Une fois n'était pas coutume : pour changer un peu, j'avais annoncé mon intention de m'absenter du QG pour l'après-midi par une demande officielle, présentée au Comité en bonne et due forme dans les délais admis et avec justification à l'appui. Hélène Joannis donnait un combat de Ligue et je désirais y assister : c'était l'occasion de souder un peu plus les liens entre champions d'Élite et de Ligue comme nos supérieurs nous y incitaient, cela me permettrait de prendre exemple sur une plus grande spécialiste pour renforcer mes capacités de combat puisqu'il était communément admis que nous, maîtres coordinateurs, étions plus doués sur la scène que sur le stade (ce qui ne nous empêchait pas d'avoir triomphé des combats des derniers niveaux de l'Élite pour obtenir nos postes, mais passons), bref, je ne faisais que mettre en œuvre les projets dont ils nous rabattaient les oreilles à chaque réunion. M. Froidemont, du Comité, m'avait regardé en haussant un sourcil, imité par ses collègues. Depuis quelques mois qu'elle s'était hissée à ce poste, tous savaient l'amitié qui me liait à Hélène, et aucun d'entre eux n'aurait pu croire, même une demi-seconde, en parlant d'autre chose et un coup dans le nez, que je désirais vraiment me rendre à Ebenelle pour des raisons strictement professionnelles. Pourtant, ma demande fut acceptée : mes employeurs avaient compris qu'ils n'obtenaient de moi du bon travail que quand ils me laissaient mes libertés, que je prenais de toute façon, dans la limite du possible, et une intervention de mon agente Élise n'y fut également peut-être pas étrangère. En effet, celle-ci se mêla à la conversation sans que je ne m'y attende en déclarant son envie de m'accompagner au stade.
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…Quoi ? Mais pourquoi ? Je croyais que vous aimiez mieux regarder les combats à la télé !–
C'est également très instructif de les voir en temps réel sans être gêné par le choix des images qui nous sont montrées, répliqua en remontant ses lunettes celle qui m'avait déjà soutenu regarder les combats de mes collègues depuis sa chambre parce que « dans les tribunes, le bruit de la foule la déconcentrait. »
Et puis, comme ça, je pourrai vous surveiller.–
Me surveiller ! Ha ! Compte là-dessus, ironisai-je.
Quelle que fut la raison qui convainquit le Comité, nous partîmes donc avec l'aval de nos supérieurs en fin de matinée sur les Gueriaigle de prêt de l'Élite. Avant le combat, nous pûmes déjeuner dans les locaux de la Ligue, les employés ayant été avertis de notre venue lorsque nous avions réservé nos places VIP.
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Décidément, la vie ne serait pas drôle sans quelqu'un à vos côtés qui fait tout votre boulot à votre place, commentai-je rêveusement en contemplant Élise qui trouvait même le moyen de remplir je-ne-savais-quel compte-rendu pendant que nous étions à table : par moments, elle me rappelait dangereusement Camille.
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Je crois que Moustache est parti en cuisine, vous feriez mieux de le surveiller, se contenta-t-elle de répondre sans même lever les yeux de son calepin – et je pus constater que la pokéball de mon Avaltout était effectivement vide.
Peu avant l'heure du début du match, nous nous installâmes dans les fameuses tribunes VIP, aux premières loges, derrière la plateforme de la championne. Je n'avais pas dit à Hélène que je viendrais la voir, espérant lui en faire la surprise lorsque le match commencerait : elle m'avait proposé d'aller prendre un verre après le combat (ce qui impliquait de m'imposer beaucoup de route juste pour une soirée parce que, quand même, Rivamar et Ebenelle n'étaient pas la porte d'à côté), mais elle ne pouvait se douter qu'alors que je n'avais pas même parcouru les photos d'un seul de ses matchs de ces dernières années (mal m'en avait d'ailleurs pris car, si je m'y étais intéressé plus tôt, j'aurais vu ce qui était arrivé à sa peau et à son visage... mais je m'étais un peu rattrapé depuis nos retrouvailles), je me trouverais aujourd'hui dans les tribunes, prêt à ne pas perdre une minute de son combat. Et pourtant, j'étais là ! J'avais en effet bien envie d'observer comment mon amie se battait après tout ce temps, même si, pour m'être déjà frotté à elle par le passé, je ne doutais pas de ses talents de dresseuse. J'adressai, de loin, un petit signe de salutation aux autres champions de Ligue, puis je nous cherchai un coin où nous ne nous ferions pas trop remarquer par les autres spectateurs – même si, avec Pops assis à côté de moi, nous serions difficiles à rater : les Pokémon étaient autorisés en tribune VIP, mais il n'y avait pas l'air d'avoir beaucoup d'autre imposante masse rose nommée Coudlangue à proximité.
Je révélai ma présence à mon amie par SMS peu avant son entrée sur le stade, me réjouissant d'avance de mon petit effet, mais nous ne pûmes continuer immédiatement à communiquer car il était temps qu'elle fasse son arrivée. À en croire les acclamations du public, je ne fus pas le seul à être ébloui par sa robe chinoise, qui rehaussait sa beauté... Ou peut-être était-ce sa peau violette qui faisait encore sensation ? J'avais compris qu'elle avait du succès. En revanche, j'avais quelque difficulté à deviner ce qu'Élise pensait d'elle : les humeurs de mon agente m'échappaient encore par bien des points et elle arborait un air presque aussi fermé que celui de la championne tandis qu'elle applaudissait d'une façon mécanique, seul son plissement de sourcils suggérant qu'elle devait être très concentrée.
Si j'observais jusqu'à présent avec une nonchalance amusée ce qu'il se passait sur le stade, j'ouvris de grands yeux en voyant apparaître le challengeur – et je ne fus certainement pas le seul. En voilà un qui avait manqué une petite carrière dans la coordination ! D'après son discours, il devait être présentateur télé, ou quelque chose comme ça, mais toute son entrée en scène depuis la musique jusqu'à son costume semblait resplendir de strass et de couleurs – de quoi fortement contraster avec la froideur d'Hélène. Eh bien ! La feuille de route du Comité de notre institution jumelle avait-elle tant changé depuis la dernière fois que j'avais jeté un œil sur l'une de leurs prestations, pour qu'ils se retrouvent à faire un show comme ça, ou était-ce propre à ce challengeur ?
« Je devrais venir à la Ligue plus souvent, ils ont l'air de bien s'y amuser, finalement » commentai-je à l'intention d'Élise... qui gardait, bouche ouverte, ses yeux stupéfaits figés sur le dresseur.
Toute cette mise en scène lui laissa cependant peu de temps pour saluer son adversaire, ce qui fut l'occasion d'une petite réplique bien placée d'Hélène, voulant reporter l'attention sur elle, qui me fit éclater de rire. Avec deux combattants pareils, on allait être servis ! Je n'avais pas manqué de remarquer le téléphone qu'elle avait ostensiblement placé sur la tablette de sa plateforme, encore une chose à laquelle j'ignorais que les champions de la Ligue avaient droit : décidément, les Maîtres dresseurs pouvaient vraiment organiser leur combat comme ils le voulaient... J'avais bien fait de venir voir Hélène aujourd'hui : je m'amusais déjà comme un petit fou, n'en déplaise à mon voisin de tribunes que mes rires semblaient indisposer.
Après l'impressionnante mise en place du stade de la spécialiste des poisons, le début du match fut cependant quelque peu moins trépidant. L'apparition du premier Pokémon du challengeur avait encore déclenché son lot de surprise, avec son costume humanisant qui nous fit, Élise et moi, faire la grimace ; mais les premières actions furent ensuite du moins spectaculaire possible. Je conservais tout de même encore mon attention dans l'attente de la suite, ne doutant pas que ce challengeur pour le moins atypique et que la championne aux réactions cinglantes nous réserveraient quelques surprises.
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Edel, Pops est en train de baver sur moi.–
Oh, comme c'est dommage ! Il pense peut-être que vous avez trop chaud ?–
Dites-lui d'arrêter, ou je sors ma Mistigrix.–
Mais vous ne savez pas que Pops est habitué aux fortes présences psychiques ? Je doute que cette petite ne lui fasse quoi que ce soit...Élise ne répondit pas ; mais elle tourna soudain la tête, et fixa Pops dans les yeux. Le Coudlangue et la jeune femme se toisèrent un instant... et puis, à ma grande surprise, mon ami de toujours ravala sa langue qui gouttait depuis un moment sur l'épaule de mon agente.
« Mais... Pops ! Pourquoi tu lui cèdes ? Ce n'est pas à elle de te donner des ordres, enfin ! » Trahi par mon propre ami ! Ah, j'allais devoir me méfier d'elle...
Sans m'en rendre compte, je m'étais quelque peu détourné du combat, mais j'y fus rappelé par mon portable qui vibra soudain dans ma poche : un SMS d'Hélène... en plein combat. Je ris sous cape tout en lui répondant.
DE:HELENE — Finalement, ce n'était peut-être pas une si lumineuse idée que tu viennes, mais je vais faire de mon mieux pour que tu puisses profiter un minimum du spectacle de la ligue. On est loin de vos prestations, mais j'y travaille !
J'ai hâte d'ouvrir une nouvelle bouteille dès que je serais libérée.
DE:EDEL — Alors ça utilise son téléphone en plein match ? Quel exemple ! >:p
Faut avouer que c'est pas très foufou, dommage car ça commençait bien ! Mets un peu d'action, qu'on se réveille !
Je compte sur toi à la sortie, je me débarrasserai de mon agente dans un coin ~~~/o/
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...C'est à vous qu'elle écrit ? Mais arrêtez ! Ça ne se fait pas ! siffla Élise au bout de quelques temps en remarquant nos échanges.
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C'est pas ma faute, c'est pas moi qui ai commencé ! me défendis-je tout en pianotant sur mon écran et en me contorsionnant pour être certain qu'il reste hors de portée de sa main.
Il faut bien que je lui réponde !