Il n’a jamais demandé à être un leader Il n’a jamais demandé à être prince ni même à devoir montrer la voie. Il n’a jamais demandé à ce qu’on le regarde avec des yeux brillants d’envie ou de jalousie. Il n’a jamais demandé à ce que la moindre de ses paroles soit répétée, amplifiée et vue comme l’émanation d’un pouvoir divin. Ou d’un savoir divin. Ou d’une connexion divine avec l’entité. Avec Giratina.

Il n’a jamais demandé à avoir quoi que ce soit à faire avec le Protecteur. Le Gardien. Il n’a jamais demandé à être considéré comme un élu, un prophète ou un oracle. Il n’a jamais demandé à être spécial ou différent. Il n’a jamais demandé à devoir subir la pression des attentes et être forcé à s’imprégner des arts mystiques. Il n’a jamais demandé à devoir apprendre les dogmes des aînés, sous peine de vexer le clan (pire, froisser ses pairs). Son père.

Il n’a jamais demandé à avoir des visions. Des visions que d’autres disent prophétiques et qui l’effraient au plus haut point, lui. Il n’a jamais demandé à ce que cette voix, d’un grave inexplicable, s’impose à lui lorsqu’il a les yeux fermés. Il n’a jamais demandé à ce que son sommeil soit à ce point difficile. Il n’a jamais demandé à avoir peur de dormir.

Il n’a jamais demandé à ce que son être soit peu à peu effacé derrière le symbole de foi qu’il est devenu, aux yeux de certains. Il n’a jamais demandé à être vénéré ni entouré de courtisans et de sages. Il n’a jamais demandé de se réveiller chaque matin avec un nouveau fardeau.

Il n’a jamais demandé à porter le poids du monde sur ses épaules ni devoir interpréter les signes, pour le bien commun, l’avenir du clan. L’avenir de tous.

Il n’a jamais demandé à se sentir si seul et pourtant si entouré.

Il n’a jamais demandé à devoir vivre dans l’ombre d’une grandeur imposée, sans pouvoir vivre comme il l’entend, rire sans retenu ni pouvoir explorer le monde à sa guise.

Il n’a jamais demandé à ce qu’on lui impose un destin dont il n’a jamais voulu, un rôle dont il rêve chaque jour de pouvoir se détourner. Il n’a jamais demandé à devoir se sacrifier sous le poids de responsabilités et de secrets ancestraux dont il n’a que faire.

Il n’a jamais demandé à suivre un chemin tracé par d’autres.

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(403 mots)

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Il n’a jamais rien demandé de cela, mais a-t-il le droit de se plaindre ? On le prie, on l’invite ici et là, on lui demande de parler et d’écouter, on lui demande son avis… Non, on lui demande « son » avis, celui qui parle dans ses nuits, celui qui serait l’émanation d’un choix divin. Ce n’est pas « Isandro » - du nom qui lui a été donné par ses parents – que l’on veut écouter. C’est l’Ozal. Ici-bas, l’Ozal, c’est tout à la fois « Celui qui voit » et « Celui qui sait ». Très tôt, lorsqu’il a eu le malheur de parler de la voix dans ses rêves, on l’a affublé de ce titre. Un honneur, lui a-t-on dit.

Un honneur. Il se le répète chaque jour pour s’y faire, pour l’accepter. Un honneur auquel il doit s’accrocher et faire face. Il est l’Ozal pour tout son peuple. Le Prince Ozal, même, comme si la double casquette était aisée à porter… Il n’en dit rien, se cache derrière de fins sourires pour ne pas afficher la moindre crispation. « Ces gens ont besoin de toi. Nous avons besoin de toi. Souviens-t’en. »

Comment pourrait-il faire autrement ? Tout le cérémonial qui entoure chacune de ses journées le lui rappelle parfaitement. La tente dans laquelle il dort compte parmi les plus belles, décorée de symboles à même la peau tendue et de pierres taillées tout autour. Chaque matin, quand il en sort, des fruits fraîchement cueillis l’attendent et avant d’y toucher, il s’applique à remercier d’un geste de la main tous ceux qui le regardent sortir. Parce qu’on le regarde sortir. On le regarde bouger. On le regarde faire tout et n’importe quoi.

Pour beaucoup il est « l’Œil », celui qui voit et touche le divin. Alors qu’en vérité, il est celui qui attire les yeux des autres… La curiosité, la convoitise, la crainte ou la critique. C’est le genre de pensée qui lui traverse fréquemment l’esprit avant de se reprendre. Il est l’élu, il est béni, il ne peut se plaindre. Il n’a pas le droit de critiquer ou de remettre en cause sa situation.

Il est l’Ozal.

Mais quoi qu’il fasse ou qu’il dise, est-ce que ce sera suffisant ? Est-ce que ce sera ce qu’ils veulent entendre ? Car c’est bien là la difficulté, il est un messager, il n’est pas un décideur. Il ne peut pas faire remonter de demandes ou de volontés et ça, beaucoup ne le comprennent pas. Il est l’émanation de cette voix, mais il ne peut rien demander, rien exiger.

Il n’a pas ce pouvoir.

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(442 mots)

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Des fois, il a parfaitement conscience d’à quel point il est spécial, d’à quel point il est précieux pour son peuple, pour l’avenir des partisans de Giratina. S’il est là, s’il a cette possibilité de l’entendre, c’est que le Père Protecteur a un plan pour lui. Pour eux. Alors pourquoi s’amuse-t-il à être aussi peu clair ? À faire entendre sa présence d’une manière si… effrayante et aléatoire ?

Les Anciens lui tournent autour comme des mouches mais Isandro l’a compris, il n’a personne à qui il peut réellement parler de ça. Comment dire que chaque nuit il tremble ? Que chaque nuit, il craint à la fois d’entendre et de ne rien entendre ? De voir et de ne pas voir ? S’il voit, Giratina lui inflige un tourment indescriptible. Il perçoit des émotions, des sentiments ou des images qu’il ne parvient jamais à décrire, sur l’instant. Tout est flou et tumultueux. Oui, le « Père » est tumultueux. Il fait trembler les murs autant que son corps et son cœur. Comme s’il n’était pas prévu qu’il soit en mesure de supporter ça. Comme si la collision entre sa réalité et celle de l’entité, intangible, menaçait à chaque fois de briser et rompre ce corps bien trop frêle. Il n’est qu’un être humain, comment peut-il supporter cela ?

Il ne le supporte pas vraiment, et plus le temps passe plus ces visions sont une véritable torture. Il se réveille en sueur, tantôt avec un mal de crâne assommant, tantôt le visage couvert de sang tant son nez a saigné, tantôt avec des bleus le long de ses côtes sans pouvoir rien expliquer. Il n’est pas censé en parler. Cela ne doit pas sortir du « cercle ». Les Anciens le savent et désormais se contentent de hocher la tête, sans rien dire. C’est à lui d’endurer. Ils n’ont que faire de ses souffrances. Seuls les messages comptent. Alors en attendant, on lui fait boire des mixtures à base de plantes, pour le soigner ou le renforcer. On lui pose des cataplasmes d’argile et on lui rappelle que c’est là le prix à payer.

À payer pour quoi ?
… Ah oui, pour être l’Ozal.

Il n’a jamais demandé à l’être.
Il n’a jamais demandé à l’être.
Il n’a jamais demandé à l’être.

Mais il l’est.

Jusqu’à quand ? Et si un jour il ne se réveille plus ? Et si la brutalité des visions et leur impact sur son corps le brise définitivement ? Quelqu’un y pense, à ça ? Ou préfèrent-ils tous fermer les yeux ?

Car eux ils le peuvent, sans craindre qu’Il vienne s’imposer à eux.

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(433 mots)

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Et si la nuit, il ne « voit » pas, si aucun message n’est entendu si, ironie du sort, il parvient (miracle) à dormir paisiblement, alors rien ne va non plus. On l’attend au réveil. S’il sort de sa tente en secouant la tête de gauche à droite vers le serviteur des Anciens, toujours posté devant à l’attendre, on le lui reprochera. Il n’a pas été à la hauteur. Il a fermé son esprit. Il n’a pas essayé d’entrer en contact avec le « Père ». C’est de sa faute. Quoiqu’il se passe, c’est de sa faute.

Mais ça, le reste du clan n’en sait rien. C’est entre lui, ses parents et le cercle des Anciens. Ceux qui sont dans la confidence, ceux à qui il doit éternellement rendre des comptes. Serik à leur tête. S’il n’est pas l’Ancien le plus âgé, il est sans doute le plus avide de pouvoir. Il est celui qui a su se placer auprès des dirigeants, auprès de l’Ozal, comme il dit. Isandro n’a jamais voulu de lui, mais depuis son enfance, depuis qu’il a eu le malheur de parler de « la voix dans la nuit », cet homme à la peau aussi sombre que ses cheveux a su s’imposer dans son entourage. Avec son ton de voix faussement attentionnée, toujours mesuré. Il se dit l’outil des us et coutumes du clan, celui qui vieille à leur parfaite application.

Aux yeux d’Isandro ? Un démon.

Là encore, c’est une pensée qu’il garde pour lui, car il ne peut pas faire autrement. La présence de Serik, des Anciens et des serviteurs l’étouffe. Il ne peut pas faire un pas sans qu’une ou plusieurs ombres le suivent à sa trace, et il le sait parfaitement. C’est pour ça qu’il se glisse, parfois, dans la tente de la conteuse d’histoire, Aliya. Une amie de sa mère en un autre temps. Une des rares qui ont pu l’approcher enfant et dont la présence à toujours su l’apaiser.

Elle conte et apprend des choses aux enfants de la tribu. Et pas que les traditions stricts liées à leur culte, non. Elle leur apprend à reconnaître les fruits et les plantes. Elle leur apprend à compter et lire dans le positionnement des lumières, au dessus de leur tête, quand il fait noir et que la nuit s’installe. C’est une femme aux cheveux de feu, au visage rond et dont la simple vue le fait souvent sourire.

Comme à cet instant.

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(410 mots)

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Le contraste entre Aliya, toute en sourire et douceur, et Serik, entre ambition et fanatisme… est saisissant. Le fait qu’il songe encore à l’Ancien prouve à quel point ce dernier a de l’emprise, tant dans le quotidien du clan que dans sa vie, plus spécifiquement. Il faut dire Serik est envieux à son égard. D’une jalousie profonde, presque maladive. Il fait mine de rien mais Isandro n’est pas dupe. Plus d’une fois, sans faire attention, pensant ne pas être vu, a laissé ses véritables émotions transparaître, en un regard brillant et sombre.

Un regard porté sur l’Ozal tel qu’il ne cache rien des pensées sombres qui le traversent. Un désir immense d’être à sa place. Un comble, car le jeune prince donnerait tout pour se défaire de ce rôle qui n’a pas demandé et qui l’absorbe toujours plus. Le temps passe et beaucoup en oublient jusqu’à son prénom. Il est l’Ozal, oui, mais il n’est pas que ça. Il est lui. Lui-même. Isandro.

C’est dérisoire à côté du rôle qu’il se doit de jouer, pour la survie du clan, lui dit-on.

Un rôle que Serik meurt d’envie d’avoir. Un rôle pour lequel il serait prêt à tuer, Isandro on est certain. S’il se plie sous les convenances et les traditions, Serik est un être avide qui veut aspirer tout le pouvoir à sa portée. Et tel qu’il est parti, il y arrivera sans doute… sauf peut être celui de l’Ozal. Car ce n’est pas Isandro qui a choisi, c’est Giratina.

Le Père a décidé de ne parler qu’à travers lui.
Le « Maître », comme dit souvent Serik. « Son » Maître, comme il aimerait le dire, en vérité.

L’homme applique les préceptes des anciens à la lettre, dans une rigueur qui frôle l’hystérie, aux yeux du prince. Et c’est sans doute ce qui explique que, s’il le pouvait, Serik l’aurait déjà tué pour faire sien ses visions. Il sait que cela ne mènera probablement à rien. Enfin… Isandro l’espère, même si plus d’une fois il en est venu à douter. Que se passera-t-il s’il venait à disparaître ? Son « pouvoir » serait donné à quelqu’un d’autre ?

Et si ce « quelqu’un » était justement Serik ? Est-ce seulement possible ?
Personne ne le sait.

C’est peut-être cette incertitude qui fait que l’Ancien le tolère, le malmène et le suit (ou le fait suivre par ses serviteurs) comme son ombre.

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(404 mots)

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