Il y a des journées qui semblent irréelles. Celle-ci en fait partie. Je ne crois pas que je réalise pleinement ce qu’il vient de se passer, en toute honnêteté. Tout ceci est bien trop grand pour être réel, les choses n’ont pas pu se passer comme je m’en souviens, ce n’est pas possible. J’ai la sensation que tout autour de moi se passe désormais au ralenti et en accéléré à la fois, je constate l’effervescence mais elle ne m’affecte pas. Enfin, je ne crois pas. Pourtant, nous sommes bien tous là, mes collègues et moi-même, à célébrer dans l’un des bars les plus huppés de Volucité. Je me demande si ma vie va changer dès demain, si cela aura un impact sur ma vie professionnelle ou s’il ne s’agit là que d’une parenthèse dont je ne parviens visiblement pas à profiter.

Aujourd’hui se tenait la cérémonie de remise des prix Pulitzer. Aujourd’hui, j’ai remporté le prix Pulitzer dans deux catégories. Enfin, cette affirmation est à nuancer ; si j’ai effectivement remporté le prix dans la catégorie reportage d’investigation à titre personnel, le second prix – celui dans la catégorie service public – a été remporté par les Presses de Volucité, pour une série d’articles à laquelle je n’ai aidé que de manière anecdotique. Je demeure en sidération face à une telle occurrence. Dans ma poche, je sens le vibreur presque ininterrompu de mon téléphone portable depuis l’annonce officielle. Jusque-là, je n’ai même pas eu la présence d’esprit de le mettre en silencieux, ce que je fais à l’instant sans prendre la peine de regarder les notifications. Demain, j’appellerai mes parents pour leur annoncer la nouvelle. Demain, quand j’aurais – je l’espère – pleinement réalisé ce qui s’est joué ce soir. Peut-être prendrai-je également le temps de répondre à d’autres, à mon cercle professionnel restreint. Je ne saurai encore dire, tandis que j’ingurgite la coupe de champagne que l’on me tend. Qui refuserait dans de telles conditions, face à un tel événement ?

« Monsieur Harrison, vous devez être incroyablement fier d’une telle réussite ce soir, n’est-ce pas ? » Mon regard se pose alors sur mon interlocutrice dont je n’avais pas remarqué la présence jusque lors. Soudainement, mon environnement perd son bruit étouffé et lointain, je reprends contact avec la réalité dans laquelle je me trouve. « Pour être sincère avec vous, j’accuse encore le coup. Je ne m’attendais pas à cela, je n’avais pas même envisagé la possibilité qu’un de ces prix puisse me concerner un jour. La fierté arrivera sans doute quand j’aurai pleinement réalisé ce qui vient de se produire. » Au rire de circonstance – bref et distingué – qui s’élève face à moi, je considère avoir su répondre comme attendu.

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