A mon grand soulagement, Raven est seule dans notre salle de préparation. Le togedemaru et le magneton de Mylène sont là, mais aucune trace de leur dresseuse. Je lui explique donc mon problème. Il sait quels sont mes sentiments pour Catheline, puisque j’ai été incapable de les cacher plus de trois secondes quand nous avons parlé d’elle après l’avoir rencontrée. Raven est cependant perplexe face à ma demande, car il ne voit pas ce que pourrait impliquer de si terrible un simple message.

- Imagine elle me trouve trop froid ! Ca va donner une mauvaise impression et elle va peut-être croire que je ne l’apprécie pas… Enfin que j’ai des sentiments négatifs quoi, alors qu’on se connaît pas vraiment donc je suis sensé être neutre, non ? Mais si je suis trop amical je vais passer pour un chelou, ou alors je vais l’embêter, je sais pas, mais il faut pas que je dise n’importe quoi, tu comprends ?, vu sa tête, il ne comprend visiblement pas. C’est dans ces moments-là que je me rends compte que nous ne sommes pas de la même génération. Bon… Tu sais si je peux mettre un smiley au moins ?
- Euh…

Malgré son malaise évident, je le supplie du regard et il accepte de relire, encore une fois, mon sms. Il m’indique corriger une faute d’orthographe et m’en explique la règle - c’est vrai qu’il était maître d’école avant - avant de me rassurer sur mon message et valider mon smiley. J’ai beau savoir qu’il me dit ça un peu au hasard, juste pour me satisfaire et parce qu’il considère que mon message ne peut pas être si grave que ça, avoir sa validation me rassure. Je me décide donc enfin à l’envoyer à Catheline.

C’est alors que Mylène entre dans la pièce, le timing de mon envoi est parfait. Ca ne m’empêche pas de vite cacher mon téléphone au fond de ma poche, comme si elle pouvait lire les mots à travers les ondes. Une fois qu’elle a posé mes affaires, elle se met à me parler de la future sortie au festival des dragons : de notre groupe, je serai le seul participant.

- Je constate que vous n’avez toujours pas honte, je serre les dents. Vous allez tromper encore plus de personnes, à ce festival.
Si je peux me permettre, Mylène, c’est vous qui l’avez forcé à travailler ici en tant que Aarii’.
- Car c’est lui qui s’est servi de cette image pour me contraindre à lui donner le poste.

La tension entre eux-deux est assez électrique ces derniers temps, même s’ils respectent mutuellement leurs travails, ce qui leur permet de continuer à travailler ensemble. Tout ça à cause de moi. J’ai envie de me cacher dans un trou, mais me force à intervenir pour éviter de les laisser envenimer la situation entre eux :

- J’essayerai d’en profiter pour observer comment les gens se comportent avec les pokémons de la région. Ce serait intéressant pour les enfants d’ici d’en apprendre plus sur les pokémons d’ailleurs. Je pense notamment aux korillons, pré-évolution d’éoko qui existe peu chez nous mais qui est très répandue à Sinnoh. Il y aurait des angles intéressants à aborder, qu’en pensez-vous ?

Après s’être entre-gratifiés d’un soupir, les deux adultes lâchent leur début de dispute et acceptent de me suivre dans cette discussion sur les pokémons de Sinnoh que je pourrai voir au festival. C’est un soulagement.

Ce n'est que le soir que Catheline répond à mon message. Moi qui était occupé à stresser d'avoir dit une bêtise suis infiniment soulagé et relis plusieurs fois ces mots pour m'assurer qu'ils sont bien réels et pas le fruit de mes espoirs vains de ne pas l'avoir offensée. J'ai repensé à cette problématique de smiley pendant longtemps avant de recevoir enfin cette réponse.
Dans son message, elle s'excuse du temps mis à me répondre car elle a lu le mien pendant qu'elle s'occupait de son fils et a ensuite oublié. Après ça, elle dit qu'il n'y a pas de problème avec ce que m'a demandé la principale adjointe, bien qu'elle préférerait ne pas trop apparaître sur les images. Elle dit que "ce n'est pas trop son truc", ce que je comprends et respecte. Avant de lui répondre à mon tour, je laisse mon téléphone en stand-by pendant cinq bonnes minutes, histoire qu'elle ne pense pas que j'y étais pendu, et me mets ensuite à tapoter. Je veux juste lui dire que je comprends et que je ferai attention lorsque je filmerai, qu'elle n'a pas de soucis à se faire sur ce plan. Cette fois, j'hésite moins avant d'envoyer et sa réponse, à elle, ne tarde pas à venir. Il s'agit d'un simple remerciement.
Je laisse mon téléphone tomber à côté de moi et me met sur le dos dans mon lit, les yeux perdus vers le plafond. Ces sentiments sont inhabituels, je ne les ai jamais ressenti avec autant de force. Ce qui fait qu'il n'a aussi jamais été aussi difficile de me faire une raison, alors que le contexte est celui qui me pose le plus de barrière. Tous les éléments sont contre moi, au niveau de mon identité, et puis il y a le petit Lionel... Je secoue la tête. Ca ne sert à rien de me dire que je dois me poser les bonnes questions, puisque je ne serai jamais dans une position où je pourrai le faire.

J'entends la leuphorie de Raven qui nous appelle pour le dîner. Ce pokémon a l'apparence si douce a une voix qui porte beaucoup, quand elle s'y met. Je crois même qu'elle a appris naturellement l'attaque mégaphone, avec le temps. Ou brouhaha. Un truc qui fait beaucoup de bruit, quoi. En tout cas, c'est très pratique depuis que nous vivons dans la longère qui est plus grande que notre ancien logement. Malgré sa disposition tout en longueur, on peut entendre la leuphorie d'un bout à l'autre de la maison. Pour répondre, je me campe sur mes deux jambes, porte mes mains autour de ma bouche comme pour amplifier le son, et crie :

- J'arriiiiiiiiiive !, à peine ais-je crié que j'entends Eric faire de même.

En général, lorsque nous crions, ça veut dire que nous allons prendre encore une dizaine de minutes avant d'arriver pour le repas, mais cette fois je décide de me dépêcher. Je n'ai rien à faire dans ma chambre à part regarder bêtement mon téléphone et plus vite le repas sera passé, plus vite je pourrai aller m'entraîner dehors avec mon meilleur ami. Ce sera bien pratique, pour m'occuper l'esprit.

La veille du départ, je ne parviens pas à me détendre alors, au lieu d'aller dormir, je décide d'appliquer mon idée débile. C'est à dire de passer une partie de ma nuit à jouer à certains de mes jeux de dating sim, pour refaire les routes des rares personnages qui sont des mères célibataires. Il paraît que ces archétypes ne sont pas intéressants pour le public cible, ce que je trouve dommage. En général, elles sont toujours assez intéressantes et permettent d'explorer d'autres implications à la relation, ainsi que des problématiques souvent plus matures. En tout cas, tout ça pour dire, que je passe une partie de ma nuit à me faire du mal. Ceci jusqu'à ce que Bowbow, qui dort dans ma chambre, me rappelle à l'ordre par un grognement. Il ne saisit pas les enjeux du fait d'être en forme pour s'occuper des enfants le lendemain, mais il a conscience de la fatigue que je peux accumuler si je ne dors pas.
Au départ, je fais mine de l'ignorer pour continuer à jouer, puis il vient me choper par l'arrière du t-shirt pour me soulever de ma chaise comme si je ne pesais rien et me poser sur mon lit. J'essaye de protester, mais mon chelours est beaucoup plus fort que moi alors je n'ai pas trop le choix. Il me pousse à m'allonger et me borde du mieux qu'il le peut avec ses grosses patounes. Plutôt que de protester, je me mets à rire, attendri par ses attentions. Qu'est-ce qu'il est mignon, mon Bowbow.

- Si tu veux que je dorme il me faut mon tel et éteindre la lumière, en même temps que je parle, je lui désigne du doigt l'interrupteur et le smartphone que j'ai laissé sur le bord de mon bureau. Il comprend, m'apporte l'objet et fait le noir dans ma chambre. Merci mon tout beau !

Je l'entends tirer son propre matelas du dessous de mon lit, qui est plutôt une grosse couverture molletonnée qu'il est pratique de ranger là tous les matins. Une fois qu'il l'a, il s'affale dessus et se met à respirer tranquillement. L'entendre me calme un peu, sans pour autant me permettre d'évacuer le gros de mon stress. J'espère réussir à me comporter convenablement devant Catheline. Je rêve qu'on puisse se rapprocher, au moins un peu, que je puisse apprendre à la connaître. Je suis sûr que c'est une femme géniale... Même si une partie de moi se dit que ce serait quand même plus simple de découvrir qu'en fait c'est une connasse. Je pourrais facilement faire disparaître mes sentiments impossibles et passer à autre chose.
Après avoir défini l'alarme sur mon téléphone pour me réveiller à l'heure pour le départ, j'éteins l'écran et ferme les yeux pour tenter de trouver le sommeil. Tout en sachant que ma nuit se terminera sur la couverture, par terre, avec Bowbow. Sa présence rassurante contre moi m'aide toujours à oublier une partie de mes soucis et, là, il y en a tellement, que j'ai bien besoin de me débarrasser de quelques-uns.