Le cliquetis incessant des boucles de ceinture inutilisées aurait été bien insupportable s'il n'était pas globalement couvert par le vrombissement lancinant des moteurs. Les hublots ne laissaient apparaître qu'un noir insondable, et l'habitacle tremblant de l'appareil n'était éclairé que par le voyant rouge au-dessus du hayon fermé. Ce halo rouge se reflétait sur les visières des casques de saut des troupes embarquées, et soulignait les traits marqués du visage de Stegan, le seul à ne pas encore avoir enfilé son casque. Les vols en C-17 n'étaient jamais une partie de plaisir, aussi ne s'infligeait-il pas plus que de raison l'inconfort du casque intégral. La protection qu'il offrait, ainsi que son ATH, ne lui étaient de toute façon pas utile avant le grand saut.

- T-3 minutes.

La voix étouffée de Stanford résonna à travers sa visière. Le galarien n'avait évidemment pas profité du bénéfice de son grade pour s'affranchir du port du casque, comme Stegan. Sans doute le fixait-il avec jugement depuis de longues minutes, mais le chef des Wardogs s'en moquait bien. Le protocole n'était pas exactement son fort, Stanford allait bien devoir finir par s'y faire.

Stegan lui répondit par un hochement de tête, et vérifia une énième fois son fusil d'assaut. Puis il cracha le chewing-gum qui lui servait à se déboucher les oreilles pendant le vol, Et prit son casque entre ses mains avant de l'enfiler. Sa vision s'assombrit, son ouïe s'étouffa, et lorsqu'il clipsa son respirateur sur son emplacement, il sentit un courant d'air lui envahir le bas du visage. Il prit quelques secondes pour caler sa respiration sur le rythme du compresseur harnaché dans son dos, et alluma son ATH. Après un court tressaillement des caractères électroniques, des données d'altitude, de température et de niveau d'oxygène apparurent sous ses yeux.

Stegan se leva, et traversa l'habitacle de l'appareil jusqu'au hayon. Il observa en passant chacun des hommes qu'il dépassait. Les galariens, menés par Stanford, étaient en treillis camouflé et équipés de gilets couleur sable parfaitement obsolètes. Les Wardogs, comme à leur habitude, arboraient une combinaison bleue marine et de l'équipement noir de dernière génération. En compromis, les Wardogs n'étaient que cinq, là où les galariens étaient quinze.

L'officier de saut fit signe à Stegan alors qu'il s'arrêtait à son niveau. Une minute. Dans un claquement retentissant, les sécurités retenant les vérins du hayon se détachèrent, et la large porte s'ouvrit lentement, dévoilant un ciel parfaitement noir surplombant une épaisse couche de nuages légèrement éclairés par la lune. En dessous, c'était la tempête. La saison des moussons était rare en Enchadrea, et ils étaient tombés pile dessus.

- Capitaine, z'êtes sûr qu'on peut sauter avec un grain pareil ?

Lansky n'avait toujours pas réussi à s'habituer aux sauts en parachute. Toute excuse était bonne pour tenter de compromettre un saut, mais ici, la question ne se posait pas. Pour la première fois, les derniers effectifs sélectionnés de l'escouade de Stanford allaient connaître leur baptême du feu. Une véritable opération à la manière des Wardogs. Et l'ultime épreuve pour déterminer qui allait pouvoir former la toute première unité de forces spéciales galarienne, et qui allait retourner à un poste de seconde zone. L'avenir de ces hommes et de ces femmes en dépendait.

- Non seulement j'en suis sûr, mais tu vas passer en premier.
- Quoi ? Ah non, déconnez p- EH !

Stegan vit deux silhouettes en noir se lever, dont une tirée par l'autre par la poignée de son sac. Larice avait littéralement soulevé Lansky de son siège, et le traînait jusqu'à la sortie de l'appareil. Lansky gesticulait en tâchant de se défaire de la poigne de Larice, peine perdue lorsqu'on connaissait le potentiel physique de cette femme.

- J'le balance à votre signal, cap'taine.

Un coup d'œil à l'officier de saut, et celui-ci hocha la tête. Le voyant lumineux passa du rouge au vert dans un bruit saturé, et Stegan adressa un geste on ne peut plus clair à Larice. La seconde suivante, Lansky était nonchalamment jeté à travers le hayon ouvert de l'appareil, et disparaissait en hurlant vers les nuages.

- GO ! GO ! GO !