Jour 16 : Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras Il y a certains concepts qui peuvent s'avérer bien compliquer à expliquer à un enfant de six ans ; Eddie en sait quelque chose.
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J’avais lu un article sur une expérience faite sur les enfants. Rien qui n’aille remettre en question des principes éthiques, une expérience en psychologie. Ça m’avait amené à vouloir reconduire l’expérience avec Timothée. Je ne m’attendais pas à ce que ça se retourne contre moi. Le principe de l’expérience, c’est de mettre l’enfant dans une pièce avec un bonbon – ou un gâteau, j’ai un doute – et une sonnette. L’expérimentateur dit à l’enfant qu’il a un bonbon, mais que s’il n’y touche pas ou qu’il n’utilise pas la sonnette, il pourra avoir un deuxième bonbon en supplément. Ensuite, l’expérimentateur quitte la pièce et laisse l’enfant seul avec le bonbon. Si je me souviens bien, les plus jeunes avaient beaucoup de mal à résister à la tentation, mais cette capacité augmentait avec l’âge. Et aussi que la réussite à ce test était prédictive de la réussite scolaire. Mais ce n’était pas ce qui m’intéressait. La scolarité de Timothée n’était pas une source d’inquiétude, d’après sa maîtresse, il passait son temps à poser des questions. Et j’avais le même petit garçon à la maison.
Quoi qu’il en soit, je m’étais décidé à reproduire ce test par curiosité, par amusement. Et Tim a passé le test haut la main. Il a attendu un quart d’heure, sans rien faire qu’être dans la cuisine, avec la sucrerie devant lui. Quand je suis revenu vers lui, je lui ai donné le deuxième bonbon, comme promis, je l’ai surtout questionné. « Pourquoi tu as attendu ? Tu aurais pu prendre le bonbon. »« Tu m’avais dit que j’en aurais un autre et j’en voulais deux. » Timothée m’a répondu du tac-au-tac. C’était évident pour lui, et pourtant, ça ne l’était pas à ce point pour moi. « J’aurais pu mentir, et en plus reprendre le bonbon en revenant, et tu n'aurais rien eu. » Je savais que mon fils était encore jeune, qu’il pouvait se permettre d’être naïf, et que c’était une bonne chose pour lui qu’il soit capable de résister à la frustration dans un but précis. J’avais cependant pu expérimenter les déboires qu’impliquent une trop grande naïveté. « Papa, tu tiens toujours tes promesses. » Je ne m’attendais pas à ce que le fait d’être un bon père – tout du moins un père fiable, ne nous emballons pas – puisse un jour nuire à un argumentaire avec mon fils. Cela me fit sourire, avant que je ne fronce les sourcils. Je n’en avais pas terminé. « Alors, oui, j’essaie. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, et parfois même en essayant, on ne parvient pas à tenir certaines promesses. » Je me sentis dévier du sujet que je voulais aborder. « Ce que je veux te dire, c’est que des fois, on a besoin de garanties, on a besoin d’être sûr, sûr de chez sûr de quelque chose. Et, même si on nous promet mieux plus tard, des fois il vaut mieux ne pas être trop gourmand et se contenter de ce qu’on est sûr d’avoir. » J’avais un doute quant à mon explication : était-elle claire pour un enfant de six ans ? était-ce nécessaire de l’amener à une telle réflexion ? est-il d’âge à avoir une telle réflexion ? Une part de moi se disait que Tim ferait ses propres expériences en temps voulu et que ça le forgerait. Que, quoi que je pusse dire, je ne l’aurais jamais protégé de tout.
Je vis à l’expression sur le visage de Timothée que je ne faisais pas mouche avec ce que j’avais pu dire. Peut-être car la leçon que j’avais voulu tirer de l’expérience proposée ne correspondait pas à ladite expérience. Une idée me traversa l’esprit, mais je n’étais pas certain que c’en soit une bonne : me rendre avec mon fils au casino. Je n’arrivais pas à penser à une meilleure illustration de mon propos qu’un jeu de hasard, et notamment le blackjack. Initier son fils aux jeux d’argent – même pour une bonne morale – ne m’apparaissait pas comme la meilleure chose à faire ; cela me conduisit à m’imaginer mon propre système de jeu, qui me permettrait d’adapter et d’être plus en contrôle de la situation. Et surtout sans qu’il y eût de réel enjeu. Des bonbons, des billes, des cartes pokémon, tout saurait faire l’affaire. Une hésitation s’installait cependant. Plus j’y pensais, plus je me demandais si vouloir inculquer à mon fils qu’il vaut parfois mieux se contenter de peu risquerait d’instiller une certaine méfiance chez lui, envers les autres, mais aussi peut-être saper sa confiance en son propre instinct. Peut-être que si cela restait totalement un jeu, sans besoin de l’expliquer, de l’expliciter, cela serait mieux. C’était ce que je finissais par me dire. Après tout, il avait su analyser la situation et n’avait pas de doute quant à l’issue : s’il ne prenait pas le bonbon, je lui en donnerais deux. Sans doute était-ce davantage à moi de lui faire confiance, en y réfléchissant bien.
« Si j’attends encore quinze minutes, je peux en avoir un troisième ? » Je ne pus me retenir d’en rire. « Bien essayé. » Je n’étais pas surpris qu’il tente, j’aurais fait pareil. La génétique.