Pour fêter l’anniversaire de Mathilde, ma petite sœur, mes parents ont acheté des entrées deux jours dans un parc d’attraction, avec une nuit à l’hôtel. Là, justement, c’est la fin de journée, on se dirige vers nos chambres. Ma mère y est déjà allée quand on est arrivé pour déposer nos affaires pendant que mon père nous surveillait.
Arrivés dans la suite, ma mère nous conduit jusqu’à nos chambres. Celle de Mathilde est sur le thème Ponyta et Galopa de Galar / princesse. Je l’entends crier de joie pendant que je rentre à mon tour dans ma chambre. L’ambiance n’est pas la même de mon côté. Partout où mon regard se porte je ne vois que la même chose : du bleu.
Partout où mon regard se pose, il y a du bleu. Les murs ? Bleu. L’étagère en forme de Tortank où toutes mes affaires sont déjà rangées ? Bleu. La lampe de chevet Azurill ? Bleu. Le lit Carapuce ? Bleu aussi. La table de chevet Nénupiot ? Bleu… et vert. Mais en partie bleu quand même ! Je n’ai rien contre cette couleur (je préfère largement le noir), mais là, ça fait beaucoup de bleu quand même. Alors, oui, d’accord, ce n’est pas toujours le même bleu, il y a des nuances dans les teintes et quelques traces d’autres couleurs par-ci, par là, mais bon, la pièce est malgré tout bien bleue.
J’appelle ma mère qui arrive quelques instants plus tard.
- Qu’est-ce qu’il y a, mon chéri ?
- Je veux changer de chambre.
- Pourquoi ? Elle ne te plaît pas ?
Je fais non de la tête.
- J’ai l’impression d’être dans un aquarium…
- Rooh, Lime, ne fait pas l’enfant gâté. Elle est très bien ta chambre. Et puis en plus, tu adores le bleu et les Pokémon eau !
Sur ces mots, elle part rejoindre mon père dans leur chambre. D’où elle tient que j’adore cette couleur ? C’est pas vrai. Et c’est encore moins vrai pour les Pokémon eau. Je ne suis pas spécialement fan des Pokémon en général, ça vaut pour eux aussi.
C’est à ce moment que Mathilde débarque dans ma chambre.
- T’as la chambre toute bleue ! J’ai trop de la chance d’avoir celle toute rose. Le rose, c'est beaucoup plus joli que le bleu ! Mais t’es un garçon, ça doit te plaire le bleu !
Bon, c’est vrai que tout bien réfléchi, je préfère encore ma chambre bleue que la sienne toute rose.
- Tu veux bien venir jouer avec moi Lime, steuplait ?
- Après manger.
En espérant qu’elle ait oublié d’ici là.
- Promis ?!
- Promis.
Une fois débarrassé de ma sœur, pour m’occuper jusqu’au dîner, je vais récupérer mon livre de coloriage et ma trousse de crayon de couleurs dans mon sac. J’allume la grande lumière et m’installa par terre.
Tiens, c’est bizarre. Les pages de mon livre sont aussi bleus. Je me frotte les yeux. Cette couleur doit me monter à la tête, je dois rêver. Je tourne les pages. Elles ont toutes la même teinte bleutée. Même les dessins déjà colorisés ont un aspect un peu azur. Je rêve, c’est pas possible ?! J’arrête de tourner les pages et là, mon regard se pose sur mes mains. Elles aussi virent sur le turquoise ! C’est un cauchemar ! Cette chambre est maudite ! Depuis que je suis rentrée dedans, je vois tout bleu !
Paniqué, je cours en dehors de l’aquarium qui doit me servir de chambre et fonce dans la cuisine. Je regarde autour de moi. Les couleurs sont normales. Ma peau aussi a retrouvé sa teinte habituelle. Je fonce dans la salle de bain pour en avoir le cœur net. Je m’observe dans le miroir. Rien n’apparaît bleu. Tout est de sa couleur habituelle. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. La chambre doit être maudite. Elle me fait peur. Là, les couleurs ont vite perdu le reflet bleuté que je voyais dans la chambre, mais j’ai peur que si je reste trop longtemps dans la pièce, le phénomène dure plus longtemps et que je finisse pas toujours tout voir en bleu. Je commence à pleurer. Ma mère, affolée, arrive en quelques secondes. Je lui raconte ce qu’il se passe. Elle ne me croit pas une seconde, alors je l’emmène dans la chambre pour qu’elle voie par elle-même.
Je l’attends à l’extérieur de la pièce. Elle se penche sur le livre de coloriage.
- C’est vrai que les pages sont bleues… Et mes mains aussi…
- Tu vois maman… J’ai peur… Je veux pas passer le restant de ma vie à voir tout bleu…
- Mais non, mon chéri, ça n’arrivera pas… Je suis sûre qu’il y a une explication…
- La malédiction du bleu, maman…
Plutôt que de me répondre, elle lève la tête en direction du plafonnier.
- Non, mon chéri, ce n’est pas une malédiction. J’ai compris.
Elle prend mon livre et me rejoint sur le seuil de la porte.
- Les pages sont de quelques couleurs ?
- Bleus…
Elle appuie sur l’interrupteur.
- Et maintenant ?
Je n’en crois pas mes yeux. Les pages ont retrouvé leur blancheur.
- Blanches ! Comment… ?
Elle désigne l’abat-jour en forme de Marill.
- C’est l’abat-jour, mon chéri. Il est tout bleu, alors la lumière qui le traversait t’apparaissait bleue aussi. Il n’y a pas de malédiction.
- Vraiment… ?
- Oui.
Je ne suis quand même qu’à moitié rassuré.
- Je… peux dormir avec vous cette nuit ?
- On verra mon chéri. Pour le moment, on va manger. Tu viens ?
- J’arrive !
Elle me laisse pour aller se préparer. Avant de la rejoindre, je referme la porte de la chambre bleue, bien décidé à ne plus y remettre les pieds. Malédiction ou pas, je ne veux pas prendre de risque.
Je me réveille en sursaut. C’était quoi ce bruit ? Je regarde autour de moi. La chambre est plongée dans le noir presque total. Seule ma petite veilleuse diffuse une légère lumière dans la pièce. Le calme est de retour. J'ai dû rêver. J'ai sommeil, alors j'essaie de me rendormir.
KABOOM !
Je sursaute, surpris, tandis qu’une lumière aveuglante envahit ma chambre par la fenêtre dont les volets n’ont pas été fermés. Une fois le bruit passé, c’est le calme plat qui s’installe de nouveau. Puis, c’est le bruit des gouttes d’eau qui s’abattent sur le toit qui vient rompre le silence. D’abord doucement, puis de plus en plus fort. Mon cerveau finit par sortir du brouillard, par se réveiller complètement et je comprends. Le bruit que j’ai entendu, c’est de l’orage ! Et j’adore l’orage ! D'un coup, ma fatigue disparait instantanément. Je me précipite en dehors de mon lit et vais m’installer devant la fenêtre. Je connais bien ma chambre, alors même dans la pénombre qui règne, ça va, je n'ai pas de problème à rejoindre ma fenêtre. Je cogne juste quelques jouets qui trainent au sol.
KABOOM !
J’arrive pile à temps à la fenêtre pour voir un nouveau coup d'éclair illuminer le ciel et notre jardin. La pluie tombe maintenant à Écrémeuh qui pisse. Chaque goutte d’eau qui s’écrase sur le toit fait un bruit monstre. J'entends des bourrasques souffler. L’orage est plutôt fort et violent et j’aime ça. J’aime voir les éléments qui se déchaînent, sans personne pour les arrêter, les stopper, ils peuvent faire ce qu’ils veulent.
KABOOM !
J’aime beaucoup les sons qu’on entend pendant un orage. Chaque coup de tonnerre est comme une mélodie à mes oreilles. Et plus ils sont forts, plus on ressent bien leur puissance. Ça aussi, j’aime beaucoup. Même le fracas de l’eau sur le toit et les fenêtres a quelque chose d’apaisant. C'est étrange comme quelque chose de si violent peut avoir cet effet sur moi, mais c'est pourtant bien le cas.
J’ai envie d’en profiter à fond, pendant que Mathilde dort encore (je suis sûr que la tempête va finir par la réveiller) et ne vienne tout gâcher avec ses pleurs. Elle, elle n’aime pas les orages. Ils lui font peurs. Alors, j’ouvre en grand la fenêtre. Instantanément, les gouttes qui étaient bloquées par la vitre me tombent dessus et sur le sol de ma chambre. Je suis trempé en moins de cinq secondes. L’eau qui tombe du ciel est froide. Le vent qui s’engouffre dans ma chambre aussi. Mais je m’en moque. Je profite. J'ai l'impression de ne faire qu'un avec les éléments qui se déchaînent.
Prooooou ! Prooouuu !
J’aperçois, au loin, quelques éclairs qui viennent illuminer le voisinage sans faire trop de bruit. Ça fait se détacher, pendant un court instant, les arbres qui bordent notre jardin.
KABOOM !
Celui-là était plutôt fort… J'ai peur que...
- Ouuuuiiiiin… OOOOUUUUUIIIIINNNN !
Et voilà… La pleurnicheuse est réveillée.
- J’ARRIVE MATHILDE !
J'entends des bruits de pas dans l'escalier.
- Brrr… il fait froid ici !
La lumière de ma chambre s’allume.
- Lime ! Mais qu’est-ce que tu fais à la fenêtre ! Ça va pas !
D’un coup, je me sens tirer en arrière, puis ma mère referme vivement la fenêtre.
KABOOM !
- T’es tout trempé ! Qu’est-ce qu’il t’a pris d’ouvrir ta fenêtre en plein orage ! Et de te mettre devant ! Tu vas chopper la crève !
- Oouuuiiin !
- Et ta sœur qui pleure, c’est pas possible… Lime, tu enlèves ton pyjama et tu files dans la salle de bain te sécher avec une serviette. Interdiction d’utiliser le robinet ou de te mettre sous la douche pour te réchauffer, c’est dangereux quand il y a de l’orage.
- Oui, maman…
Et voilà, le moment de plaisir touche déjà à sa fin. Enfin pas totalement, car j’ai encore le doux bruit des coups de tonnerre pour m’accompagner pendant que j’obéis à ma mère et vais me sécher.
Novmembres - Jour 13. Suite directe de l'OS précédent
Maintenant que je me suis séché et que l'émerveillement de l'orage retombe, je commence à avoir froid. Je file donc dans ma chambre pour me prendre un nouveau pyjama tout sec. Je prends aussi une couverture qui est posée sur ma chaise de bureau et m’enroule dedans. Au chaud et au sec, je retourne m’installer devant la fenêtre. Il y a moins de coup de tonnerre. Le peu qu’il reste sont plus lointains et font moins de bruit. Même le doux bruit de l’eau qui résonne sur le toit s’est calmé. Mais, comme l’autre chouineuse à finir de chialer, je peux tranquillement profiter de la fin de la symphonie interprétée par la tempête.
Malheureusement, ce moment est vite interrompu par ma sœur qui m’appelle depuis sa chambre. Je ne bouge pas pour profiter le plus possible des derniers éclairs qui illuminent le ciel. Après plusieurs dizaines de secondes, c’est ma mère qui m’ordonne de venir. J’obéis, même si j’en ai pas envie et les rejoins dans la chambre de ma sœur.
Ma mère est assise sur un pouf, dans le coin « dînette ». Elle tient la pleurnicheuse dans les bras. Je m’assois à côté d’elle. Mathilde m’attrape le bras et le sert. Je ne veux pas me faire gronder par ma mère ou redéclencher des pleurs (musique beaucoup moins mélodieuse à mes oreilles que le bruit de l'orage), alors je me laisse faire. Comme si ça ne suffisait pas, Mathilde en rajoute une couche en demandant à ma mère… une berceuse. Ma mère se met donc à chanter.
Au début, ce n’est pas très agréable ou mélodieux. Comme si elle avait la voix rouillée ou la gorge sèche. Elle s’arrête quelques secondes, se racle la gorge et reprend. Doucement. Sa voix est presque un murmure, mais c’est déjà beaucoup plus mélodieux et agréable à entendre.
♪ Aquacord’Bridge is falling down, falling down, falling down ♪
Plus ça va, plus elle prend confiance et chante de plus en plus fort. On lui dit fréquemment qu'elle a une jolie voix. Elle aime bien fredonner quand elle fait à manger, alors, souvent, des amis de mes parents l'ont entendu chantonner et tous étaient d'accord : sa voix est magnifique. Elle serait "claire, cristalline, mélodieuse et arriverait à transmettre beaucoup d'émotions". Ils sont bien enthousiastes pour quelques notes fredonnées en touillant du riz dans une casserole. De nombreux amis lui ont même suggéré de s'inscrire à "Kalos à un incroyable talent". Elle aurait toutes ses chances de gagner selon eux. Même mon père pense que sa voix est exceptionnelle et la pousse à participer. Il dit que, même si elle ne gagnait pas, elle pourrait se faire repérer par une maison de disque et pourrait sortir un album. Elle pourrait devenir une star de la musique. Je pense que même si objectivement elle chante bien, il s'emballe un peu et prend ses rêves pour la réalité. De toute façon, à chaque fois que quelqu'un lui en parle, elle a dit qu'elle va y réfléchir, mais je pense pas qu'elle le fera. Elle aime chanter comme ça, quand elle cuisine, qu'elle est sous la douche ou quand elle doit calmer ou endormir Mathilde, mais c'est tout. Et puis, elle dit que plein de gens participent à l'émission avec le chant en talent. Ça n'a rien de très original, que sa voix n'est pas assez unique pour se démarquer.
Moi, perso, j'aime pas trop sa voix quand elle chantonne. C'est trop doux, trop calme. Je sais, c'est étrange pour un gamin de mon âge de pas aimer que sa mère lui chante une chanson, mais bon. Je préfère quand la musique est moins douce, plus énergique. Comme les coups de tonnerre et la pluie de tout à l'heure. C'était plus fort, ça me procurait plus d'émotions. Et ça m'apaisait. Contrairement à tout ce que ma mère peut produire. Bon, après, les chansons de ma mère ne sont pas non plus désagréables au point que je les déteste. Juste, elles me laissent totalement indifférent. Je ne lui ai jamais dit, mais je pense qu'elle s'en doute, parce qu'avant, elle venait souvent me chanter des chansons le soir, pour m'endormir. Maintenant non. Alors, elle doit bien se douter de quelque chose. Ou alors, c'est parce que je grandis.
♪ Aquacord’Bridge is falling down, my fair lady ♪
La fin de la chanson. Et Mathilde s’est endormie. Ma mère la dépose dans son lit à barreaux pendant que moi, je retourne dans ma chambre. Je vais me coucher, mais je n’arrive pas à dormir, alors je me relève et récupère mon petit lecteur de musique. Je sélectionne le fichier des bruits d’orage. Je mets mon casque sur mes oreilles et m’endors rapidement, au son des coups de tonnerre et de la pluie battante.