— Et pour finir, nous remercions chaque membre du public pour leur présence, leurs encouragements et leurs applaudissements ! Nous espérons que les prestations d’aujourd’hui auront su vous éblouir et nous vous donnons rendez-vous lors du prochain concours de coordination !
Les plafonniers de la salle se rallumèrent sous les applaudissements de la foule d’anonymes venue assister à l’événement tandis que les spots de la scène s’éteignaient et qu’un grand rideau tombait pour permettre au jury de faire une sortie discrète. Les caméras ne les avaient pas quittés depuis le début du concours et il y avait tout à parier qu’il y en aurait d’autres à la sortie des coulisses. Assit sur les genoux de sa propriétaire, Bubble se réveilla de sa sieste avec un sursaut lorsque le vacarme des applaudissements retentit pour la dernière fois. Très intéressé par les premières représentations, il s’était cependant fatigué rapidement et avait fini par somnoler sur le dernier tiers du spectacle tandis que Louise ne ratait pas une miette de ce qui se passait sur scène. Mais quoi de plus normal ? Il était encore jeune et à moins que l’attention ne soit portée sur lui, il se désintéressait vite des choses. Alors si sa coordinatrice n’avait d’yeux que pour les pokémons sur scène, autant faire un somme.
Soulevé dans l’étreinte de la jeune femme, le Toxizap encore tout engourdi de sommeil se laissa emporter hors de la grande salle en bâillant. De son côté, Louise se sentait remplie d’énergie et de motivation. Elle ne s’était encore jamais risquée à participer à un vrai concours de coordination, mais l’idée lui trottait dans la tête depuis un moment et après ce qu’elle venait de voir, elle brûlait d’impatience de s’y essayer.
Sa dernière expérience remontait à une dizaine d’années en arrière, lors d’une petite exhibition en amateur pour la fête de fin d’année de son lycée. À l’époque, elle avait participé en duo avec le Charmillon de sa mère. Il s’agissait alors moins d’un concours de coordination que d’un spectacle assisté par un pokémon, mais cela lui avait laissé une forte impression. Par la suite, elle s’était intéressé de près aux concours de coordination, en tant que spectatrice et fan de certains coordinateurs. Puis, elle avait terminé ses études, avait quitté le domicile parental et s’était lancé dans la vie active avec ce vieux lavomatic qu’elle avait passé de longs mois à rénover, et les concours de coordinations étaient alors devenus un sujet d’intérêt de second plan, tout au plus un programme télévisé qu’elle suivait avec plaisir entre deux coups de peinture et la pose d’un nouveau carrelage. Mais dans les premières semaines de réouverture du lavomatic, on lui avait offert un œuf. Et de cet œuf était sorti le pokémon de son cœur, son Toxizap qu’elle aimait plus que tout au monde. Rapidement devenu la coqueluche de ses posts sur les réseaux sociaux, il endossa le rôle de public attentif lorsqu’elle composait de nouvelles chansons et celui de mini rockstar lorsqu’elle décidait de dégainer son téléphone pour enregistrer une vidéo de ses performances. L’idée de participer à un concours de coordination revint naturellement s’imposer à la jeune femme et puisque plus rien ne s’y opposait, elle mit beaucoup d’énergie à se renseigner sur l’événement. Aujourd’hui marquait la dernière étape de son parcours préparatoire, c’était la dernière pierre sur le mur de sa résolution ! Elle avait fait le voyage jusqu’à Bonville pour vivre cet instant au plus proche des compétiteurs et des conditions de représentation, pour sentir la foule vibrer et prendre le pouls du concours. Elle en était à présent persuadée : il fallait qu’elle tente l’aventure, elle aussi.
La marée compacte des spectateurs traversa les couloirs menant jusqu’au hall du bâtiment où s’était tenu le concours et s’éparpilla une fois les portes passée. Chacun partageait les souvenirs qui l’avaient le plus marqué, les enfants avaient des étoiles plein les yeux et on devinait chez quelques-uns la flamme de la compétition qui s’éveillait déjà. De futurs concurrents, à n’en pas doute ! La jeune femme se fraya un passage jusqu’à un espace dégagé, préférant laisser le gros des spectateurs passer avant elle plutôt que d’être bousculée ou de risquer que son pokémon prenne un coup de coude malencontreux.
— Alors Bubble ? Qu’est-ce que tu en penses ? Ça te dirait de monter sur scène, toi aussi ? demanda Louise à son compagnon en lui grattouillant l’arrière de la tête pour attirer son attention.
Pour toute réponse, la petite créature cligna lentement des yeux, puis bâilla largement, lui donnant un bel aperçu du fond de sa bouche avant de fermer à nouveau les paupières et agripper un peu plus le pull contre lequel il était lové.
— Ah, longue journée pour toi, on dirait. C’est vrai qu’entre l’avion, le monde et toutes ces lumières, tu dois être secoué dans tes habitudes. Aller, un peu de courage, on rentre bientôt.
Le picotement familier d’un faible courant électrique lui chatouilla les mains tandis qu’elle réajustait la position du Toxizap dans ses bras. Parfois, elle avait l’impression de porter en gros bébé plutôt qu’un pokémon. La foule s’était bien éclaircie et alors qu’elle pensait se remettre en route pour rejoindre la maison d’hôte qu’elle louait pour son séjour, son regard fut attiré par un attroupement près du bâtiment : massés autour d’une sortie secondaire plus discrète, des journalistes et cameramans attendaient avec impatience la sortie des participants, et en particulier celle des gagnants et du jury. Poussée par un soudain élan de bravoure, Louise décida de s’approcher, elle aussi, dans l’espoir de saisir quelques bribes d’interview à la volée. Elle aurait bien aimé pouvoir poser ses questions aux concurrents, pour avoir leurs impressions sans passer par le filtre d’un reportage télé.
La porte s’ouvrit enfin, provoquant un remous parmi les journalistes. Les membres du jury, sans doute habitués à devoir donner leurs impressions devant la caméra, furent les premiers à apparaître, créant discrètement un espace entre les caméras et le bâtiment pour permettre aux compétiteurs et autres membres du staff de quitter les lieux à leur guise. Parmi eux, seuls les gagnants intéressaient vraiment les médias et plusieurs coordinateurs, repartis sans ruban, profitèrent que l’attention soit ailleurs pour s’extirper aussi discrètement et rapidement que possible. Louise en reconnu plusieurs, des souvenirs de leur prestation lui revenant avec plus ou moins de détails en fonction de l’impression qu’ils avaient laissé. Bien qu’ils n'aient pas remporté de prix, certains lui avaient fait forte impression. Une idée germa rapidement dans sa petite tête pleine de fantaisies.
Laissant à leur agitation journalistes, jury et gagnants, elle rattrapa au petit trot une haute silhouette qui s’éloignait à grandes enjambées. Même après ne l’avoir vu que brièvement, elle se souvenait de cet homme lorsqu’il était monté sur scène pour saluer avec tous ses pokémons.
— Excusez-moi ! Monsieur, s’il vous plaît, auriez-vous une minute ? l’interpella Louise en tentant de le rattraper. S’il vous plaît juste un petit moment.
Dans ses bras, Toxizap tressautait au même rythme que l’épaisse masse de cheveux roses et lorsqu’elle s’arrêta enfin à hauteur du coordinateur, le pokémon électrique tourna la tête pour lancer un regard noir à l’inconnu. Qu’avait-il de spécial, cet humain, pour que sa coordinatrice en herbe se secoue de la sorte pour le rattraper ? La jeune femme ne remarqua même pas l’air renfrogné de son pokémon et se para d’un sourire aimable pour se présenter :
— Pardon de vous déranger, mais j’étais dans le public pendant votre représentation et j’espérais pouvoir vous poser quelques questions. Vous auriez quelques minutes pour une future coordinatrice en quête de conseils ?
Louise n’était pas timide pour un sou, malgré ses airs un peu rêveurs et sa voix fluette. Entre la clientèle de sa laverie et sa présence sur les réseaux, elle avait plus que le bagage nécessaire pour pouvoir aborder en toute confiance de parfaits inconnus dans la rue. Mais elle devait bien admettre qu’avec une tête et demie de plus qu’elle, ce compétiteur avait quelque chose d’un peu impressionnant.