---

Lait de Cerise est un cabaret très privé réservé à une clientèle triée sur le volet.

Coincé entre un immeuble bondé et une boutique de souvenirs douteuse, le cabaret ne se remarque pas facilement malgré son enseigne colorée. Les lettres lumineuses sont un peu défraîchies et clignotent irrégulièrement. Une façon comme une autre de prévenir les touristes d'éviter le club. À l'intérieur tout est différent et bien mieux entretenu. Un lino bordeaux sur le sol et des murs couverts de photos de grandes et belles célébrités de n'importe quelle génération. À gauche de l'entrée s'étend un comptoir en bois blanc, toujours très propre, avec de hautes chaises de bar où attendent des coussins roses moelleux pour les fesses délicates. Derrière le comptoir les étagères regorgent de boissons en tous genres et en tous noms. Les bouteilles de liqueur côtoient les jus de fruit tropicaux et une grande affiche clame le nom des cocktails proposés par l'établissement.

Les piliers de bar n'ont qu'à se retourner pour contempler la piste de danse et ses barres de pole danse. Quelques chaises en plastique sont disposées à côté, pour les clients généreux qui n'ont pas peur de laisser les danseuses se trémousser trop près d'eux. Au fond de la salle des fauteuils en velours prune sont installés autour de tables noires. Deux énormes cerises lumineuses sont suspendues au-dessus de chacune d'entre elles et se balancent doucement au-dessus des têtes des clients. Un parfum de patchouli se mélange aux relents de sucre émanant des cocktails. Les danseuses étreignent les barres de pole danse lascivement, les serveuses sont en petites tenues et la barman secoue son shaker avec conviction. L'ambiance est tendancieuse et capiteuse.

Pourtant, au cabaret Lait de Cerise il n'y a aucune femme. Les jambes des danseuses arborent une pilosité à faire rougir un Mastouffe. Les serveuses se pâment de leurs barbes longues, courtes, fournies mais toujours impeccablement bien entretenues. Et la barman très attentive affiche une superbe moustache en guidon. Grands adorateurs des femmes, elles accueillent les âmes perdues ou à la recherche d'un monde un peu flou où le masculin et le féminin se superposent pour créer un troisième genre. Les transgenres.

La propriétaire du club, quatre-vingt-dix kilos de muscles, peau sombre, fanatique de rose et de matières pelucheuses : Cerise. Elle ouvre facilement ses portes, jouant la carte de la gentillesse sans jamais montrer son jeu. De prime abord le cabaret est tape à l’œil mais, il cache quelques zones d'ombre. Si les effluves sucrées font tourner la tête, les petits gâteaux déposés sur chaque table vous la font perdre une bonne fois pour toutes. La recette est secrète mais la fabrication est maison. Les petites gâteries en forme de galette sont faites à l'étage et les ingrédients viennent des hommes en costume qui se réunissent en secret dans les salles du cabaret. Cerise ne sait rien à ce propos mais, elle est au courant de tout. Les informations compromettantes sont son gagne-pain et elle n'hésitera pas à vous faire chanter si c'est dans son intérêt. Elle loue au prix fort les salles à l'étage de son club où petites frappes et organisations criminelles se regroupent pour parler de sujets sensibles. Si ses clients ont des désirs plus primaires, Cerise possède aussi des chambres et dans chacune d'entre elles se trouve une catin qui répondra aux moindres fantasmes, même les plus délurés.

La réputation du cabaret Lait de Cerise n'est plus à faire. Les produits sont frais, le service est impeccable et les secrets sont bien gardés.