Destination Inconnue 1

Une croisière est agréable. On se laisse porter par les puissants moteurs d’une machinerie moderne qui permet de fendre les mers sans craindre les Pokémons aquatiques. Cette technologie au service de notre plaisir et de notre protection avait pourtant un effet négatif, voir dévastateur sur la faune maritime et c’est pour cela que la taille et la puissance de ces bateaux était réglementée, au mieux en tout cas. Car de temps en temps, un petit malin arrive à contourner cette réglementation en trouvant des failles à la loi ou des petites astuces qui permettent de mettre à la mer un navire normalement inadapté et interdit dans une zone où il ne devrait pas naviguer. Et lorsque cela arrivait, il n’était pas si compliqué d’y voir un acte criminel, de près comme de loin. Or donc, loi ou pas, il y avait du méchant là-dessous !

Notre navire est donc le Roigalola, une belle bête de près de 500 passagers, personnel inclus.
Il n’aurait pas dû obtenir l’autorisation de traverser les îles d’Alola et pourtant, l’entreprise à laquelle il était rattaché avait réussi à obtenir ce passe-droit pour le plus grand bonheur du tourisme local. En tant qu’Ethologue cela m’importait finalement peu, sur le papier. Mais j’avais un certain passif avec Alola, avec ses eaux, sa faune, l’ile Puwai ou même la pension de Kaktus ! Je ne pouvais pas ignorer ce qui me semblait être comme un appel désespéré d’enquêter sur des agissements illégaux. Mais dans les faits j’étais juste là pour prendre de belles photos des îles ! L’histoire d'illustrer un prochain article en partie subventionné par la croisière elle-même qui proposait une activée bien spéciale au cours de sa traversée : une visite guidée de la Jungle Sombrefeuille.

C’était l’attraction de la traversée !
Lorsque l’on passait sur les côtes du Dôme Royal on pouvait l’apercevoir, s’étendant autour et au-delà du Parc Volcanique. Mais y pénétrer ? Les routes qui passaient à proximité n’étaient pas sûres, et pas très nombreuses. Mais par les flots eux-mêmes ? Cela voulait dire, arrêter le bateau, descendre des canoës et aborder la jungle par les flots. C’était original et cela pouvait donner l’impression aux passagers d’être de vrais aventuriers ! Mais il y avait eu des incidents : des passagers s’étaient perdus dans la Jungle Sombrefeuille et avaient disparu. Mystère mais surtout, une histoire à raconter !

La traversée avait commencé deux jours auparavant et je dois bien dire qu’elle était attrayante. En même temps vu le prix des billets - même si j’avais eu le mien à moitié prix - on pouvait se permettre de bien traiter ses clients ! L’arrêt pour l’exploration de la Jungle Sombrefeuille elle devait avoir lieu le lendemain matin. Pour cette occasion une petite réception était organisée dans la salle de banquet du Roigalola en compagnie des membres d’équipage qui allaient encadrer ceux qui avaient réservé leur droit à cette sortie spéciale. Il y avait un discours et des petits fours. Ces derniers étaient bigrement plus intéressants que le discours ! Mais alors que je tournais autour du buffet avec une petite assiette pour picorer, je percutais par hasard une inconnue (une autre passagère quoi) qui soit faisait de même, soit écoutait mais en tout cas, je ne l’avais pas vu !

— Oh pardon ! Désolé j’étais… aux petits fours.

Il y avait une compagnie maritime qui avait proposé un tour des îles en bateau et avec Nill on s’était dit pourquoi pas. On a pris l’avion pour venir à Alola, et en plus on a atterrit de nuit, alors sincèrement, on a pas vu les îles approchées car on avait la gueule dans la farine. Donc, c’est un peu l’occasion de voir les îles dans leur globalité et après on les visitera de manière plus approfondies. Pourtant quand on est arrivés au quai et qu’on a vu le bateau, sincèrement, on a fait la tête. Lui comme moi.

- C’est autorisé ce genre de bateau, pour une petite croisière comme celle-ci ?
- J’ai des doutes, je suppose que oui. Ne me fait pas regretter d’être venu, Sheera, soit gentille.

Il est trop économe pour gaspiller son argent, en vrai. On l’aurait quand même fait. La preuve, on est dans le bateau depuis un certain temps et en réalité, c’est pas si mal. Au prix du billet, c’était le minimum exigé. En plus, il y avait un banquet ce soir. Pour parler de l’expédition de la jungle Sombrefeuille. J’écoute, mais ça m’empêche pas de me servir sur le buffet et je suis donc debout, juste à côté.

Jusqu’au drame. Un grand blond me bouscule, renversant un peu de son assiette sur et le verre que je tenais sur mon débardeur. Sourire crispé et main serrée pour me retenir d’exploser de fureur, plus parce qu’il s’est excusé qu’autre chose, je me retourne vers lui, décrochant de ce fait complètement de la présentation en vue de demain.

- Je sais bien que je suis petite, mais de là à me dire que je suis plus petite qu’un petit four.

Je pars d’un petit rire rempli d’auto-dérision avant de poser mon verre et d’enfourner ma bouchée, puis je demande à l’inconnu de me donner des serviettes. Je frotte mon débardeur mais ça part très bien. Je jette donc un petit regard à Monsieur Je bouscule pour de la bouffe.

- Ça part pas très bien, vous avez intérêt à me payer le pressing, c’est un débardeur tout neuf, en plus.

Je jette un coup d’oeil dans la salle, Nill est absorbé par les paroles du mec qui fait la présentation, tant mieux, il me verra pas marchander un pressing avec le gars qui m’a taché. Il est capable d’aller le payer dans mon dos, ce crétin. Quand on fait de la merde, on assume.

Destination Inconnue 2

Et voilà la gaffe de la soirée ! Elle m’était entièrement imputable - même si une mauvaise langue dirait qu’elle était partagée - et après m’être derechef excusé, j’inclinais la tête après avoir posé ce que je tenais dans les mains pour m’atteler à aider la passagère à nettoyer ma bêtise.

— Non vraiment ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ! Tenez des serviettes.

Fis-je en joignant le geste à la parole, tendant à la petite dame au visage rond ce qu’il lui fallait pour se débarbouiller. Avec son teint j’avais peu de doute sur le fait qu’elle soit une ressortissante d’Alola ce qui me fît penser en mon for intérieur : les habitants d’une région avaient-ils besoin d’un parcours touristique pour découvrir leur propre maison ? Un tel parcours n’existait à priori pas à Johto mais maintenant que j’y pensais, certaines personnes jouaient les guides forestiers et montagnards pour les touristes de Kanto et d’ailleurs. Alors pourquoi pas pour les enfants du pays ? En plus vu la qualité de la croisière, tout ceci avait un air de vacances agréables.
Malheureusement, au-delà de ses réflexions personnelles, la demoiselle n’avait pas l’air d’en avoir fini avec moi alors même…

— Un pressing pour un débardeur ? Il y a une salle de lavage ouverte aux passagers sur le bateau - et gratuite -, il passera très bien dedans non ?

Les autres convives écoutaient toujours le discours du capitaine et il y avait même à présent un rétroprojecteur qui descendait du plafond pour faire la présentation de la Jungle Sombrefeuille ! La plupart des gens ignoraient ou n’avaient pas entendu la petite bousculade à l’arrière des buffets mais un homme avait partiellement tourné son regard vers nous et la “victime” de mon inattention avant de retourner à l’écoute de ce qu’il se passait.
Sauf que moi aussi je voulais bien écouter la suite et l’Alolienne me regardait toujours d’un œil inquisiteur. C’était vraiment un débardeur si cher et précieux pour qu’elle ait envie de me voir l’envoyer au pressing avec autant d’insistance dans le regard ? J’en fronçais les sourcils et j’allais répondre, quand les lumières de la salle s’éteignirent.

— Hum ?

Les gens autour de nous poussèrent des “Ouah !” et quelques applaudissent fusèrent : on avait éteint pour illuminer l’écran descendant sur lequel démarrait une présentation photographique de la Jungle Sombrefeuille. Je soupirais : ils auraient pu prévenir avant d’éteindre ! C’était un coup à ce que je percute encore quelqu’un sans le faire exprès. Je décidais donc de répondre à la passagère en chuchotant pour ne pas nous faire remarquer dans le noir de la salle de réception.

— Écoutez, si ça vous tient tant à cœur, changez-vous, laissez-moi votre débardeur, et j’irais le nettoyer moi-même s’il n’y a que ça.

Bien entendu je disais ça avec sympathique mais pour peu qu’il s’agisse d’une gosse de riche d’Alola (j’en avais rencontré peu mais sait-on jamais) elle allait peut être insister encore alors montrer patte blanche était le meilleur moyen de ne pas envenimer la situation inutilement.

Alors que j’essaye de faire partir cette tache de mon débardeur, je demande à l’autre de me payer le nettoyage de mon haut, via le pressing notamment, mais mon interlocuteur m’apprend qu’il y a une machine à laver gratuite pour la passagers. Très bien, je ne savais pas. La machine à laver fera l’affaire.

- Oh vous savez, je ne suis pas compliquée, la machine à laver, ce sera bien.

A peine ai-je finis ma phrase que la lumière s’éteint. La salle est plongée dans le noir complet. Ils auraient pu nous prevenir tout de même. C’est à coup à bousculer quelqu’un, c’est pas très futée. Le temps que la lumière revienne, je n’ose pas bouger. Mais la lumière ne revient pas comme je le pense. En fait, ils descende un écran pour continuer leur présentation sur la jungle. Mais ça m’éclaire suffisamment. Et voilà que Monsieur Bouscule me propose de s’occuper de mon débardeur. Très bien, je reviens, alors.

- Vous bougez pas, me faites pas faux bond, hein ? Vous avez taché mon débardeur, vous le nettoyer.

C’est pas que je doute de sa parole, hein, mais chat échaudé craint l’eau froide, comme on dit. Trop de gens ont essayé de me la faire à l’envers. Je ne me fais plus avoir. Mais comme il n’a pas l’air d’avoir une mauvaise tête, je décide de lui faire confiance. Je m’éclipse de la salle, je vais dans la cabine qu’on a partage avec Nill, je vais dans ma valise pour changer mob débardeur, j’en prend un noir, cette fois, c’est moins salissant qu’un blanc. Je ne savais pas pour la machine à laver car c’est Nill qui fait laver le linge. Il est plus maniaque que moi. Mais visiblement, ce n’est pas aujourd’hui que j’irais. Enfin bref, je récupère mon débardeur sale et je rejoins le grand blond, lui tendant mon débardeur.

- Et voilà, et merci à vous pour le nettoyage.

Mais, à nouveau la salle est plongée dans le noir. Mais bon sang, jamais ils préviennent ? C’est agaçant, cette manie. Pourtant, aux murmures des autres passagers, je comprends que la coupure était involontaire, comme une coupure de courant.

- Qu’est-ce qu’il se passe ?

Destination Inconnue 3

Content d’entendre que la passagère est raisonnable ! En effet, une machine à laver était largement suffisante pour une tâche de ce genre. Pas besoin de tergiverser dessus donc. Et voilà qu’elle accepte de me confier le dit débardeur pour que je m’en occupe ! Fiu, quelle aventure cette croisière. En plus de ça, la présentation de la jungle de Dôme Royal était… basique à souhait. Je savais déjà ce qu’il y avait à savoir dessus et ce qui m'intéressait plus, c’était l’impact environnemental que notre visite de cette dernière allait avoir sur l’écosystème local. Voyant la demoiselle s’en aller, je lui fis un signe de la tête avant de déclarer, dans un sourire sincère car je n’étais pas homme à revenir sur ma parole :

— Aucune chance que je vous fasse faux bond. Vous me trouverez ici même, à écouter cette incroyable présentation..

Déclarais-je avec un ton teinté d’une ironie palpable. Malgré cela, une voix non loin déclara “Oh, ça a l’air super cette sortie dans la jungle !” comme si elle répondait à mon enthousiasme feint par un véritable engouement. Après, en y regardant de plus près, c’est vrai que leur présentation donnait envie de se perdre dans la jungle profonde et vierge de l’île. Entre les Pokémons sauvages et la flore toxique, il y avait beaucoup de plaisir à prendre là-bas.
J’en secouais la tête de dépit : comment pouvait-on proposer une telle randonnée à des touristes qui, pour certains, n’avaient jamais mis les pieds ailleurs que dans leur jardin ? Je n’avais pas envie de leur jeter la pierre non plus : ils vivaient avec leur temps et surtout leurs moyens. Qu’on avait de quoi se faire plaisir comme eux, pourquoi s’en priver ? J’espérais juste que rien de grave n’arrive pendant la balade, que je puisse me concentrer sur les données à collecter en vue de dénoncer dans mon prochain VLOG certaines choses au sujet de ces croisières, sur fond de découverte de la jungle de Dôme Royal.

C’est alors que revient la jeune femme au débardeur tâché. La présentation touchant à sa fin, le capitaine fait remonter le vidéoprojecteur et rallumer les lumières sous les applaudissements du public. Tendant la main pour récupérer le textile, je réponds en toute simplicité :

— De rien ! Leur lavage est rapide ici, vous n’aurez qu’à venir le récupérer demain après-midi je pense. Chambre 709..

Hum, n’était-ce pas un peu trop cavalier d’indiquer le numéro de ma chambre de cette façon ? On aurait pu croire que je flirtais pendant un instant ! Me passant une main sur le visage j’allais rectifier le tir en indiquant que mieux, je pouvais venir jusqu’à sa chambre (mais le résultat aurait pu être perçu de la même manière), mais les lumières s’éteignirent à nouveau.

— Quelqu’un a glissé sur l’interrupteur on dirait !.

Plaisantais-je. Les invités et autres passagers étaient en train de se poser des questions mais ils n’étaient pas les seuls : dans la pénombre on percevait l’incompréhension des membres d’équipage sur scène. J’imaginais mal une coupure de courant sur un bâtiment de cette taille… Mais je n’imaginais pas non plus ce qui allait suivre.
Une sirène se mit à retentir au-dessus de nous. Celle du bateau mais elle était si forte, si puissante, que je me bouchais brusquement les oreilles pour échapper à sa morsure sonore ! Et même comme ça, la vibration était incroyablement dérangeante, violente et même, douloureuse ! Au point de me jeter presque à genoux, les yeux fermés, cherchant désespérément à me soustraire à son emprise ! Et bien que cela ne dura que quelques secondes, j’avais l’impression d’avoir souffert une éternité dans le noir complet, au pied d’une table et de ses petits fours.

Lorsque le silence revint enfin, j’avais… perdu toute mon énergie. J’étais comme vidé, en proie à une fatigue immense. Mes yeux se rouvrirent mais comme il faisait toujours noir autour de nous, je ne vis rien ni personne. Je me redressais en faisant attention à ne bousculer personne à nouveau mais heureusement, cela n’arriva pas.

— Qu’est-ce… qu’est-ce qu’il vient de se passer….

Murmurais-je alors en me tenant la tête. Je fus surpris d’entendre mes murmures raisonner dans toute la salle de réception. Comme s’il n’y avait que moi. Saisissant mon Poképhone, j’en allumais la lampe-torche pour découvrir avec stupéfaction que ce n’était pas qu’une impression : j’étais vraiment seul dans la salle de réception ! Où étaient-ils tous passés ?! Un murmure, un grognement humain… quelqu’un sous la table ! Je relevais le drap de celle-ci pour découvrir la fille dont le débardeur sale se trouvait encore dans ma main, preuve que je ne rêvais pas, ou qu’il s’agissait du rêve le plus réaliste de ma vie.

— V-Vous allez bien ? Mademoiselle ?.

J’essayais de ne pas laisser transparaître ma panique mais de toute évidence il n’y avait que deux personnes dans cette immense salle de réception plongée dans le noir total : elle, et moi. Et autant dire que cela ne présageait rien de bon. Surtout qu’autour de nous le seul bruit que j’entendais, c’était celui des craquements de métal du navire qui vibrait au son des vagues. Sans moteur, sans courant, sans vie.

L’autre gars me propose de passer dans sa chambre récupérer mon débardeur demain. Très bien. J'acquiesce et sort un stylo de ma poche pour noter dans le creux de ma main le numéro de sa chambre. Ça va, je le prends pas mal. Il m’a pas draguer ou quoi que ce soit. Sinon il aurait déjà manger mon poing.

Puis, le noir. Mon interlocuteur trouve le moyen de faire de l’humour. Je l’aime bien. Il est marrant ce type, finalement. Se morfondre ? C’est pour les faibles. Et puis, un bruit strident. Une sirène d’alarme retentit. C’est assourdissant. Tellement que je finis par en perdre l’équilibre, les oreilles pleines d'acouphènes. Je croise même que je finis par perdre connaissances quelques secondes.

Quand je rouvre les yeux, je suis plongée dans le noir total. Le silence est complet, c’est presque effrayant. Je tente de me redresser mais je me cogne contre la table, ce qui m’arrache un juron tandis que je me frotte le crâne. Puis la nappe se soulève et je suis éclairée par une lampe torche. Eblouie, même je dirais. Mais j’arrive à reconnaître. Le gluton des petits fours.

- Doucement, l’ami, baissez votre lampe, avant que je ne devienne aveugle.

Je sors de sous la table, tout est noir. Absolument tout et j’ai l’impression qu’on est les deux seuls êtres humains sur ce bateau. Et ça m’inquiète. Parce qu’à la base, je suis quand même venue avec mon frère. Se sont-ils réfugier ailleurs ? Ils n’ont pas pus disparaître ainsi. Ou je rêve ? Je me pince très fort. Je ne me réveille pas. Je ne rêve pas.

- On devrait fouiller la salle, des fois qu’on ait des blessés ou je sais pas quoi. Et ensuite, on pourrait se rendre dans ma cabine ? Ma lampe torche est dans mon sac. Je propose ça comme ça, car je pense qu’il faudrait éviter de se séparer. Qu’en pensez-vous ?

Destination Inconnue 4

Rapidement, la fonction “lampe torche” de mon Poképhone a été mise à contribution pour y voir plus clair. Assez en tout cas pour reconnaître la seule autre personne avec moi aka la fille au débardeur. Mon cœur battait la chamade et j’avais toutes les raisons de penser que nous étions dans de beaux draps : je n’en étais pas à mon premier rodéo ! Des histoires comme celles-ci cependant, c’était une première. Où donc étaient-ils tous passés ?

— Oh, désolé ! Je ne v…

Mes mots n’eurent pas d’autres échos que ceux de mon silence soudain. Je n’osais parler tant nos voix résonnaient dans la salle de réception du navire laissée à l’abandon. La jeune femme déclina mon aide pour se relever et en même temps je la comprenais : je venais de l’aveugler, pas besoin de pousser le bouchon trop loin. Reculant d’un pas, je décidais de balayer le faisceau lumineux de mon Poképhone tout autour de nous pour rassembler quelques premiers indices sur la situation.
Ainsi je découvrais les éléments suivants : la nourriture n’avait pas encore tourné, il n’y avait plus d’électricité, il n’y avait pas de traces de luttes mais certaines tables étaient renversées comme si des gens étaient partis précipitamment. J’aurais presque aimé trouver une trace de sang, ou un corps inanimé, mais il n’y avait pas d’autres passages d’êtres humains autour de nous.

Du coin de l’oeil, je vis la jeune femme à côté de moi se pincer l’avant-bras sacrément fort. Bizarrement son geste me donna envie de faire de même, juste pour vérifier que je n’étais pas pris dans une attaque mentale ou un pouvoir hypnotique utilisé par un Pokémon surpuissant. Malheureusement tout comme elle, j’en arrivais à la conclusion silencieuse que j’étais bien dans la réalité véritable, et aussi que se pincer aussi fort n’avait rien d’agréable. En entendant la fille qui se trouvait être, pour l’heure, la seule autre rescapée du Roigalola, je fis un petit geste de la main pour lui dire de parler plus doucement, juste au cas où.

— Je suis d’accord pour chercher n’importe qui en fait. Et après un premier examen à la lumière de mon Poképhone, je ne vois pas où pourraient être partis les gens qui étaient là il n’y a même pas cinq minutes ! D’ailleurs mon Poképhone il…

Je regardais l’appareil mais il était en mode “PAS DE RÉSEAU" remarquais-je alors. Je secouais la tête avant de continuer d’observer autour de nous.

— Pas de réseau, si vous avez le votre sur vous, jetez un coup d'œil, on ne sait jamais.

Après quoi je me mis à marcher, presque à déambuler sans conviction, à travers la salle de réception. Pas d’autres blessés, pas d’autres traces, juste la vague impression que des gens avaient voulu s’enfuir dans une direction plutôt qu’une autre.

— C’est… effrayant. En plus, je ne sais pas si vous avez remarqué mais… le moteur ne fonctionne plus, pas plus que le courant d’ailleurs. Ce qui veut dire que le Roigalola dérive à l’heure actuelle ! On ferait mieux de vite trouver l’équipage pour voir si on peut les aider à faire quelque chose pour éviter, au hasard, de faire naufrage contre la jungle de Dôme Royal qu’on était censé être en train de longer pendant la présentation ! C’est par où votre chambre ? Je vous suis, pas question de se séparer c’est clair.

Puis, tandis que nous nous apprêtions à quitter la salle de réception, je décidais d’ajouter :

— Je m’appelle Yagyu, au fait.

Mon interlocuteur me propose de regarder mon téléphone, m'assurer que j'ai du réseau. Je regarde et non j'en ai pas. Et en même temps, j'en ai avait déjà pas au début de la croisière. C'est ça quand tu prends un mauvais opérateur réseau. Tu captes même pas à côté d'un relais. Bref, en attendant de mettre ma main sur ma lampe torche, je me sers de mon téléphone comme source de lumière, c’est toujours mieux que rien. On fouille un peu, du mieux qu’on peut, mais y a genre vraiment rien de rien.

- Hum. C’est pas le genre d’escapade que j’espérais.

Et j’espérais pas la faire avec un inconnu, en prime. Il est pas méchant, hein, mais, j’aurais espéré avoir mon frère sous les yeux pour, genre, m’assurer qu’il va bien, quoi. Rien que ça. C’est pas en pleurant que je vais le trouver. Alors, au boulot !

Mon camarade de galère, qui se présente sous le nom de Yagyu, fait des remarques incroyablement pertinentes. Il n‘y a plus de courant, et le bateau est à la dérive. Je veux pas être pessimiste mais je connais l’histoire d’un bateau qui a dérivé après avoir heurté un iceberg. Ça a mal fini, surtout pour le protagoniste masculin. Bon courage Yagyu.

- Je suis Sheera Baal, je vous dirais bien enchantée, mais ça aurait été mieux de faire connaissance dans d’autres circonstances, je vais pas vous mentir. Vous savez nager, Yagyu ? Si le bateau dérive, y a des chances qu’il entre en collision et abime la coque.

On quitte la salle de réception et je guide Yagyu jusqu’à la chambre qu’on partage avec Nill. Nos sacs sont bien là. Personne n’a touché à rien. Y a même les pokéballs de nos pokémons. On les avait laissés ici pour qu’ils puissent se reposer. Mais puisque Nill n’est pas ici non plus, je récupère ma lampe torche, mes pokémons et ceux de mon frère. Ils vont être utiles, j’ai l’impression. Puis, je regarde mon partenaire de galère :

- On va où, selon vous ? La salle des machines ? Je suis pas vraiment une tête qui pense, moi. J’espère que vous êtes plus réfléchi que moi, ou on est dans de beaux draps.

Pour commencer, on ressort de la chambre, et je tends l’oreille, guettant un bruit quelconque. Mais rien, je n’ai pas l’oreille ou le flair développé. Calcifear me manque, là. Il nous aurait bien aidé à chercher des gens ou même quelqu’un, tout simplement. Tant pis, qu’il repose en paix, on fera sans lui. Je dois apprendre à me débrouiller, un peu.

Destination Inconnue 5

Ce n’était pas le genre d’escapade que j’espérais non plus à vrai dire. J’étais venu pour monter un dossier contre la compagnie qui gérait ces croisières polluantes à la base ! Pour le laisser à une association d’Alola qui gérait la protection des mers et dont j’avais entendu beaucoup de bien par ici. Et maintenant je déambulais, le cœur battant, dans un navire de plusieurs milliers de tonnes qui lui-même dérivait sans équipage, sans énergie, et surtout sans bruit. Je remerciais le destin de m’avoir au moins donné une âme qui vive avec moi dans cette situation, parce que le silence de la dérive aurait eu tôt fait de me faire paniquer. Là au moins je pouvais écouter autre chose que les battements précipités dans ma poitrine.

Ma partenaire de fortune regarda son propre Poképhone et je vis par-dessus son épaule ce qu’il affichait. Pas de réseau pour elle non plus alors. Une hypothèse germait dans mon esprit mais j’avais pour l’heure trop peur de la concrétiser à l’oral. Parce que, pour peu qu’elle se vérifie, cette hypothèse impliquait la mort de toute l’équipage, ou notre potentielle fin à la jeune femme et à moi. Et aucune option ne me convenait dans cette optique.

Maintenant j’avais le nom de la passagère : Sheera Baal. Et son trait d’humour eut au moins le mérite de me faire sourire, jusqu’à ce qu’elle parle d’une collision éventuelle. Une possibilité bien plus horrible que celle de simplement échouer le Roigalola sur la plage de Dôme Royal. Mais Dôme Royal avait-il seulement une plage quelque part ? Dans le cas contraire, le navire allait heurter des récifs, des falaises, n’importe quoi de dangereux en fait ! Et l’hypothèse évoquée par Sheera allait vite devenir réalité, avec tout ce que ça impliquait d’horrible.

— Et bien comme vous le dites, les circonstances ne jouent pas en notre faveur pour ce qui est d’une rencontre sympa autour des petits fours et d’un débardeur à laver.

Plaisantais-je en remettant sur le tapis qu’au final, ils s’étaient présentés l’un à l’autre d’une manière originale au moins, avant “ça” !

— Je sais nager, un peu, assez pour ne pas couler en tout cas mais j’ai lu quelque part que quand un navire de cette taille coule, il emporte tout avec lui. Alors si on doit quitter le bateau avant qu’il ne coule, il faudra le faire très vite… et pourquoi pas prendre un canot de sauvetage tiens !

Fis-je en claquant des doigts : pourquoi partir bille en tête du postulat qu’on allait devoir nager quand un navire de cette taille avait forcément tout le nécessaire de sauvetage de base ? Après, j’avouais sans honte avoir esquivé le fameux récep des règles de sécurité que l’on faisait aux passagers qui montaient à bord, préférant alors rester dans ma chambre à m’habituer à la houle. Peut-être que ça allait me manquer cette histoire. Qui plus est je m’interrogeais alors : deux personnes seules pouvaient-elles faire descendre un canot de sauvetage ?

Je suivis alors Sheera jusqu’à sa chambre. En entrant je remarquais bien vite des vêtements d’homme et la présence de deux valises. La propriétaire de ces affaires récupère alors ce qu’il lui faut, dont des Pokéballs. Bien vu ça ! Les Pokémons allaient nous être d’une grande aide si jamais on arrivait pas à régler le problème nous-même.

— Vous… Vous êtes venue avec quelqu’un dans cette croisière non ? Si cela peut vous rassurer je pense que tout le monde va bien, enfin, je crois. Je l’espère de tout cœur.

Puis nous ressortons de la chambre. Sheera ayant maintenant une lampe torche qui éclaire bien mieux que la fonction “torche” de mon Poképhone, je lui laisse le loisir de passer devant et ainsi, au milieu du couloir, il fût l’heure de réfléchir à notre prochain déplacement. Surtout que dans un navire aussi grand et sans courant, chaque pas que nous faisions devait être à dessein de nous sauver ! Le temps allait peut-être nous manquer et lorsque Sheera parla de la Salle des Machines, je lui répondis par un non de la tête.

— Non pas en bas. Je suis peut être réfléchi mais je ne suis pas ingénieur et je serais bien incapable de relancer quoique ce soit dans ce bateau. Le plus important à présent est de regagner un pont qui donne sur l’extérieur, et sur un canot de sauvetage de préférence. Parce que plus le temps passe, plus on risque de heurter n’importe qui sur la route et je n’ai vraiment pas envie de finir noyé ça non ! Et puis…

Un sourd et lointain son de métal qui travaille me stoppa net. C’était particulier comme son, on aurait dit un morceau d’acier qu’on pliait. Rien à voir avec les bruits que faisait le Roigalola dérivant : c’était le son des ennuis ça !
Un frisson parcourut mon échine et je me tournais alors lentement vers Sheera.

— Vous croyez qu’il y a quelqu’un d’autre…? Oh, là regardez, un balisage vers le pont supérieur !

Un nouveau son de métal froissé retentit dans le lointain, me faisant déglutir. Nous avions deux possibilités donc : prendre l’escalier pour remonter vers le pont et préparer notre fuite, ou prendre l’escalier pour descendre vers le bruit que nous venions d’entendre résonner dans tout le navire. Je fis un signe de la tête à Sheera, l’invitant à passer devant avec sa lampe-torche mais également à choisir la direction dans laquelle nous allions aller !

— Vous… Vous êtes venue avec quelqu’un dans cette croisière non ? Si cela peut vous rassurer je pense que tout le monde va bien, enfin, je crois. Je l’espère de tout cœur.
- Avec mon frère aîné, oui. Il doit être sacrément inquiet.

Je vais laisser les décisions à Yagyu. Il est plus malin que moi, clairement. On va dire que je suis la force brute. Puis, un bruit retentit. Un bruit de métal plié. Erf. Ça pue. Fort. Ça pue très fort. Je sors Monoxyde, l'Ectoplasma de Nill. Je lui demande d'aller vérifier la source du bruit. Comme il peut traverser les murs, il peut vite revenir à nous. Nous, avec mon partenaire de galère, on va chercher les canots de sauvetage.

- Je trouve ça quand même fou, qu'ils aient tous disparu comme ça, en un instant. J'espère que c'est juste un mauvais rêve

M'enfin, si y avait que ça, je prendrais le temps de creuser. Mais bon. Une chose à la fois, Sheera. On déambule dans le bateau, on cherche les canots. Je ne m’y connais pas dans ce domaine, ils sont accrochés sur le côté mais, je ne sais pas comment on les atteint. Jusqu’à ce qu’on arrive à un couloir ouvert et de quoi manipuler des canots.

- Je crois que les canots sont là-bas ! Vous m’aidez à les déloger ? Je ne pense pas avoir la force suffisante pour le faire seule.

Ou alors, c’est électrique et on est dans le caca, mais, il doit avoir moyen d’activité ça en urgence s’il n’y a pas de courant. En théorie, les ingénieurs qui ont construit ça ont pensé à tout. En théorie.

Destination Inconnue 6

Sherra s’inquiétait du sort des passagers que nous avions quitté et je la comprenais. Difficile de saisir l’étendue dramatique de notre situation dans ce bateau à présent abandonné qui dérivait de plus en plus vers la côte. D’ici je ne pouvais toujours pas voir l’extérieur mais je croisais les doigts pour que nous ayons encore un peu de temps devant nous, avant que le Roigalola ne sombre pour de bon.
C’est alors que retentit dans le bateau ce qui ressemblait fortement à un, ou plusieurs autres problèmes. Ce bruit de métal qu’on plie, de cette taule qu’on froisse, de ces murs qu’on détruit… Ce n’était pas ce que je souhaitais entendre le plus mais ma partenaire de circonstance décida d’y réagir plus méthodiquement que moi. D’un geste, elle lâcha une Pokéball au sol qu’elle avait récupéré dans sa chambre quelques minutes plus tôt, laissant apparaître…

— Un Ectoplasma ? Bonne idée ! J’espère que la source de ce bruit n’est pas amatrice de Pokémons spectraux…

Lançais-je d’un ton peu assuré. Je ne voulais pas jouer les oiseaux de mauvaise augure mais il valait mieux avoir en tête que l’impossible était de mise, y compris de voir un Ectoplasma se faire courser dans les coursives, à défaut de les traverser de part en part. Je croisais les doigts pour que cela n’arrive pas, il était de loin notre meilleur éclaireur à l’heure actuelle pour découvrir la source d’un éventuel danger avant que celle-ci ne nous trouve !
Alors que nous commençons à remonter l’escalier pour atteindre un pont depuis lequel trouver des canots de sauvetage, la remarque de mademoiselle Baal me fait pencher la tête de côté.

— Un mauvais rêve… Hum.

Il y avait peut être quelque chose à creuser de ce côté. Mais tout rêve avait une fin, et quelque soit la raison pour laquelle nous étions là avec Sheera, nous allions devoir trouver une issue à notre situation. De temps en temps, je prends le temps de me retourner, d’éclairer derrière nous, au-dessus, partout en fait. Des fois que quelque chose tente de nous surprendre. D’ailleurs après quelques minutes à grimper dans le navire j’adresse une inquiétude à la jeune femme à mes côtés :

— Ton Ectoplasma n’est pas encore revenu, tu es sûre que ça va aller pour lui ?

C’est alors que nous atteignons ENFIN un pont ouvert sur l’extérieur ! Et ce après avoir traversé le labyrinthique navire de plaisance en suivant les quelques indications anciennement lumineuses qu’éclairaient nos lumières. Une petite victoire en somme, sauf si on prenait le temps de regarder dehors, ce que je ne pu m’empêcher de faire, alors même que Sheera m’enjoignait à l’aider.

— Oh… Merde…

Tant pis pour le langage : le ciel était d’un noir étincelant, nimbé d’étoiles clignotantes et d’une magnifique lune aussi blanche qu’irréelle. La côte, bien plus proche encore que je ne l’imaginais, semblait comme abandonnée par la vie animale, n’y laissant que la jungle de Sombrefeuille. Mais surtout l’ambiance, irréelle, n’était pas sans me rappeler une expérience précédente. Ce qui me conforta dans une théorie que je m’étais faite un peu plus tôt.

— Ok, j’ai peut-être une solution à notre problème mais il va falloir sortir du bateau pour trouver un terrain où affronter ce qui nous retient ici de force. Parce que le Roigalola, c’est un peu un cercueil de métal et pour une raison ou une autre, le hasard ou, ou parce que quelqu’un ou quelque chose nous en veut, on veut nous voir périr ici, à l’abri des regards. Alors il faut…!

Un grand choc me fit tituber : la coque avant du navire venait de heurter la côte en ligne droite ! Le bruit, plus qu’impressionnant laissait entendre le râle d’agonie du bateau qui cachait pourtant un danger bien plus grand encore. Me relevant difficilement malgré les multiples chocs, je rejoignis Sheera.

— Il doit y avoir une manivelle pour descendre manuellement… là ! Là, il faut qu’on tourne vite, au moins pour avoir les cordes pour descendre à terre avant que quelque chose de pire qu’un crash maritime nous tombe dessus !

Et, joignant le geste à la parole, je me mis à tourner vivement, très vivement même, cette fichue manivelle, espérant revoir l’Ectoplasma sain et sauf et surtout, revenir seul, sans rien de dangereux sur les talons...

Yagyu semble peu à l’aise, voir complètement paniqué. JE ne dis pas que je ne crois pas ou que je n’ai pas peur, mais, je ne cède pas à la panique, en tout cas. Et pile au moment où le jeune homme le fait remarquer, Monoxyde traverse un mur pour venir nous retrouver mais avant même de dire quoi que ce soit, elle file se cacher dans sa pokéball. Je jette un regard à mon camarade :

- Elle a toujours été peureuse, y a pas à s’inquiéter.

Puis, le bateau s’agite et je m’accroche au mur pour ne pas tomber. Oula ! Sacrée secousse. Yagyu semble vraiment céder à la panique maintenant et il ne me laisse pas en placer une seule. Il me bazarde une théorie à propos d’un gars qui veut nous éliminer en scred. Alors déjà, j’ai aucun souvenir d’avoir fait du mal à quelqu’un ni même d’avoir de vrais ennemis.

… Quoique. C’est vrai que y a deux ans, j’ai tabassé un ivrogne qui avait ressuyer son vomi dans mes cheveux. C’est vrai qu’il avait pas apprécier de se faire tabasser et qu’il avait juré de me faire la peau, mais à moins qu’il soit devenu un putain de magicien ultra talentueux avec un Porygon et un Gardevoir, je pense pas qu’il puisse vraiment me retrouver. Je sais même pas s’il se souvient de la couleur de mes cheveux. Alors qu’il s’est ressuyer dedans, le salaud.

Mais, je ne dit rien, je garde mon sceptisisme pour moi et j’active la manivelle avec Yagyu. On arrive à descendre le canot, juste à temps pour nous de sauter dedans. Le Roigalola coule. Mes affaires, putain ! Comment je les récupére là ! Je m’appelle pas Crésus, moi !

- Bon, notre ennemi affreux, s’il pouvait se montrer au lieu de noyer nos affaires, là. Sinon, il me rembourse, hein. J’ai pas peur de frapper dedans, moi !

Je fais la fière, mais pour un truc qui arrive à faire couler un bateau en quelque coup, je suis quand même pas sereine. Après, je pense que rien ne peut être pire qu’un Méga Métalosse au fond d’une grotte. Vraiment rien.