Elle observe la pokéball qui repose entre ses mains. Le fonctionnement de ces objets la fascine tout autant qu’il continue de la mettre mal à l’aise. Bien qu’elle l’ait vu se mettre en marche, Caihong ne parvient toujours pas à croire pleinement que son poichigeon se trouve désormais à l’intérieur d’un si petit objet. Rien n’a changé : ni son poids, ni sa température, ni la sensation au creux de ses paumes. Après avoir fixé la pokéball pendant quelques instants encore, Caihong décide de la ranger dans son sac à main. Avant de se sentir trop coupable. Comme la sienne n’est pas dotée du mécanisme lui permettant de rétrécir une fois son office fait, elle peine à lui trouver une place. Elle songe à changer de sac à main, pour en prendre un plus grand, mais celui-ci est bien trop parfait pour aller avec sa robe et maintenir l’apparence chic qu’elle doit offrir à sa famille. Finalement, elle parvient à enfoncer la sphère métallique quelque part tout au fond du sac en espérant ne pas la faire ressortir par mégarde en voulant chercher autre chose. Les siens ne doivent pas savoir qu’elle possède désormais un pokémon.

Avant de sortir pour aller prendre le bateau, elle se regarde une dernière fois dans le miroir. Tout doit être parfait, seul le vent marin est autorisé à la décoiffer ou froisser un peu ses vêtements. Le vêtement choisi pour l’occasion est décontracté, mais chic : une robe longue d’été à manches courtes, noire, dont la jupe est ornée de motifs floraux. Sa mère a toujours aimé ce type de tenues, du moment que sa fille reste couverte jusqu’au dessous du genou. Elle l'assortit d’un foulard fin qu’elle noue autour de son cou. Accessoire difficilement supportable en été, mais qui dissimule le décolleté. Ce dernier n’a rien de phénoménal, mais Caihong préfère être prudente. De plus, ses couleurs et motifs sont assortis aux fleurs de la robe. Ses escarpins et boucles d’oreilles restent, pour leur part, sobre et unis, noirs.
Elle a l’impression de rendre moins bien que d’habitude, lorsqu’elle va voir sa famille. Comme si elle était moins soignée, moins bien coiffée, moins bien faîte, en règle générale. C’est la première fois qu’elle va leur rendre visite depuis qu’elle a adopté son poichigeon, depuis les changements stressants que cela a apporté dans son mode de vie.

Elle lève les yeux pour soutenir son propre regard. Caihong sait qu’elle est une très bonne menteuse, et la présence d’un pokémon dans sa vie n’a aucune raison de changer ça. Ce week-end se passera, comme se passent tous les autres, et elle en ressortira consolidée dans ses mensonges.

Le port depuis lequel elle prendra le bateau pour se rendre jusqu’à Malié est le plus proche de chez elle, accessible en plus. Ce choix n’est pas fait par facilité, mais parce que c’est le lieu où sont proposés les voyages les moins chers entre les îles aloliennes. Quand elle était encore étudiante, Caihong bénéficiait même d’un abonnement, comme on pourrait en prendre pour n’importe quel transport en commun, car elle retournait chez ses parents presque tous les week-ends. Maintenant que ses visites sont moins fréquentes et qu’elle a passé l’âge de bénéficier du tarif réduit pour les jeunes, cela ne vaut plus la peine. Elle se sentirait obligée de voyager souvent, pour rentabiliser le dit abonnement, mais ne saurait où aller à part chez ses parents. Pire, elle se sentirait coupable d’en profiter pour voyager sur les îles d’Alola plutôt que pour aller aider sa mère à gérer la maison familiale pendant le week-end.
Pourtant, elle n’a quasiment jamais rien vu de sa région natale, alors il serait sûrement légitime d’être curieuse. Ce n’est qu’à travers des images, documentaires et textes qu’elle a pu avoir un aperçu de la jungle Sombrefeuille, du pied du mont Lanakila, ou même des paysages de Lili’i. Caihong ne connaît rien d’autre que Malié, Ho’ohale et leurs alentours. Les seules exceptions à cette règle sont le temple de Tokotoro, pour lequel elle prend plusieurs fois par ans le bus afin de prier et présenter ses hommages, ainsi que la ville abandonnée de Kokohio. Elle n’a passé que peu de temps dans cette dernière, cependant, à cause du climat d’insécurité qui y règne malgré son semblant d’immunité. Aujourd’hui, il est sûr et certain qu’elle n’y remettrait pas les pieds, de même qu’elle n’oserait plus adresser la parole à un membre des Skull.
A chaque fois qu’elle pense à la pauvreté de ses horizons géographiques, elle conclut que ce n’est de toute façon pas pour elle. Ce n’est pas le genre de vie qu’elle doit mener, et sa curiosité devra se cantonner à des images, des lectures et des reportages. Les ressources sur ces sujets sont assez grandes pour qu’elle puisse s’en contenter.

De toute manière, ce n’est pas comme si Caihong pouvait aller bien loin. Même si elle se décidait à voyager, ses pérégrinations seraient condamnées à rester sur le territoire alolien. Alors, dans le fond, elle préfère rester là où elle est. C’est plus prudent, afin de ne pas risquer de réveiller une soif de voyage enfouie en elle, ou d’un jour avoir fait le tour de la région d’Alola et espérer plus tout en sachant que le reste du monde ne lui est pas accessible. Ce serait une source de frustration trop grande, qu’elle ne veut pas ajouter à toutes les autres. Elle sait avoir les épaules pour tout supporter, car elle le doit, mais reste réaliste et songe qu’elle doit bien avoir une limite qu’il serait bête de dépasser à cause de voyages impossibles.
Alors elle se contente de regarder les rues d’Ho’ohale défiler à travers la fenêtre du bus, coincée contre la vitre à cause de la densité des passagers, rassurée de savoir que juste à côté d’elle se trouve un bouton pour demander son arrêt. Il y a toujours du monde pour aller au port, d’autant plus quand le bus est ainsi plein, mais “on ne sait jamais”.

Quand elle arrive à destination, quelques petits bateaux de transport sont amarrés. L’un d’entre eux attend ses passagers, celui qu’elle doit prendre. Elle se présente en montrant son billet directement sur son smartphone et, une fois le qr code scanné elle peut monter à bord. Sur ce bateau, il n’y a qu’une cabine pour la capitaine, dans laquelle se trouvent les dispositifs de navigation. Les passagers sont sur le pont, assez spacieux pour accueillir une vingtaine de personnes. Aujourd’hui, ils ne seront qu’une dizaine à rejoindre Malié par ce trajet. Caihong ayant la chance de ne pas être touchée par le mal de mer, elle prend place près du bastingage et attend le départ qui ne devrait plus tarder.

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Modération :

Chaglam utilise coupe (dernière utilisation le 01/08)
Apparition d'un pokémon sauvage
Merci !

Le moteur du bateau se met en marche et, bientôt, ils s’éloignent doucement du port pour prendre la mer. Les conditions météo sont favorables, le capitaine annonce un trajet d’une quarantaine de minutes pour arriver jusqu’à Malié. Pour avoir fait ce trajet un nombre de fois qu’elle a cessé de compter, Caihong sait que, d’ici dix minutes déjà, ils pourront apercevoir les côtes d’Ula-Ula. Elle attend toujours de les voir apparaître avec une pointe d’impatience car, bien que ces visites provoquent toujours une grande quantité de stress, elle éprouve une profonde affection pour son île et sa ville natale.

Pour s’occuper durant le trajet, elle observe les pokémons oiseaux qui survolent le bateau et les flots. Ici, il n’y a que des goélises et quelques zapétrelles, si elle ne se trompe pas sur le nom de ces dernières. Quand elle était enfant, cette espèce ne s’était pas encore installée à Alola. Il paraît que leurs capacités de type électrique font de la mer un terrain de chasse privilégié, mais qu’ils perturbent l’équilibre des goélises. Caihong n’en pense pas grand-chose, bien qu’elle se demande si un jour la sonnette d’alarme sera tirée pour préserver les pokémons endémiques de l’île de cette nouvelle menace.
Au bout de quelques minutes à observer les pokémons volants, elle se prend à les comparer à son poichigeon. Lui ressemble plutôt à un zapétrelle, au niveau de sa morphologie, et n’a rien à voir avec les goélises. Elle se demande s’il serait plus rapide qu’eux car ils ne semblent que planer, la plupart du temps. Par contre, elle n’est pas sûre qu’Haoyu ait la capacité de se poser sur l’eau et y flotter pour se reposer, alors il ne serait peut-être pas capable de traverser la mer. Aime-t-il seulement l’eau ? Une nouvelle question à propos de son propre pokémon à laquelle elle n’a pas de réponse. Elle serre la lanière de son sac à main et songe à la pokéball qu’il contient.

Les côtes ula-uliennes finissent par apparaître. D’abords à peine dessinées, puis confirmées lorsque la silhouette du Mont Lanakila apparaît. Il s’agit du point culminant de l’île, visible de loin, et formation naturelle caractéristique de l’île. Ce que le regard de Caihong cherche, lui, c’est le port de Malié. Pour le moment, lui et la ville qui lui est associé ne sont que de vagues points de couleurs proches de la côte. Elle sait déjà qu’ils correspondent à des toits verts sombres et des maisons de bois ayant gardé l’aspect traditionnel de l’île. Plus loin se trouvent déjà des immeubles et une architecture plus moderne, qu’elle apprécie moins. Ca lui fait toujours plaisir, d’arriver par le port, presque intouchable dans l’espoir de continuer à attirer quelques touristes en ville. Cela fonctionne peu.

Quand le bateau accoste, personne n’est là pour accueillir Caihong. Ce n’est pas inhabituel : elle connaît très bien la route pour atteindre la maison familiale. Il lui suffit de marcher un peu, puis emprunter un bus, atteindre le bon quartier, et marcher encore. Au vu de l’heure, elle devrait arriver à temps pour aider sa mère dans la préparation du déjeuner. Pendant qu’elle se met en route, elle se repasse les différentes possibilités, car les plats du week-end sont souvent les mêmes. Caihong doit pouvoir anticiper, se mettre directement aux fourneaux. Elle n’est pas là pour se reposer, mais pour apporter à sa famille le soutien qu’elle leur doit. Souvent, elle craint le jour où ils lui demanderont pourquoi elle n’envoie pas d’argent. Ces derniers temps, la question leur brûle les lèvres, elle le sent.
Pendant tout le trajet jusqu’au bus, elle se remémore les recettes et techniques de sa mère, que la fille doit parfaitement savoir reproduire et utiliser. Si chez elle la cuisine est passée à la trappe, elle n’en a pas le droit ici. Après un temps, ses doigts se mettent à bouger sans qu’elle y pense, animés par les réflexes appris depuis l’enfance. Caihong en prend conscience et est rassurée. Surtout que le bus arrive, alors il était temps !

Les bus de Malié sont très différents de ceux de Ho’Ohale. Là-bas, ils sont rutilants, colorés, avec des peintures différentes selon les évènements du moment afin de les promouvoir. Y monter est agréable, ils sont spacieux - même si souvent bondés - et il y a presque toujours la climatisation. Ici, ils sont tous ternes, avec une peinture si érodée par le temps qu’il est difficile de savoir ce qu’elle était à l’origine ou ce qu’elle représentait. Ils font du bruit quand ils arrivent, le moteur gronde lorsque l’on est à l’intérieur. Les places assises sont rares, à force d’être abîmées et non réparées et il y fait chaud. Les fenêtres dédiées à l’aération s’ouvrent difficilement. Certains véhicules peuvent encore donner le change, mais ils sont en général réservés aux circuits et zones touristiques. Ceux que prennent les habitants de la ville au quotidien sont à peu près tous dans le même état. A Malié, il y a peu d’argent à consacrer aux transports en commun.
Fort heureusement pour Caihong, il y a peu de gens qui prennent le bus en même temps qu’elle sur cette ligne. Elle peut facilement trouver un endroit où s’adosser, contre la fenêtre, en attendant son arrêt. Le véhicule lui fait ressentir toutes les irrégularités de la route et elle songe que ça ne va pas en s’améliorant.

Parfois, elle s’en veut d’avoir quitté Malié. Peut-être les choses auraient-elles été différentes si elle n’avait pas accepté qu’on lui attribue l’ambition d’aller faire des études dans une grande ville pour revenir avec un diplôme prestigieux. A l’âge qui est le sien, elle serait sûrement déjà mariée et mère de famille, une option de vie à laquelle sa mère ce serait sûrement résignée. Car, si ce n’était pas une carrière prestigieuse, sa famille trouve une certaine dignité dans le fait de se consacrer pleinement au sien, d’en faire son activité à temps plein. Caihong aurait suivi une ligne toute tracée, dans un quotidien connu dont les gestes seraient gravés en elle. Peut-être aurait-elle appris à apprécier cette vie, à s’en contenter. Après tout, cela fait partie de ces destins qui lui paraissent assez modestes, simples, mais enrichissants pour ceux qui les souhaitent. Une vie qu’elle aurait pu concilier avec ses ambitions personnelles concernant le prestige.
Seulement, quand elle l’avait envisagée, Caihong s’était heurtée à un problème de taille : elle n’avait et n’a toujours aucune envie d’avoir des enfants.

Bientôt, le bus s’engage dans les rues de son quartier natal. Il s’agit de la partie de Malie qu’elle connaît le mieux, et ce n’est pas que parce qu’elle y a grandi. L’atmosphère y est différente, sans doute à cause de son caractère très communautaire, et les codes ne sont pas tous les mêmes que ce qui se pratique dans le reste de la ville. Ici, Caihong se sent à l’aise tout en sachant être enfermée par tous ces non-dits et rapports sociaux qui l’ont modelée et menée là où elle se trouve aujourd’hui. Ou plutôt, elle leur a fait défaut. Car les autres enfants de sa génération ont tous plus ou moins de succès dans leur vie, alors qu’elle, si elle osait se révéler au grand jour, ne serait rien de plus qu’un échec. Une honte pour la communauté si bienveillante qui l’a entourée et chérie depuis sa plus tendre enfance.
Elle connaît chacune de ces rues : leurs noms, les commerces qui s’y trouvent, le nom de la plupart des familles qui y vivent. Elle se souvient de ceux qui vivaient ici quand elle était jeune, de ceux qui sont décédés, de ceux qui ont pris leur place. Elle sait les unions, les séparations, les enfants, ceux qui sont partis, ceux qui sont revenus, ceux dont la réputation est bonne, ceux avec qui il ne faut pas s’entretenir. Les relations familiales, commerciales, politiques… Son quartier natal est pour elle comme un petit pays à lui tout seul, dont elle serait une mauvaise citoyenne qui cherche à se dissimuler.
Quand le bus tourne au coin d’une rue, elle aperçoit un homme qu’elle reconnaît comme étant un membre des Skulls. Une partie d’elle est rassurée de voir qu’ils sont toujours présents auprès de la population de Malié, une autre espère qu’il ne l’a pas vue. Il s’agit du genre de rencontre qu’elle craint, à chaque fois qu’elle revient. Elle se demande s’il communique toujours avec eux.
Caihong passe le reste du trajet la tête basse, comme si sa frange pouvait la dissimuler aux yeux de ceux par qui elle ne veut pas être vue. Heureusement pour elle, le trajet restant n’est pas très long et, bientôt, le bus atteint son arrêt. Elle peut alors s’extirper du véhicule et se diriger d’un pas pressé vers la maison familiale.

La maison de la famille Yao est très verticale, tout en hauteur, sur trois étages différents, et collée à d’autres habitations du même style. Sa façade porte les traces de l’architecture traditionnelle de ce quartier de Malié, même si elle ne peut en avoir toutes les caractéristiques car il ne s’agit pas d’un pavillon individuel. A l’arrière, une petite cours fait office de jardin, séparée de celles d’à côté par un mur haut dont l’aspect témoigne de sa vieillesse. La maison n’a qu’une seule entrée, à l’avant, le jardin n’ayant pas de sortie. Il paraît que ce n’est pas très sécurisé, en cas d’incendie par exemple, mais ce genre de drama n’a jamais eu lieu dans ce type de maison, dans le quartier, alors les habitants s’en soucient peu. Au niveau du toît il y a aussi une petite fenêtre, en forme de lucarne, qui est celle du grenier. Par là, il est possible d’accéder au toît, ce qui a toujours été interdit aux enfants de la famille car considéré à juste titre comme trop dangereux.
Caihong et son frère s’y sont cependant rendus, quelques fois, quand ils étaient enfants. C’était une aventure, une tentative de désobéissance qui leur procurait de l’adrénaline puérile. Ils ne sont cependant jamais allés plus loin que le rebord de la fenêtre, car la crainte d’un accident était ancrée profondément dans leurs esprits. Et puis, si on les entendait, pire, si on les voyait, la punition serait sûrement terrible. Caihong a eu plusieurs fois envie de retenter l’aventure, plus tard, seule, pour aller jusqu’en haut du toît et, pourquoi pas, marcher sur ceux des voisins afin de surplomber la ville et se donner un faux sentiment de liberté. Cependant, elle n’avais jamais osé, trop bien élevée.

Caihong s’approche de la porte d’entrée après s’être préparée mentalement à toquer pendant plusieurs minutes. Elle prend un grande inspiration, donne quelques coups, et tourne directement la poignée. Elle sait que la porte sera ouverte, car ils l’attendent, et que personne ne prendra la peine de venir lui ouvrir de toute façon. Bien qu’elle ait pris son indépendance depuis longtemps, c’est un peu comme si elle vivait toujours ici dans l’esprit de sa famille. Alors à moins qu’elle rentre les bras chargés de courses, elle peut bien entrer toute seule. C’est logique et normal.
A peine a-t-elle poussé la porte que les odeurs et bruits de ses origines lui reviennent. Ces deux éléments ne changent jamais dans cette maison, ils ont toujours été et elle a l’impression qu’ils seront toujours, même quand ses parents ne seront plus là et qu’une autre famille prendra leur place. A ses yeux, il s’agit de l’ADN même de cet endroit. Réconfortant et angoissant en même temps. Car rien ne change jamais.