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» Elegy, valedictory elegy.

Isaac Cohen

Isaac Cohen
Retraité

C-GEAR
Inscrit le : 26/08/2024
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Jeu 29 Aoû 2024 - 23:04
Il y avait, dans l'étendue blanche qui s'étendait partout autour de lui à perte de vue, quelque chose d'éminemment délétère. Pas une voix, ni même une son ne venait étouffer l'assourdissante quiétude qui y régnait.

Les douze années passées s’étaient effilochées comme le plus funeste des songes, où chaque nouveau crépuscule se nouait cruellement en une aube plus cendreuse que la précédente. Des images, des sensations, exsudaient dans l’intimité du deuil qu’il portait et dont il avait été l’artisan. Elles étaient les pâles offrandes que sa veule mémoire lui présentait inexorablement et tressaient autour de son âme et de son cœur les inextricables maillons d’une chaîne qui, à chaque instant, obérait son existence meurtrie par le remords.

Autrefois, il étincelait. Son crédit comme Poképsychologue palpitait loin ; bien au-delà des murs de son austère bureau. Mais sa plume, jadis affûtée et inspirée, s’était piteusement érodée, oubliant encre et papier à la solitude. Les manuscrits à moitié ébauchés qui s'amoncelaient sur son bureau ne témoignaient guère plus que de son orgueil et incarnaient muettement ce qu’il avait laissé s'étioler dans un soupir. Ses collègues, admirateurs de l’acuité de ses commentaires et de ses observations, l’avaient, médusés et parfaitement impuissants, regardé s’éteindre, se laisser saisir par une léthargie où tout l'amour du savoir avait périclité, comme la dernière braise d'un feu est endormie par le vent.

Mais c'était bien là la moindre de ses préoccupations.

Sa fille, naguère si proche de lui, et dont l'âme n'était pétrie que de bienveillance et de lumière, s’était peu à peu éloignée, raréfiant les détours qu'elle entreprenait pour lui rendre visite et le veiller. Leurs conversations, longtemps quotidiennes, s’étaient tristement taries et muées en échanges froids et dépouillés de tout ce qui nourrissait leur confiance : résigné, voire acariâtre, il n’avait su lui offrir une oreille attentive ni répondre à ses hurlements silencieux. Charrié par le flot aigre du temps, sinistre spectateur du délitement d'un lien qu'il n'avait pas même tenté de préserver, cette distance entre elleux, ce gouffre creusé par l’indifférence, ne s'était finalement jamais fait que l’écho de son propre naufrage : et un matin, pour se préserver, elle ne s'était pas présentée à sa porte et avait définitivement résolu de cesser venir souffrir son marasme.

Puis son père était mort. Cette disparition, brutale, avait définitivement compromis tout ce qui auraient pu, même fugacement, soulager leurs rancœurs passées. Là non plus, il ne s'était pas donné la peine de chercher à adoucir les ultimes instants de cet homme qui, en dépit de ce qu'il prétendait cyniquement, avait tant compté pour lui. Et l'orage qui avait grésillé au fond du regard olivâtre de son père lorsqu'il avait expiré s'était fixé dans son esprit à jamais.

Il s’était exilé dans la langueur d’une existence blême et y cultivait une quiétude hypocrite, un équilibre illusoire, gâtée par un tourment sourd. Tel un fantôme sur les rives du Styx, il errait, il vagabondait, la silhouette écaillée, ravagée, par des années de faux-semblants. Courbé devant une psyché, il ne distinguait guère que la misérable figure d’un homme ébréché d’une extrémité à l’autre, flétrie par la honte. Sa barbe négligée, ses vêtements froissés, tout sur lui trahissait une faillite qu’il n’avait pas su, ou plutôt, qu’il n'avait pas trouvé souhaitable d'infléchir.
Là d’autres auraient farouchement lutté pour s'affranchir d'une telle prison, lui s'y était curieusement réfugié et s'y dérobait. Il avait fait vœu de silence. Il trouvait dans le mépris de lui-même une curieuse forme — quoique glacée — de réconfort.
C’était là, se figurait-il, la plus pathétique tragédie dans son existence : celle d’avoir réduit lui-même sa vie au néant.

Par lâcheté.
Par égoïsme.

Par peur.

Un matin pourtant, tandis qu’il s’éveillait un jour de plus ce quotidien délabré, une éclat, presque imperceptible, naquit timidement tout au fond de lui. Un désir enfanté par ses contemplations prolongées de l’abîme et qu’il avait de par trop longtemps réprimé : s'en revenir là où tout s'était joué.
Ce voyage au travers du temps ne constituait en rien un acte de bravoure, pas plus qu’une vaniteuse quête de rédemption. Il s'agissait là, simplement, d'une irrésistible impulsion, un ultime élan pour contempler les vestiges de son existence. En vérité, cela s'apparentait davantage à un pèlerinage ; un adieu à ce qu’il aurait pu être, un adieu à ce qu’il était devenu.




Et le voilà qui y parvenait enfin.
Après des années de mutisme, il poussa la porte du bar où tout avait commencé. Sous son regard, un sanctuaire, nimbé d’une pénombre familière, qui semblait figé hors du temps, comme s'il était assujetti à quelque charme. D'antiques tables de bois, polies par le passage d’innombrables mains et réunions anonymes, exhalaient encore le parfum capiteux de querelles et de passions, tandis que la lumière de bougies chuchotantes peignait sur les murs de chaux des fresques absconses ; insaisissables réflexions, spectatrices quiètes de mille et un contes perdus.

Il demeura un temps sur le seuil, les yeux à demi clos, en proie aux réminiscences qui virevoltaient dans son esprit. Les années avaient filé ; elles lui avaient ravi les chimères de la jeunesse, ne délivrant dans leur sillage qu’une fragrance amère : celle de l’opprobre. Chaque détail dans le décor qu'il contemplait, chaque écho asphyxié qui l'imprégnait, semblait lui murmurer son nom et lui rappelait le choix qu'il avait éludé et le voyage dont son esprit, pusillanime, l’avait dévoyé.

Le pas lourd, il s’avança. Chaque nouvelle foulée lui donnait à goûter le poids de ces ans écoulés. Sa mémoire le ramenait sans cesse à ces jours fatidiques, ces moments qui avaient précédé le basculement — prélude d’une joie extatique aussi fulgurante que fugitive.

Cette fabuleuse soirée. Celle où, par le plus insolite concours de circonstance, il avait croisé son regard.
Elle.
Le souvenir de ses cheveux céruléens qui dégringolaient en vagues désordonnées sur ses épaules.
Ce sourire effronté qui illuminait son visage.
Tout lui revint avec une clarté lancinante.

« Et sa bouche, en bouton de rose, » récita-t-il pour lui-même, avec l’affection de celui qui dérive hors du temps et de l’espace, comme s'il visait à évoquer son fantôme afin de s'y agripper ridiculement.
Des mots qui s’étaient imprimés dans son cœur. Des mots que l’ivresse était venue susurrer à son oreille ce soir-là et dont il chérissait ardemment le souvenir, car ils étaient le sublime distillat des émotions qui l’avaient étreint. Par delà sa beauté sauvage, il avait deviné en Elle une profondeur vertigineuse, un désir de liberté implacable et farouche, qui contrastait furieusement avec la fadeur vitreuse de sa propre existence.

Il prit place au comptoir décrépi là où, des années plus tôt, iels avaient partagé leur premier verre. Tout autour de sa silhouette flottante, les phantasmes du passé s’entrelaçaient aux lointains échos de leurs gloussements et au tintement pur des verres qui s’entrechoquaient. La touffeur de la pièce lui rappela le moment où tout s’était précipité. Le moment où les mots échangés s’étaient mués en gestes ; leurs œillades complices en une nuit partagée dans une chambre d’hôtel anonyme.
Il se souvint la douceur de sa peau sous ses doigts frémissants, le parfum suave de ses cheveux marié à celui de l’alcool et la façon dont il s’était blotti contre Elle, comme si tout dans l’univers se réduisait à cet instant ; à elleux deux seuls. Une danse symplectique, où chaque mouvement qu’imprimait l'un influençait subtilement l'autre et brodait une invisible symphonie. Mais ce moment de grâce enflammée et timide n’avait été que le prélude fugace du tourment qui avait succédé.

Le fardeau de la culpabilité pesait lourd sur ses épaules, grévant sa respiration. Mais sans l'ombre d'un doute, en réalité, méritait-il de porter cette croix, qui n’était qu’accessoire à l’aune de la cruauté qu'il avait manifesté. Comment avait-il pu la livrer ainsi à l’oubli, décevoir la confiance féconde qui les unissait ? Chaque souvenir de ces moments, chaque image, lui rappelait qu’il avait choisi la facilité. Et la honte.

Aujourd’hui donc, il revenait. Non pas pour se gorger vaniteusement de ce passé, mais pour honorer un souvenir, tenter de soulager un regret qui le dévorait silencieusement depuis trop longtemps.
Mais par où commencer ?
Comment raccommoder les fils d’une histoire qu'il avait rompus de ses propres mains ?

Les souvenirs continuaient d’affleurer à la surface de son esprit, tandis qu’il contemplait le bar désert. Y avait-Elle remis les pieds depuis ? Avait-Elle été un jour été traversée par la même étrange nostalgie ? Ou avait-Elle jugé plus sécurisant de tirer un trait définitif sur tout cela ? Ces interrogations ne sauraient guère trouver le moindre écho, aujourd’hui. Le seul itinéraire qu’il lui restait désormais à emprunter était celui de la sincérité, aussi déchirante se révèlerait-elle.

Il se dressa, et contourna pesamment le comptoir. Cette pointe d’hardiesse, rêva-t-il, lui aurait plu. Il se servit un verre de Laphroaig et scruta le reflet aux contours vaporeux que lui renvoyait la bouteille tandis qu’il l’inclinait. Ce reflet trahissait l’image d’un homme turpide. Médiocre.

« Il faut que je lui écrive », bafouilla-t-il dans un souffle, en serrant le verre dans sa main moite. C’était la seule outrance supplémentaire à laquelle il pouvait se risquer. Non pas pour gommer le passé, mais pour en rendre compte, contempler proprement et honnêtement son inhumanité, et, peut-être, effleurer pieusement une forme de renouveau.

Le liquide ambré poudroyait doucement sous la lueur des bougies. Il porta le verre à ses lèvres crevassées, paresseusement ballotté par la chaleur de l’élixir, mais surtout par la certitude que l’heure était venue, et qu’il ne s’y soustrairait pas.
Et cela, donc, devait prendre corps par la plume.
Il fallait que ces mots, qu’il avait inhumés, la veulerie derrière laquelle il s’était muré, soient cristallisés dans une lettre. Voilà des temps immémoriaux qu’il aurait dû le faire.

Au dehors, les ailes du crépuscule s'enlaçaient affectueusement et tissaient la nuit rêveuse qui emmaillotait le bar dans une tranquille obscurité. Lui demeura là, penché sur le comptoir, un nouveau verre à demi vide devant lui. La quiétude environnante n'était qu'un miroir trompeur devant l'orage croissant qui hurlait dans cœur. Il sentait que le moment était venu de sonder les profondeurs de ses errements, de les affronter sans détour, de se laisser submerger.

Un douce flamme embrasa son cœur, alors qu'il fermait les paupières pour s'abandonner à la marrée montante de ses pensées. Les souvenirs perlèrent, bulles coruscantes, éclatantes et vibrantes, comme les fragments épars d'un rêve fuyant que l'on parviendrait finalement à rassembler. Dans ces souvenirs, il était question d'écriture, de rêves et de promesse. C'était comme si un livre pop-up était soumis à son regard voilé, et qu'il y découvrait un conte. Un conte dont iels étaient tou.te.s les deux les héro.ïne.s.

Un conte qu’il recomposât avec nostalgie et tristesse :

Dans ce conte, les années s’effaçaient. La trame de la réalité semblait comme se tordre, s'arc-bouter, comme si on l'observait au travers d'un prisme pour la fracturer étrangement.
Le voilà redevenu jeune homme, et il se retrouvait tel qu’il se trouvait alors, dépourvu de son masque, plongé dans l’émerveillement de ce moment précieux où les mots de sa Muse abandonnée l’avaient pour la première fois envoûté. Une plume unique, vibrante, pleine de vie et de passion. Chaque mot paraissait ciselé avec le soin le plus exquis pour percuter, chaque phrase chantait une force instinctive qui le subjuguait tout autant qu'elle attisait en lui une admiration envieuse et brûlante. Leurs premières conversations lui revinrent ; indécises au début, puis teintées d'une florissante complicité, une connivence subtile qui s'épanouissait bien au-delà de ce que les autres, tout autour d'eux, pouvaient percevoir.

Des heures durant, iels discutaient. Non seulement des fables et épopées qu’iels tissaient, mais aussi de leurs existences par-delà le voile. De leurs rêves ainsi que de leurs peurs. Leurs nuits s'étiraient en murmures partagés dans lesquels les mots se muaient en aveux. La distance qui les séparait physiquement se fondait en une intimité inattendue mais suave.
Il gardait dans le cœur les éclats de rire, les silences complices, et la promesse sacrée qu’iels s’étaient faite et qui scellait leur concorde : celle de se veiller à jamais dans leur voyage autour de l'écriture.

Un jour, elle l'avait convié à basculer de l'autre côté de la trame qui les séparait ; de la dépasser. D'aller au-delà de cet univers qu'iels avaient ébauché du bout fébrile de leur plume et de se retrouver à nouveau, mais cette fois sous la clarté souriante du soleil.
Il n’aurait pas pu être plus enchanté.

Le souvenir de cette première rencontre, de cette première étreinte sur le quai d'une gare, bourdonnait encore en lui avec une intacte intensité. C'était un été, un instant suspendu, ravi au tourbillon de leurs vies. Iels s'étaient ensuite retrouvés sur une plage retirée, un refuge à l'écart du bouillonnant monde, où seules la mer et le sable chuchotaient avec elleux, gardiennes de ce balbutiant secret. Il se rappelait la brise légère jouant dans les cheveux de sa Muse, de la lune qui étendait son voile, et du frisson qui l'avait caressé lorsqu'il avait enfin osé porter ses lèvres sur les siennes.

Il ressentait encore la tendresse de ce baiser, sa chaleur, cette innocence teintée de passion. Ce moment avait été parfait, comme figé dans l'éternité. Un rêve où toutes les incertitudes, tous les doutes s'étaient endormis. Mais ça n'avait été qu'un mirage évanescent, une silence fugitif dans un conflit intime dont il ne devinait pas encore toute l'ampleur.

Les quelques jours qu’iels avaient passé ensemble, quelques temps après cette première soirée, dans une précieuse tranquillité, crépitait en lui avec une intensité immuable. Iels avaient marché côte à côte, parlé sans retenue, ri de bon cœur, mais surtout, iels s’étaient abandonnés à des élans fébriles, une tendresse vibrante qui avait paru abolir toute frontière entre eux. Iels s’étaient offerts l’un à l’autre, avaient dénudés leurs cœurs, livrant leurs âmes dans toute leur vulnérabilité.

Mais la réalité, inflexible, avait fini par le rattraper. Lui. Il se revoyait là-bas, assis dans cet espace où tant de promesses avaient été chuchotées. Il se revoyait là-bas, les yeux flottants dans le vague, l'esprit dévoré par le doute. Il l’aimait, sa Muse, mais il se sentait entravé par ses peurs, par la vie enchevêtrée qu’il avait ailleurs, insipide et misérable certes, mais qui lui offrait une sécurité qu'il n'osait remettre en question ou ébranler.

Et c'est ainsi qu'il s'était dérobé. Comme un lâche.
Il était parti. A la faveur de la nuit. Sans un mot, sans un dernier regard ni même un adieu, livrant sa Muse à l'oubli. Il avait détourné le regard de ses messages. Laissé ses appels mourir dans le silence. Il avait brutalement rompu le lien qu'iels avaient ourdi ensemble, tant dans la vie, où elle s'était livrée à lui, que dans le refuge où ils s'étaient trouvés et créaient ensemble. Après ces moments de tendresse ravis, il avait couardement choisi de se réfugier dans la sécurité trompeuse du morne tableau au cœur duquel il flottait indolemment, abandonnant derrière lui sa Muse, qu’il avait pourtant juré d’accompagner pour continuer de façonner auprès d'elle de nouvelles fresques ; un monde où leurs avatars vivraient, aimeraient, souffriraient.

Il glissa sur le tabouret et une grimace tordit son visage parcheminé. Le souvenir de la désaffection qu'il avait manifesté à l'égard de sa Muse le consumait encore, comme une brûlure qui jamais ne cicatriserait. Il avait fui, emporté par la peur — la peur de voir le frêle équilibre de sa vie voler en éclat, la peur de voir son monde se disloquer, la peur de s'aventurer dans l'inconnu. Et dans cette hideuse fuite, il l'avait trahie non seulement Elle, mais aussi son propre cœur.

« t'es bien l'seul à voir aut' chose que d'la fatigue ou d'la lassitude dans mes yeux, merci mec. »

Désormais, ces mots résonnaient en lui comme un chant cruel et sublime. Ils symbolisaient tout ce qu'il avait laissé s'évanouir, tout ce qu'il avait bassement sacrifié : la connivence et l'empathie. Sa Muse avait été cette lumière étincelante dans sa vie, l’astre qui guidait ses pas dans le noir, et il l'avait éteint par peur, dans un égoïsme insensé et violent.

Il ouvrit les yeux, fixant un point invisible. Sa décision était prise, il savait désormais
ce qu'il devait faire. Il devait parler de l'amour qui avait palpité en lui et de la peur qui l'avait pétrifié et dans laquelle il s'était réfugié par facilité. Il devait porter sur ses actes un regard sans nul compromis.

Il était conscient que cette lettre ne changerait pas le passé, ni même qu'elle aurait la moindre conséquence.
Peut-être l'avait-Elle parfaitement oublié, sans nul doute ne lirait-Elle peut-être jamais ces lignes, ou peut-être encore les lirait-Elle avec une indifférence froide. Mais il le rédigerait tout de même.
Pour lui.

Le whisky dans son verre était tiède à présent, mais il ne s'en soucia pas lorsqu'il l'inclina pour le vider. Se levant, il fit glisser quelques Pokédollars sur le comptoir avant de quitter le bar. La nuit était jeune et fraîche. Et l'air marin charriait avec lui bien des souvenirs. Il marcha lentement et longtemps, porté par la brise et le clapotis lointain des vagues.

Demain, il commencerait à écrire.
Demain, il plongerait dans l’abîme.
Demain, il se mesurerait à ses démons et les cristalliserait sur une feuille de papier dans le fol espoir d'apaiser son âme.




Le lendemain, aux première lueurs du jour, il s'éveilla avec une pesanteur nichée au creux du cœur, comme si les souvenir qu'il avait rassemblés la veille avaient gravé leur sceau brûlant au plus profond de lui. La lumière du matin filtrait faiblement au travers des rideaux tirés ; elle peignait ombres et mouvements sur les murs de la petite chambre monacale où il avait trouvé asile pour la nuit. Il demeura allongé là des minutes qui lui parurent des heures, les yeux scrutant le plafond, son cœur dérivant inlassablement vers Elle et la dette éternelle qu’il portait.

Il espérait que ce jour marquerait enfin un tournant décisif. Les regrets secrets et muets, les remords qui l'avaient habité sourdement pendant des années devaient trouver un exutoire. Il lui fallait désormais cultiver le courage de coucher sa culpabilité, sa responsabilité, sur le papier.

Il se cambra avec lenteur, comme si chaque geste zébrait son corps d’une brèche invisible et douloureuse. A pas feutrés, il s'approcha du bureau qui se trouvait dans une maigre alcôve de cette retraite éphémère, où un carnet en cuir ainsi qu’un stylo le toisaient.

Il demeura là, immobile, le stylo suspendu au-dessus d'une page aux reflets presque opalins, ses sens comme tenus captifs. Les mots et les idées, qui jadis, lorsqu'il cheminait encore dans le giron de sa Muse, semblaient affluer à l'envi au bout de ses doigts, glissaient et s'évanouissait désormais loin dans l'Ether avant qu'il ne pût seulement les saisir. Comment dès lors pouvait-il espérer capturer la substance de ce qu'il ressentait ? Comment espérer que ses mots aient jamais le pouvoir de ne saisir ne fut-ce qu'une goutte du mal qu'il avait commis ?

Alors qu'il cherchait à apaiser la tempête qui grondait en lui et menaçait de le précipiter dans la folie, il ferma les yeux. Il savait la vérité. Mais il l'avait étouffée sous des strates de rationalisation fiévreuse et bête, de craintes invincibles et de mensonges lâches. Et à présent, cette vérité, nue, s'érigeait devant lui et exigeait d'être révélée et assumée.

Il finit par cueillir cette force. Tout au fond de lui.
Puis, inspirant, il fit glisser le stylo et rompit le silence.

« Chère amie,

il y a tant d'année que je porte ce fardeau dont je me suis tout seul accablé en me complaisant dans l'indigence, incapable de trouver l'élan pour écrire ces quelques mots que j'aurais du te dire lorsqu'il en était temps. Je n'ignore pas qu’il est trop tard aujourd'hui pour caresser l'espoir de réécrire le passé, mais il est encore temps, ce me semble, de faire face à la vérité et de confier ce que j'ai gardé enfoui, par peur mais surtout par lâcheté. »


Il s’interrompit un temps et scruta les phrases qui s’étendaient en entrelacs de courbes et de nœuds sur la page. Un sentiment étrange le gagna, curieuse alchimie qui mêlait tristesse et quiétude. Il poursuivit.

« Tu as été, et tu demeures, l’une des rencontres les plus précieuses, la plus précieuse, qu'il m'ait été donné de faire. Quand je me remémore tout ce que nous avons partagé, ces nuits où nous esquissions de nouveaux contours pour le monde, ces moments suspendus de complicité passés à façonner ensemble, je suis traversé par une gratitude infinie. Tu as fais sourdre du fond de mon cœur un feu que je ne soupçonnais pas ; un feu que je souffre encore d'admettre comme m'appartenant. »

Le souvenir de leurs conversations qui s'épanouissaient tard dans la nuit, émaillées de paroles rieuses et de silences habités tout aussi exquis, lui revenaient comme un boomerang. Il se rappelait la façon dont elle dépeignait ses rêves et ses espoirs, et du moment où iels s'étaient promis, avec une foi presque sacrée, de se soutenir pour toujours dans l'écriture.

« Mais je t'ai trahie. J'ai renié la promesse que j'avais pourtant appelé de mes vœux. Le jour où je t'ai livré à la nuit, sans un mot, lorsque je t’ai offert le silence, j'ai choisi la voie de la plus répugnante lâcheté. Je n'ai pas eu le courage de mettre au clair les émotions contraires qui me tenaillaient, je n'ai pas trouvé la force de faire front devant des difficultés qui sont platement celles de la vie. Alors j'ai fui. J'ai préféré m'évanouir, me réfugier dans l'ombre d'une sécurité illusoire plutôt que d'oser embrasser pleinement ce que nous partagions. »

À cet instant, il sentit une pression étouffante se lover dans gorge.

« Tu méritais tellement plus que le silence glacial et cruel que je t'ai imposé. Bien mieux que cette disparition abjecte sans explications. Tu méritais la vérité. Tu méritais un adieu digne de ce que nous avions écrit, digne de toi, et je t’ai volé cela. Je ne t’ai laissé rien d'autre qu'une ombre stérile. Chaque jour, je me blâme un peu plus pour ce manque de vertu, pour cette cruauté. Je sais que ces mots n'estomperont jamais mes torts, qu'ils n'adouciront pas davantage le souvenir que tu conserves sans doute de cette époque et de moi. Mais c'est là guère tout ce qu'il me reste à t'offrir. »

L’extrémité du stylo frémit imperceptiblement entre ses doigts. Il s’obligea à avancer encore, résolu à ne pas s'interrompre avant que chacune de ses pensées n'ait été délivrée.

« Je ne sais pas où la vie t’a menée aujourd’hui, si mon honteux souvenir se manifeste encore parfois fugitivement dans quelque recoin de ton esprit, ou si tu as depuis longtemps déjà refermé ce livre. Peut-être ces lignes te paraîtront-elles parfaitement insignifiantes et ridicules ; peut-être les accueilleras-tu avec indifférence. Voire encore, peut-être même ne te parviendront-elles jamais. Mais il m'importait de prendre la plume et de dire enfin tout ce qui reposait au fond de moi. Je t'ai aimée, mais je n'ai pas été capable de comprendre et vivre ces sentiments : je n'ai pensé qu'à moi, à moi seul et mon monde de mensonges rassurants. »

Une larme perla et dévala le long des aspérités de sa joue hâve. Il ne l'essuya pas.

« Aujourd’hui, je souhaite donc te dire pardon. Pardon pour la peine que j'ai causée, pardon pour le mur opaque que j'ai dressé entre nous, pardon de n'avoir pas su honorer ce que nous partagions. Pardon. »

Il s’interrompit une ultime fois puis prit une profonde inspiration.

« Adieu, ma Muse. Puisses-tu jouir de tout le bonheur et de toute la sérénité que tu mérites. »

Le stylo glissa de sa main tremblante et roula sur le bureau de chêne. Là, sur ce morceau de papier, reposait désormais toute la vérité qu’il s'était cachée, toute la douleur sur laquelle il avait jeté un voile. La plus odieuse des décisions qu'il ait jamais prise : celle de ne pas en prendre.

Il referma le cahier soigneusement. Il ne se sentait pas tout à fait disposé à en présenter le contenu à quiconque.
Et qui sait si ce besoin poindrait un jour ? Etait-il, au fond, indispensable de le soumettre au jugement de quiconque ? De l'imposer ?
Pour l'heure, il brûlait seulement de s'offrir un brin de recul et de laisser loisir à ses réflexions de murir.

Il se hissa péniblement sur ses jambes vacillantes et déserta enfin la petite chambre qu'il avait occupé toute la matinée durant. Errant en pensées, il chemina en se laissant porter en direction du port de Volucité. Une bourrasque, qui semblait brasser toute l’iode de l’océan, cingla sa silhouette qui se détachait timidement dans le soleil de midi ; elle gorgea ses poumons et chassa les brumes qui inondait son esprit.

La lointaine litanie des vagues lui offrait un réconfort bienvenu.
Il s’engagea sur une longue et morne jetée, le son de ses pas s'entremêlant au clapotis eurythmique du ressac en contrebas. La mer, dans son olympienne majesté, lui semblait déployer des bras nourriciers, prête à lui servir la quiétude à laquelle il aspirait désormais désespéramment.

Le courrier qu’il avait composé ce matin-là demeurait gravé dans son cœur. Et bien qu'il lui ait apporté une forme de soulagement, il savait qu'il n'était qu'à l'aube de sa quête absurde de félicité. Les souvenirs, les regrets, la honte l'accompagneraient jusqu'au bout de son voyage dans ce royaume. Il en allait ainsi. Il devait en aller ainsi.

Il marqua une pause fugitive, observant avec pudeur l'horizon, où le ciel caressait l'onde dans une étreinte tout juste perceptible. Le monde tout entier semblait figé et coi, partageant avec lui sa contemplation.

Au gré des ans qui avaient passé, il s'était souvent interrogé sur ce que sa vie aurait pu être s'il avait embrassé une trajectoire différente, s'il avait emprunté un autre itinéraire. Où serait-il à cet instant s'il avait assumé, s'il avait honoré ses promesses ? Cette question ressurgirait en filigrane dans sa vie, comme une ombre discrète. Ce chapitre demeurerait à jamais inachevé.

L’océan riait désormais en effleurant la jetée, et il sentit sourdre en lui une sérénité mate. Il reprit sa déambulation avec une légèreté retrouvée. Le poids de ses errements l'accompagnait toujours, mais il lui semblait voir plus clair désormais.

Il prit conscience que l'écriture de cette lettre ne constituait que le point de départ, la première pierre d'un édifice si vaste qu'il ne pouvait l'appréhender ; un premier pas pour se retrouver et qui demanderait du temps, force patience et surtout une honnêteté sans compromis avec-lui même.
Cette lettre, qu'il conservait dans son manteau comme un trésor, était telle une clé. Une clé pour se délivrer du passé, pour exprimer ce qui trop longtemps avait été tu et nié. Elle ne constituait pas un aboutissement.

Il se demanda ce qu’Elle était devenue. Avait-Elle entrepris un nouveau voyage, partagé ses histoires, ses peurs et ses rêves avec d'autre âmes dans lesquelles elle avait pu placer sa confiance et son amour ? Avait-Elle trouvé cette félicité, qu'il lui avait promis et qu’Elle méritait tant ? Ces questions, il le savait, demeureraient lettre morte. Mais il se plut à espérer, à croire que, malgré tout, elle était parvenue à trouver sa voie et qu’elle avançait avec allégresse.

Il marqua un nouvel arrêt, cette fois-ci au pied d’un grand monolithe qui dominait le port. La mélopée des vagues contre la pierre résonnait comme les battements d’un cœur, réguliers et rassérénant. Il gravit la roche, et il laissa, dans un vertige, son regard se perdre dans l’infinité.
Et l’infinité le lui rendit.

Il comprit alors que ce lien, bien qu’il le rompît, ne s’était jamais entièrement évanoui. Il en subsistait un vestige ténu mais pérenne. Et il persistait, non plus au travers des mots et des gestes que l'on s'offre chèrement au quotidien, mais dans les souvenirs, dans ce qu'iels avaient appris l'un de l'autre. Ce qu'iels avaient brodé à quatre mains, quoique éphémère, portait l'empreinte de leur connivence passée, une trace inaltérable de leur complicité.
La plume défiait le temps et l'espace.

Peut-être s'agissait-il là d'une autre des facettes de la vérité qu'il s'efforçait de toucher avec humilité : cette rencontre avait eu sur lui un impact bouleversant et avait sculpté celui qu'il était désormais. Sa Muse avait tracé dans son cœur un souvenir tendre et imprescriptible. Un souvenir qu'il s'appliquerait de chérir et d'honorer à sa façon.

Il tira le carnet de sa poche et chercha la page où il avait composé ses aveux et son hommage. Il fit mollement vagabonder ses yeux ternes le long des mots qu'il avait tracé. Le passé, inexorable, demeurerait tel qu'il avait été arrêté. Mais lui pouvait prendre la décision de continuer à cheminer, et de charrier ses regrets non plus comme quelque fardeau, mais comme une partie de lui-même, un trait intrinsèque qu'il lui fallait accepter et avec lequel il lui faudrait composer en dépit de la douleur et de la honte qui en avait défini les méandres.

Il referma le cahier et le rangea à nouveau dans sa poche. Finalement, il se détourna de l’océan et de ses charmes envoûtants et laissa ses pas le mener à des lieues du rivage, tout droit vers l'intérieur des terres. La journée avançait, et devant elle, une nouvelle étape de son voyage se révélait à lui, mystérieuse. Il ignorait encore où cet itinéraire le conduirait, mais il se sentait le cœur de l'emprunter sans la moindre réserve.

Tandis qu’il arpentait désormais les venelles colorées d’un petit village côtier planté à l’ouest de Volucité, il sentit une bouffée de reconnaissance lui transir les sens. Encore en vie, il était capable de ressentir et de regarder son passé. D’aller de l’avant. Il avait trouvé dans son désir de vérité une chose éminemment précieuse : la possibilité de se retrouver et de renouer avec cette part de lui à laquelle il avait naguère tourné le dos.

Il réalisa par ailleurs que, dans cette quête, il ne naviguait pas seul. Même si Elle était loin, qu’Elle l’avait sans doute gommé de ses pensées, sa mémoire habitait son cœur ; Elle était un phare dans les ténèbres ; celle qui l’avait résolu à prendre ses démons à bras le corps.
Il lui devait tout cela ; cette confrontation avec son égo.

Le ruban ocre de terre battue piqué ça et là d'herbes folles sur lequel il promenait depuis une heure s'échappait du village en ondulant pour s'enfoncer dans une campagne étrange. Les arbres, qui s’élançaient de part et d'autre comme autant d'auguste gardiens, formaient loin au-dessus de sa chevelure anthracite une canopée, et le murmure de la mer s'éteignait courtoisement derrière lui, cédant place à la cristalline mélopée qu'entonnaient des Poichigeons embusqués, et qui se mariait au chuchotement des feuilles qu’agitait la brise.
C'était comme une féérie, loin à l'écart de toute la frénésie du monde.
Il fit une pause à l’ombre d’un bel orme, et s'offrit même le loisir de savourer une cigarette. Un vice inaliénable. L’éclat enjoué du soleil gouttait au travers des branchages et il se rêva bourgeon ou pierre. Tout ici parlait de renouveau, de croissance et de fin. Il se laissa aller contre le tronc de l’arbre, à moitié vautré un sol drapé de mousse. Il s'empara à nouveau le carnet, non pas pour écrire cette fois, ni même pour le lire, mais simplement pour en sentir les aspérités et les imperfections sous ses doigts grêles. C’était là une manière qu’il avait trouvé de s’ancrer ; un rappel de ce qu’il avait noué aujourd’hui et de ce qu’il était parvenu, espérait-il, à exprimer.

Il songea alors à la suite. Peut-être se résoudrait-il à écrire davantage, à explorer plus avant cette partie de lui qu’il avait fait réémerger. Peut-être composerait-il, même, d’inédites histoires, des contes qui ne seraient plus rongés par
l’infamie, mais nourris par l’expérience ? Le temps seul le lui dirait. Un sourire effleura son visage tandis qu'il écossait les possibilités qui semblaient s’offrir à lui. Il n’était pas capable de dire si ces histoires l’inclurait Elle, ou si Elle demeurerait une Muse silencieuse et secrète dans son cœur.

Le soleil déclinait désormais dans l’horizon partiellement fardé par la canopée, marbrant l'azur de miroitements d’or et de pourpre. Se redressant prudemment, il sentit le poids du jour commencer à appesantir ses membres étiques.
Il se résolu donc, chagriné, à laisser derrière lui ce charmant sous-bois et rebroussa chemin le long du sentier qui le ramenait vers le village. Tout au fond de sa poche, le cahier dormait contre son cœur à la manière d’un talisman. Le hameau se découpait dans le crépuscule, diapré par les lumières hétéroclites qui fleurissaient ça et là pour la soirée. Il huma l’air et savoura le moment, cette transition entre le jour et la nuit, entre hier et demain.

En arrivant en marge de la place centrale, il contempla l’effervescence qui montait tout autour de lui. Les gens, le cœur léger et l'insouciance comme compagne, allaient, venaient, se retournaient, goûtaient à la vie avec une désarmante candeur.
Il avisa une auberge blottie entre deux boutiques à quelques pas, et s'y rendit en fredonnant un air de piano qui lui trottait à l'esprit. Les murs de la salle à manger, chaleureuse et réconfortante, était lambrissés. On y avait installé des tableaux anciens qui représentaient des Pokémon auprès de leur dresseurs et dresseuses. Un brasier éclatant dansait joyeusement dans une grande cheminée et jetait des lueurs mordorées dans la pièce.
Il prit place à une petite table tout à côté du foyer pour jouir pleinement de la chaleur qu’il dispensait, et qui contrastait avec la fraîcheur de la soirée. Des arômes de pain frais et de vin épicé flottaient paresseusement dans l'air, et il passa sa commande d'un geste distrait, tandis qu’il se laissait charrier par les onduleuses arabesques de ses rêveries.

Le temps coula, et un garçon effacé s'annonça à lui, un sourire délicat pétillant sur les lèvres. Il lui apportait son dîner : un assiette garnie de pain, de fromage et de fruits, accompagnée d'un verre de vin. Après un révérence, il lui sourit une dernière fois avant de prendre congé.
Il bu une gorgée du vin. Sa chaleur réconfortante lui emmaillota les sens et il sentit une paix encore indécise glisser subrepticement en lui pour s’évanouir presque aussitôt. Il en prit acte, bien que l’avenir restât voilé d’incertitudes.

Et ce qu’il entreprendrait demain ou ce soir lui paru plus nébuleux encore.
Il plongea la main dans le revers de son caban pour en extraire le carnet, le plaça devant son regard embué, ses doigts effleurant avec douceur la couverture de cuir. La lettre y était précieusement consignée. Qu'elle soit adressée ou qu’elle demeure un secret dans l'intimité de ses souvenirs ne revêtait point d'importance, et l’essentiel résidait désormais ailleurs. Ce qui importait, désormais, n'était plus tant son devenir que ce qu'elle symbolisait : la clarté retrouvée, la recognition de ses torts, et la promesse de ne jamais plus se soustraire à lui-même.

Le feu bourdonnait avec langueur dans l'âtre et diffusait une chaleur lénifiante en cette nuit de resurgement fébrile. L'opportunité de renouer avec cette partie de lui-même qu’il avait laissée en sommeil, de tenter reprendre la plume, de créer avec un regard nouveau sur les choses, tout cela formait un magma confus dans ses pensées.
Pensées qui se tournèrent finalement de nouveau vers Elle.
Et elles n'étaient plus colorées par l'angoisse. Elle avait été sa Muse, une compagne dans ses errances ainsi qu'une prodigieuse source de félicité et d'inspiration. Elle demeurerait à jamais une part de lui, un souvenir précieux qu’il révèrerai jusqu’à la fin, avec une tendre mélancolie, une gratitude éternelle.

Il termina son dîner tranquillement, dégustant chaque bouchée, chaque gorgée, en humble hommage au chapitre qui s’esquissait. Certes, il ne connaîtrait ni dénouement en apothéose ni résolution idéale, mais il y restait tout le reste : La vie, simple et brute, assortie d'un horizon de possibles.
En quittant l’auberge, il se laissa guider à nouveau vers la mer sous le voile de la nuit, comme irrésistiblement charmé par l’appel des vagues. Le ciel était pur et les étoiles scintillaient au-dessus de sa silhouette comme autant de lucioles dans l’obscurité infinie. Il marcha jusqu’à une plage de sable fin, là où l’océan, vaste et sage, naissait devant lui en déployant toute son éternité.

Il tira le cahier de sa poche le temps d'une ultime contemplation en scrutant la mer en silence.

Cette idée avait perlé tandis qu'il dinait. Il ignorait pourquoi il s'était béatement résolu à cette décision, mais il sentait au fond de lui que cela l'aiderait et que cela serait marquerait le véritable aboutissement de son voyage.
C'était une façon de dire adieu.

Rêveusement les étoiles se miraient dans la quiétude veloutée de ses pupilles.

Il glissa le carnet dans un frêle étui et ferma les yeux comme pour se recueillir fugacement.
La nuit était effrontément belle.
Et la mer tranquillement fredonnait des promesses au monde.

Avec lenteur, il s’accroupit au bord de l’onde, gouttant la fraîcheur de la brise sur son visage.
Il déposa le carnet sur la surface argentée de l’océan.
L’écume l’enveloppa doucement, l'enlaça avec tendresse, et le carnet s'effaça dans son étreinte.

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