plus quoi faire de sa bougeotte. Tu veux juste que vous vous mettiez au travail. Tu commences à douter que la productivité brillera sur cette session.

Une exclamation choquée pousse vos regards à se croiser. Tu ne tiens qu'une poignée de secondes. Déjà, tes yeux tombent sur son épaule. Tu hoches la tête. Apparemment, elle ne sait vraiment rien de toi. Il va falloir que tu rectifies ça un minimum si tu souhaites qu'elle t'accorde assez de confiance - est-ce vraiment le mot ? - pour te laisser l'aider à rattraper son retard.

« Je suis en algèbre appliqué. »

Et ? Tu tentes de t'encourager. C'est le moment où tu dois en dire plus, paraître confiante, mais entre ce que ta tête sait et ce que ta bouche dit se trouve un gouffre.

« Hum. J'ai... J'ai vérifié le programme des Juniors. Je suis à jour sur ce que vous avez vu donc... Hum. Ca devrait aller. »

Superbe manifestation de confiance en toi, ton esprit se moque. Voilà qui va lui donner envie de t'écouter, il n'y a aucun doute là-dessus. Ce que le sarcasme peut faire dire...

Je suis en algèbre appliqué. Comme si elle a pas déjà assez une tronche de première de classe. Y a des tordus que je ne comprends vraiment pas. Les AP doivent vivre dans un autre monde avec leur envie d'apprendre de la matière en avance. Pas étonnant qu'elle fasse si stressée. Elle doit pas s'amuser souvent. Elle doit pas connaitre non plus le principe de perdre du temps pour se détendre. Comment Sienna a pu se dire que le courant passerait entre nous ? Ca me dépasse. Quand je la vois, j'ai juste envie de l'emmerder. C'pas méchant, j'aime juste trop pas son petit air précieux. Hum. J'ai... J'ai vérifié le programme des Juniors. Je suis à jour sur ce que vous avez vu donc... Hum. Ca devrait aller. Et dire que je suis coincée avec elle jusqu'aux prochains tests. Deux fois par semaine. J'ai pas le choix t'façon. Je grommelle en descendant de la table. Je m'en balance pas mal de ce qu'elle sait faire ou pas. Moi j'peux faire l'effort de me pointer et d'écouter. Le reste est entre ses pattes.

Dans une volonté de pas trop faire chier direct, je tire une chaise, je la retourne, et je me pose dessus. Avant de croiser les bras sur le dossier, je sors même mon manuel. Il a vécu des trucs au fond de mon sac mais au moins je l'ai. J'espère qu'elle va se chill un peu si je fais un effort. Me coltiner un mess qui bégaye pendant une heure, ça m'achèverait. On fait quoi, prof ? Bordel, je m'emmerde déjà. J'arrive pas à retenir un soupir. Je pourrais être en train de traîner en ville. Ou de m'entraîner à la salle. Sienna, faut vraiment que j't'aime.

Tu ne sais vraiment pas comment te comporter. Tu peines aussi à la comprendre. Il est évident qu'elle n'aime pas l'idée d'être là. Que ta présence ne l'enthousiasme pas, ce que tu peux comprendre sans mal. Mais elle fait un effort. Il te semble en tout cas. Elle n'est pas si terrible. La réputation qui la précède la décrivait comme une sorte de chien fou aux réactions brutales. Aujourd'hui, elle fait plus blasée qu'à cran. Tu n'es pas en position de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose. C'est ce qui rend la chose si compliquée. Tu es rarement à l'aise avec les autres et il n'y a que lorsque tu parviens à les identifier que tu réussis à t'adapter. Vraiment, tu n'es pas faite pour la vie qui t'attends au-delà des bancs de l'école. Heureusement, tu as encore un bout de temps avant d'en arriver là.

Reyna daigne enfin observer une position plus appropriée pour étudier... Jusqu'à ce qu'elle retourne sa chaise pour s'y asseoir. Elle ne pourrait pas être plus cliché en cet instant. Tu pinces les lèvres, inspires doucement. Il faut que tu prennes les victoires qu'on te donne. Au moins, elle n'est plus assisse sur la table.

Retenir ta grimace reste difficile lorsqu'elle extraie son livre de math de son sac. Tu n'es pas si étonnée que ça de le voir dans cet état, mais cela explique des choses. Au risque de sonner comme une coach en motivation et productivité, travailler dans un environnement ordonné et prendre soin de ses affaires est important. Tu ne peux t'empêcher de prendre ça pour preuve qu'elle n'est vraiment pas intéressée par les cours. Tu ne la juges pas pour ça, tu comprends bien que tout le monde ne trouve pas son équilibre dans les études.

Tu rapproches ta chaise, croises les jambes en-dessous de l'assisse. Tu peux le faire. Ou au moins essayer.

« Est-ce que tu as ton dernier test ? Ca nous donnerait un bon point de départ de voir les exercices où tu as eu faux et ceux que tu as réussi. »

C'est plus facile lorsque tu peux te reposer sur du concret. Etablir un plan, trouver la faille et la reboucher, tu sais faire. Ce sera la même chose lorsqu'il faudra parler de la matière. Dans ces moments là, cela compte peu que tu sois bien incapable de croiser son regard.

Miss première de classe a apparemment pris des cours de bonne conduite. Sa posture me rappelle ces meufs de bonne famille avec lesquelles je dois trainer à l'occasion lors de galas et autres évènements mondains. Je déteste ça mais Sienna trouve important que je m'habitue à cette vie. Au cas où. J'aime déjà pas ce que ça sous-entends. On va pas se mentir, c'est pas mon milieu non plus. Je suis faite pour l'action, pour la rue. Il n'empêche que je suis capable de me saper classe et de parler poliment mais il y a une grosse différence entre pouvoir et vouloir. Les efforts que ça me demande n'en valent pas la peine à mes yeux. Je suis pas ma sœur. Elle est une reine qui appartient à cette sphère de richesse et de pouvoir. Je suis la seconde fille destinée à se salir les mains pour donner l'illusion que celles de la boss sont propres.

En même temps, c'est pas si étonnant qu'elle fasse petite bourgeoise. Il faut allonger quelques briques pour avoir le droit d'étudier dans cette école. Malgré tout, il doit y avoir une histoire d'apparence pour que son daron soit si désespéré à attirer les faveurs de ma famille. La richesse doit être nouvelle et leur petit clan d'inconnus en veut plus.

Est-ce que tu as ton dernier test ? Ca nous donnerait un bon point de départ de voir les exercices où tu as eu faux et ceux que tu as réussi. Smart. Je dois lui reconnaître ça. Elle me rappelle un peu une prof. Sans doute qu'elle a déjà joué les tutrices pour d'autres cancres dans mon genre. Euh ouais. Je replonge dans mon sac. Elle a de la chance. Souvent, je balance mes tests à la poubelle parce que qui voudrait garder une feuille toute raturée de rouge ? Là, j'ai pas encore eu le temps. Je la retrouve toute froissée sous un bouquin. Y a un coin déchiré aussi. Je fais l'effort de la lisser un peu avant de la lâcher devant Seiloh. Me fais pas une crise cardiaque. T'as jamais dû voir ça. J'en rigole. Je me fous pas mal qu'elle me juge. Son avis compte pas. Ma valeur repose pas non plus sur une putain de note donnée par un random trop bien payé sous prétexte qu'il éduque la prochaine génération de précieux de la nation.

Tu veux garder l'esprit ouvert, lui laisser sa chance de te montrer qui elle est au-delà de sa réputation et de ce qu'elle dégage, mais, sincèrement, Reyna ne s'aide pas. Lorsque tu l'entends farfouiller dans son sac, il t'est difficile de ne pas visualiser une corbeille à papiers. Peut-être vaudrait-il mieux que tu prennes pour règle de t'attendre au pire lorsque cela la concerne pour te donner, à toi, une chance d'être surprise positivement. Parce qu'après tout, malgré le torchon qu'elle repêche, elle fait un effort pour lui redonner une allure potable. N'est-ce pas quelque chose ? Tu peux y voir une forme de respect quand tu te doutes qu'elle aurait été capable de te balancer le dit test sous la forme d'une boulette malmenée. Elle prends même la peine de te prévenir vis à vis de ses notes, bien qu'il y ait de la moquerie dans son ton.

Malgré la mise en garde, tu n'es pas prête pour l'étendue du travail qu'on attends de toi.

« C'est... »

Une catastrophe. En l'absence d'un commentaire positif à faire pour arrondir les angles, tu préfères ne pas pousser plus loin. Tu te contentes de parcourir ses réponses en résolvant les exercices mentalement pour tenter de comprendre où le problème s'est posé. La manœuvre te prends une poignée de minutes durant lesquelles tu fais l'effort de te concentrer uniquement sur la feuille et pas sur sa présence que le silence rend plus anxiogène encore.

« Ne le prends pas pour toi... »

Tu commences mal. C'est une phrase bateau que trop de gens utilisent comme excuse juste avant de faire un commentaire vexant. Ce n'est vraiment pas ce que tu souhaites faire. Tu cherches juste à expliquer ce que tu vois sur le papier. Il faut que tu fasses taire le doute qui pointe pour éliminer les possibilités. Tu es méthodique, c'est comme ça que tu fonctionnes.

« Mais... Hm. Comment dire... Est-ce que tu le fais exprès ? Ou plutôt est-ce que tu essayes vraiment ? »

Loin de toi l'idée de la descendre ou de minimiser les efforts qu'elle fait peut-être, mais, si ils sont là, son test ne les reflète pas. Non seulement il manque des réponses, mais celles qu'elle a indiqué n'ont aucun développement et sont bien loin du résultat attendu. Son professeur doit avoir pris une interrogation pareille pour preuve d'un désintérêt total pour son cours. Tu ne l'imagines donc pas faire un quelconque effort pour l'aider à s'améliorer.

C'est... Je vais pas mentir, je suis accrochée à ses lèvres. J'attends de voir ce qu'elle va dire. Jusqu'où elle va oser aller. Je me fais mes petits pronostics. Vu son attitude, pour sûr, elle va rester polie. Elle va me sortir de je sais pas où un qualificatif bien faux-cul. Peut-être un mot que j'aurais jamais entendu. J'attends. Puis j'attends encore. Et puis encore un peu. Rien ne vient. Elle a abandonné l'idée de finir sa phrase, j'crois. Est-ce qu'elle est en train de me faire un AVC ? Elle cause plus, elle bouge plus. 'Fin si. Ses yeux parcourent le test encore et encore. Je comprends pas bien ce qu'elle fiche. C'est évident qu'il pue la merde. Je pose mon menton entre mes mains avec un soupir. Ce que c'est chiant d'attendre.

Ne le prends pas pour toi... Je suis pas loin de relever la tête comme un putain de ponchien quand elle me parle de nouveau. Elle va réussir à cracher ce qu'elle a à dire ce coup-ci ? J'ai vraiment envie de lui dire d'y aller franco mais j'ai peur de faire pire en parlant. Si je la coupe maintenant, elle risque d'avoir à recommencer toute sa réflexion. Sérieux, elle a du mal à parler avec tout le monde ou c'est juste moi ? Je vais pas la bouffer. Je fais des efforts. Mais... Hm. Comment dire... Est-ce que tu le fais exprès ? Ou plutôt est-ce que tu essayes vraiment ? Et là, j'éclate de rire. Pauvre fille, elle va rien capter. Tant de pincettes pour ça. Il est pas assez clair, mon test ? Mais elle est presque mignonne avec ses efforts pour pas me vexer. Sûrement parce que je lui fous la trouille. J'me leurre pas. J'aime vraiment pas les maths. Je hausse les épaules. Et c'est pas pour faire la victime mais la bonne sœur qui donne cours m'a vraiment dans le pif. Arrêtez de bouger mademoiselle Brancaleoni, tenez vous droite mademoiselle Brancaleoni. Blablabla. Je glisse un semblant de mauvaise imitation dans l'explication. La voix grinçante de la prof est trop désagréable. Nouveau haussement des épaules. Pas que ça change le fait que je sois nulle en cours. C'est comme ça, j'ai pas le cerveau pour. Et essaye pas de me dire le contraire. J'aime pas qu'on me brosse dans le sens du poil. Je bougonne avec un index pointé dans sa direction.

Cette conversation ne pourrait pas te mettre plus mal à l'aise. Pourtant, elle ne te concerne pas vraiment. Comme souvent, tu vois trop d'endroits d'où pourraient surgir le danger, tu envisages toutes les raisons pour lesquelles cela pourrait mal se passer. Tu t'enfermes dans ta tête et les mots sortent d'autant plus maladroitement, chaque blanc pouvant créer un malentendu si facile à éviter. C'est pour ça qu'il est tellement plus facile de ne pas communiquer avec les autres. L'air inaccessible que tu te donnes n'est qu'une vulgaire protection qui parfois se fait plus étouffante que la chose en elle-même. Tendue comme tu l'es, ton regard fuyant vers l'unique potentielle sortie, il n'y a rien d'étonnant à ce que son éclat de rire vienne provoquer un séisme en toi. Un frisson te traverse et tu te recroquevilles un peu sur toi-même, les épaules courbées et la tête basse. Fut une époque où tu aurais sans doute bondi sur tes pieds, mais il s'agit d'une erreur que tu ne fais plus. Une réaction trop excessive est formellement interdite. Tu n'es pas sensée te faire remarquer. Ce qu'on te demande en général est de prendre moins de place. Toujours moins jusqu'à ce que tu te rapproches de l'invisibilité.

Les mots de Reyna t'échappent presque. Une part de ton esprit trop bien drillé par l'habitude les capte passivement, toujours prête que tu es à répondre aux attentes des autres. Tu frémis lorsqu'elle s'adresse à toi plus directement, le ton de sa voix plus ferme, et sa main bougeant à proximité. Tu t'attends presque à plus. Plus d'abrasivité, plus de reproches. La mise en garde manque néanmoins de mordant. Tu oses glisser le regard vers elle pour un instant. Tu n'y comprends pas grand chose. Tes yeux se détournent aussi vite, mais tes épaules se détendent. Tu pinces les lèvres, un peu dérangée sans trop comprendre pourquoi par ce qu'elle a dit. La blonde a néanmoins été claire et tu n'as pas le cran d'aller contre. Qu'aurais-tu pu dire de toute façon ? Votre conversation prouve encore à quel point tu n'es pas douée avec les autres, encore moins lorsqu'il s'agit d'aller vers de l'émotionnel. En plus, tu n'es personne. Vous ne vous connaissez pas. Tu es juste bonne à mettre les pieds dans le plat.

Soudainement, tout ça, c'est un peu trop. Tu penches le poignet pour observer machinalement l'écoulement des secondes sur ta montre. Cela te calme d'habitude. Tu tiens dix tics avant de reposer le test sur la table pour le lisser d'une main. Mine de rien, le temps passe. Il est encore un poil tôt, mais tu n'es pas contre un petit mensonge sans conséquence. Tu fais glisser la feuille vers elle avant de commencer à rassembler tes affaires.

« Je dois y aller. Jeudi à la même heure, est-ce que ça va pour toi ? »

Tu t'efforces de questionner poliment malgré ton incapacité cuisante à croiser son regard. Tu ranges ton sac avec des gestes mesurés, l'esprit essayant de partir loin. Tu as envie d'appeler Gia pour te plaindre de cette inconfortable mission que t'as donné ton père. Elle saurait quoi faire, comment se comporter. Elle est douée avec les autres. Mais tu ne veux pas la déranger, encore moins l'inquiéter. Tu es sûre que si elle entends ta voix, elle comprendra que ça ne va pas vraiment pour le moment et tu ne veux pas lui faire porter le fardeau de problèmes que tu devrais être capable de régler seule et que tu t'inventes sans doute un peu. Alors malgré cette tentation de chercher du réconfort, tu ne le feras pas. Comme trop souvent, tu vas te perdre dans les devoirs et les heures d'étude, dans des tâches qu'un robot pourrait effectuer car respirer est tellement plus aisé lorsque tu ne laisses aucune place à tes émotions.

« Essaye de ne plus être en retard, s'il te plaît. »

Je vois pas les signes au départ. C'est facile d'ignorer. Si j'y fais pas gaffe, je peux ne voir en elle qu'une intello coincée comme elle ne doit me voir que comme une racaille qui n'a pas sa place dans cette école de bourges. On s'en fout pas mal que je doive plus correspondre qu'elle a la description vu la famille d'où je viens. Ouais, je pourrais continuer à voir Seiloh comme la nerd chelou qu'elle doit être au moins un peu. Sauf qu'il y a un putain de déclic. J'ai croisé un paquet de gens dans ma vie. J'ai foutu la trouille à plus de mecs que je le devrais à mon âge aussi. Cette nana pue la peur. Elle est pas loin d'avoir les réactions des pokémons qu'on trouve dans les combats undergrounds de Volucité. Pas les bêtes d'attaque sur lesquelles on mise. Nan, les petits qui leur servent d'échauffement. Ceux qui servent à rien d'autre parce qu'on les a tellement cassés qu'ils ont pas l'idée de montrer les dents. Je sais que c'est bizarre que je me fasse des plans de la sorte. Je la connais pas. Mais mon instinct, c'est un peu le seul truc sur lequel je peux compter. J'suis sûre que si elle s'est pas encore faite bouffer c'est parce que son truc à elle c'est la discrétion. Si Sienna m'avait pas foutu dans ce sale plan, jamais je l'aurais calculé.

Elle s'agite d'un coup. Pourtant, j'ai rien dit, rien fait. Elle est toute prête à fuir la queue entre les pattes. Je dois y aller. Jeudi à la même heure, est-ce que ça va pour toi ? Nan, ça me va pas. Aucune envie de bosser ce putain de cours de math. Mais je me la boucle. J'ai promis à Sienna. Je hoche la tête. Elle doit pas remarquer, elle me regarde pas. Elle s'en fout, j'crois. Essaye de ne plus être en retard, s'il te plaît. Je ravale le commentaire de merdeuse qui tente de sortir. Ouais, bon, ok, je peux faire cet effort. Je me passe la main dans les cheveux. C'est le bordel là au-dessus après la journée que j'ai passé. Ok. Je me contente de ça pour qu'elle puisse se barrer.

* * *

Sienna m'appelle un peu tard dans la soirée. J'suppose qu'elle a fini de bosser. Je décroche avec un sourire parce que je kiffe ses appels surprises. Encore plus de nuit. Elle est plus détendue à ce moment là. Elle prends son temps. Je suis posée sur mon lit avec ma console. J'arrête pas le jeu. J'ai pas besoin de concentration pour déglinguer des débiles à Pokémon Kart. On discute normal jusqu'à ce qu'elle foute sur le tapis le sujet même de son appel. Comment c'est passé le tutorat ? D'un coup, j'ai envie de fixer un peu plus mon personnage. Un roitiflam sur une moto trop petite pour lui. Si je te dis que je suis un cas désespéré, tu me lâches ? C'est ce qu'elle t'a dit ? J'aime bien son ton de némélios mais vraiment c'est pas utile là. Nan, pas le genre. On a pas encore commencé à bosser mais elle a voulu voir mon test. J'sais pas si ça va le faire. Tu n'as pas encore essayé, Reyna. Ouais mais là c'est pas le 'blème. Question de personnalité, on est pas compatibles. Sienna soupire. Elle est pas blasée. J'crois que c'est plus parce qu'elle doit se répéter. Je doute qu'il y ait qui que ce soit avec qui tu pourrais ne pas t'entendre pour peu que tu le décides. T'es en train de dire que j'fais pas d'effort là ? On sait toutes les deux qu'abandonner ta bravado n'est pas ton premier réflexe. C'est bon, j'raccroche. J'vois bien que tu vas pas me lâcher. Pff. De qui elle se fout, ma sœur ? Elle est culottée miss masque de fer.

* * *

Toutes les occasions sont bonnes pour quitter le campus. Sienna m'a pas vraiment demandé de venir mais je me suis invitée quand j'ai appris pour le gala. C'est pas trop ma came mais après je pourrais faire ce que je veux. Je compte bien profiter de ce weekend pour traîner à l'ancienne dans Volucité. Ca me démange d'aller faire perdre la confiance à des morveux avec Ace.

Ca fait aussi trop du bien de porter d'autres fringues que cet uniforme merdique. J'ai sorti le paquet pour compenser. Vraiment, ma sister peut rien me reprocher. Je détonne pas à côté d'elle dans un costume sombre coupé au centimètre près. Mes cheveux sont lissés vers l'arrière avant de partir avec plein de volume dans mon dos. Façon crinière, il faut représenter l'emblème familial. J'ai pu remettre mes piercings et les bagues sont nombreuses à mes doigts. Je me sens vraiment moi. Même si quand je m'habille classe, j'ai l'impression d'être la version shiny de ma personne.

Le serveur ose pas moufter quand j'attrape une coupe de champagne sur son plateau. Après tout, Sienna l'a engagé et on se ressemble beaucoup trop. Puis je lui ai pas laissé le choix. Je fais mon tour avec la force de l'habitude. On voit toujours un peu les mêmes têtes. J'en aime pas la moitié. Et zéro envie de croiser le reste de la famille. J'suis sûre qu'ils sont là avec leurs regards envieux posés au sommet de la tête de Sienna. La couronne est métaphorique mais tout le monde la voit. Par contre, si y a un faciès que je m'attends pas à voir ci, c'est celui de ma tutrice. On s'est vu trois fois depuis la dernière fois. No comment sur les résultats. J'continue à dire qu'on s'accorde pas. Et qu'elle perd son temps parce que vraiment moi et les maths ça part en négatif. Elle parle à quelqu'un. Un mec que je reconnais pas de dos. Ce qui est sûr c'est qu'elle a pas l'air à l'aise. Encore moins qu'avec moi, c'est dire. Je me décide à approcher quand il fait ce geste qu'il doit croire super suave où il glisse la main sur son bras. Dude. Je me fous à côté de Seiloh, assez proche pour qu'il capte que y a pas moyen de moyenner. Maintenant que je le vois de face, je suis carrément contente d'être intervenue. Ce chien galeux doit déjà bosser dans la boîte de papa. Il est tout offusqué. Nous étions en train de discuter- Qu'il ose balancer comme si tout allait bien alors je le coupe instant. Je vais pas te demander deux fois de te tirer. Je replace le col de ma chemise pourpre de ma main libre. Ca attire son regard. J'ai laissé pas mal de boutons ouverts pour que mon médaillon soit bien visible. Une lame en arrière-plan d'une tête de némélios femelle en plein rugissement. Je peux pas être plus claire sans lui épeler mon nom de famille. Puis si ça suffit pas... Elle a 15 ans, connard. En vrai, j'en sais rien. Je suppose. Je suis pas sûre de ce qui le fait décamper le plus vite. J'espère que c'est parce qu'il a capté qu'on cautionne pas l'attitude chez les Brancaleoni.

Les jours passent et les échanges restent inconfortables. Tu ne peux pas rejeter la faute sur Reyna, tu es bien consciente que le problème vient de toi. Il y a toujours eu une retenue en toi vis à vis des étrangers qui est exacerbée en sa présence sans que tu ne parviennes à mettre le doigt sur une bonne raison pour ta méfiance. Ton attitude reste presque professionnelle dans cette entreprise dans laquelle tu t'es retrouvé coincée. Tu te cantonnes aux heures fixées en tâchant d'oublier l'existence de ce tutorat le reste du temps. La tâche n'est pas si aisée. Car derrière toutes ces émotions se développe une forme d'intérêt dont tu ne sais que faire. Tu as aussi la volonté de réussir et ce n'est pas uniquement pour ne pas t'attirer les foudres paternelles. Tu en apprends peu sur la blonde au cours de vos leçons, mais il ne fait aucun doute qu'elle fait des efforts à sa façon, même dans le domaine des maths. Dans ses lacunes, tu vois des signes trop intrigants pour être ignorés et en toi bourgeonne une envie de trouver la bonne méthode pour l'aider. Peut-être, au fond, n'as-tu pas réussi à oublier son avis sur ses performances. Tu es persuadée qu'elle en est capable, qu'importe qu'une telle confiance soit mal placée au vu des autres sentiments que tu nourris à son égard. Mais il y a toutes ces choses que tu as grapillé en dehors de vos échanges. La vie a une drôle de façon de fonctionner. Depuis que vous vous fréquentez, il te semble entendre bien plus souvent parler d'elle. Tu te retrouves à écouter des discussions plus ou moins positives à son sujet et à remarquer son nom sur le tableau des résultats hebdomadaires. Si les maths ne sont clairement pas son fort, il y a des matières où Reyna paraît exceller. Des performances que tu t'étonnes de ne pas la voir mettre en avant. Malgré ta curiosité, tes questions n'ont jamais quittés tes lèvres. Engager la conversation, même si cela concerne l'école, reste trop difficile.

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Revenir à la maison le weekend est rarement une bonne chose. Tu ne le fais jamais de ton plein gré, toujours car on t'a ordonné de le faire. Tu ne vis pas particulièrement loin de l'académie, mais cela reste plus confortable pour tout le monde que tu te cantonnes à rentrer uniquement pour les vacances. Cette visite ne fait pas exception. Ton comité d'accueil se limite à une robe laissée sur ton lit après que ta mère t'ait informé par sms qu'il te fallait participer à un évènement social important pour ton père. La simple notion suffit à te donner la nausée. Tu détestes avoir à les rejoindre dans ce monde dans lequel tu ne te sens absolument pas à ta place. Néanmoins, tu connais ton rôle. Tu es là pour jouer la jeune fille polie et attirer l'attention des bonnes personnes. Ce n'est pas si différent de ce que tu fais avec Reyna, à l'exception que la transaction est bien moins malaisante. Tu sais que tu ne trouveras aucun réconfort lors de cette soirée. Il te faudra endurer des rencontres et discussions pour lesquelles tu n'as aucun intérêt et ravaler la bile te brûlant la gorge à chaque interaction un peu trop appuyée.

Ce gala n'est pas différent des autres. Tu es abandonnée aussitôt arrivé et invitée à te mêler aux autres jeunes. Le plan de ton arriviste de père est clair. Parfois tu te demandes si cela lui suffirait. Si lors d'une de ses soirées, tu parvenais à te lier à l'un de ces riches héritiers et à faire évoluer votre relation jusqu'à quelque chose de solide, il afficherait un quelconque signe de fierté. Sans doute pas, bien qu'il t'arrive d'envisager l'idée. Avant d'être bien vite rattrapée par le dégoût qu'une telle réussite t'inspire. Tu peux difficilement imaginer pire. Cet homme qui s'écoute parler depuis quinze minutes ne fait rien pour te donner une meilleure image de ce futur. Il voit en tes petits hochements de tête et réactions polies de réels signes d'intérêt. Au vu de ce qu'il dégage, tu imagines qu'il n'envisagerait pas le contraire même si tu venais à le rejeter haut et fort. Il est trop imbu de sa personne. Il se rapproche et tu es trop consciente de la présence d'un mange-debout dans ton dos pour reculer. Tu ne veux pas créer un incident. Cela lui donne toute la confiance nécessaire pour laisser courir les doigts sur ton bras, un geste qui fait naître de la chair de poule sur ta peau et te déclenche des sueurs froides. Les battements de ton cœur s'accélèrent et tu dois lutter pour ne pas te dérober. Le sourire que tu affiches n'a plus rien de poli, tu le sens mal à l'aise, emprunt d'une panique qui monte sans signe d'arrêt en vue. Tes dents se referment sur l'intérieur de ta joue et il y a une pointe de fer qui te chatouille les papilles.

Tu n'envisages pas qu'un quelconque sauvetage soit possible. Tu n'as personne ici. Tu n'espères donc même pas. Tu es prête à endurer. La présence soudaine à tes côtés a donc toutes les raisons de te surprendre. La chaleur que Reyna exsude ne devrait pas avoir cet effet, mais tu te sens te détendre d'un cran. Tu ne peux réfréner le réflexe qui te pousse à faire un demi-pas vers elle pour te rapprocher tandis qu'elle remet l'homme avec sa place avec une fermeté étonnante pour son âge. Elle n'est qu'une adolescente et, pourtant, elle paraît parfaitement en confiance. Tu grimaces un peu à son ton et à son langage fleuri, mais tu n'as pas en toi l'énergie de te soucier de la potentielle scène que cela pourrait provoquer. Tu restes soulagée que l'indésirable vous laisse sans lutter. Soulagée aussi d'être enfin libre de sa présence lourde dans ton espace vitale. Tu n'es par contre pas consciente de ton aisance à accepter la proximité de la blonde, ni du réconfort que tu y puises.

« Merci. »

Tu murmures en fixant le sol, osant à peine un regard vers elle pour t'assurer qu'elle te sache sincère. Elle vient de faire quelque chose que peu de gens ont déjà réalisés et tu ne pourrais lui en être plus reconnaissante.

Merci. Rah, shit. Appelons ça un ego trip ou juste les signes d'une blessure psychologique quelconque mais le fait est que j'ai un truc pour les losers. C'est dit avec affection. On parle pas des nazes que j'ai envie de baffer dès qu'ils l'ouvrent ou des vrais nuls. Mais c'est différent quand ils sont un peu faibles et pas tout à fait aptes à se protéger malgré leurs efforts. Ceux qui devraient apprendre à prendre plus soin d'eux aussi. Seiloh, elle devrait vraiment l'ouvrir plus souvent. J'ai envie de l'engueuler d'être resté si statique face à ce gros lourd. Elle risque de détaler comme un lapin apeuré si je fais ça. Pareil si je la secoue un coup pour qu'elle capte. Puis tout ce bordel c'est pas sa faute. C'est ce gars qui devrait se faire retourner après s'être dit qu'il pouvait draguer une gosse. On peut pas dire qu'il a pas remarqué, la meuf a une tête à te donner envie de lui acheter une glace. Si elle se mettait à sourire, j'suis sûre qu'elle ferait plus innocente encore.

Prends ça. J'ai pas bu dedans. Je lui passe mon verre. Des bulles lui feront pas de mal. Je soupire. Dans quoi je me fourre ? Suffit de voir comme elle me quitte pas pour comprendre qu'elle est pas dans son assiette. Je peux pas la laisser là avec les hyènes. Je bouge pas d'un pouce. Vu notre position, personne va approcher. On doit donner l'impression de bien se connaitre pour accepter d'être si proches. Ca pourrait pas être plus faux. T'es venue avec qui ? Si on parle, ça renforcera l'impression. Je scrute notre entourage. L'intérêt est faible. Je suis vraiment pas la plus prisée dans ce genre de soirées. Les gens ont compris à force que j'avais ni la conversation, ni le pouvoir de ma sœur. On va pas se mentir, j'ai pas hérité non plus de la même politesse et délicatesse. Quand quelqu'un m'emmerde, je le vire. Avec ce mec, c'était pas mon premier essai. Je croise pendant un instant le regard de Rian. Il a l'air tout étonné que je traine avec quelqu'un de nouveau. Le moment passe. Il a toujours été doué pour masquer ses émotions. Dès qu'on a vu derrière le masque, l'illusion disparait. Il va pas me leurrer. Il lève son verre dans ma direction, je hoche la tête. Fin de l'échange. Difficile d'envisager que y a deux mois encore je l'embrassais sur le balcon d'un gala de ce genre. Nos familles se sont jamais douté du fait qu'on soit sorti ensemble pendant un moment. J'ai pas osé le dire à Sienna. Je me demande comment elle l'aurait pris. Je sais qu'elle aime bien Meera parce qu'elles ont été à l'académie ensemble. Pour le reste de sa famille, le délire est autre. On est pourtant pas dans des bayes similaires. J'ai jamais trop compris. Mais à côté je peux voir des raisons personnelles. Je peux pas trop les saquer individuellement. Ils puent l'hypocrisie. Même moi, nepo baby number two, j'ai envie de les juger pour leur attitude et leurs méthodes. J'en supporte certains plus que d'autres. Ca signifie pas qu'on est potes. Remarquez, c'est pareil avec tous les gens ici.

Le verre d'alcool tendu dans ta direction est une première. En plus de respecter religieusement les règles dans ton quotidien, tu n'as jamais été tentée par le fait de boire. Il y a quelque chose de trop stressant dans la perte de contrôle qui vient avec l'ébriété, du peu que tu en sais. Cela aide sans doute aussi que tu n'ais pas vraiment d'amis avec qui sortir ou faire la fête. Il est plus facile de rester loin de tout ça quand le principe même de tentation n'existe pas. Malgré tout, tu acceptes la flûte d'une prise délicate. Tu n'es pas certaine que Reyna tolérera un refus. Non seulement tu ne veux pas la provoquer, mais tu ne souhaites pas non plus prendre le risque de la voir disparaitre dans la foule si tu te montres trop difficile. Avec un peu d'appréhension, et après un regard méfiant autour de toi pour t'assurer que personne ne fera attention à ton écart, tu trempes au moins les lèvres dans le champagne dans un signe de bonne foi. Le goût est beaucoup plus doux que tu ne le pensais, tu pourrais presque le décrire comme agréable si il n'y avait pas une légère brûlure accompagnant la première gorgée que tu finis par prendre. Tu peux désormais comprendre l'intérêt des autres pour une telle boisson. Malgré l'inconfort presque inexistant, tu serais tentée d'en prendre une nouvelle gorgée, mais la voix de la blonde arrête le mouvement de ton bras. C'est sans doute mieux.

Le sujet bien que très banal vient avec son lot de difficultés. Tu n'aurais pas eu à passer par ce moment désagréable sans l'intérêt de tes parents pour cette soirée. Par réflexe, tu cherches ton père dans la foule. Sa haute taille et ses épaules carrées le rendent facilement repérable malgré un costume sombre tout ce qu'il y a de plus classique. Il parle à un groupe de femmes non loin, ta mère, tout sourire, accrochée à son bras. Tu ne doutes pas qu'elle a dû te voir avec cet homme et qu'elle te questionnera plus tard. Pour l'instant, son attention est posée sur la grande blonde qui vous tourne le dos et parait intéresser la plupart des gens à proximité.

« Le couple près de cette femme en costume à proximité des portes. Ce sont mes parents. »

Tu t'efforces de parler calmement malgré un fond d'agitation qui demeure et ne s'améliore pas à l'idée que de trop nombreuses heures te séparent encore du moment où tu pourras retourner à l'école. Si tu as de la chance, tu auras le droit de t'éclipser avant le repas de midi demain. Si ils ont trop de choses à redire sur tes performances du moment, ils ne garderont plus longtemps, voire ne te laisseront pas rentrer jusqu'à dimanche. Cette possibilité te déplaît fortement. Tu ne demandes qu'à retourner à tes habitudes et à cette dissertation que tu as commencé cette nuit.

Elle est marrante à observer quand même. Je trouve en tout cas. On est tellement différentes. Ses réactions me donnent envie de sourire. Un peu de lever les yeux au ciel aussi parce qu'elle fait toute une histoire d'une simple coupe de champagne. Personne va l'engueuler pour ça. Les gens sont trop occupés à d'autres trucs pour se demander si une ado quelconque à le droit de boire. Ma famille est pas normale, j'sais bien, mais de toute évidence la sienne fait pas gaffe à elle donc elle risque pas de se faire choper. Ou alors le foutage de gueule serait total. Si tu vois que ta gosse boit un coup mais que tu remarques pas qu'elle se fait emmerder, vraiment, parent de l'année avec les priorités détraqués. Et à ce sujet... Le couple près de cette femme en costume à proximité des portes. Ce sont mes parents. Pas difficile de les repérer vu la direction dans laquelle elle regarde. Puis comme elle utilise ma sœur comme point de repère, voilà, voilà. Ca m'étonne un peu qu'elle ne la nomme pas. De toute évidence, elle n'a aucune idée de qui elle est. Je me vexe pas. Elle appartient vraiment pas à ce monde. Son daron, c'est plus difficile à dire. Il a une tête de crevard. J'en ai déjà croisé des gars de cette trempe. Same pour la gonzesse au petit air pincé qui l'accompagne. Y a une ressemblance, j'dis pas. On fout Seiloh à côté d'eux et le jeu des sept similitudes serait pas bien dur. Le couple fait aussi très normal. Ils veulent appartenir à ce monde sans réellement en être. Si je doute pas que le père soit un fumier, il ne me fout pas la trouille comme certains. On va pas se mentir, c'est pas la prédateur à la mâchoire la plus acérée dans le coin. Sienna en ferait qu'une bouchée.

Ils parlent avec ma grande sœur. Y a toujours de la fierté dans ma voix quand je parle d'elle. Certains s'en moquent mais je m'en balance. Elle est impressionnante ma sœur et je lui dois trop. J'évite de trop commenter sur le sujet principal, aka leur discussion. Le daron doit encore cherché à se faire bien voir pour un projet pro. Je sais pas où ça en est. J'sais juste que Sienna m'a pas dit d'arrêter le tutorat donc il doit pas avoir trop merdé pour le moment.

Tu veux qu'on s'arrache ? Changement de sujet un peu brutal, p't'être. Mais elle est toujours pas à l'aise et je vois pas ce qu'on gagne à glander debout ici. J'ai rien de spécial à faire ce soir. Je suis juste là pour profiter de l'occas'. Et vu que je peux pas la lâcher avec les fauves autant que je m'adapte à ce qui pourrait lui faciliter la vie. Y a des banquettes confortables dans le lobby.