Appuyée contre la rembarde du balcon de ma chambre d'hôtel, je contemple les bâtiments qui se succèdent au creux du vallon et qui suivent la courbe naturelle d'une rivière au courant tranquille ; celle-ci se divise en deux enbranchements distincts, l'un s'enfonçant dans une forêt sombre et dense et l'autre se jetant directement dans une mer que je distingue à peine.
Les tuiles des toits en pagode luisent doucement sous la lumière du jour, encore humides d'une averse abondante mais éphémère qui a pris d'assaut la ville durant la matinée. Je ne suis pas fâchée que les nuages se soient enfin dispersés : je vais pouvoir entamer ma visite des sites emblématiques dont Parmanie regorge et tenter de comprendre ce qui motive tant mon amie Ambre à venir y séjourner.
Derrière moi, déposés au pied de mon lit en un amas désorganisé, mon anorak rouge, mon équipement de randonnée et mon sac de voyage attendent patiemment que je me décide à bouger. Mais la vue est si belle, si différente de celle dont je suis habituée, que je parviens difficilement à m'en détourner.
Je rabat les manches de ma veste sur mes avants-bras, saisie d'un soudain frisson ; la fraîcheur qui s'est installée a finalement eu raison de ma résistance de nordique. C'est un froid différent, moins mordant, mais qui pénètre jusque dans les os et auquel je suis peu accoutumée. J'abandonne à regret mon poste pour rentrer à l'intérieur, tout en me frottant les mains.
Après avoir assemblés et relevés mes cheveux en un chignon à l'aspect volontairement négligé, je récupère mon sac et le passe en bandoulière sur mon épaule. J'aurais dû écouter Ambre au sujet de mon anorak et le laisser à la maison, mais mon entêtement à vouloir absolument l'emporter avec moi a pris le dessus sur la raison et la logique.
Dans la poche de mon pantalon, mon portable se met à vibrer. Je décroche à la hâte et réponds avec entrain. Mon expression se décompose bien vite lorsque la voix attristée de ma compagne m'annonce qu'elle devra rester cloîtrer dans sa chambre pour le reste de la journée, alitée. Des maux de ventre et une extrême fatigue l'empêchent de se joindre dans l'immédiat, mais elle promet de se rattraper le lendemain, dès qu'elle aura pris du mieux.
J'accuse le décalage horaire comme unique responsable de son malêtre. De mon côté, je me sens en pleine forme et débordante d'énergie.
Dans un haussement d'épaules, je range mon portable, attrape mes bottes et sort de ma chambre, que je prends soin de verrouiller avec la clé que l'on m'a confié à l'accueil. Puis, quelques minutes plus tard, je me retrouve à l'air libre, au coeur de cette cité antique et étrangère. Les marchands de souvenirs et leurs stands ne m'intéressent pas des masses ; j'examine d'un air circonspect, les breloques pour chasser le mauvais oeil et les antidotes faits maison sans enchérir.
Un pokémon que je n'ai jamais vu auparavant, un cobra royal aux écailles mauves, sagement enroulé sur lui-même, me toise en happant l'air de sa langue fourchue. Son regard me captive et je me perds un instant dans le mouvement hypnotique du haut de son corps, qui commence à osciller. Une tape sur son museau, gracieuseté de son dresseur, l'empêche de poursuivre ses manigances ; l'arbok crache, mécontent, mais se contente de se remettre en position de repos. Intimidée et un brin effrayée, je me hâte de m'éloigner.
- Hé oh, ça va commencer ! - Vite, à la place centrale ! Allez !
Une bande de gamins me dépassent en courant, rieurs et surexcités. L'un deux est accompagné d'un smogo, un autre par un chien de petite taille au pelage orangé et strié de noir. Je ne sais pas ce qu'il se passe exactement, mais l'agitation et l'excitation semble avoir gagné une plus grande foule - et tous, petits et grands, se dirigent vers le lieux indiqué. Curieuse, je m'engage derrière une famille et me faufile ensuite dans un coin où l'on risque moins de me marcher sur les pieds ou de m'enfoncer un coude dans les côtes.
- Mesdames, messieurs et pokémons, bienvenue à cette démonstration ! Comme vous le savez, la coordination est un art qui exige la maîtrise de soi et de ses partenaires, et nécessite une grande créativité. Laissez-moi vous présenter nos apprentis coordinateurs vedettes, en voie de participer au prochain concours qui aura lieu ici-même, à Parmanie. Faites leur bon accueil !
Tout le monde se met à siffler, à applaudir - au total, nous sommes peut-être une trentaine ou une quarantaine à assister à la démonstration, de quoi rendre nerveux les participants. Je me mets de la partie, en applaudissant à mon tour.
Encore une matinée d'hiver dans la ville de Parmanie. L'aurore devait m'avoir tiré de mon sommeil, à travers les volets de ma chambre ; je me souviens seulement d'avoir subrepticement ouvert les paupières, m'être frotté ensuite le front comme par automatisme et routine, pour ensuite être abreuvé de cette lumière si pure et si paradoxalement chaleureuse. La température de l'appartement était juste ce qu'il fallait pour m'extirper de la draperie dans laquelle je m'étais emmitouflé cette nuit sans que cela ne crée cette sorte de malêtre qui vous habite lorsque le chaud et le froid se frictionne au contact de votre peau. Je vis seul, et ne dépendre que de moi-même et des stimuli sensoriels qui m'entourent suffit à me contenter au jour le jour.
Comme par habitude, ma première expédition se fait jusque dans la salle de bain, où j'y prends une douche chaude, brumeuse et relaxante. Je profite de ce moment pour fermer les yeux : ressentir les jets d'eau marteler ma tête avec une délicate fermeté ; se laisser envahir par cette ague de chaleur qui se meut jusqu'au plus profond des fibres de mon corps ; donner cette exquise occasion aux muscles et aux nerfs de se détendre d'une nuit de sommeil plutôt agitée. Je n'avais pas bien dormi cette fois-ci, comme si quelque chose se tramait dans mon subconscient et tentait de me faire savoir qu'un obstacle me faisait front, quelque part, dans les méandres du continuum de l'existence. Ce n'était pas souvent que je restais sous la douche aussi longtemps que ce matin-là. Il m'avait fallu jusqu'à augmenter la température de quelques degrés de plus pour réellement me sentir alerte, détendu et bien dans mon enveloppe de chair. Mais qu'à cela ne tint, j'avais une routine à performer, et le petit-déjeuner n'allait pas se faire tout seul. « Allez mon Leo ! On se bouge. » me disais-je alors comme pour me donner un semblant de contrôle sur cet inconfort passager.
Une fois rassasié, je repassai naturellement par la chambre, afin de m'habiller. Après avoir aéré brièvement la pièce, je me rendis compte que le froid était particulièrement sec et incisif. Cela ne me dérangeait que très peu, il fallait tout simplement que j'adapte ma garde-robe afin de me protéger de la morsure de cette vague d'air frigorifique, tout en m'assurant d'être disponible physiquement et mentalement pour ma ronde quotidienne. Ne vous avais-je pas dit ? Mon métier n'est pas terriblement passionnant pour mon âge. Je suis professeur, de lettres et langues du monde, pour les enfants de la ville de Parmanie. L'information n'est pas des plus importantes cela dit ; nous sommes un jour férié pour les élèves, et je ne fais des allers-retours que pour m'avancer dans mon travail et gagner en efficacité. Les enfants ? Eux ? Beaucoup trop occupés à jouer dehors, à refaire le monde, mais surtout à s'adonner à cette trépidante aventure de dresseur pokémon.
Une fois ma routine casanière effectuée, je me mis en route pour l'école où j'officie. Vêtu de mon habituel pantalon anthracite, d'un pull en laine noire de Tauros, de mes bottes sombres à semelle rouge. L'exception du jour était cette double écharpe blanche à motif, une de celle que l'on peut acheter sur Céladopole. Elle m'offrait juste ce qu'il fallait de chaleur pour ne pas être en proie de cette fraicheur traitre du jour. Je déambulais dans les ruelles de l'antique ville du Maitre Koga. En cette période de fêtes hivernales, il n'était pas rare d'y trouver des étales, des stands ou d'autres commerces ambulants qui n'avaient que l'appât du gain comme leitmotiv d'installation. Le chemin pour l'école n'était pas des plus longs, mais aujourd'hui, j'allais devoir souffrir un détour que je n'avais pas prévu. Et tout se précipita lorsque deux adolescents filèrent tel des éclairs devant moi, manquant de me bousculer au passage.
- Pardon m'sieur Amicitia ! On est pressés ! - T'arrête pas poto, on va louper la démonstration !
Autant le fait qu'ils m'aient reconnu et aient offert leurs excuses à la hâte n'était pas la raison de cette source d'intrigue qui venait de faire comme un choc électrique dans mon cerveau. Moi, professeur, je n'étais pas au courant d'une démonstration qui avait lieu dans la ville ? Comment avais-je pu passer à côté d'une telle information ? Avais-je été distrait le temps d'un instant de conversation avec l'équipe professorale, et je m'étais rendu coupable d'un manque de lucidité pédagogique ? Il m'en fallait le cœur net, et j'allais pour une fois manquer à ma routine, pour assister à cette démonstration.
A la hâte, je pris le même chemin que les deux garnements sprinteurs d'il y a quelques secondes. Progressivement, je me rendis compte que les ruelles devenaient de plus en plus empruntées, comme si on avait ouvert une vanne touristique d'un coup d'un seul. J'emboitai alors le pas d'un couple de parents d'élèves que je reconnus aussitôt, leur adressant un hochement de tête en signe de salutation. Mais à peine eus-je le temps de me rendre compte de la foule qui s'amassait devant moi, qu'un son tonitruant et couplé d'un léger larsen vint s'inviter pernicieusement dans mes tympans.
- Mesdames, messieurs et pokémons, bienvenue à cette démonstration ! Comme vous le savez, la coordination est un art qui exige la maîtrise de soi et de ses partenaires, et nécessite une grande créativité. Laissez-moi vous présenter nos apprentis coordinateurs vedettes, en voie de participer au prochain concours qui aura lieu ici-même, à Parmanie. Faites leur bon accueil !
Le public ainsi rassemblé se mit à siffler, à acclamer le présentateur et à trépigner sur place comme si l'évènement de toute une vie se déroulait sous leurs yeux. « Allons bon... » lançai-je à demi-mot tout en levant les yeux au ciel. Je venais de me faire avoir de bien belle manière par la folie juvénile de l'instant, et me retrouvait ainsi dans une assemblée d'experts et de connaisseurs du monde Pokémon. Bien évidemment que le malaise était palpable : je ne connaissais rien à cet univers. Les enfants à l'école en parlait à longueur de journée, tout le temps, en toute circonstance. Même les parents d'élèves s'accordaient à dire que ces créatures devenaient un moyen viable et contemporain de susciter de nouvelles vocations professionnelles. A y bien penser, quelle folie ! Pourquoi de telles entités extraterrestres, dont on ne connait encore que très peu le fonctionnement sociétal et les profils de vie, constituaient un enjeu aussi crucial pour la jeunesse montante de Parmanie ... que dis-je ... de tout Kantô.
Il est vrai que nombreuses étaient les retransmissions télévisées de confrontations et de tournois en tout genre concernant ces Pokémons. Il n'était pas illogique pour la société que d'aspirer à se baigner en permanence dans ce phénomène célèbre et provoquant des houles de population. Et pourtant, je restai sceptique au spectacle qui se déroulait devant moi. J'étais comme hermétique à la clameur et à l'attrait de la performance qui allait bientôt prendre place. Par pur automatisme, et par pur manque d'originalité, je me mis également à applaudir, afin de ne pas trop jurer avec le décor. Après tout, j'étais venu de mon plein gré sur la place principale de la ville, autant assumer et se comporter comme un humain normal, fan de Pokémons et d'évènements officiels sur le sujet.
Alors que le présentateur annonçait les conditions de participations ainsi que les caractéristiques des Pokémons qui seraient à l'honneur ce jour-ci, j'aperçus un petit groupe d'élève que je reconnus plutôt rapidement. Ils se trouvaient à une petite dizaine de mètres de moi, et je décidai de me faufiler dans le groupuscule humain à proximité afin de rallier leur position. Mais ce n'était sans compter sur ma maladresse ... alors que j'effectuais un déplacement en diagonale, une espèce de chien roux à rayures noires fureta juste devant moi, m'obligeant alors un faire un pas de recul soudain. Je manquai cependant de bousculer une jeune femme à la chevelure flamboyante qui se tenait là, dans un coin de la ruelle adjacente à celle que je venais de quitter. Sentant comme une décharge de panique le long de mon échine, j'écarquillai les yeux et commençai à me confondre en excuses. C'était d'ailleurs une de mes faiblesses caractérisées. Un grand bonhomme comme moi, qui devient tout penaud face à son manque de discernement.
- Mille pardons, je ne vous avais pas vue. Vraiment je ne comprends pas ... ce chien Pokémon est apparu de nulle part.
Passant une de mes mains derrière le crâne pour le gratter comme mécanisme de protection psychologique, je cherchais d'autres mots pour présenter un florilège d'excuses à cette individu qui, étonnamment d'ailleurs, n'avait pas bouger d'un iota. J'osais à peine la regarder dans les yeux tant j'avais honte. Mon teint devait avoir rougi depuis quelques secondes. Je n'espérais qu'une chose : qu'elle m'accordât son pardon, pour me laisser ensuite la possibilité de rejoindre ... oh non ... les enfants que j'avais aperçus n'étaient plus à l'endroit indiquer.
Lorsque le bruit des acclamations s'apaise enfin, les règles que doivent suivre les participants nous sont dûment présentées - le présentateur s'emballe, agite vigoureusement la main au fil de ses paroles, comme un chef d'orchestre qui entame un morceau particulièrement endiablé. Cet homme est un véritable passionné. Ce que je retiens de son discours animé est que le respect de la thématique, précision, cohésion et originalité sont les mots d'ordre pour réussir sa mise en scène. Tout cela me paraît étonnamment complexe et pointilleux pour une démonstration à l'amiable.
Je croise les bras contre ma poitrine, davantage pour me réchauffer que par ennui, et observe passivement les minois anxieux ou surexcités des coordinateurs en herbe, qui se sont rassemblés les uns près des autres. Des encouragements fusent à nouveau, scandés par de fiers parents. Cette fois-ci, je ne me sens pas à ma place de les imiter ; ce serait usurper un droit qui ne m'appartient pas, en ma qualité d'étrangère.
Songeant alors à Ambre qui somnole probablement sous une couette épaisse, à attendre que ses médicaments chassent ses maux et lui permettent de gratter une ou deux heures de sommeil, je récupère mon portable et me prépare à prendre quelques clichés. Je ne suis pas la plus douée pour les photos, mais je sais qu'elle appréciera le geste. Tandis que je lève mon appareil, prête à immortaliser les plus beaux moments des prestations, je sens quelque chose filer devant moi, au niveau de mes pieds.
Je n'ai que le temps d'apercevoir un éclair de fourrure orange et noire disparaître au tournant de la ruelle qu'une masse sombre apparaît à la périphérie de mon champ de vision. Ma tête se tourne dans sa direction en même temps que mon corps réagit ; un rebond maladroit, esquissé sous l'effet combiné de la frayeur et de la surprise. La bousculade est évitée de justesse, mais ma main relâche sa prise sur mon téléphone ; celui-ci retombe sur le sol dallé de pierre dans un bruit fracassant, signe que l'écran a inévitablement subi un choc.
Mais mon regard se rive plutôt sur l'inconnu qui a bien failli me percuter et mon expression s'adoucie. Le pauvre a l'air dans tous ses états alors qu'il n'y a pas eu mort d'homme. Je me penche pour saisir mon portable avant de l'inspecter, puis de le ranger prestamment dans la poche de ma veste.
Je lui épargne la vision du point d'impact sur la surface vitrée et des multiples fissures qui la traversent sur toute la longueur.
- Ce n'est que du matériel, ce n'est pas grave.Ma façon d'accepter ses excuses et de lui éviter de se morfondre dans son embarras. Je l'ai vu aussi, il a filé comme une flèche ! C'est difficile de l'éviter, surtout lorsqu'il passe si près de nos jambes. Je me demande s'il appartient à quelqu'un.
Je lève le visage pour toiser mon interlocuteur - car c'est bien ce qu'il me faut faire pour parvenir à le regarder dans les yeux, malgré son attitude évasive. Il est si grand, me dépasse de deux ou trois têtes, et cela crée un étrange contraste avec son comportement. Désireuse d'alléger la conversation et le faire se sentir un peu mieux, je désigne la foule amassée autour de la place centrale.
- Vous connaissez quelqu'un qui participe ? Ou comme moi, vous êtes venus par curiosité ?
Même les questions les plus basiques, voire clichées, peuvent aider à améliorer une situation et à calmer les âmes déconfites.
- C'est la première fois que j'assiste à une animation sur la coordination.
Je n'ai vraiment pas de chance sur ce coup-là. Je pensais pouvoir facilement me mouvoir dans la foule, de contrôler ma trajectoire et arriver au point de mire ; et à la place, je me retrouve à percuter une innocente spectatrice qui devait probablement se trouver à cet endroit par le plus pur des hasards. Le choc avait été soudain, bref, subreptice. S'il avait pu figurer au zapping des mésaventures de Parmanie, sans doute que nous aurions pu nous retrouver dans le top 5. C'était absurde. Presque ridicule. Et pourtant, c'était bien arrivé.
Me confondre en excuses n'était pas ce que j'affectionnais le plus, c'était surtout le fait d'avoir eu à porter atteinte physiquement auprès d'une jeune femme qui m'était le plus inconfortable. Je ne suis pas à l'aise avec la gente féminine. Le drame de ma vie jusqu'à lors. Je suis plutôt timide de prime abord. Je ne rougis pas beaucoup d'ordinaire, mais lorsqu'une demoiselle est impliquée dans l'action, je perds temporairement mes moyens. Que faire pour recevoir le pardon d'une femme lorsqu'elle est bousculée malgré elle ? Comment réagir et rétablir le contact et la situation lorsque vous êtes le principal fautif de l'histoire ? C'est compliqué pour moi vous savez, les relations humaines. Paradoxal non pour un professeur ?
Eh bien pas tant que ça ; on a beau être en face d'un public, aussi jeune soit-il, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une performance à réaliser quotidiennement, comme un texte appris par cœur pour une représentation de théâtre. Les sentiments ne sont pas authentiques, les réactions ne sont ni organiques ni naturelles. Le relationnel est relégué au strict minimum, afin de pouvoir instaurer un contrat de double récompense : le professeur parfait sa pédagogie en étant au contact permanent de ses étudiants, tandis que l'élève gagne en maturité et en connaissances au plus il communique avec son mentor. Du gagnant-gagnant qui n'engage en rien l'intégrité émotionnelle des deux parties, si vous me suivez. Je suis peut-être rustre ou vieux jeu pour mon âge, mais c'est ainsi que je me préserve de l'adversité au sein de mon métier.
L'étendue des dégâts maintenant. Allons bon ... cette petite décharge au moment de l'impact n'était pas juste due au physique agréable de la jeune demoiselle de la foule : je venais de faire valdinguer un téléphone contre le sol. Un impact qui avait ironiquement rassemblé le plan horizontal du sol avec le plan vertical de la chute de l'appareil. Un son aussi sourd que malaisant en suivit. Je ne pouvais pas opérer un diagnostic visuel de l'objet en question, ma honte et mon inconfort m'interdisant de regarder vers le bas ; mais je me doutais que je ne lui avais pas fait que du bien à ce téléphone.
D'une manière digne et maitrisée, la rouquine venait de ranger le combiné high-tech dans une poche de sa veste. Un bel apparat textile d'une couleur rouge plutôt chatoyante. Cela lui seyait à ravir. Elle avait l'air de tenir chaud. On devait se sentir bien dedans. Puis elle admit :
- Ce n'est que du matériel, ce n'est pas grave.
Une tournure de phrase pour dédramatiser la situation, et probablement ne pas trop attirer l'attention de la foule avoisinante qui avait bien évidemment assisté à la collision. Bien joué Leo ... mais à peine eus-je le temps de présenter à nouveau mes excuses, qu'elle embraya sur l'objet de notre rapprochement fortuit et non sans mal.
- Je l'ai vu aussi, il a filé comme une flèche ! C'est difficile de l'éviter, surtout lorsqu'il passe si près de nos jambes. Je me demande s'il appartient à quelqu'un.
C'est à ce moment-là que je m'aperçus que la demoiselle cherchait mon regard. Elle était plus petite que moi, mais elle avait l'air au-dessus de la moyenne d'une taille du règne féminin cela dit. Deux perles d'une teinte dorée vinrent alors croiser mes miradors azur. Déstabilisant, c'était le mot. Je n'avais encore jamais vu des yeux pareils ! Fichtre ! Mon teint venait de repasser au rouge. Il me fallait trouver de quoi rétorquer et vite. Je n'étais peut-être pas dans mon élément, mais s'il y a bien une chose dont j'ai horreur, c'était de me la jouer taiseux pour pas grand chose. Mais fallut-il croire que la jeune femme était vive d'esprit, et enchaina une autre part de conversation.
- Vous connaissez quelqu'un qui participe ? Ou comme moi, vous êtes venus par curiosité ? C'est la première fois que j'assiste à une animation sur la coordination.
Quelle épine venait-elle de m'enlever du pied ! C'était donc ça l'objet de toute cette commotion dans la ville ? Je ne m'en serais jamais douté, je ne suis pas un aficionado du monde Pokémon, et très honnêtement, à part les quelques exploits de jeunes dresseurs retransmis à la télévision de depuis l'arène de Koga, contre le maitre des poisons lui-même ; je n'avais que très peu de culture dans le domaine. J'improvisai alors une réponse, bateau tout au plus :
- Eh bien, je viens grâce à vous de découvrir l'origine de ce tumulte urbain. Ha ha ... j'ai l'air idiot non ?*en grattant l’arrière du crâne une nouvelle pour ne pas trahir l'extrême ridicule de ma réplique*Je dois bien avouer que je ne suis pas un expert dans le domaine, et encore moins au sujet de la "coordination" comme vous venez de le signifier.
Il fallait bien que je sois vrai et sincère. C'était la moindre des choses à faire lorsqu'on est responsable d'un évènement incongru qui intervient au détour d'une ruelle. Une animation sur la coordination donc. Intéressant et déroutant à la fois. La sémantique du terme me paraissait logique : un agencement logique de plusieurs parties d'un tout, dans le but de produire un résultat final appartenant à un domaine de prédiction et d'anticipation relatif.
Je tirais une moue pensive, je m'interrogeais intérieurement, et cela devait se voir. Je revins à la réalité presque aussitôt, pour ne pas laisser la jeune demoiselle sans matière à rétorquer. J'engageai alors à nouveau le dialogue :
- Il se trouve que je suis venu par hasard, cet afflux de population m'a paru suspect, et ma curiosité m'a joué un bien facétieux tour, si vous voyez ce que je veux dire !*rigolai-je timidement comme pour faire un trait d'humour malgré la gêne*J'imagine que si nous décidions de nous approcher un peu plus du lieu des festivités, nous en apprendrions plus ?
Supposai-je en intimant la femme à la chevelure fauve à tenter une promenade additionnelle pour voir ce qui nous attendait. Mais j'y pense ... mes manières !
- Avant ça ! Veuillez pardonner mon impolitesse. Je me prénomme Leonis. Leonis Amicitia, professeur de lettres et langues du monde à l'académie de Parmanie. Puis-je vous demander votre nom avant d'assister à cette démonstration ?
Ça y est. Je venais de faire l'action léonesque du siècle : solliciter une information de l'ordre de l'intime auprès d'une jeune fille fort agréable au demeurant. L'intention serait-elle bien reçue ? J'espérai en connaitre davantage sur mon interlocutrice avant que le présentateur de l'évènement ne décide de faire de nouveau tonitruer ses cordes vocales à travers les enceintes disséminées un peu partout dans les allées de Parmanie.
Le pauvre bougre semble perdre de ses moyens ; la coloration de ses joues rend justice à son embarras apparent, et je me sens coupable d'avoir établi un contact visuel direct. J'assiste finalement au bris de son mutisme, après quelques secondes, et je penche légèrement la tête de côté, dans un geste plus attentif qu'intrigué.
- Non, non, pas idiot. Si vous n'y êtes pas habitué, ce genre de rassemblement soudain peut être déstabilisant.
Comme il est facile, cependant, de se laisser gagner par l'effervescence d'une foule et de se retrouver au coeur du tumulte, comme spectateur. Je continue de fixer mon interlocuteur avant de me tourner vers les participants. Plusieurs d'entre eux ont fais appel à leurs partenaires, et la plupart sont des espèces qui me sont inconnues. Des créatures régionales, propres à Kantô et à son climat.
- Je ne suis pas experte non plus, rassurez-vous. C'est l'occasion d'apprendre !
Une opportunité en or, tombée du ciel. Peut-être que cela me permettra de comprendre davantage les notions et les subtilités du dressage pokémon. L'homme propose de se rapprocher et j'acquiesce avec un enthousiasme sincère. La présence d'un large public ne m'intimide guère et bien que je préfère d'ordinaire me positionner en retrait, je ne vois aucun mal à franchir cette marée humaine pour nous tailler une place au devant. J'esquisse un mouvement pour m'avancer, mon pied glissant légèrement sur la dalle encore humide de pluie et de neige fondue, mais je m'interrompts, un sourire mutin flottant sur mes lèvres.
- Oh, enchantée Léonis !
Un professeur ! En voilà un métier intéressant. Je me demande si, par son expérience, il a perçu la différence dans mon accent et dans ma manière de m'exprimer, dans ma façon d'aborder certains verbes avec une note riche et prononcée, un peu chantante, et qui ne sont pas natives de Parmanie et de ses environs.
D'un mouvement souple de la main, je ramène une mèche rousse derrière mon oreille.
- Masa Kobayashi. Amatrice de randonnée et guide touristique au Mont Nappé, à Paldéa. Si je suis loin de ma région, c'est uniquement pour faire plaisir à une amie. Enfin, elle a beaucoup insisté et je me suis laissée piéger.
Je soupire doucement en secouant la tête. Là-dessus, Ambre m'a effectivement bien eu, mais je ne compte pas lui tenir éternellement rigueur de son entêtement.
J'adresse un nouveau signe à Léonis et je commence à me faufiler entre petits et grands, jusqu'à parvenir à la délimitation du cercle. Je m'assure que je ne cache pas les gens derrière moi - malgré ma taille, je sais qu'il y a des enfants présents et ce serait dommage de les empêcher de voir clairement la représentation -, puis j'enfouis mes mains dans les poches de ma veste.
- Pour ouvrir le bal, voici notre premier participant !
La foule s'emballe et étouffe le nom de l'adolescent. Il s'incline, imité par le machoc qui l'accompagne, et se prépare à révéler sa mise en scène soigneusement orchestrée. Ce qui me fascine, c'est l'utilisation d'un pokémon aux proportions plus musculeuses et carrées, moins ancrées dans la grâce et l'élégance classique.
- Je me demande ce qu'ils vont faire. Que je soulève à voix haute, d'un ton pensif, tout en adressant un coup d'oeil de biais à mon interlocuteur. Je n'ai pas compris le thème choisi, c'est trop bruyant. Vous avez entendu ?
Sortir de son petit cocon de sécurité. Finalement, il n'y avait pas que du mauvais dans ce type d'entreprise, même si le truc reste un élément clé de la réussite ou de l'échec.
En l’occurrence ma petite victoire était de parvenir à maintenir la communication avec mon interlocutrice du jour. Qui devait certainement avoir noté ma gêne à outrance, répondant à mes quelques balbutiements de façon rassérénant. Elle avait tout d'abord acquiescer du fait que ce type d'évènement pouvait ne pas être chose courante pour un peu que l'on ne s'y connût. A la regarder faire, elle devait déjà avoir une certaine habitude de la foule, qu'elle fut prévue ou impromptue. Elle jetait quelques coup d’œil dans ma direction mais très vite, elle scruta le reste de la cohue humaine. Qu'analysait-elle ? Qu'avait-elle vu d'intriguant dans cet amas humanoïde ? Lisait-elle quelque chose qui m'échappait ? Elle semblait également regarder vers le sol de temps à autres.
Elle intima par la suite qu'elle n'était pas une experte de ce genre de représentation, et que c'était pour elle l'occasion d'apprendre. Sur le principe, je ne pouvais décemment pas rester insensible à cette envie d'apprendre, en bon pédagogue que je suis. Ce qui m'interpellait cependant, c'était la conviction dans ses mots : c'était comme si elle avait prononcé cette phrase anodine pour y mettre un sens beaucoup plus puissant que prévu. Ou alors avait-elle deviné que je faisais partie de la fonction publique, prône à rechercher la connaissance et l'expertise de terrain ? Mon accoutrement ne pouvait pas me dénoncer à ce point, si ?
Toujours fut-il qu'elle accepta ma proposition de se rapprocher de la zone principale de l'évènement. Son premier pas fut d'une grâce presque surnaturelle, effleurant à peine la dalle de béton encore maculée de neige et de gouttelettes d'eau encore fraiches. On aurait cru à une adepte des arts martiaux, capable de se mouvoir sur n'importe quel type de terrain, comme si c'était d'une normalité et d'une simplicité enfantine. J'admirai ce spectacle qui se déroulait devant mes yeux, laissant ma bouche tout juste entrouverte comme pour trahir un émerveillement soudain. Oh non ! La jeune femme à la chevelure flamboyante me faisait maintenant face avec un sourire léger. Avait-elle remarqué cet air niais qui s'était invité sur mon visage ? J'espérais que non ... ça aurait rajouté beaucoup trop de ridicule à la situation.
- Oh, enchantée Léonis !
Et là, l'éclair. Je suspectais cette possibilité déjà depuis quelques secondes. Mais là, j'en étais persuadé : cette belle plante ne venait pas de Parmanie, et à en juger son léger accent chantant et cette insistance consonantique par moment dans ses phrases, elle ne venait pas non plus de la région du Kantô. Rajouté à cela sa syntaxe orale, je pouvais également écarter la possibilité qu'elle eut été de Johto. Intriguant. Encore plus intriguant.
- Masa Kobayashi. Amatrice de randonnée et guide touristique au Mont Nappé, à Paldéa. Si je suis loin de ma région, c'est uniquement pour faire plaisir à une amie. Enfin, elle a beaucoup insisté et je me suis laissée piéger.
Oh ben ça alors ! Paldéa ? Carrément ? Cette contrée lointaine m'était inconnue en termes d'expérience, mais j'en avais lu des choses à l'académie. L'annonce du Mont Nappé fut un déclic dans mon esprit, car j'avais pu me documenter sur cette région, qui pouvait se venter d'être la plus haute des montagnes de la région. Son agilité sur les surfaces glissantes s'expliquait alors, elle en avait l'habitude, et en avait fait une particularité comportementale. Incroyable ! Pour la peine, j'allais la surprendre avec ma réponse.
- Votre amie vous a fait descendre de Frigao pour vous jouer un bien facétieux tour à ce que je vois. Ha, ce que l'on ne ferait pas pour un être que l'on apprécie, n'est-ce pas ?
Conclus-je par un petit sourire en coin pour répondre au sien de précédemment. Je ne savais pas si je visais juste en faisant appel à ma mémoire photographique de la carte de Paldea, mais j'espérais pouvoir créer un lien entre nous en montrant que je pouvais m'intéresser à plus que ma propre région, et qu'en chaque citoyen d'une région à part entière, se cachait potentiellement une histoire qui valait le coup d'être connue.
Puis elle m'invita à son tour à la suivre, pour parcourir le reste de foule qui nous séparait du lieu principal de l'action. La dénommée Masa se faufila avec une telle précision chirurgicale que j'en eus des frissons étranges dans le dos. De l'admiration à son paroxysme. Si seulement j'avais été capable d'en faire de même ; à la place, je devais me confondre d'excuses envers quiconque je bousculais malencontreusement. Je suis très grand ... trop grand. Et mes déplacements beaucoup trop simples et hésitant sur ce sol givré et glissant. Je ne voulais tomber sur personne, et surtout pas de tout mon long. Quoi que, le running gag n'en aurait été que plus savoureux me direz-vous.
- Pour ouvrir le bal, voici notre premier participant !
Ça y est, les festivités venaient de commencer alors que je peinais tout juste à rejoindre Masa au plus proche de la scène. Je n'eus pas le temps de reconnaitre un traitre nom provenant du micro du présentateur, mais tout ce que je pus voir, c'était que le garçon à l'honneur venait de faire apparaitre de nulle part, une créature certes courte sur patte, mais à la musculature déjà dessinée. Qu'est-ce que ça pouvait bien être comme Pokémon ? Si tant était qu'il s'agissait bien d'un pokémon ; je n'en avais rencontré que très peu jusqu'à présent. Le dernier remontait à ... ah bah, oui, non, la fameuse silhouette canine qui avait provoqué la bousculade ... probablement l'oeuvre d'une de ces formes de vie pokémon. Étais-je bête.
La jeune Paldéenne était curieuse de savoir ce que ce dresseur allait faire de son moment de prestation. A vrai dire, je n'étais même pas sûr d'avoir entendu un thème non plus. Je tentai alors de répondre.
- A vrai dire, je ne suis pas sûr de ...
Et là ! Coup de théâtre, le dresseur venait de jeter en l'air un parpaing de brique, qui avait l'air plutôt robuste et pesant. La trajectoire avait l'air d'être contrôlée, car ni la foule ni le pokémon musclé ne semblaient décontenancés ni surpris. Moi au contraire, je commençais à crisper mes doigts et à plisser les yeux pour être sûr de ne pas être pris dans la volée de débris si la brique venait à exploser au contact du sol.
Et alors que le projectile entame sa phase descendante, le jeune garçon pris une pose tel un adepte des arts du combat à mains nues. N'écoutant que son souffle et celui de son pokémon, l'individu effectua un swing venant de son poing droit, et vociféra « Ultimapoing, cinq contacts ! ». Ne sachant pas trop à quoi m'attendre, je regardai, médusé, la scène qui commençait à se profiler sous mon nez. Le Pokémon prit exactement la même position que son dresseur, fronça la partie supérieur de ses yeux comme signe de concentration extrême et serra ses petits poings. Soudain, une aura de puissance sembla se matérialiser autour des poings dudit Pokémon, un Machoc, si tant est que le spectateur sur le côté droit de Masa eut dit la vérité.
Au moment où la brique atteint la mi-hauteur du corps de Machoc, le Pokémon délivra une série de cinq coups de poings fusant à une vitesse folle et employant une force monstrueuse : le résultat était que le pauvre parpaing bétonné finit en morceaux, presque à l'état de poussière de brique. Ce duo pokémon-coordinateur venait de faire étalage d'une démonstration de puissance pure, couplé à un effet de surprise et d'intensité en employant une technique redoutablement efficace, qui ne payait pas de mine, mais dont l'effet fut garanti à en croire les applaudissements des spectateurs. Moi ? J'étais abasourdi d'un tel spectacle. Mon regard brillait. Je ne savais pas ce que Masa en pensait, mais j'espérais qu'elle me guide de nouveau.
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