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» Retrouver la lumière.

Isaac Cohen

Isaac Cohen
Retraité

C-GEAR
Inscrit le : 25/08/2024
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Lun 28 Oct 2024 - 5:50
L’aurore, qui distillait sa veule lumière au travers de l’étoffe avachie d’un rideau triste, tira l’homme de la torpeur qui avait fini par timidement enlacer son esprit au décours d’une nuit d’écriture tranquille. L’unique fenêtre du modeste appartement qu’il occupait était restée entrouverte, et une brise indécise coulait par l’interstice, laquelle gazouillait l’amène aria des songes évanescents, caressés par la lointaine rumeur enflant dans la mégapole de Volucité qui, loin en contrebas, s’épanouissait doucement.

Isaac, dont la languide silhouette était abandonnée là, un peu gauchement, sur un fauteuil moucheté par les ans, sondait l’abîme en quête absurde des ultimes échos de ces rêves étranges dans lesquels il avait dansé et ri toute la nuit durant. Il se résigna avec mollesse et embrassa finalement l’éveil comme on accueille un compagnon de longue date ; sa main glissa avidement le long des plis kaléidoscopiques de la flanelle de sa chemise, et trouva contre son cœur un étui éraillé. Un soupir de satisfaction mat fit à peine grelotter la quiétude, promptement suivi par un déclic métallique : l’étui révéla la silhouette fuselée et accorte d’une cigarette, qu’il lova entre ses lèvres pâles. Un rictus satisfait, le craquement atrabilaire d’une allumette que l’on offre en tribut pour apaiser fugitivement une invincible inclinaison au vice, et bientôt, des volutes de fumées s’étirèrent en entrelacs diaprés par les lueurs du matin qui s’invitaient dans le salon ladrement meublé. Passant une main gourde dans l’écheveau poivre-et-sel qui lui ceignait le front, il retraça pieusement le fil des songes qui avait enflammé son sommeil ; il s’amusa de la singulière propriété qu’avaient ces derniers à se suspendre opiniâtrement à tout ce qui avait pu se produire d’insignifiant dans son existence, à le tordre curieusement, pour mieux mettre à nu ses plus intimes aspirations et angoisses. Cette nuit, par une clémente fortune, n’avait exhumé que les souvenirs heureux de son enfance ; certes sous de curieux apparats, car pour autant qu’il s’en souvint, il n’était jamais parti cueillir des baies Mépo sous l’égide de Viviana, son austère professeure de piano. Pas plus qu’il n’avait appris d’elle l’art particulier des claquettes. Mais ces images, quoique fantasques, instillaient dans son cœur la souriante chaleur de sa jeunesse et alimentèrent plus furieusement encore le désir qui déjà crépitait au bout de ses doigts : reprendre prestement la rédaction de son manuscrit.

Il courba douloureusement son échine encore roidie par le sommeil et son regard encore voilé alla effleurer, placide, le document qui avait accaparé le gros de sa veillée avant que Morphée ne s’en vienne subrepticement l’étreindre. Il s’agissait d’un canevas, ou plutôt, de l’ébauche relativement chétive d’un recueil de contes, auquel il se vouait fervemment depuis qu’il était revenu de son pèlerinage à Sinnoh ; cette envie de consacrer ses vieux jours à la composition de tels récits avait inexplicablement germé dans son cœur après qu’il ait fait expérience, au pinacle du Mont Couronné, d’une singulière forme de deuil ; en effet, c’est au sortir de cet insensé périple sur ces hauteurs vertigineuses, en des lieux ceints par une forme vibrante d’ineffable mystère, qu’il s’était instinctivement extirpé du syndrome délirant qui lui garrottait jusqu’alors les sens et l’avait prêté à se convaincre morbidement que son ami, Io le Magnéti, qui avait tragiquement trépassé il y quelque mois déjà, évoluait toujours auprès de lui.

Et cette frénétique soif d’écriture, qui l’habitait dans toute sa pureté, au dépens de toute considération esthétique, assurément devait-il son ardeur à cet autre séjour, qu’il avait secrètement entrepris il y a quelques temps, dans un troquet austère à Volucité, alors que son esprit se languissait dans un état de flétrissement prononcé. Et c’est dans cette même ville qu’il avait finalement résolu de reprendre une location après l’avoir désertée quelques années plus tôt. En cela, il songea à sa Muse d’autrefois ; et un sourire mélancolique affleura brièvement sous le couvert de sa barbe fleurie.

Cependant, et cela lui sembla soudain s’imposer comme une évidence, quelque chose dans la sourde et solitaire pénombre de sa retraite lui faisait défaut pour poursuivre son travail ; une lumière, sans doute, qu’il avait benoîtement laissé s’évanouir. Une lumière sans laquelle il ne parvenait à parachever – ou du reste, à alimenter – comme il le désirait son labeur qui demeurait là, dans le secret de son carnet, un abscons enchevêtrement d’effigies vaporeuses, qui se tortillaient, grotesques, dans des mondes algides de fables falotes.

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Isaac Cohen

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C-GEAR
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Dim 3 Nov 2024 - 18:09
Cette lumière, ou pour le moins, la nature de cette dernière, lui apparaissait désormais plus distinctement maintenant qu’il portait sur ses interminables et hideux errements passés un jugement qui se voulait probe et pragmatique.
En vérité, il n’était pas ici exclusivement question de son manuscrit, ni même de son seul bien-être ; il s’agissait surtout de s’engager dans une démarche d’expiation personnelle, en veillant cependant à la détacher de toute recherche, même velléitaire, de pardon ou de quête de l’assentiment de quiconque. Une telle prétention constituerait, lui semblait-t-il, une ambition orgueilleuse et malavisée ; ce à quoi il aspirait toutefois, c’était de renouer avec sa vitalité de jadis et d’honorer avec dévotion ce qu’il avait égoïstement précipité dans les abysses.

Un silence ouaté flottait dans l’appartement, à peine troublé par le grésillement de la cigarette qui se consumait lentement entre les dents marbrées par la nicotine d’Isaac. Toujours vautré au fond de son chesterfield, il laissa aller un râle en se contorsionnant afin de s’emparer de son smartphone, qui reposait sur un coffre bosselé dont il se servait conjointement de table basse et de bureau d’appoint. Il écarta une tasse de café froid, le trouva et vint l’incliner distraitement devant son visage dont l’âge commençait à racornir le dessin anguleux. Dans le reflet de l’écran qui somnolait encore, il contempla, grimaçant, les traits cacochymes que lui renvoyait la surface nue, avant que les capteurs aménagés sur la façade de l’appareil ne le reconnussent et ne le déverrouillassent. Ses prunelles s’attardèrent négligemment sur l’horloge, louvoyèrent du côté de l’icône indiquant le niveau de batterie restant, avant qu’un autre symbole ne viennent soudain l’arracher à ses brumeuses divagations.

Ce symbole représentait une enveloppe.
Qui suggérait qu’un message lui avait été adressé alors que son esprit naviguait tendrement auprès d’Hypnos.
Un hoquet étranglé ondula sous le couvert de sa gorge douloureuse, et Isaac éructa un grand panache de tabac en vissant son index et son pouce au fond de ses orbites creusées, comme pour s’assurer qu’il était effectivement éveillé. L’enveloppe clignotait toujours sur le haut de l’écran tactile. Bien des années s’étaient égrainées depuis le dernier SMS qui lui était parvenu ; il avait été rédigé par un ami de Ruben Cohen - son père - afin de lui signaler que le cancer qui affligeait ce dernier s’était aggravé, et l’enjoindre à se hâter vers l’Hôpital Universitaire de Volucité. Son doigt effleura avec appréhension l’icône de la notification, qui miroitait sourdement en le dévisageant. Au regard des rempart qu’ils avaient unilatéralement érigés tout autour de lui afin de s’abstraire aux regards voilà désormais un peu plus de douze ans, il lui semblait peu plausible que ce message émanât d’une personne qui lui était familière, même de très loin. Il mâchonna nerveusement le filtre de sa cigarette, qui s’était consumé jusqu’à sa moitié en épandant dans le salon d’acres exhalaisons qui s’accrochaient au silence, qui lui paraissait assujettir chacun de ses cinq sens.

« Encore un foutu spam, sans doute... » maugréa-t-il, en déposant l’appareil sur l’accoudoir élimé, en cherchant désespérément à fixer son attention sur un objet différent.

Mais il fut, malgré tout, et en dépit de ses plus fervents efforts, rattrapé par une disposition de caractère qu’il s’imaginait pourtant avoir naguère abattue, et qui s’empara si farouchement de sa volonté qu’il ne pu réprimer un nouveau hoquet : la curiosité. Basculant vers l’avant, il gémit, et ses doigts noueux allèrent trouver la tasse de café froid qu’il avait avisée un peu plus tôt. Il en engloutit le contenu glacé et astringent, et ses traits se tordirent quand la gorgée rappela à son bon souvenir qu’il avait mâtiné le breuvage avec un trait de mauvaise eau-de-vie. Enfin, réprimant un tremblement, il agrippa le téléphone et pressa maladroitement l’icône. Une nouvelle fenêtre fleurit sur l’écran, et son regard lorgna sur le nom qui venait de se matérialiser.

Isaac cilla, le smartphone lui échappa des mains et vint s’abîmer sur le parquet écaillé qui couvrait le sol de cet appartement sinistre où il résidait désormais. Cet appartement poisseux, à la pestilence méphitique et somnolente, où jamais la moindre lueur ne venait s’appesantir. Un clapier d’ombres et d’affres ternes. Un bouge, certes, mais dans lequel brillait cependant, désormais, un éclat bourgeonnant, une lumière, ténue certes, mais d’une ineffable intensité. Car sur l’écran du smartphone, tourné vers une éternité de nuit sans lune ni étoiles, on pouvait lire en en-tête du SMS arrivé plus tôt ce matin le nom suivant : Asmâa Cohen.

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Isaac Cohen

Isaac Cohen
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C-GEAR
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Messages : 15

Lun 4 Nov 2024 - 16:34
Ses yeux, deux sphères torpides et moites, ses iris, noires comme l’exquise obsidienne, semblaient percluses, divaguant dans d’impénétrables contrées, où l’extase le disputait à la détresse. Combien de temps demeura-t-il là, figé dans la touffeur mordante qui étreignait âprement ce pigeonnier misérable qu’il louait au cœur d’un immeuble défraîchi de la banlieue de Volucité, il ne le sut jamais vraiment. Mais le soleil, englouti par de cotonneux agrégats de nuages fiévreux de promesses d’orages, s’était bientôt tout à fait escamoté lorsqu’il se désenlisa enfin de la transe qui l’avait saisi. Il palpa convulsivement la poche avant de sa chemise, avant de s’apercevoir que le court soubresaut qui l’avait traversé en prélude à sa sidération s’était révélé plus impétueux qu’il ne l’avait supputé ; son porte-cigarette gisait brisé au sol, et s’était par surcroît épanché de son son contenu sur les lattes piquées par la mérule. Il sourcilla et s’inclina pour cueillir l’une des cigarette qui traînait là dans la poussière humide et la porta, toujours pétri d’émoi, à sa bouche. Enfin, il risqua une nouvelle œillade vers le téléphone qui se trouvait à son côté. Le nom d’Asmâa Cohen luisait toujours faiblement dans la pénombre.

Asmâa était sa fille unique.
Et cela faisait peu ou prou cinq ans qu’iels s’étaient tout à fait perdues de vue ; où plutôt qu’elle s’était résignée à son endroit, lassée par l’indifférence qu’il lui avait manifesté tandis qu’il dérivait falotement sur les flots sans fin de la décrépitude morale sur lesquels il s’était sciemment précipité. Elle devait aujourd’hui avoir vingt ans, et toutes ces années, il avait pieusement nourri l’espoir, sans jamais oser lui adresser le moindre mot pour le lui demander, qu’elle allât pour le mieux. Ou plutôt, jusqu’à récemment, car voici guère plus d’une semaine, alors qu’il brodait le tout premier des contes qui devait composer son recueil (qui avait en définitive revêtu la forme d’un exercice de style visant à rafraîchir sa plume qui, encore aujourd’hui, pâtissait des douze années de marasme muet sous lesquelles il l’avait enfoui), il s’était à ce point enhardi dans son effort de résipiscence qu’il lui avait adressé un message maladroit dans lequel il la conviait à partager un café en ville. Mais ce SMS, comme il l’avait prédit, était demeuré lettre morte. Jusqu’à ce jour.

Mais s’agissait-il d’une erreur ? Et s’était-elle confusément empressée de lui faire parvenir, dans la foulée, un mot supplémentaire, en complément du précédent, pour préciser qu’il s’agissait d’un bête impair, que ce message ne lui était rigoureusement pas destiné, et qu’il pouvait par ailleurs s’en aller brûler en enfer ? Il l’ignorait, car il ne parvenait à se résoudre à compulser le SMS, qui prenait corps juste au-dessous de ce nom, Asmâa Cohen, sur lequel il gardait le regard farouchement rivé. Ses pensées, quant à elles, bouillonnaient follement en matérialisant dans son cœur d’innombrables scénarios aussi extravagants et cauchemardesques les uns que les autres. Nuls de ceux qui se présentèrent à lui ce jour n’effleurèrent cependant, même très imprécisément, la vérité, qui nimberait le reste de cette journée d’une singulière mais exaltante lueur ; car lorsqu’il se détermina enfin à consulter l’objet de son épeurement, ce fatidique message, il put lire les mots suivants :

    Bonjour papa,
    oui, ça me ferait plaisir de te retrouver autour d’un café. Que dis-tu du café Sonata ? C’est un endroit agréable dans le centre-ville, et on pourra y discuter. Demain à 14h, ça te convient ?

Et tout l’univers, son monde et le reste, parut s’empourprer d’une lumière d’une pureté iridescente indescriptible ; ses jambes trémulèrent, et il fut contraint de prendre piteusement appui sur l’accoudoir de son siège pour ne pas fléchir. Mais la chaleur qui s’était épanouie dans son cœur à la lecture de ces quelques mots céda bien assez tôt place à une tonnante sensation d’anxiété. Saurait-il se montrer à la hauteur ? Ne se déshonorerait-il pas davantage encore ? Lui qui s’était enorgueilli avec fatuité, bruyamment, des années d’avilissement durant, de n’avoir besoin de quiconque ; oserait-il partir à sa rencontre ? Lui faire face ? Plonger son regard dans le sien et s’excuser ?

Lorsqu’il parvient enfin à se recomposer, il alla trouver son briquet dans la poche de son pantalon, alluma sa cigarette, et pianota posément une réponse qui s’apparentait à peu près à cela :

    Bonjour Asmâa,
    merci pour ta réponse, c’est noté pour demain, avec joie. Au café Sonata. J’y serai. Bisou,
    Papa

Pour autant qu’il était en mesure de se souvenir, jamais dans sa vie il ne lui était arrivé de ponctuer le moindre courrier ou message par un « bisou ». Les jointures de son index fripé chantèrent, et il appuya sur « envoyer ».

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